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Chapitre II DES OBJETS PHOTOROMANESQUES

2) Préparation et scénario

Si Correspondance a fait l o jet d u t a ail e alte a e et da s la dista e, Fugues est le f uit d u e olla o atio da s la uelle, selo les a tistes eu -mêmes, les fo es s uili e t atu ellement. Cet équilibre se fonde néanmoins sur un solide travail préparatoire, comme en témoigne le carnet de notes des auteurs118. Celui- i p se te e d tail le s a io et le d oupage de l ou age, et p oit les différents types de plan photographique (d taill , app o h , la ge… . Les pa titio s par personnages (Didier Marchant, Chantal Clébert et Bertrand Zoldi119) et par dates , , jui so t d jà ta lies, à ela s ajoute u e su di isio pa espa e. Chaque scène est associée à un lieu, et au passage d u lieu à l aut e plutôt u à l'activité des protagonistes. La scène 1 qui correspond à la filature de Zoldi par Marchant, est ainsi titrée « scène 1 : de la V.U.B. au café120 ». “ e sui e t la « scène 2 : dans le café121 », la « scène 3 : du af à l appartement de M.122

», la « scène 4 :

118 Marie-Françoise PLISSART et Benoît PEETERS, Fugues, Carnet de notes, 1982, 40 pages, propriété de Plissart.

119 L a se e d i fo atio s elati es à l’O ga isatio , combinée à une proposition formelle diff e te du este de l ou age, laisse à pe se ue le dispositif a t o çu da s u aut e te ps.

120 Marie-Françoise PLISSART et Benoît PEETERS, Fugues, op. cit., p.9-11. VUB (Vrije Universiteit Brussel – Université libre de Bruxelles) Etterbeek.

121 Idem, p.12-14.

191 de la maison de Z. au quartier Nord 123 », et ainsi de suite jusque la scène 28, dite « Errance nocturne de Zoldi124 ». Avec chaque changement de lieu, débute une nouvelle scène.

La mise en espace de la narration est une donnée essentielle de Fugues. À ce stade de l la o atio de l ou age, Plissa t et Peete s t a aille t à la oh e e spatiale de la narration. Les déplacements des personnages, les filatures, le fait u ils se oise t sa s le sa oi , fo t l o jet de ises e s e photog aphi ues i utieuses. Il s agit effe ti e e t d ite des fau a o ds e t e ha p et contre-champ ; pour cela, les auteu s s appuie t su des o uis oi i-dessous).

Le carnet de notes de Plissart et Peeters, est intéressant à deux titres. Tout d a o d, pa e u il do e à oi la p pa atio essai e à u tel p ojet et pe et de esu e l i po ta e de la pla e faite à l i age. Il o stitue e soi u e fo e de story-board en écrit, un premier assemblage théorique, une perspective de ce que les auteu s souhaite t ett e e œu e. Il est epe da t t op p is pou t e u u e p e i e tape de t a ail. U e tai o e d i fo atio s elati es au lieu de l a tio a , appa te e t, ga e, ha tie , t a a , pa , d i di atio s

123 Marie-Françoise PLISSART et Benoît PEETERS, Fugues, op. cit., p.18-24.

124 Idem, p.108-115.

Fig. 63 Fugues,

carnet de notes

Schéma spatial de la scène mettant en présence Marchant, Zoldi et Clébert.

Fig. 64 Fugues,

carnet de notes

Schéma spatial en prévision de la première scène.

Fig. 65 Fugues,

carnet de notes

Schéma spatial de la première filature de Zoldi par Marchant (p.11).

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techniques relatives à la prise de vue (« télé ou normal125 »), de croquis topographiques, témoignent du travail de repérage qui a déjà été réalisé. La lecture de ce carnet de bord permet également de constater la marge entre le projet et sa alisatio , et de ett e e ide e u e apa it du i ô e à s adapte au o t ai tes photog aphi ues et a ati es. La fo e de l ou age fi i est t s proche de celle proposée dans le carnet ; on relève toutefois un certain nombre de différences. Des ratures et des annotations dans leur document de travail, signalent les retours sur la trame narrative, viennent préciser le découpage ou repréciser certains détails.

