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P ARTIE 2 : D ROIT M ATERIEL

2.1.2. Les compétences en pratique

Après l’évaluation que nous venons de réaliser des rudiments du partage de compétences, il convient de décortiquer qui est de facto en charge de quelle compétence.

Dans tous les cas, les ACN et la BCE doivent coopérer de « bonne foi »168 dans le cadre du MSU et cette coopération (verticale sous la direction de la BCE, nous le verrons) fait l’objet d’un acte spécifique de droit européen169.

i. Compétences générales exclusives de la BCE

Premièrement, l’organisation du pouvoir en matière d’agrément est assez simple. Pour l’octroi de l’agrément, l’ACN de l’État où la banque sera établie prépare un projet de décision en se basant sur l’ensemble des règles nationales pertinentes170. L’autorité peut rejeter la demande

(dans quel cas la BCE n’est pas du tout impliquée) ou préparer un projet positif qu’elle envoie à la BCE. Celle-ci en vérifie le contenu et rend une décision finale de confirmation ou de rejet171. Selon nous, ce système est asymétrique et comporte des lacunes.

Avant tout, il est asymétrique car l’ACN est en mesure de refuser l’agrément à une institution conformément à son seul droit national. Dans ce cas, la BCE ne sera pas en mesure de contester cette décision car elle ne peut pas contrôler le respect des exigences nationales172. Cela signifie que le recours contre cette décision se fera devant les juridictions nationales uniquement173 car seuls les projets d’octroi de l’agrément font l’objet d’une communication à la BCE qui rend alors une décision relevant de l’ordre juridique européen174. Cela signifie aussi qu’il y a a

contrario un double contrôle en cas de proposition de décision positive dont on peut questionner

l’utilité puisque les ACN, lorsqu’elles effectuent le contrôle préalable, se basent sur une législation nationale qui comprend les minima prudentiels européens. D’autant que si le règlement prévoit que les ACN sont les premières à traiter du dossier, c’est probablement car le législateur avait conscience que celles-ci sont les mieux placées pour contrôler la conformité

168 Voir article 6(2) du règlement MSU.

169 Règlement (UE) N° 468/2014 de la Banque Centrale Européenne du 16 avril 2014 établissant le cadre de la

coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le «règlement-cadre MSU»), BCE/2014/17.

170 Elles-mêmes basées sur le socle minimal établi par la directive CRD IV.

171 L. WISSINK, T. DUIJKERSLOOT, R. WIDDERSHOVEN, « Shifts in Competences between Members States

and the EU in the New Supervisory System for Credit Institutions and their Consequences for Judicial Protection », Utrecht Law Review, Volume 10, Issue 5, décembre 2014, pp. 96-97.

172 P.-E. PARTSCH, « Le Mécanisme de surveillance unique … », op. cit., p. 23.

173 Ce principe est notamment rappelé dans l’affaire Borelli (C.J.U.E, arrêt Oleificio Borelli SpA c. Commission, 3

Décembre 1992, C-97/91, ECLI:EU:C:1992:491), selon L. WISSINK, T. DUIJKERSLOOT, R. WIDDERSHOVEN, op. cit., p. 97.

174 On considère donc que seuls les projets d’octroi d’agrément présentent un intérêt au niveau européen, voir P.-

de l’établissement aux conditions (à plus forte raison si le droit national est plus strict que le droit européen).

La décision finale est par ailleurs notifiée par l’ACN à l’établissement, ce qui peut l’induire en erreur quant à savoir qui est l’auteur de la décision175.

De plus, en cas de projet de réponse positive par l’ACN, la décision de la BCE (positive ou négative) ne pourra pas être contestée par les tiers. En effet, sur base de l’arrêt Plaumann176, les

tiers ne sont pas directement et individuellement touchés par la décision de la BCE et ne pourront donc pas la contester devant une juridiction nationale ou européenne. Cela nous parait être contraire au principe du droit à une protection juridictionnelle effective177, l’un des droits les plus fondamentaux de l’Union européenne178 car l’arrivée d’un nouveau concurrent peut

effectivement avoir des conséquences pour les autres, surtout si l’agrément a été accordé à tort et que la nouvelle banque présente un risque qui peut vite devenir systémique.

