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aux enfants de la religion aussi longtemps qu’ils n’ont pas atteint l’âge de raison ».46Un cha-

pitre ultérieur examinera l’œuvre et les convictions de notre auteur sous l’angle du pédagogue qu’il fut incontestablement, et ce sera l’occasion d’élucider l’arrière-fond sur lequel doit être compris ce jugement concernant Jean-Jacques Rousseau.47

Abandonnant ici notre examen de ce que fut le contexte familial et historique dans lequel naquit et grandit Burckhardt, nous examinerons dans le chapitre qui va suivre, ce que fut plus exacte- ment la trajectoire scolaire de l’enfant pauvre en passe de devenir l’homo doctus qui avait fait la fierté de sa pieuse mère.

46. (BURCKHARDT, Bemerkungen, 1783), p. 40: « Es herrschte altväterische Ehrfurcht vor Religion, Bibel

und Gottesdienst ..]. und wenn es gleich dabey oft an aufgeklärten Begriffen fehlte, und nur Gewohnheitssa-

che war : so weiß ich doch nicht, ob die jetzige Mode, lieber das alles wegzuschmeißen, und als altfränkisch zu verlachen, und ob der Erziehungsgrundsatz des Rousseau, Kindern nichts von Religion zu sagen und zu zeigen, bis sie ihren Verstand darüber brauchen können ..]. - ob das alles nicht viel tausendmal schädlicher

ist »

jusqu’en 1774 [p. 102]

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Un enfant pauvre qui bénéficia d’un ascenseur social efficace

La fin de notre chapitre précédent vient de laisser percer l’admiration qu’éprouva la mère de Burckhardt pour le savoir scolaire qu’avait pu acquérir le cadet de ses enfants. Nous avons été les témoins de sa reconnaissance à la pensée de l’avenir meilleur qu’elle voyait s’ouvrir sous les pas de ce fils doué qui avait bénéficié d’une bonne formation en dépit des années matériel- lement très difficiles. En effet, la précarité de la veuve en charge d’une famille nombreuse n’avait pas empêché le jeune Johann Gottlieb de devenir un lycéen en passe de prendre le che- min de l’université. La pauvreté familiale n’avait donc pas été un obstacle insurmontable à une poursuite de sa scolarité qui allait lui permettre d’accéder à ce monde des « doctes », un univers évidemment hors de portée du champ de vision et de compréhension de sa mère, dont la per- sonnalité est déjà familière à nos lectrices et lecteurs.1On imagine aisément ce que dut être sa

reconnaissance étonnée lorsqu’elle réalisa que son fils pourrait bénéficier de ce que, de nos jours, les sociologues associeraient spontanément à la notion d’ascenseur social. Un tel instru- ment de progression sociale existait effectivement à Eisleben en ces temps qui furent ceux de l’enfance et la jeunesse de Johann Gottlieb Burckhardt. Il consistait en une sorte d’attelage institutionnel complexe dont les composantes étaient les autorités municipales, le consistoire régional de l’Église évangélique luthérienne, mais aussi cette institution scolaire locale particu- lière qu’était la Lutherschule, une école gratuite pour orphelins pauvres qui remontait au temps de Martin Luther lui-même. Cet attelage composite pouvait étonnamment bien fonctionner lors- que tout se passait en bonne synergie. Il avait d’ailleurs souvent donné la preuve de son effica- cité. Le système déployait d’étonnantes possibilités d’intervention en faveur d’un enfant pauvre et ouvrait alors à ce dernier des perspectives inespérées de progression culturelle et sociale. Ce fut le cas pour Burckhardt ainsi que va l’illustrer ce nouveau chapitre. En ce qui le concerne, le système remplit sa fonction d’autant mieux qu’il se trouva au sein du dispositif en question de nombreuses individualités prêtes à s’engager personnellement pour soutenir les talents qu’elles perçurent rapidement chez le petit orphelin d’une famille entrée en détresse financière et sociale à partir de 1758. Les sources dont nous disposons fourmillent de références à de multiples pro- tections et parrainages sans lesquels l’enfant pauvre d’Eisleben n’aurait pu emprunter les itiné- raires qu’allait prendre le voyage de sa vie.

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Élève à la « Lutherschule » puis à l’école « sénatoriale » d’Eisleben

(1760/62-1763/68)

Son statut d’orphelin pauvre avait tout d’abord permis à Burckhardt de bénéficier d’une forma- tion élémentaire gratuite à l’école que le magistrat d’Eisleben entretenait dans ce qui avait été la maison natale de Luther, et que tout visiteur de la cité peut admirer jusque de nos jours. Déjà au temps où Burckhardt était enfant, ce bâtiment historique faisait la fierté de la ville comme il ne cesse d’ailleurs de le faire aujourd’hui encore. Devenu, en 1689, la proie d’un incendie, il avait été reconstruit et, en ces années dans lesquelles nous replonge cette phase du parcours biographique de notre personnage, le bâtiment abritait une « École gratuite pour orphelins

pauvres » portant le nom de Martin Luther. Notamment avec les travaux de Christian Gottlieb

jusqu’en 1774 [p. 103]

