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Chapitre III. Agents, thèmes et méthodes de la croisade de Nicopolis

III.5 Les effectifs des armées

Le contingent français est impossible à dénombrer selon les sources, car elles sont contradictoires. Froissart parle de quatorze cents chevaliers et écuyers260, le Religieux de

Saint Denis, de deux mille261. Mais, les sources allemandes, Konigshofen et le Mémoire de Bavyn, mentionnent un total de 10 000 combattants262.

La Chronica d’Antonio Fiorentino nous donne des informations sur le contingent anglais263. Il l’estime à 1000 hommes armés. Cette information n’est qu’une estimation, car les autres sources ne le mentionnent pas. Pour traverser la Manche avec un tel contingent, il aurait fallu un grand nombre de vaisseaux et une préparation adéquate. Or, les sources ne le mentionnent pas et il est presqu’impossible qu’un tel événement n’ait pas suscité l’intérêt des contemporains. Le contingent allemand, selon les estimations d’Aziz Suryal, s’élève à 6 000 hommes.

Un contingent de Valachie, commandé par le prince Mircea, a aussi participé à l’expédition. Aziz Suryal estime son nombre à 10 000 combattants. Les études militaires sur la principauté de Valachie démontrent que le prince pouvait assembler deux types d’armée : une armée féodale d’environ deux à trois milles nobles et une armée de levée

en masse. Mais, la bataille de Nicopolis ne nécessitait pas une si grande mobilisation, car

elle ne mettait pas en danger l’existence du pays. Tenant compte aussi de l’évolution

260

Jean Froissart, Chroniques, XV, p 230. 261Chronique du Religieux…, II, p 429.

262 Aziz Suryal Atiya, The Crusade of…,p 41-42. 263

démographique du pays, il est impossible de croire que Mircea pouvait lever une armée si nombreuse.

Sous l’autorité de Sigismond, était aussi l’armée de la Transylvanie (Hongrois, Roumains, Szeklers et Saxons) commandée par le voïvode Stybor de Styboricz (1395- 1401 ; 1410-1414)264. Mais, les sources ne mentionnent pas le nombre de combattants transylvains.

La Pologne se joignit aussi à la croisade. Cette intervention est attestée par les historiens polonais,265 mais on ignore le nombre de combattants.

Le Bavarois Johann Schiltberger, témoin oculaire de la bataille, estime l’armée de Sigismond à 16 000 hommes et l’armée de Bajazet à 200 000 hommes266. Selon l’Epistre

lamentable et consolatoire sur le fait de la desconfitur elacrimable de Nicopoli, écrit par

Philippe de Mézières au début de l’année 1397 : « Par la relation de ceuls qui se trouvèrent à la journée lacrimable, le roy de Hongurieavoit en son host royal 150 000 combattants, et Baseth n’en avoit guaires moins »267.

Froissart fixe l’effectif total de l’armée chrétienne à 100 000 hommes et celui de l’armée de Bajazet à 200 000268. Le biographe de Boucicaut, dans le Livre des faits, confirme ces chiffres269. Le chroniqueur allemand de Nuremberg, Ulman Stromer, estime le nombre à 30 000 chevaliers, écuyers et valets270. D’autres auteurs citent des nombres plus considérables, André Gattaro : 84 000 hommes271, Sozoméne et Pietro Mineberti : 35 000 chevaliers272, la chronique de Magdebourg : 60 000 hommes273.

Il est assez difficile, en présence des nombres contradictoires fournis par les chroniqueurs, d’évaluer le véritable nombre de combattants des troupes croisées. Les sources sont discordantes et nous donnent une fausse impression sur l’armée chrétienne.

264

Les ouvrages d’Aziz Atiya Suryal et Delaville Le Roulx soutiennent que l’armée transylvaine était commandée par un certain voïvode Étienne Laszkowitch. Pour le voïvode de Transylvanie Ştibor voir Gabor Wenzel, Stiborvajda. Életrajzitanulmány, Értekezések a történelmitudományokköreből, t. IV, n°2, Budapest, 1874.

265Historia Polonica, Prague, 1932.

266Bondage and travels of Johann Schiltberger…,p 2. 267

Jean Froissart, Chroniques, XVI, p 452. 268Ibidem, XV, p 242.