Quant au retrait d’agrément, il s’agit à nouveau d’une compétence exclusive de la BCE qu’elle exerce cette fois d’initiative ou sur proposition d’une ACN et après consultation des ACN concernées. Cette décision est d’une importance capitale et pas seulement pour la banque impliquée. Par exemple, compte tenu du lien fréquent entre perte d’agrément et résolution de l’institution, les entités en charge de la résolution sont impliquées et peuvent même suspendre la perte d’agrément pour protéger la stabilité financière179. En outre, puisque le retrait

d’agrément est une mesure grave pour les établissements concernés, certains auteurs estiment qu’ils peuvent être assimilés à des sanctions en application des critères Engel180. Dès lors, la

BCE et les ACN devraient coordonner leurs actions afin de respecter le principe fondamental de ne bis in idem181. Nous estimons toutefois que le la matière relative à l’agrément fait partie de la police administrative et les mesures de police économique ne sont pas des sanctions astreintes aux principes comme le ne bis in idem182.

Deuxièmement, nous ne reviendrons pas sur les compétences de la BCE en matière de participations qualifiées. En effet, à nouveau, la BCE se base sur des projets de décisions des ACN et nos remarques ci-dessus s’y appliquent donc. Nous noterons toutefois une petite

175 Ibid.

176 C.J.U.E., arrêt Plaumann & Co. c. Commission, 15 juillet 1963, C-25/62, ECLI:EU:C:1963:17. 177 L. WISSINK, T. DUIJKERSLOOT, R. WIDDERSHOVEN, op. cit., p. 98.

178 I. PERNICE, « The Right to Effective Judicial Protection and Remedies in the EU », The Court of Justice and the Construction of Europe: Analyses and Perspectives on Sixty Years of Case-law, C.J.U.E. (dir.),

Luxembourg, T.M.C. Asser Press, pp. 381-395.

179 E. WYMEERSCH, « The single supervisory mechanism or “SSM”, part one of the Banking Union », op. cit.,

p. 45.

180 C.E.D.H., arrêt Engel et Autre c. Netherlands, 8 juin 1976, Série A-22,

ECLI:CE:ECHR:1976:0608JUD000510071.

181 B. VAN BOCKEL, « The Single Supervisory Mechanism Regulation : Questions of ne bis in idem and

implications for the further integration of the system of fundamental rights protection in the EU, Maastricht

Journal of European and Comparative Law, 2017, vol. 24(2), pp. 194-216.

182 Pour le cas du refus d’agrément, voir C.E.D.H., SA Patronale Hypothécaire c. Belgique, 17 juillet 2018,

imprécision textuelle, à savoir l’utilisation rare mais maladroite de l’expression « participation importante »183 à la place de « participation qualifiée » qui est préférée habituellement.

Troisièmement et dernièrement, l’article 5 offre à la BCE des compétences en matière macroprudentielle. Cependant, il apparait que la compétence reste majoritairement nationale car les mesures sont d’abord considérées au niveau national et la BCE ne peut empêcher les procédures entreprises par les ACN184. Toutefois, la dimension macroéconomique est en pratique difficile à distinguer, ce qui tends à rendre plus difficile la délimitation des compétences. A cet égard et à titre d’exemple, on peut noter que la loi bancaire belge185 prévoit le contrôle par l’autorité de contrôle186 via autorisation préalable des « décisions stratégiques, des décisions d'investissement et des fusions et cessions entre établissements de crédit »187. Puisque les compétences de supervision microprudentielle sont désormais du ressort de la BCE (ou d’une ACN le cas échéant) et que les décisions stratégiques s’y inscrivent à première vue, le contrôle en question n’est plus attribué à l’autorité belge. Cependant, il pourrait être intéressant pour l’autorité de contrôle belge de prétendre que cet article s’inscrit également dans une perspective macroprudentielle et exercer alors cette prérogative au titre de ses compétences macroprudentielles188, dans le cadre de sa contribution à la stabilité du système financier189. On pourrait donc imaginer que la BCE autorise une décision stratégique dans le cadre de ses missions microprudentielles mais que l’autorité belge, motivant une dimension macroéconomique de l’opération190, la refuse. Une telle situation devrait faire l’objet d’une

concertation en raison de l’obligation de coopération et de loyauté communautaires191. A

défaut, il conviendrait donc selon nous de préciser l’état des compétences macroéconomiques afin d’éviter un tel risque de conflit.

183 Voir considérant (22) du règlement MSU.

184 Voir article 5(1) du règlement MSU. La BCE peut toutefois prendre elle-même des mesures macroprudentielles

et imposer des exigences plus strictes, sous réserve de motivation adéquate, lorsque l’exercice de leur compétence par les ACN est insuffisant.

185 Loi du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit [et des sociétés de bourse]

(Citée comme : loi bancaire), M.B., 7 mai 2014, art. 77 et 78.

