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Chapitre 5 : Les frontières à l’école secondaire

5.1 Présence de frontières ethniques réelles entre les murs de l’école secondaire

Le premier constat que nous pouvons poser est que tous nos participants, soit les treize, nous ont confirmé la présence de frontières ethniques visibles dans les écoles secondaires montréalaises. En effet, ils ont tous souligné cet aspect fort intéressant des relations entre les « groupes » à l’école secondaire et plus précisément de quelle manière ces divisions se mettent en place. Il semble que c’est à cette période particulière que les frontières ethniques apparaissent de manière visible dans la composition des groupes d’amis, phénomène qui était quasi inexistant pour nos participants au primaire : « Tout le monde était ami [au primaire], il

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ethnique? Non, ça c'est plus au secondaire que ça arrive » (Alexander, M, origine

salvadorienne). Évidemment, si tous nous ont parlé de ces frontières ethniques visibles, elles

semblent ne pas apparaitre avec la même intensité selon les écoles fréquentées en plus d’être réparties différemment.

Les groupes identifiés par nos participants sont variables, mais un des groupes visibles au secondaire et qui a été particulièrement soulevé, est celui des jeunes faisant partie du groupe majoritaire. C’est donc huit de nos participants qui ont soulevé ce phénomène. Selon eux, ce sont surtout les jeunes du groupe majoritaire qui se regroupent ensemble et qui forment des groupes plus isolés que les autres. C’est d’ailleurs ce que mentionnent Gabriel et Aïda lorsqu’ils sont questionnés sur la présence de groupes ethniques durant leurs années au secondaire : « Tous les Québécois eux-autres restaient ensemble, ça c'est sûr et certain » (Gabriel, M, origine haïtienne)

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« Les Québécois qui allaient à mon école, avaient tendance à rester ensemble » (Aïda, F, origine algérienne). Si d’un côté ils mentionnent les regroupements visibles des jeunes faisant partie du groupe majoritaire, plusieurs de nos participants soulignent le fait que les frontières se situent entre « Québécois » (faisant référence aux jeunes non issus de l’immigration) et « Immigrants » (faisant référence aux jeunes issus de l’immigration). C’est donc cinq de nos répondants qui parlent de cette frontière négociée entre les murs de leur école secondaire. Comme le souligne Neha :

Est-ce que durant ton secondaire tu as observé des frontières intergroupes […]? Oui

beaucoup, mais il y avait quand même des Arabes qui se trainaient avec des Africains, mais c'était plutôt immigrants avec immigrants, les Québécois ils étaient isolés, même s'il y en avait pas beaucoup. Pourquoi? Je sais pas, c'est peut-être parce qu'eux ils nous aimaient pas ou quelque chose comme ça […] » (Neha, F, origine pakistanaise).

Même constat pour Yasmine qui mentionne qu’à son école secondaire, les élèves « Québécois » se plaçaient à l’écart des autres jeunes et que la frontière se situait surtout entre « Québécois » et « Immigrants » :

Parce que eux-mêmes ils s'excluaient. […] sauf certains qui étaient ouverts d'esprit et que ça leur dérangeaient pas, eux-mêmes ils décidaient de s'exclure. On avait un style différent, une manière de penser différente, ça collait juste pas, ça collait pas. Mais selon toi, ça venait d'où

cette différence? C'était quoi vraiment, pourquoi il y avait pas de mélange? Il y en avait pas

vraiment, il y avait pas de raison spécifique, ça s'est fait tout seul. Et comme ça s'est fait tout seul, c'est devenu quelque chose de logique que les Blancs soient avec les Blancs et que les

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immigrants soient avec les immigrants. Nous-mêmes des fois on s'appelait les immigrants, le « crew » des immigrants (Yasmine, F, origine marocaine)

Ce qui est intéressant, dans cet extrait, c’est l’explication donnée par Yasmine. Selon elle, le nombre de différences étant trop élevé, il serait donc impossible que des amitiés se développent et que s’en suivent des regroupements plus ouverts durant l’adolescence. Qui plus est, on peut aussi observer un glissement dans le discours de Yasmine. Elle utilise le plus souvent « Québécois » pour parler des jeunes faisant partie du groupe majoritaire. Toutefois, dans cet extrait, elle utilise « Blancs » pour les désigner. Contrairement à Neha qui ressent que les élèves « québécois » n’aiment pas les jeunes issus de l’immigration, du côté de Yasmine, c’est plutôt le fait des différences entre les deux « groupes » qui crée une division. C’est aussi ce qu’Aïda relate lorsque questionnée sur la présence de frontières au secondaire :

Oui, je veux dire, le truc qui était étrange, c'est qu'entre immigrants […] ces frontières-là étaient presque inexistantes, parce qu'il y avait quand même une certaine… Affinité? Oui, on comprenait un peu le parcours les uns des autres, mais c'était vraiment avec les Québécois que plusieurs d'entre eux ne pouvaient pas vraiment comprendre et on le ressentait ça. (Aïda, F, origine algérienne)

Dans cet extrait, nous pouvons comprendre que pour Aïda, le fait de vivre des réalités similaires avec les membres du in-group (ici les « Immigrants) marque la frontière d’avec les membres du out-group (ici « Québécois »). En effet, elle mentionne que ces derniers ne peuvent pas comprendre ce qu’est d’être immigrant et cela devient un symbole de différentiation (Barth, 2008).

Pour Gabriel aussi la frontière se situait entre « Québécois » et « Immigrants » tout comme pour Alexander. Toutefois, Alexander apporte une précision à cette frontière. Selon lui, cette frontière suit les sports de prédilection de chacun des « groupes ». En effet, il croit que les garçons faisant partie du groupe majoritaire se regroupent à cause du hockey et qu’a

contrario, ceux qu’il nomme « Immigrants » se regroupent autour du soccer : « C'était parce

qu'on dirait que les Immigrants étaient immiscés autour du soccer, tandis que les Québécois se tenaient plus avec le hockey » (Alexander, M, origine salvadorienne).

Dans tous les cas mentionnés, les contours de la frontière forment des groupes séparés ethniquement.

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