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P ARTIE 2 : D ROIT M ATERIEL

2.2. M OYENS D ’ EXERCICE DES COMPETENCES PRUDENTIELLES PAR LA BCE

2.2.1. Pouvoirs et instruments de supervision

Utilisant la terminologie mise en avant par le Professeur Wyrmeersch216, les pouvoirs de supervision sont les techniques à disposition de la BCE afin de monitorer la situation financière de la banque et si elle remplit ou non les conditions quantitatives et qualitatives requises par la réglementation prudentielle. En revanche, les instruments de supervision sont les décisions que la BCE peut prendre et imposer à l’établissement, en fonction des informations récoltées. En outre, la BCE peut infliger des sanctions217 en cas de non-respect par les banques des obligations notamment imposées par elle-même.

212 W. BOSSU et D. CHEW, op. cit., pp. 10-13. 213 Voir article 9(1) du règlement MSU.

214 E. WYMEERSCH, « The single supervisory mechanism or “SSM”, part one of the Banking Union », op. cit.,

p. 42.

215 Voir article 4(3) du règlement MSU.

216 E. WYMEERSCH, « The single supervisory mechanism or “SSM”, part one of the Banking Union », op. cit.,

p. 42.

217 A nouveau, il importe de distinguer parmi les instruments, les instruments de police économique et ceux

accessoires à cette mission qui constituent des sanctions sensu stricto, à savoir qui ont vocation à sanctionner un manquement.

i. Pouvoirs d’enquête et collecte d’information

Le règlement accorde à la BCE de nombreux pouvoirs d’enquête allant de la simple demande d’information218 aux inspections directement dans les locaux des établissements de crédit219 en

passant par des enquêtes générales220. A tous les niveaux, la BCE est activement assistée par les ACN qui sont les mieux placées et dont l’expertise locale est indispensable.

Premièrement, chacun de ces pouvoirs doit être contrebalancé par la possibilité de contester la légalité de la décision de mise en œuvre, si elle est contraignante pour son destinataire. Concernant la récolte d’information par la BCE, selon certains auteurs221, le règlement ne distingue pas la simple demande d’informations de la décision réclamant des informations alors que la seconde serait contraignante. Dès lors, cette dernière pourrait être contestée devant les instances judiciaires européennes222. Cependant, se pose la question de savoir si cette décision réclamant des informations ne serait pas également un simple acte préparatif et que seuls les actes subséquents qui contraignent l’établissement après son refus de livrer les informations sont contestables. En outre, la décision peut faire l’objet d’un réexamen interne par la Commission administrative de réexamen223. Celle-ci, devant se contenter d’un examen formel et matériel, tout en acceptant le pouvoir discrétionnaire de la BCE, nous semble toutefois peu efficace224.

Deuxièmement, compte tenu de leur caractère intrusif, les inspections sur place doivent faire l’objet d’une attention particulière. Portant atteinte au droit au respect du domicile d’une personne légale, l’inspection doit être évaluée quant à sa proportionnalité à la lumière de l’objectif légitime qu’elle poursuit225. Cela signifie que l’inspection doit être nécessaire et ne

peut être ni excessive, ni arbitraire. A cet égard, la CJUE a déclaré qu’il revient aux instances européennes d’évaluer le caractère nécessaire et aux cours nationales d’examiner si l’inspection n’est pas excessive et arbitraire226. Or, le règlement ne prévoit pas de moment spécifique pour

la vérification, de sorte qu’il existe des différences entre les droits nationaux : tous les États membres ne prévoient pas d’analyse ex ante par un juge. L’une des conséquences de cela est qu’en cas de vérification ex post, une mesure prise sur base d’informations récoltées lors d’une

218 Voir article 10 du règlement MSU. 219 Voir article 12 du règlement MSU. 220 Voir article 11 du règlement MSU.

221 L. WISSINK, T. DUIJKERSLOOT, R. WIDDERSHOVEN, op. cit., pp. 103-106.

222 Cependant, pour chacune de ses décisions, l’article 263(5) du TFUE s’applique et ne laisse donc que deux mois

pour lancer une procédure à l’encontre d’une décision d’enquête. Après ce délai, seule la manière dont la décision a été mise en œuvre peut encore être contestée mais plus la décision elle-même. Voir K. LENARTS, K. GUTMAN et I. MASESLIS, EU Procedural Law, Oxford University Press, 2014, pp. 275- 277.

223 Voir article 24 du règlement MSU.

224 Ce passage devant la Commission administrative de réexamen n’est pas une condition pour pouvoir contester

la décision devant un juge européen. Compte tenu du caractère limité du contrôle effectué par ladite Commission, certains préfèrent d’ailleurs ne pas perdre du temps en introduisant un tel recours administratif interne à la BCE.

