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et à ses rêves d’enfant

3.1 La précoce certitude que sa destinée était de devenir pasteur

Cette même Lebensbeschreibung nous apprend aussi que, petit écolier, Burckhardt rêvait déjà de devenir un jour pasteur, et qu’il sentait obscurément que telle était sa destinée. Il écrit avoir fréquemment joué en imitant le prédicateur, s’habillant d’un « tablier en

guise de robe pastorale », tenant des sermons à partir d’une chaire de

fortune échafaudée avec « une chaise retournée », tribune « autour de

laquelle se regroupaient les camarades de jeu ».7C’est en se remémo-

rant ce jeu de tribun de Dieu pratiqué dès sa plus tendre enfance qu’il affirma également que l’accès au ministère pastoral avait été un désir qui l’avait toujours habité, aussi loin que puissent remonter ses souve- nirs. C’est l’occasion pour l’adulte qu’il était devenu d’exprimer l’une de ses convictions les plus fermement ancrées dans sa conception de l’existence humaine, à savoir que chaque homme a une destinée ou un destin, une Bestimmung, selon le terme allemand qu’il emploie. Ce des- tin ne serait pas « explicable », écrit-il, s’il n’était lié à « une puissance

supérieure qui conduit les cœurs comme des ruisseaux ». C’est là qu’il faudrait chercher l’ori-

gine et l’explication du fait que tout être humain peut observer en soi telle ou telle « pulsion » (Trieb), et non une autre.8Sous la plume du docte lettré qui rassemblait ainsi rétrospectivement

ses souvenirs, le terme de « pulsion » pourrait évidemment faire penser à Reimarus et à son ouvrage sur les « pulsions des animaux ». Le célèbre Hambourgeois en tirait ses conclusions bien connues concernant une connaissance de soi à laquelle tout homme peut accéder, dès lors qu’il veut bien considérer que tout se tient dans la nature, et que les liens les plus forts unissent monde, créature et créateur. On y penserait d’autant plus volontiers que la cinquième édition (1781) de cet ouvrage de Reimarus se trouvait dans la bibliothèque de Burckhardt.9 Il avait pris

mich kam, nachdem ich im Kleinen Katechismus einige Gebote buchstabiert hatte, fing ich von selbst an zu lesen, und kam nun, wie man es nannte, in den Großen Katechismus und die Bibel. Herr Müller machte großes Lärmen von dieser unerwarteten Fertigkeit im Lesen, und schloß auf einen gelehrigen Kopf. »

6. Eduard SPERBER, Die Lutherschule in Eisleben, p. 13: « Die Namen der Lehrer der Armenschule in dem

Zeitraume bis 1801 können, da die Akten fehlen, nicht genannt werden bis auf einen, Müller. Er verwaltete die Schulstelle 40 Jahre lang von 15 bis zu seinem Tode 1790. »

7. (BURCKHARDT, Lebensbeschreibung), p. 2: « Damals war es, als man auch anfing zu fragen, was ich wer-

den wollte, und meine erste Antwort war: ein Prediger. Ein umgedrehter Stuhl mußte zur Kanzel, eine umge- hängte Schürze zum Priesterrock dienen, und meine Gespielen setzten sich um mich als Zuhörer herum. Es wird mir aber schlechterdings unmöglich, mich auf den Inhalt dieser ersten Predigt zu besinnen. »

8. (BURCKHARDT, Lebensbeschreibung): p. 2: « Es ist aber doch wirklich immer etwas Besonderes um diese

frühzeitige Neigung und Anlage der Kinder zu einer gewissen Bestimmung. Woher eben dieser und kein an- derer Trieb kommt, dürfte in vielen Fällen schwer zu erklären sein, wenn man nicht annimmt, daß es eine höhere Macht gibt, welche Herzen lenkt und leitet, wie Wasserbäche. »

jusqu’en 1774 [p. 105]

bonne note des explications du professeur hambourgeois, un auteur déjà complètement intégré au champ de vision du jeune universitaire lorsqu’il partit pour accomplir son iter litterarium de 1779 qu’analysera bientôt l’un de nos prochains chapitres.10Ce n’est pourtant pas dans cette

