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Chapitre III. Agents, thèmes et méthodes de la croisade de Nicopolis

III.4 Les participants à la croisade

Le chef de l’armée franco-bourguignonne est Jean, comte de Nevers, fils de Philippe le Hardi, âgé de 24 ans. Il a déjà fait campagne, mais n’était pas encore chevalier. Conquérir la chevalerie en guerroyant contre les infidèles, à la tête de la noblesse française, était pour un prince de son rang un grand honneur et une grande responsabilité. Après la chute de Widdin238, Jean de Nevers et trois cents de ses compagnons sont armés chevaliers239. Au moment où l’armée allait pour la première fois aborder l’ennemi, il était naturel, selon les usages de la chevalerie, de créer des nouveaux chevaliers. Cette nomination avait été faite sous la pression de Philippe le Hardi qui voulait voir son fils conquérir la gloire, mais aussi témoigne des ambitions politiques du duc qui utilise la croisade comme moyen de renforcer son pouvoir politique. Encore une fois, nous pouvons constater que pour les chevaliers français la campagne ressemble à un gigantesque tournoi chevaleresque.

Le comte d’Eu, Philippe d’Artois, et Jean le Meingre (Boucicaut) s’étaient croisés les premiers. À leur exemple, toute la fleur de la chevalerie et de la noblesse s’était groupée autour de Jean de Nevers : Henri240 et Philippe de Bar241, Enguerrand de

Coucy242, l’amiral Jean de Vienne243, Guy et Guillaume de la Trémoille244, le comte de la

Marche245, Renauld de Roye246.

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Située sur la Rive-Sud du Danube, elle était la première place forte rencontrée par les chrétiens en route vers Nicopolis.

239Livre des faits, I, chap. XXIII, et Jean Froissart, Chroniques, XV, p 248.

240 Henri de Bar (1362-1397) est le fils ainé de Robert, duc de Bar, et de Marie de France. Il avait assisté à la concentration de troupes faite à l’Écluse (1386) et aux guerres de Gueldre (1388) et de Bretagne (1392). (Froissart, Chroniques, XX, p 250)

241 Philippe de Bar (1372-1404) est le second fils de Robert, duc de Bar, et de Marie de France. 242

Enguerrand VII (1339-1397), seigneur de Coucy est l’un des plus illustres guerriers du XIVe siècle. 243Né vers 1341, fils de Guillaume de Vienne, seigneur de Roulans, et de Claudine de Chaudeney. Il a pris part à de nombreuses expéditions militaires. En 1364, il avait été nommé maréchal de l’armée. (Le Roulx, ,

Cinq conseillers sont nommés pour guider le jeune comte de Nevers : Philippe de Bar, l’amiral Jean de Vienne, Guy et Guillaume de la Trémoille et Odard de Chasseron247. Encore deux groupes de conseillers sont sélectionnés, parmi lesquels on retrouve Coucy, le comte d’Eu et Boucicaut. Le porte-bannière de Jean de Nevers était Philippe de Mussy248.

Outre les chevaliers enrôlés isolément et supportant eux-mêmes les frais de la campagne, des compagnies sont formées par les soins du duc de Bourgogne. Les officiers de la maison du duc ont reçu leurs rémunérations pour les aider à supporter les dépenses de la nouvelle expédition. Mille chevaliers et châtelains se sont enrôlés pour la campagne. Chaque grand seigneur a amené avec lui un nombre considérable de vassaux. Boucicaut est accompagné par 70 hommes, dont 15 chevaliers. En addition, 8000 hommes se sont encore enrôlés pour participer à la campagne249.

L’appel de Sigismond avait été entendu dans toute l’Europe chrétienne, mais les princes démontrent un faible intérêt envers la campagne. Toutefois, face au danger ottoman, les princes allemands ont envoyé un contingent. Le comte palatin Ruprecht Pipan250, le comte de Katznelenbogen251, le comte Hermann II de Cilly252 et le burgrave de Nuremberg253 ont pris la Croix et ont envoyé des secours à Sigismond. La présence de

244 Guy VI de de la Trémoille (1347-1397), seigneur de Sully, est le fils de Guy et de Radegonde Guenaud. Guillaume (meurt en 1397) est le frère cadet et seigneur de Husson. (Froissart, Chroniques, XXIII, p 211- 213)

245 Jacques II, comte de la Marche, fils de Jean I et de Catherine de Vendôme. Il fut créé grand chambellan le 26 juillet 1397 et mourut en 1438. (Le Roulx, La France en Orient…, vol. II, p 235)