225 L. WISSINK, T. DUIJKERSLOOT, R. WIDDERSHOVEN, op. cit., p. 108.

226 C.J.U.E., arrêt Roquette Frères SA contre Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 22 octobre 2002, C-94/00, ECLI:EU:C:2002:603.

inspection jugée illégale a posteriori par l’autorité judiciaire nationale pourrait être annulée et fragiliser la supervision227.

ii. Instruments légaux de la BCE

Dans le cadre de ses missions de surveillance, la BCE peut publier des instructions, tant individuelles que générales, que ce soit sous la forme de recommandations, d’orientations ou de règlements228. Il convient de préciser que ces règles énoncent majoritairement des pratiques ou contraintes pour les ACN mais qu’un règlement, malgré son nom, ne peut en principe pas créer de droit matériel positif pour les établissements de crédit.

Cependant, la multitude d’actes que la BCE peut prendre et les vocables derrière lesquels ils se cachent ne sont pas très clairs229. On constate notamment que le guide relatif à la surveillance bancaire230, dont nous avons déjà parlé, ne rentre dans aucune des catégories susmentionnées

et est pourtant formulé impérativement. En outre, la BCE a une fâcheuse tendance à adopter des orientations (ou pire, des décisions de portée générale) qui remplacent des règlements afin d’éviter la lourde procédure d’adoption de ces derniers, qui implique notamment l’organisation de consultations publiques231. Alors que les orientations, par exemple, n’ont aucune force contraignante, la formulation de certaines d’entre elles et l’état de la pratique font que les établissements de crédit s’y conforment tout de même. Le manque de clarté quant au caractère non contraignant est regrettable car il fragilise le cadre juridique, le rendant sujet à la critique selon laquelle certains actes sont adoptés sans base légale ou en méconnaissance de celle-ci232.

iii. Cas particulier des sanctions administratives

Enfin, le règlement offre à la BCE un pouvoir de sanction administrative certes limité. Les limites concernant le champ d’application matériel car la BCE ne peut sanctionner que la violation du droit de l’Union et le champ d’application personnel car les sanctions ne peuvent toucher que les banques. Cependant, la BCE peut combler ces lacunes en demandant aux ACN d’engager une procédure conformément à leur droit national233. Par exemple, puisque la BCE

ne peut pas sanctionner les personnes physiques (en l’occurrence souvent les dirigeants)

227 L. WISSINK, T. DUIJKERSLOOT, R. WIDDERSHOVEN, op. cit., p. 110. Ils citent à titre d’exemple le

système ex ante qui existe en France et le système ex post néérlandais.

228 E. WYMEERSCH, « The single supervisory mechanism or “SSM”, part one of the Banking Union », op. cit.,

p. 42.

229 Nous ne reviendrons pas sur la typologie complète des différents actes et leurs différences.

230 En anglais « SSM supervisory manual », voir Banque Centrale Européenne, Guide relatif à la surveillance

bancaire, op. cit..

231 Voir article 4(3) du règlement MSU.

232 Voir à ce sujet W. BOSSU et D. CHEW, op. cit., pp. 13-18. 233 Voir article 18 du règlement MSU.

directement mais compte tenu de l’importance d’en avoir la capacité234, elle peut requérir

qu’une ACN le fasse à sa place235. Cependant, vu la formulation du règlement à cet égard236,

l’ACN qui est instruite de cette mission de sanction n’est pas obligée de sanctionner mais simplement de lancer une procédure pouvant se conclure par l’application d’une sanction. Il ne s’agit donc pas réellement d’un pouvoir (direct ou indirect) conféré à la BCE en matière de sanction mais simplement d’un soutien qui lui est accordé. Ceci explique par ailleurs pourquoi nous traitons de ce pouvoir d’instruction de la BCE dès maintenant et non pas infra, lorsque nous nous pencherons sur sa faculté d’ordonner à une ACN d’appliquer son droit national. Sans entrer dans le détail237, on se retrouve in fine avec une multitude de procédures et de voies de recours. En effet, en cas d’infraction à une loi de transposition, seule une ACN peut infliger une sanction, pareillement en cas de sanction à l’encontre d’une personne physique. Par contre, face au non-respect d’une décision de la BCE, seule la BCE est compétente pour sanctionner. Alors que les sanctions impliquent nombre de droits élémentaires, notamment les droits de la défense238, on peut craindre une différenciation de la qualité de protection de ces droits puisque les procédures ouvertes par les ACN sur ordre de la BCE ne peuvent pas être contestées immédiatement devant les juridictions européennes239. En outre, le principe de ne bis in idem pourrait être mis à mal dans la mesure où des autorités nationales demeurent compétentes pour la protection des consommateurs ou encore le blanchiment d’argent240 et dans l’hypothèse où

les mêmes faits seraient à la base de deux procédures distinctes – d’une part sous l’angle prudentiel et d’autre part sous un angle demeurant dans les compétences strictement nationales comme le blanchiment d’argent. En effet, à moins d’un haut niveau de coordination, une ACN pourrait poursuivre et infliger des sanctions à une banque sur base de ses compétences en même temps que la BCE, sur base de considérations prudentielles, dans un dossier qui forme un ensemble cohérent et qu’il serait judicieux de traiter simultanément241.

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