186 En l’occurrence la Banque nationale de Belgique ou la BCE, selon l’importance de l’établissements de crédit

concerné.

187 Voir not. Banque Nationale de Belgique, Autorisation d'une fusion entre établissements de crédit (Articles 77

et 78 de la loi du 25 avril 2014 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit et des sociétés de bourse), [C−2017/14253], disponible sur <https://www.nbb.be/doc/cp/moniteur/2017/20171130_ fusie.pdf>.

188 Voir article 36/34 de la Loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique, la

BNB pour en effet utiliser les instruments microprudentiels à des fins macroprudentielles.

189 En effet, en outre de la compétence macroprudentielle nationale conférée par le règlement MSU, le Comité

Européen du Risque Systémique a confié à aux ACN un mandat macroprudentiel par le biais d’une recommandation du 22 décembre 2011 étendant ses compétences. Nous ne présenterons toutefois pas cet aspect dans le cadre du présent travail.

190 Des opérations de fusion et acquisition ont déjà prouvé, dans le passé, qu’elles pouvaient être décisives

macroéconomiquement et avoir des conséquences systémiques cruciales. Voir par exemple l’acquisition d’ABN Amro par Fortis : <https://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/dix-ans-apres-la-crise- financiere-fortis-la-chute-d-un-geant-de-la-bancassurance-5b9c98f6cd7076ce3b2f871d>.

ii. Compétences partagées selon la taille des établissements de crédit

Suivant les conditions rappelées ci-dessus, les établissements de crédit sont classés en deux catégories : les établissements les plus importants et les établissements moins importants. Pour les premiers, la BCE exerce directement les tâches de supervision listées à l’article 4 du règlement MSU. En réalité, une équipe de surveillance prudentielle conjointe192, composée de représentants de la BCE et des ACN193, est créée pour chaque établissement ou groupe bancaire

important194 afin de faciliter l’exercice de la supervision. Cette organisation appelle peu de commentaires, sauf purement descriptifs195. Ici, la BCE est l’élément central et les ACN ne participent que pour l’assister dans sa mission et n’ont aucun pouvoir autonome, elles n’agissent que dans les limites établies par la BCE et pour son compte.

Pour les seconds, le centre opérationnel demeure au niveau national mais la BCE encadre les ACN. A cet égard, par exemple, la BCE possède des compétences d’injonction (via règlements, orientations ou instructions), les ACN doivent notifier à la BCE les informations et les décisions essentielles, la BCE peut demander des rapports, la BCE peut aller jusqu’à reprendre elle-même la supervision directe,… 196 A nouveau, on constate que non seulement la BCE profite d’un très large pouvoir d’appréciation197, mais surtout que cette situation fragilise les compétences des ACN en les plaçant sous une forme de tutelle européenne. Selon certains198, l’expérience aurait

montré que cette manière d’opérer conduit à des frictions là où normalement de la coopération devrait prévaloir. Ces frictions se marquent surtout entre le noyau central européen et les entités nationales décentralisées et affecte l’effectivité du mécanisme199. On regrette dès lors que le

système fonctionne de manière hiérarchique alors qu’« il est important que l’architecture de supervision fournisse non seulement des bâtons mais également des carottes »200. Il

conviendrait d’inciter et motiver les ACN plutôt que d’essayer de les contrôler et les utiliser comme des simples outils servant la BCE. Cela passe par la création d’une culture européenne de la supervision impliquant chaque intervenant du MSU et prenant racine dans chaque membre du personnel et membre des organes des autorités concernées201.

192 Banque Centrale Européenne, Guide relatif à la surveillance bancaire, septembre 2014, disponible sur

<https://www.bankingsupervision.europa.eu/ecb/pub/pdf/ssmguidebankingsupervision201409fr.pdf>, pp. 17-19.

193 L. WISSINK, op. cit., pp. 444-447. 194 C. V. GORTSOS, op. cit., p. 410.

195 Pour la supervision des établissements les plus importants, voir not. Banque Centrale Européenne, Guide relatif

à la surveillance bancaire, op cit., pp. 32-42, P.-E. PARTSCH, « Le Mécanisme de surveillance unique … », op. cit., pp. 28-30, C. V. GORTSOS, op. cit., pp. 409-412

196 Pour la supervision des établissements moins importants, voir not. Banque Centrale Européenne, Guide relatif

à la surveillance bancaire, op. cit.,pp. 42-48, P.-E. PARTSCH, « Le Mécanisme de surveillance unique … », op. cit., pp. 30-31, C. V. GORTSOS, op. cit., pp. 412-416.