246 Il avait été chambellan et conseiller du roi et du duc de Touraine. Il avait fait le voyage en Palestine avec Boucicaut. Meurt à Nicopolis. (Le Roulx, La France en Orient…, vol. II, p 162)

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Chambellan et conseiller du duc de Bourgogne. Il avait été fait prisonnier à la bataille de Nicopolis et mourut au mois de septembre 1396. Il est probablement l’un de ceux à qui Bajazet avait fait trancher la tête. (Froissart, Chroniques, XX, p 547)

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Il était chevalier bachelier en 1382. En 1387, il porte le titre de chambellan du duc de Bourgogne. Il a participé à la campagne de Brabant avec Guy de la Trémoille. Il est probablement mort à la campagne de Nicopolis. (Le Roulx, La France en Orient…, vol. II, p 235)

249 Urbain Plancher, Histoire générale…, vol. III, p 148. 250

Ruprecht Pipan (1374-1397) est le fils du duc de Bavière Robert III.

251Katznelenbogen est un bourg de l’arrondissement de Rihn-Lahn, du land de Rhénanie-Palatinat. L’identité du comte est difficile à établir.

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Hermann II de Cilly (1365-1435) devient comte de Cilly en 1385 et ban de Slavonie (1423-1435), et conseiller du roi Sigismond à partir de 1397.

253 Jean III de Nuremberg (1369-1420) est le fils de Frédéric V de Nuremberg et d'Élisabeth de Meissen. Ilfutburgrave de Bayreuth, burgraved'Ansbach de 1398 à 1420.

Philibert de Naillac, Grand-Maître des Hospitaliers de Rhodes à la tête d’une centaine de chevaliers de l’ordre, est aussi attestée.

Les Anglais se montrent aussi intéressés par la campagne. Ils ont démontré un vif intérêt pour la croisade au XIVe siècle, prenant part à l’expédition de Louis de Bourbon et Pierre de Lusignan. Des contingents anglais sont présents aussi dans les batailles contre les hérétiques en Russie, en Lituanie et en Prusse. Plusieurs chroniques attestent de la présence d’un contingent anglais dans le déroulement de la croisade de Nicopolis :

La Chronique des Pays-Bas, de France, d’Angleterre et de Tournai, la Relation de la croisade de Nicopoli et la Res Gestae,254dans les chroniques françaises ; Michael Ducas,

Historia Byzantina,255 dans les sources grecques ; Chronica d'Antonio Fiorentino et les

Annales Mediolanenses256, dans les sources italiennes ; Revay Péter, De Monarchia et

Sancti Corona Hungariae257, dans les sources hongroises.

Mais, les sources sont contradictoires quand elles parlent du chef de l’expédition. Antonio Fiorentino soutient que le commandement a appartenu au fils du duc de Lancaster258. Plusieurs historiens soutiennent que le commandement a plutôt appartenu à John Beaufort ou à Bolingbroke, le fils ainé du duc de Lancaster. Le prouver est difficile, car les sources sur les chevaliers anglais sont discordantes. Le rôle joué par l’Angleterre dans la croisade a été plus passif qu’actif. Après la bataille, les Anglais ne participent pas à l’effort de paiement de la rançon pour les chevaliers détenus par Bajazet. Si un contingent considérable avait combattu à Nicopolis, pourquoi la nouvelle de la défaite serait-elle parvenue à Richard II avec un retard d’un mois de plus qu’en France ? L’historien Charles Tipton conclut que les chevaliers anglais qui ont participé aux combats sont les chevaliers de l’ordre de Saint John, plutôt qu’un contingent de mercenaires fourni par le roi Richard II259. Aussi, nous n’excluons pas la possibilité que le contingent anglais fût formé de volontaires, car l’idée de la croisade est bien présente dans l’Albion au XIVe siècle, et a probablement gagné des adhérents.

254 Aziz Suryal Atiya, The Crusade of…, p 46. 255Ibidem, p 46.

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Ibidem, p 46.

257 Charles L. Tipton, « The English at Nicopolis » dans Speculum, vol. 37, no.4, 1962, p 538. 258Ibidem, p 529.

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La situation intérieure de l’Italie empêchait Sigismond d’espérer une aide substantielle provenant des Républiques italiennes. Toutefois, une escadre appartenant à la flotte vénitienne, de même que quelques galères génoises, ont pris part à l’expédition. Cette flotte devait bloquer les détroits afin de couper l’Anatolie de la péninsule balkanique. Grâce aux négociations avec l’empereur byzantin, une petite flotte participe à la croisade. Ce fut en effet une galère byzantine ancrée devant Nicopolis qui transporta Sigismond de Luxembourg à Constantinople après la défaite.