Des s es o t dispa u, à o e e pa elle d i t odu tio . Décrite précisément dans le carnet126 et présentée sous forme de croquis (Fig.64), la scène illustrait un mouvement et une circularité ; elle renvoyait en cela, à la construction rotatoire de la narration (voir Schéma 12). Elle disparait fi ale e t au p ofit d u e s ie d i ages graphiques, de construction rectiligne et symétrique, dans lesquelles se perd un peu le personnage de Zoldi. L e t e da s le o a -photo se fait ici de manière mystérieuse : sans indication esitua t l a tio , sa s ide tifi atio du personnage et dans un lieu qui ne jouera aucun rôle dans la narration. Le parti pris semble surtout esthétique, mais il est également stratégique. Par-delà la forme assi e ui s i pose su t ois ig ettes, o perçoit un resserrement du cadrage d u e i age à l aut e : uoi ue t s l ge , e ou e e t s i pose da s l espa e de la page. Il se le i utile su u pla a atif puis u il e d li e pas d i fo atio

125 Marie-Françoise PLISSART et Benoît PEETERS, Fugues, Carnet de notes, op. cit., p.1.

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Extrait de Marie-Françoise PLISSART et Benoît PEETERS, Fugues, Carnet de notes, op. cit., p.1.

« - Pla assez la ge de l e t e de la V.U.B.

- “ilhouette de ). ui appa aît au e t e de l i age, et ui so t de l i eu le - Silhouette de Z. qui fait le tour du rond- point.

- Idem mais Z. continue à tourner autour du rond-point ».

193 précise ; il donne par contre une stabilité à la construction de la page. Ce mouvement en avant dessine une structure triangulaire qui stabilise et unifie, là où la succession des images aurait pu segmenter. Alors que la façade du bâtiment satu e le pla , au is ue de fai e o sta le à l e t e da s l i age, le mouvement i ite le le teu à e t e da s l histoi e.

Le principe de cette construction combinant une tripartition de la page et un rapprochement progressif du personnage, est appliqué à chaque début de chapitre ; il a a t ise l e t e da s la p e i re partie, Didier Marchant (p.9), mais également dans celles intitulés Chantal Clébert (p.55) et Bertrand Zoldi (p.91). La it atio d u e p i ipe de o st u tio seul le fo at, ho izo tal ou vertical, des photographies change), indique la dimension répétitive de chacune de ces parties : il s agit toujou s de la e histoi e, seul le point de vue change. Cette concordance des ises e pages appa aît à au u o e t da s le a et ; elle semble bien avoir été décidée au stade de la concrétisation de la mise en page, en

ue de soulig e l effet de p titio .

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La p opositio telle u elle est ite pa les deu auteu s da s leu a et, est une projection indispensable, mais aussi précise soit-elle, elle ne peut anticiper complètement la réalisation. Certains détails ne peuvent effectivement se régler u au g des e p i e tatio s de ise e page. À e p opos, le o te u d u e pa tie des ph la t es se le a oi fait l o jet d u t a ail à post io i. La p e i e partie, telle u elle est d ite da s le a et, e o po te au u e i di atio relative au contenu, à la forme ou à la teneur des textes. Il en va de même pour tous les textes renvoyant aux pensées des personnages. En ne les formalisant pas trop tôt, les auteurs se laisse t u e a ge de a œu e ; ils s auto ise t ota e t plus de souplesse da s la ise e page, puis ue l it s adapte a au i ages. L a age e t de ette a ge est isi le da s la ise e page e du carnet de notes ; en effet, le scénario est en grande partie écrit sur le seul recto des pages. Le verso est, quant à lui, laissé vierge en prévision des retours sur le texte : précisions, ajouts de scène ou de croquis topographiques. Seules les pages 18 à 23, o sa es à l itu e d u dialogue, se blent ne pas avoir bénéficié du même agencement ; le te te ou e effe ti e e t le e to et le e so de ha u e d elles. Cette particularité indique que cette partie du s a io a fi i d u e atte tio pa ti uli e. Le fait u il s agisse d u dialogue esse tiel à l i t igue127, nécessitait

ue Plissa t et Peete s l i e t au plus p s de sa fo e fi ale.

La situatio de dialogue, pa e u elle et e elatio des pe so ages da s le même espace-temps, pose plus de contraintes au dispositif photographique. Le texte dialogué entre Clébert et Zoldi est donc établi précisément. De fait, la version scénaristique correspond, à quelques détails près, à la version définitive du roman-photo. Les uel ues a iatio s o stitue t la a ge d ajuste e t de l histoi e à la mise en page : le fait de e o pose la pli ue d u pe so age et, e faisa t, d ajoute ou d e le e u e photog aphie, o it ie à la essit d uili e la page. Page 61 (Fig.70), la réplique de Zoldi, initialement prévue sur deux vignettes et deux phylactères128 (Fig.69), est finalement concentrée dans une image unique, ce qui a pour conséquence de ralentir le rythme de la planche et de la narration.