Berger2et d’Eduard Sperber, l’historiographie du XIXesiècle nous permet de suivre le chemin

parcouru par cette institution séculaire.3Notre chapitre précédent avait signalé que l’un des tout

premiers souvenirs personnels de Burckhardt est lié précisément à cette « école tenue dans la

maison de Luther » qu’il fréquentait déjà lorsque les troubles de la « Guerre de Sept Ans »

vinrent perturber une cité d’Eisleben, terrorisée par le passage dans ses rues et ruelles des hus- sards de Frédéric II, le roi de Prusse.4L’autobiographie de Burckhardt rappelant à cet endroit

qu’il s’agit de souvenirs de l’enfant « de quatre ou six ans » qu’il avait été lors des événements en question, l’anecdote peut être située, sans trop risquer l’erreur, entre 1760 et 1762. Cette fourchette temporelle correspondrait à la première phase de la scolarisation de Burckhardt, étape préparatoire consacrée à son alphabétisation. Cette initiation à la lecture à l’aide d’un « abé-

cédaire » était traditionnellement accompagnée d’un enseigne-

ment élémentaire. Elle semble s’être terminée en 1763, lorsque le garçonnet, qui venait d’atteindre l’âge de sept ans, transita de cette « École gratuite pour orphelins pauvres » à l’école « sé-

natoriale », qu’abritait également la cité d’Eisleben. C’est du

moins ce que nous pensons pouvoir conclure de la mention qui figure dans le Manuscrit Vetter. Ce dernier évoque 1763 comme l’année du passage à cette nouvelle institution scolaire dans laquelle le jeune garçon continua sa formation jusqu’en 1768, année de son passage au « Gymnase » municipal. En effet « Schola publice in patriis et schola

Senatoria ab a. 1763 et gymnasio ab a.1768 » sont les termes que le Manuscrit Vetter emploie

à propos de Burckhardt. C’est l’école sénatoriale qui, donc, dispensa cinq années durant au jeune Johann Gottlieb l’instruction littéraire et religieuse selon les contenus et les méthodes en vigueur à l’époque.

Burckhardt a appartenu à ces générations d’écoliers allemands pour lesquels, après l’abécé- daire, ce furent la Bible et le Catéchisme de Luther qui firent fonction de premiers livres de lecture. L’autobiographe Burckhardt a conservé le souvenir de « l’instituteur Müller » qui « avait pour habitude de faire pratiquer longuement l’alphabet avant de commencer à faire lire

les enfants ». Il prend un plaisir évident à rappeler la stupéfaction joyeuse de ce maître lorsque

celui-ci s’aperçut que son jeune élève Johann Gottlieb Burckhardt n’avait aucune peine à lire couramment les explications du Petit Catéchisme de Luther sur les commandements, ce qui lui valut auprès de ce maître la réputation d’être une tête bien faite et destinée à poursuivre des études.5Cet enseignant auquel Burckhardt fait allusion ici est le seul dont l’historiographie a 2. Christian Gottlieb BERGER, Einweihungsfeier der neuen Lutherschen Armenfreischule in Eisleben am 31.

October 1819 Nebst den dabei gehaltenen Reden. Vorgedruckt ist eine kurze actenmäßige Nachricht über die Schicksale und die jetzige Beschaffenheit der Lutherschule, Merseburg (Kobitzsch), 1819.

3. Eduard SPERBER, Die Lutherschule in Eisleben. Eine kurze Geschichte derselben, zum Besten der Luther-

schule unter Mitwirkung des Königlichen Regierungs- und Schulrates Haupt, Eisleben (Otto Mähnert),1883. 4. (BURCKHARDT, Lebensbeschreibung), pp. 1-2 : « Mein Gedächtnis geht nicht viel weiter, als bis aufs vierte

oder sechste Jahr meines Lebens zurück. Ich erinnere mich noch recht wohl, daß an einem gewissen Morgen, als wir Kinder in der Schule, die in Lutheri Hause gehalten wurde, beisammen waren, das Geschrei entstand „Der Preuße kommt!“ Der Schulmeister ließ uns sogleich nach Hause gehen. Ich nahm also mein A.B.C. Buch unter den Arm, und machte den ziemlich langen Rückweg durch die Stadt ... »

5. (BURCKHARDT, Lebensbeschreibung), p. 2: « Der Schulmeister Müller hatte die Gewohnheit, die Kinder

jusqu’en 1774 [p. 104]

retenu le nom pour la période qui précède 1801, période pour laquelle manquent les actes do- cumentaires. Il s’agit d’un certain Muller, dont Eduard Sperber nous apprend qu’il fut le diri- geant de la D. Martin Luther Armen Freischule pendant quarante ans, de 1750 jusqu’en 1790, l’année de sa mort.6

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Quelques souvenirs personnels de Burckhardt liés à sa formation scolaire