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Chapitre III. Agents, thèmes et méthodes de la croisade de Nicopolis

III.1 Contexte

Les Turcs, par la prise de Gallipoli (1356), sous le sultan Orhan (1326-1359), avaient mis le pied en Europe. Après la chute d’Andrinople (1361), les puissances européennes commencent à voir un péril dans le progrès des Ottomans qui avancent lentement dans la région du Danube. Les populations bulgares, serbes, valaques et hongroises, directement menacées, incapables de soutenir longtemps le choc des Turcs, font des efforts considérables pour prolonger la résistance.

Le roi de Serbie, Uroch V (1355-1371), à la demande du pape Urbain V (1362- 1370), s’était joint à Louis le Grand (1342-1382), roi de Hongrie, avec l’appui des princes de Bosnie et de Valachie, pour une expédition contre les Ottomans. Les coalisés, arrivés à marche forcée à la rivière Maritza213, sont surpris par l’armée turque et défaits. Le roi de Hongrie n’échappe à la mort que par miracle214.

Le sultan turc, Murad Ier (1359-1389), continue les conquêtes au nord d’Andrinople, le long de la mer Noire et dans la région de l’Hémus. Nicée tombe en son pouvoir en 1375. La Serbie et la Bulgarie sont devenues tributaires et alliées du sultan. La fille de Sisman (1365-1393), prince de Bulgarie, s’était mariée avec le sultan turc215. Tributaires ou alliés du sultan, les princes chrétiens ne supportent pas longtemps le joug musulman : la Serbie et la Bosnie s’allient et infligent une défaite sanglante aux Turcs en Bosnie, en 1387216.

La riposte des Turcs ne tarde pas à venir. En 1388, le prince bulgare Sisman est assiégé dans Nicopolis et la Bulgarie devient un pachalik turc. L’année suivante, le sultan se tourne contre la Serbie. Devant le danger, Bosniaques, Serbes, Albanais, Valaques, Hongrois et Polonais se regroupent autour de Lazare, prince de Serbie. Murad et Lazare périssent dans la bataille, mais la coalition est défaite à Kossovopolye217, le 15 juin 1389. Bajazet (1389-1402), successeur de Murad, épouse l’une des filles de Lazare (1374-1389) et la Serbie devient un royaume tributaire des Turcs. La Bulgarie conquise,

213 Née dans les montagnes de Rila en Bulgarie occidentale, elle coule au sud-est entre les Balkans et les montagnes de Rhodopes.

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Norman Housley, The later crusades…, p 69-70.

215 Robert Mantran, Histoire de l’Empire Ottoman, Paris, Fayard, 1989, p 132. 216 Aziz Suryal Atiya, TheCrusade of…, p 4.

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la Serbie tributaire, restait la Hongrie avec laquelle les Turcs allaient se trouver en contact direct. La Bosnie, grâce à l’appui des Hongrois et à sa position géographique, avait jusqu’alors sauvegardé son indépendance.

L’attention de Sigismond de Luxembourg est concentrée sur les troubles qui éclatent en Hongrie et par l’attitude menaçante de la Pologne, ne lui laissant pas de temps pour surveiller les mouvements des Ottomans dans la région du Danube218. Les Turcs profitent des problèmes internes des Hongrois pour reconquérir la Bulgarie qui s’était insurgée contre le pouvoir ottoman. Silistrie, Nicopolis, Sistovo, Widdin sont reconquis par les Turcs. Les raids ottomans continuent dans la région danubienne, menaçant les positions des Hongrois et de leurs alliés. Une armée a traversé la rivière et a capturé Mircea (1386-1418), le voïvode de Valachie. En échange d’un tribut de 3 000 ducats, trente chevaux et vingt faucons, Bajazet a promis d’aider le prince contre l’agression hongroise219. La Valachie menait une politique de double jeu, prise entre deux ennemis, la Hongrie étant probablement le plus dangereux en raison de sa politique religieuse : conversion forcée et substitution de la religion orthodoxe par le catholicisme. Les Turcs, en échange d’un tribut, avaient garanti la liberté religieuse et ne s’étaient pas mêlés aux affaires internes du prince. Dans ces conditions, l’armée ottomane s’était retirée au sud du Danube. Pour la future croisade, la participation de Mircea était très importante : le voïvode avait déjà lutté contre les Turcs et connaissait la tactique de l’adversaire.

Devant le péril ottoman, Sigismond se prépare à entrer en campagne et fait appel au dévouement de la chrétienté. En France, selon le Religieux de Saint-Denis, la détresse du roi de Hongrie, grossie par la rumeur publique, a pris des proportions exagérées : « le chef des Turcs, Lamorat Baxin, avait profité de cette circonstance pour attaquer le roi de Hongrie et ses sujets à la tête de cinq cent mille hommes, et qu’il avait gagné une bataille sanglante, dans laquelle avaient péri quarante mille Hongrois. Ils informaient le roi et les autres princes de la chrétienté de ce cruel désastre, afin de les intéresser à la défense de la Hongrie ; et ajoutaient que, si on refusait de les secourir, les infidèles, qui s’étaient déjà

218 Sigismond, qui était roi grâce à son mariage avec Marie, la fille de Louis Ier, devait faire face à une rébellion interne des grandes seigneuries qui n’avaient pas accepté sa succession. Un autre problème interne de la Hongrie était l’accroissement du pouvoir de la haute noblesse et leur opposition aux projets du roi. Voir Pall Engel, Gyula Kristo et AndrasKubinyi, Histoire de la Hongrie médiévale, vol. II, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008,p 115-120.

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emparés d’une grande partie de la Bulgarie et de la Valachie, pourraient pénétrer sans obstacle jusqu’au cœur de la chrétienté »220. Alors, non seulement la Hongrie était en danger, mais aussi toute la chrétienté.