127 Marie-Françoise PLISSART et Benoît PEETERS, Fugues, op. cit., p.57-62.

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Par-delà les nombreuses variantes qui existent entre la proposition détaillée du carnet et le roman-photo a he , o o state l i po ta e do e au dispositif photographique. Ce travail préparatoire souligne à quel point Fugues est un objet photographique. Les plans, leur construction, la façon dont ils s age e t, le th e de lecture définissent la trame narrative de Fugues.

Une construction moderne b.

Le dispositif du roman-photo suit une ligne chronologique originale ui est pas igou euse e t elle des e e ts: il s agit de sui e l histoi e e fo tio des p otago istes. Pa ta t, est seule e t ap s a oi ois les figu es et recomposé les temps, ue l i fo atio se le a.

Une histoire par personnage 1)

L histoi e d ute o e u o a poli ie . Da s la p e i e pa tie du roman-photo, le lecteur découvre Bertrand Zoldi, un personnage peu sympathique, et Didier Marchant, un détective privé, chargé par un obscur client, de le prendre en filature.

Fig. 70 Fugues, p.61 Fig. 69 Carnet des auteurs :

- La main de C. dépose ses cendres dans le cendrier OFF :

« Aussi allons-nous lui faciliter la tâche et lui

do e toute latitude pou s e pa e de la alise. Simplement elle sera vide »

- Plan de face sur Z.

« La véritable transaction se déroulera ailleurs, j ai tout p u… »

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a) Didier Marchant

L e u teu est i t igu pa le o po te e t suspect de Zoldi et les appa itio s d u e mystérieuse valise. Bien que le cadre horaire de la filature lui ait été imposé par son client, sa curiosité le pousse à poursuivre les investigations. Il continue donc de suivre Zoldi, et découvre que ce dernier a laissé la valise dans un casier de consigne de gare, casier dont il note le numéro sur un paquet de cigarettes. Il ignore que cette curiosité va causer sa perte.

Dès le lendemain, il retrouve sa voiture fracturée : le paquet de cigarettes sur lequel le numéro de consigne était inscrit a disparu. À ce stade de l histoi e, Ma ha t pe se u il e s agit ue « d u a te banal de vandalisme129 » et poursuit ses investigations. Il se rend sur un chantier de o st u tio , do t l ad esse lui a t o u i u e pa le o a ditaire de l e u te. Il et ou e )oldi et u i o u ; son entrevue terminée, Zoldi quitte le chantier et Marchant continue de le poursuivre, discrètement, à travers Bruxelles. Parvenu à hauteur du jardin Botanique, Marchant perd Zoldi de vue, l espa e de quelques instants. Lorsque ce dernier réapparait, il tient une valise à la main ; cette valise prend la même direction que la première : un casier de consigne de la gare. La curiosité de Marchant a alors raison de sa déontologie ; il force le casier et emporte la valise.

À peine rentré chez lui, il reçoit un appel de son mystérieux client, qui lui app e d la fi de leu olla o atio . Ma ha t est d auta t plus i t igu pa la valise ; il l ou e et d ou e u elle e o tie t ie d aut e ue le pa uet de iga ettes d o da s sa oitu e. Le d te ti e sait d s lo s u il a t pi g . Il reprend donc toutes les photographies réalisées pendant les filatures, pour tâcher

129 Marie-Françoise PLISSART & Benoît PEETERS, Fugues, op. cit., p.29.

197 de comprendre. Son attention se porte alors su u e fe e u il avait jusque-là pas remarquée.

b) Chantal Clébert

Cette femme dont Marchant a plusieurs fois croisé le chemin, est Chantal Clébert. Elle fait partie de « L O ga isatio », et, à e tit e, a eçu l o d e de collaborer avec Zoldi. Or, elle semble manifestement a oi i s pathie pour ce personnage, ni confiance en lui ; au cours de leur entrevue, elle se montre assez dista te et e p te ue peu d atte tio au p opos de celui-ci : Zoldi lui confie notamment u il se sait surveillé. Il juge donc plus prudent de revoir le plan de transaction de la valise. Chantal Clébert est ainsi chargée de récupérer ladite valise dans un garage, et de la lui e ett e lo s d u e dez-vous fixé rue Royale, à hauteur du jardin Botanique. Clébert se doute néanmoins que quelque chose se trame. Une fois la valise remise à Zoldi, elle décide de le suivre ; elle découvre alors que celui-ci est déjà filé par Marchant. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que Marchant ne force le casier de consigne pour y dérober la valise remise à Zoldi. Clébert est la première à constater le vol et à comprendre que Marchant vient de tomber dans un piège.