269Livre des faits, II, chap. XXIII, p 237. 270

Delaville Le Roulx, La France en Orient…, vol. I, p 264. 271 Kenneth M. Setton, The papacy…, vol. I, p 352. 272 Delaville Le Roulx, La France en Orient, vol.I, p 265. 273

Malheureusement, les historiens modernes ont tendance à choisir parmi les diverses chroniques le nombre qui supporte le mieux leurs théories. Un verdict final est impossible à donner.

Alois Brauner, un des premiers historiens modernes qui a étudié la bataille de Nicopolis, fixe le nombre de l’armée chrétienne à 100 000 hommes et l’armée de Bajazet à 120 000-130 000 hommes274. Delaville Le Roulx estime le nombre des croisés à 100 000 hommes et les musulmans à 110 000 hommes275. Plus récemment, Aziz Atiya Suryal répète les mêmes nombres, 100 000 chrétiens et 110 000 musulmans276. L’historien roumain Radu Rosetti, après avoir visité le champ de bataille, arrive à la conclusion que le plateau de Nicopolis manque d’espace pour pouvoir manœuvrer deux armées si grandes. En 1877, sur le même champ de bataille, une armée turque de 8 000 hommes s’était confrontée à l’armée russe, totalisant 10 000 hommes, parce que le terrain ne permettait pas d’employer une armée plus grande277. Dans l’historiographie récente, nous avons des nombres qui semblent plus proches de la réalité. Norman Housley soutient que chaque armée comptait entre 10 000 et 20 000 combattants, mais il ne mentionne pas ses sources278. Christopher Tyerman indique : « only a relatively small

army had been engaged at Nicopolis. The popular court poet and chronicler Froissart was told only 700 French knights were involved »279. Les autres sources ne sont pas mentionnées, seulement une brève conclusion que l’armée chrétienne était peu nombreuse. C’est peu probable qu’au XIVe siècle une armée puisse s’élever à 100 000 hommes, car il était au-delà des capacités logistiques du temps de soutenir une si grande armée. Le nombre exact des combattants est impossible à déterminer, mais il se situait probablement entre 10 000 et 20 000 hommes.

Il est aussi difficile d’estimer le nombre des combattants turcs. Pour justifier la défaite chrétienne, les chroniqueurs occidentaux, à l’exception du Religieux de Saint

Denis, exagèrent le nombre des combattants turcs. Froissart estime l’armée ottomane à

274

Kenneth M. Setton, The papacy…, vol.I, p 352. 275 Delaville Le Roulx, La France en Orient…, vol. I, p 266. 276 Aziz Suryal Atiya, The Crusade of…, p 66-69.

277

Radu Rosetti, “Notes on the battle of Nicopolis (1396)” dans Slavonic and East European Revue, XV, 1936-1937, p 633-634.

278 Norman Housley, The later crusades…, p 76. 279

200 000 hommes280. Les autres sources inédites, étudiées par Aziz Suryal, donnent le nombre de 300 000 et 400 000 hommes281. Nous devons rejeter ces propositions, car il était impossible de lever une telle armée en 1396. Le Religieux de Saint Denis, qui s’appuie sur les renseignements des témoins oculaires, arrive à 94 000 hommes282. Avec les troupes irrégulières qui ont couvert les flancs de l’armée, et le détachement serbe de Lazarovici, l’armée de Bajazet compte environ 110 000 hommes283. Mais, le compte du chroniqueur de Saint Denis semble exagéré aussi pour cette période.

Aziz Atiya Suryal chiffre le nombre des combattants turcs à 104 000284, sans le détachement serbe. Selon lui, les deux effectifs sont considérablement égaux, la différence sur le champ de bataille n’étant pas faite par les 6 000 soldats turcs, mais par la discipline et par la supériorité du leadership : « The battle of Nicopolis was won by the

side wich possessed unity of word and action, superior discipline, prudent tactics and wise leadership »285. Norman Housley et Christopher Tyerman sont plus réalistes dans leurs calculs, les deux historiens chiffrant le nombre des effectifs turcs entre 10 000 et 20 000 hommes. Ce chiffre est plus réaliste, étant donné les conditions démographiques et logistiques de la période en cause.