197 P.-E. PARTSCH, « Le Mécanisme de surveillance unique … », op. cit., p. 30. 198 T. H. TRÖGER, op. cit., pp. 473.

199 Ibid..

200 Ibid., traduction libre.

iii. Compétences en cas de scénario transfrontalier

Grâce au passeport européen, les établissements de crédit agrées dans un État membre peuvent exercer les activités qui font l’objet du passeport européen dans d’autres États membres par le biais d’un établissement secondaire ou d’une prestation de services202. En dehors du MSU, les

lois bancaires des États membres qui énoncent, conformément à la directive CRD IV203, les compétences partagées entre les ACN de l’État d’accueil et d’origine se basent toujours sur le principe du home country control204. L’ABE supervise en outre le système dans son ensemble205.

Dans le cadre du MSU, le régime est différent. D’abord, en cas de succursale d’établissement important, la BCE agit en tant que :

- superviseur de l’État d’accueil et d’origine s’il s’agit d’un mouvement entre États membres participant au MSU ;

- superviseur de l’État membre d’accueil s’il s’agit d’un établissement important d’un État membre non participant qui installe une succursale dans un État membre participant au MSU ;

- superviseur de l’État membre d’origine s’il s’agit d’un établissement d’un État membre participant au MSU qui installe une succursale dans un État membre non participant.206

Ensuite, en cas de filiale bancaire (considérée comme une entité juridique distincte de sa maison mère) d’un établissement moins important, l’ACN de l’État d’accueil exerce la supervision. En revanche, une filiale membre d’un groupement important tombe directement sous la supervision de la BCE, peu importe sa qualité individuelle207.

Selon nous, le MSU aurait dû aller plus loin encore et totalement abolir la distinction entre succursale et filiale car actuellement, des différences au niveau de la supervision se marquent à cause de la structure sociétale des banques et non pas à cause du risque réel qu’elles représentent208. Si un établissement de crédit décide de s’établir dans un autre État membre au sein du MSU par le biais d’une filiale, il risque non seulement d’être soumis à des superviseurs différents, mais il devra en outre respecter une séparation des capitaux, de la gouvernance, des critères de liquidité,… Par conséquent, l’utilisation dès le départ de succursales ou la conversion

202 Ce point ne sera pas analysé car il n’entre pas dans le cadre du présent travail. Nous vous renvoyons à cet égard

à P.-E. PARTSCH, Droit bancaire et financier européen, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 558-572. 203 Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des

établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE, dite « CRD IV ».

204 P.-E. PARTSCH, Droit bancaire et financier européen, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2016, p. 486. 205 T. H. TRÖGER, op. cit., pp. 461-462.

206 T. H. TRÖGER, op. cit., p. 472.

207 E. WYMEERSCH, « The single supervisory mechanism or “SSM”, part one of the Banking Union », op. cit.,

p. 33.

de filiales en succursales représentent « une meilleure utilisation du capital, des économies d’échelles et des économies considérables au niveau des frais administratifs et légaux »209.

Nous estimons toutefois que le remplacement systématique des filiales par des succursales peut s’avérer problématique en l’état actuel. En effet, nous savons que beaucoup de banques nationales sont des filiales de groupements ou d’autres entités plus grandes. Or, une « succursalisation » systématique reviendrait à ouvrir toutes les cloisons et à systématiser encore plus le risque puisque la filiale qui était jusqu’alors considérée comme une banque à part entière deviendra une simple « branche » de sa parente. Compte tenu de la taille considérable de certaines de ces filiales dans le paysage bancaire des États membres210, cela pourrait avoir des conséquences systémiques graves211.

209 Traduction libre de E. WYMEERSCH, « The single supervisory mechanism or “SSM”, part one of the Banking

Union », op. cit., p. 36. A l’inverse, les États membres ne participant pas au MSU qui souhaitent installer un établissement secondaire dans le MSU mais qui souhaitent se soustraire au contrôle de la BCE pourront choisir la filiale plutôt qu’une succursale et ainsi relever de la supervision de l’ACN locale.

210 Par exemple en Belgique BNP Paribas Fortis est une filiale du groupe BNP Paribas et ING Belgique est une

filiale du groupe BNP.

211 Les État d’implémentation des actuelles filiales ont des préoccupations à l’égard d’un tel mouvement car il

implique un autre droit de la faillite, un autre régime de protection des dépôts. Ils sont en outre préoccupés par des considérations politiques du fait que l’électeur n’aime par exemple pas voir que la supervision de sa banque échappe aux autorités de son pays.

2.2. M

OYENS D

EXERCICE DES COMPETENCES PRUDENTIELLES

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