direction que doit se porter notre regard à la lecture du terme « pulsion » dans le passage en question de sa Lebensbeschreibung. Burckhardt devait en effet toujours demeurer un adversaire décidé de l’approche déistique du christianisme que préconisait Reimarus. C’est pourquoi nous pensons que c’est une autre acception du terme qu’il faut envisager en écoutant ici Burckhardt évoquer ce qu’avait été sa destinée individuelle. Nous avons affaire à l’expression d’une an- thropologie philosophico-théologique d’une autre inspiration que celle qui animait Reimarus. La récente thèse de Caroline Tippmann nous oriente vers l’approche anthropologique qui s’était largement imposée dans les milieux luthériens du temps de Burckhardt sous l’influence déter- minante d’un ouvrage séminal de Johann Joachim Spalding, la Betrachtung über die Bestim-

mung des Menschen.11Cet ouvrage, constamment réédité depuis sa parution, en 1748, figurait

d’ailleurs également sur les étagères de la bibliothèque de notre auteur.12De surcroît, Spalding

fut un théologien très présent dans la pensée et les itinéraires de Burckhardt, ainsi que nous le montrerons plus loin dans notre étude.13 C’est dans le sens que lui donnait Spalding qu’il faut

comprendre la référence de Burckhardt à sa destinée individuelle. Il s’agit d’une conception de l’existence fortement centrée sur une recherche de sens de l’individu confronté à ses sentiments tout comme à sa raison. C’est aussi le sens qu’impliquait ce qu’écrivit Burckhardt dans sa lettre du 27 juillet 1782 à Charlotte Trinius, après son arrivée à Londres où il venait d’être élu à la tête de la paroisse Sainte-Marie. Il était arrivé au lieu de sa « destinée ».14L’histoire de cette

notion qui joua un rôle capital dans la pensée des contemporains de Burckhardt est d’autant plus l’objet de l’attention des historiens que c’est une notion qui est extrêmement hétérogène, ainsi que l’a établi Laura Anna Macor.15

Burckhardt confia également à son autobiographie qu’alors qu’il n’était encore qu’un tout jeune enfant, il avait aussi toujours trouvé confirmation dans la bouche d’autres personnes, que son destin était de devenir un jour un prédicateur invitant à entonner « Allein Gott in der Höh sei

Ehr ». Il ajoute qu’il s’en était souvenu chaque fois qu’il lui avait été donné de faire chanter ce

cantique à partir du moment où il commença à présider des cultes qui étaient généralement introduits par cette « mélodie festive ».16

10. Chapitre VII, 8.9.

11. Caroline TIPPMANN, Die Bestimmung des Menschen bei Johann Joachim Spalding, Leipzig (Evangelische Verlagsanstalt), 2011 (Marburger Theologische Studien, vol. 114).

12. (BURCKHARDT, A Catalogue, 1801), n° 510. 13. Chapitre VI, 6.2 ; chapitre XVIII, 3.12.

14. (BURCKHARDT, Bemerkungen, 1783), pp. 126 (Zehnter Brief. 27. July 1782) : « Nachdem ich an den Ort

meiner Bestimmung gebracht war, so hatte ich noch diesen Tag Gelegenheit, auf dem Flusse der Thames, bey kühlem Abende eine Stunde zu fahren. »

15. Laura Anna MACOR, Die Bestimmung des Menschen (1748-1800). Eine Begriffsgeschichte. Forschungen

und Materialien zur deutschen Aufklärung, Stuttgart- Bad Cannstatt (Frommann-Holzboog), 2013.

16. (BURCKHARDT, Lebensbeschreibung), p. 2: « Als ich einst einen Bekannten, einen Gastwirt, besuchte und

ein Reisender mich sah und von mir viel Gutes sprechen hörte, sagte er: „ Junge! Wo du einmal hinkommst, wird man singen: Allein Gott in der Höh sei Ehr.“ Ob ich gleich noch Kind war, konnte ich doch so viel verstehen, daß es so viele heißen sollte, ich würde einmal Prediger werden, und dieses alte Kirchenlied singen laßen, das so kraftvoll ist. Der Mann hat richtig gesprochen und prophezeit; oft sind mir diese Worte einge- fallen, wenn ich auf Dörfern um Leipzig meine ersten Predigten ablegte und die feierliche Melodie dieses

jusqu’en 1774 [p. 106]