• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Identifications et catégorisations

4.1 L’identification au secondaire des jeunes issus de l’immigration : Un portrait varié

4.1.1 Les identifications comprenant le terme « Québécois[e] »

Comme nous l’avons vu précédemment, dans la Politique d’intégration scolaire et

d’éducation interculturelle, il est mentionné que l’un des objectifs de cette politique est de

développer chez les élèves issus de l’immigration un sentiment d’appartenance au Québec (MELS, 1998). Tel que mentionné ci-haut, ce sentiment d’appartenance n’est pas clairement expliqué dans la politique et un flou persiste. Il est difficile de dire si l’objectif de cette politique est le développement d’une identification davantage objective ou subjective. Or, malgré le fait que les élèves choisis pour l’étude ont fait l’entièreté de leur parcours scolaire primaire et secondaire en français au Québec, seuls 5 participants sur un total de 13 ont utilisé le terme « Québécois » pour s’identifier, et ce, de manière objective ou subjective. Ce terme est majoritairement accompagné d’autres termes et est utilisé de manière plus souvent qu’autrement objective ou encore avec des bémols importants. Nous verrons d’abord trois participantes qui font une utilisation plutôt objective du terme « Québécois » pour ensuite s’intéresser à deux participants qui utilisent aussi ce terme, mais de manière différente.

Lorsqu’interrogée au sujet de son identification, Amanda mentionne qu’elle se sent Philippine et Canadienne, mais que c’est au secondaire qu’elle a commencé à ajouter « Québécoise » à son identification :

Je crois que c'est là où ça changé pour moi, à cause c'est là où j'ai comme réalisé que oui, comme le Québec ça fait partie de où je viens, donc c'est là où je commençais à l'inclure, parce que quand j'étais au primaire…like my education wasn't fully there, so in high school

obviously we kept learning about history every single year, puis it made me realised que obviously, oui je suis une Québécoise, parce que oui, on est nés ici » (Amanda, F, origine

philippine)

Par ailleurs, la dernière partie de cette citation nous indique que cette identification est d’abord objective, c’est-à-dire qu’elle se réfère à l’endroit où elle est née. C’est aussi ce que nous avons pu relever chez Maria qui utilise le terme « Québécoise » de manière objective, mais qui

38

l’ajoute quand même à son identification subjective : « Mais je suis Péruvienne de sang, mais je suis née ici, nationalité. » (Maria, F, origine péruvienne)

Pour Hiruni, c’est plutôt lorsqu’elle se fait questionner sur ses origines qu’elle mentionne qu’elle est Srilankaise. Elle ne sent pas qu’elle doit revendiquer ses origines familiales et se considère comme un mélange entre Montréalaise, Canadienne et Québécoise :

S’ils me demandent mon ethnie, je vais dire comme : « J'suis sri-lankaise», mais je veux dire comme, je suis Montréalaise, Canadienne, Québécoise et tout. Donc tu dis Québécoise

et Canadienne aussi? C’est sûr que je me dis plus canadienne. (Hiruni, F, origine

srilankaise)

Pour Hiruni, il est plus complexe de déterminer l’objectivité et la subjectivité de ses identifications. Elle semble les mettre toutes sur un même pied d’égalité, mis à part son identification en tant que « Québécoise ». En effet, il est intéressant de voir ici que la participante lorsque questionnée à nouveau sur l’utilisation des termes « Québécoise » et « Canadienne » réajuste l’information en mentionnant qu’elle est davantage Canadienne que Québécoise.

Deux participants utilisant le terme « Québécois » dans leur identification se distinguent de ces trois autres participantes. C’est le cas d’Anna, d’origine bulgare, ayant fréquenté une école secondaire privée durant ces deux premières années de secondaire pour ensuite terminer son secondaire dans une école publique. Lorsque questionnée sur son identification au secondaire, la participante mentionne que pour elle, il y a eu deux périodes distinctes. À l’école privée, majoritairement composée de jeunes « d’ascendance canadienne-française », elle ressent une pression pour se dire « Québécoise » :

Secondaire 1-2, Collège de Montréal, j'étais Bulgare-Canadienne ou Bulgare- Québécoise, […] parce que tout le monde était Québécois là, j'étais comme ok je suis sûrement Québécoise parce que eux ils sont Québécois. Mais j'ai jamais, je me suis jamais vraiment sentie Québécoise. Je me sens toujours immigrante, même si j'ai l'accent québécois, même si je porte les trucs que les Québécois portent, je me sens toujours un peu immigrante. (Anna, F, origine bulgare)

Anna ajoute aussi : « Quand j'étais en secondaire 1-2, au Collège de Montréal, ma sœur et moi on était comme…on essayait d'être Québécoises » (P8, F, origine bulgare). Il est très

39

intéressant de voir ici que la composition de l’école joue sur l’identification de cette jeune issue de l’immigration. Cette identification en tant que Québécoise est donc davantage un type de revendication qu’un réel sentiment d’appartenir à ce groupe. Anna ne se sent pas réellement Québécoise, mais peut tout de même faire partie de la catégorie aux yeux du groupe majoritaire puisqu’elle n’est pas racisée. Le cas d’Anna est surtout intéressant lorsqu’on le compare à celui de notre prochain participant, Justin. Ce dernier s’identifie fortement comme Chinois, toutefois, il mentionne aussi qu’il se sent Québécois, mais qu’il n’est pas en mesure de partager cette identification, et ce, à cause de la catégorisation par les membres du groupe majoritaire :

« J’étais toujours Chinois, mais au fond je savais que j’étais un peu plus Québécois, mais je gardais ça pour moi » / « Parce que je peux dire que je suis Québécois, mais n’importe qui pourrait dire, pour vrai, tu es Chinois » (Justin, M, origine chinoise) Il est intéressant de constater que Justin ne sent pas qu’il a la légitimité nécessaire pour s’identifier comme Québécois, pour faire partie de ce groupe à cause des rapports de pouvoir inégaux entre le groupe majoritaire et les minorités racisées. Pour ce qui est d’Anna, même si l’investissement identitaire envers la catégorie Québécois n’est pas présent comme chez Justin, le fait qu’elle soit blanche lui permet de se faire passer pour une Québécoise, c’est-à- dire d’être perçue comme telle par les membres du groupe dominant. Cela signifie que, pour ces deux participants, la blanchité est un marqueur significatif des frontières symboliques de la québécité. Comme nous l’avions vu dans notre cadre théorique, l’identification ethnique peut être fluctuelle, mais les possibilités d’identifications sont limitées par la façon dont les majoritaires perçoivent les minoritaires (Jenkins, 2008; Waters, 1990). Par contre, même si elle a la possibilité de le faire, ce n’est pas ce qu’elle ressent, puisqu’elle se sent toujours immigrante. Donc, d’une part Anna était en mesure de revendiquer une identification à la catégorie « Québécois », Justin de son côté a intériorisé le regard de l’Autre comme étant supérieur. De ce fait même, il est prisonnier de cette identification comme minoritaire et ne peut s’en départir. Les marques qui définissent les frontières, telles que théorisées par Juteau (1999), sont en effet choisies à partir de rapports sociaux inégaux. Les membres du groupe majoritaire utilisent des marqueurs – la langue, la couleur de la peau, le pays d’origine – qui excluent Justin de ce groupe et le renvoient au groupe minoritaire. En effet, comme le mentionne Juteau : « Nous sommes tous Québécois, mais certains Québécois le sont plus que

40

les autres » (1999, p.159). Ainsi, les propos de Justin nous font comprendre que cette catégorie « Québécois » est réservée à l’ethnicité dominante.