Bien résolue à ne pas contribuer aux plans de Zoldi, elle décide de se rapprocher de Marchant. Elle se rend au domicile du détective ; crochète la serrure, entre da s l appa te e t, d ou e la alise ou e te et ide, et uel ues i sta ts plus tard, se fait surprendre par le propriétaire des lieux. “o e de s e pli ue par ce dernier, elle lui le u il a t pi g pa )oldi ; elle fait allusion à L O ga isatio , au désir de vengeance de Zoldi, à la « fa euse affai e […] de l a opo t130 », à des informations compromettantes que Marchant pourrait

130Marie-Françoise PLISSART & Benoît PEETERS, Fugues, op. cit., p.76.

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d te i . Elle ig o e ue la filatu e de )oldi est pas u e i itiati e de l e u teu , et u elle lui a t o a dit e. Marchant ne sait rien de Zoldi, hormis ce que sa filatu e a pu lui app e d e. Cl e t p e d l ig o a e de Ma ha t pou u efus de coopérer et un manque de confiance. Assez désappointée, elle quitte l appa te e t de l e u teu , et, so ta t de l i eu le, entraperçoit Zoldi. Elle s imagine alors que Zoldi et Marchant « sont de mèche tous les deux depuis le début131 », et que les photog aphies de l e u teu o t t p ises pou l a use . “a s esu e tous les e jeu de l affai e, elle alise ue le pi ge de Zoldi vient de se refermer sur elle. Bien décidée à ne pas se laisser faire, elle entreprend de récupérer les photos compromettantes.

c) Bertrand Zoldi

Be t a d )oldi se le ie t e l a hite te de toute l affai e. Da s u fo t li at de suspi io au sein de l O ga isatio , )oldi d ide de fa i ue u oupa le idéal : so hoi s est po t su Ma ha t. Alo s u il fait le poi t su so pla , o app e d u il est le st ieu commanditaire de la filature. Son objectif est de révéler à l o ga isatio u il est sui i et ue Ma ha t est le traître. Toutes ses manigances semblent porter leur f uit, jus u au o e t où, su p e a t Cl e t ui so t de l i eu le de Ma ha t, il se et à doute . Convaincu de la dualité de la jeune femme, il se met à croire que les deux cherchent à le faire tomber.

d) L O ga isatio

L O ga isatio , est u g oupus ule do t le le teu e sau a ie des a ti it s. Tout au plus apprendra-t-on que la structure est mise en danger par un traître. La situatio e ige d t e gl e apide e t et effi a e e t. C est à ette fi ue les t tes pe sa tes de l O ga isatio se u isse t, e se et, su u e plage d se te.

131 Marie-Françoise PLISSART & Benoît PEETERS, Fugues, op. cit.,, p.80.

199 Les t ois ho es s i ui te t ota e t de la te eu des appo ts e is pa Marchant, Zoldi et Clébert :

“i l o se fie au appa e es, o peut oi e ue ha u d eu a pou ut ue d e fo e les deu aut es. Cl e t a use Ma ha t et )oldi de s t e ligu s o t e elle. )oldi d it minutieusement la conspiration organisée par Clébert et Marchant, cependant que ce dernier prétend être la victime d u o plot du e st le132

.

Ayant pris connaissance de ces rapports contradictoires, le triumvirat en vient à envisager que « les a usatio s ois es a aie t pou ut ue de dissi ule u e o pli it ie elle… leu o pli it à tous les t ois […]133». “ appu a t su e postulat, ils ordonnent une solution radicale ; ils fo t e ute eu u ils o t désignés comme les traîtres et maquillent les meurtres en crime passionnel.

La narration mise en forme 2)

La structure narrative de Fugues a pour particularité de ne pas se fonder sur u poi t de ue u i ue, ais d adopte elui de ha u des pe so ages de la fiction. Tour à tour, chaque personnage fait entendre sa voix sur la situation ; un point de vue en chasse un autre, et seule, la somme de ces derniers constitue la véritable histoire. Le schéma narratif (Schéma 11), tel que le conçoit Peeters, est très explicite sur ce point.

132 Marie-Françoise PLISSART & Benoît PEETERS, Fugues, op. cit., p.120.

133 Ibidem.

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