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Chapitre III. Agents, thèmes et méthodes de la croisade de Nicopolis

III.3 Les préparatifs bourguignons

Avant d’entamer les hostilités, Sigismond tente une dernière démarche pour éviter la guerre, en envoyant des ambassadeurs à Bajazet. Mais le sultan emprisonne les ambassadeurs et continue les préparatifs de guerre. Bajazet veut la guerre et sa conduite envers les ambassadeurs de Sigismond ne laisse aucun doute à cet égard.

La réponse à l’appel pour la croisade était largement répandue parmi la noblesse française, particulièrement en Bourgogne. Le roi de France a promis à Sigismond une armée pour la campagne. Cette décision détermine dans toute la France un élan général.

enfants pour les instruire dans leurs impures croyances et leur apprendre à renier le nom du Dieu vivant, ou les égorgent comme des victimes, et en font autant des martyrs. Ils outragent les prêtres, déshonorent les jeunes filles, et exercent même leur brutalité sur les femmes que leurs âges devraient protéger. C’est pourquoi, illustre roi, ils ont cru devoir recourir à votre puissance tutélaire. Notre maitre vous supplie, prince sérénissime, vous et les princes de fleur de lis, de vouloir bien, en considération des liens de parenté qui l’attachent à vous et par amour pour Dieu, lui prêter appui et assistance. Il promet que personne ne vous sera désormais plus dévoué ni plus fidèle que lui ». Voir Chronique du Religieux de

Le duc de Bourgogne est à la tête de ce mouvement, étant le promoteur principal de la croisade dans l’Ouest.

Les dépenses qu’il engage pour le voyage sont énormes. Plusieurs articles spéciaux ont été achetés et fabriqués spécialement : tentes, banderoles, couvertures pour chevaux. Les pièces de harnachement sont décorées d’or, d’argent ou d’ivoire. Bannières, pennons, guidons de lances sont bordés d’or et d’argent et les armes sont brodées avec la devise des ducs de Bourgogne, comme les oriflammes des trompettes, les housses de chevaux, les chabraques. Selon Froissart, au centre des bannières se détachait l’image de la Vierge, entourée des fleurs de lys de France et accompagnée de huit écussons aux armes du comte de Nevers. La livrée, qui comprenait plus de deux cents personnes, portait la couleur adoptée par le prince, « le vert gai ». Les tentes et pavillons étaient de satin vert brodé d’or232.

Les chroniqueurs témoignent aussi de ce luxe magnifique de l’armée française233.Froissart s’exclame ainsi : « Vous devés sçavoir que pour l’estat du corps Jehan de Bourgoingne, rien n’estoit espargnié de montures, d’armoires, de chambres, d’abis, grans, riches et puissans, de vaisselle d’or et d’argent »234. Les Franco- Bourguignons sont arrivés en Hongrie en faisant étalage d’un luxe insolant. À l’exemple

232

Jean Froissart, Chroniques, XV, p 224 et Urbain Plancher, Histoire générale…, vol. III, p 149.

233Voici la description telle qu’elle est citée par Aziz Atiya Suryal, des préparatifs dans le manuscrit de Bavyn : « 100 hommes de liurées qui menoient en main chacun un cheual de seruice : y ayant douze scelles d’or, garnies de pierreries : d’autre, d’argent massif aians des couuertures à foud d’or battu aux armes du Comte ; les champs frains et housses des cheauaux etoient de toille d’argent, armoriés de fin or battu sur sandal, aux armes du Compte ; les autres scelles etoient d’yuoir d’os et de wlneau vert, en broderie d’or de Cypre aussi aux armes du Comte »

« Ses tentes et pauillons etoient de satin verd, chargés de ses armes en broderie d’or de Chipre, qui etoient chargés sur vingt quatre chariots »

« Il auoit pour le seruice de sa personne et de ses offices 133 valets de liurées qui etoient de verd gay, et dont les habits étoient couuerts d’orfeurerie »

« Il fit porter quatre grandes bannières d’une alune et demie de long ; dans lesquelles l’image de Notre- Dame battue en or, étoit representée et armoriées aux armes de France, aians chacunes huit ecussons en broderie à ses armes »

« Plus six grands étandartz d’argent battu, ou étoit écrit en lettres d’or, le nom du Comte, semés et drapés de sa deuise. »

« Et trois cents petits panons battus d’argent, ou étoit aussi écrit son nom ; auec vingt cinq gros autres panons de même façon. Tous les quelz étandarts, bannières et panons étoient posés au deuant et au dessus des tentes »

« Au deuant de celle ou il logeoit, il y aouit douze trompettes, reuetues des cottes d’armes, battues d’or, aiant chacune une bannière battue d’argent à ses armoires » voir Aziz Suryal Atiya, The Crusade of…, p 141-142.

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du comte de Nevers, tous les chevaliers avaient rivalisé pour s’éclipser mutuellement. La préparation pour la campagne semble satisfaire le goût extravagant de la noblesse française. La campagne de Nicopolis, qui devait représenter l’incarnation de la guerre sainte, se transforme en un tournoi. Les chevaliers semblent oublier le but sacré de l’expédition et leur motivation est strictement personnelle : chercher la gloire. Alors, le combat pour Dieu se transforme en une chevauchée personnelle des chevaliers.

Le duc du Bourgogne a obtenu du pape, Benoit XIII, des indulgences spéciales pour le chef de la croisade. C’était d’abord l’indulgence plénière, puis l’autorisation de manger et de coucher chez les infidèles et schismatiques, de choisir un confesseur et d’entendre la messe avant le lever du soleil235.

Lorsque tout fut prêt pour le voyage, les chevaliers et les écuyers se rendirent en foule vers les églises pour prier pour le succès de leur entreprise. Les Croisés quittèrent Paris vers la fin mars.236. La route jusqu’à Buda, point de rendez-vous, peut être refaite avec précision. L’armée franco-bourguignonne fut divisée en deux : une division plus petite traverse la Lombardie et le reste traverse l’Allemagne. Mais, il est assez difficile de fixer la date précise où l’expédition atteint Buda. Les témoignages sont contradictoires sur ce point. Froissart semble indiquer le mois de juin. Juvénal des Ursins et le Religieux de Saint-Denis placent cette arrivée au mois de juillet237. Comme la marche nécessitait trois mois jusqu’à Buda, la date la plus probable est celle de juillet 1396.

Pour protéger son royaume contre l’invasion ottomane, Sigismond fait appel aux princes de l’ouest. Sa demande reçoit l’adhésion générale, mais malheureusement les princes européens ne montrent pas un grand intérêt envers le projet, la campagne devenant une affaire bourguignonne. Les dépenses pour la campagne sont énormes, ce qui contrevient aux conseils des théoriciens de la croisade qui toute au long du siècle ont prêché la modération des chevaliers qui partent à la guerre. Philippe de Mézières, avec la création de son Ordre de la Passion, a essayé de combiner l’idéal chevaleresque et la croisade. Mais, lui aussi incite à la modération et surtout à un comportement qui respecte les règles de la vie monastique. Mais, ses conseils ne sont pas mis en pratique non plus. Ces différentes conceptions auront une influence majeure sur l’entente entre les Croisés

235 Joseph Delaville Le Roulx, La France en Orient…, II, p 238. 236Chronique du Religieux…,II, p 429.

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et l’armée hongroise, et implicitement sur le déroulement des opérations. Alors, pour Sigismond, la campagne représente la défense de son pays, mais pour les occidentaux, elle devient un voyage chevaleresque.