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À la veille de la Grande Guerre, les principaux adversaires des communautés germano- polonaises se retrouvent concentrés au sein des ligues et groupes de pression nationalistes qui ont fait de la Prusse orientale leurs terrains d’activités de prédilection. Les conséquences de la confrontation entre le nationalisme allemand et la minorité nationale polonaise de l’Empire se manifestent entre autres par l’utilisation d’un vocabulaire de confrontation où ce qui n’est pas germanique ou germanophile devient l’adversaire à vaincre138. C’est dans ce contexte qu’à l’été 1914 au début des opérations militaires contre l’Empire russe, les Polonais d’Allemagne deviennent pour un grand nombre d’acteurs politiques allemands et prussiens, les Reichsfeinde, c’est-à-dire les ennemies de la nation allemande139

. Pour la social-démocratie allemande, ce statut d’ennemi du peuple est tout simplement ridicule. Bien qu’ils reconnaissent que « certains éléments polonais ne doivent pas être sous-estimés comme ennemis ou amis140 », la croyance dans le bon jugement de la nation polonaise les pousse à croire que ceux-ci ne se rallieront pas à la Russie tsariste en cas de conflit avec l’Allemagne. Plus précisément, les sociaux- démocrates, comme d’autres mouvements sociopolitiques allemands similaires, professent l’idée qu’il est impératif que les Polonais de l’Empire « estiment qu’ils appartiennent au Reich allemand et à la nation allemande en toute loyauté et attachement141 ». De cette façon, la loyauté des citoyens polonais pourrait être assurée à l’État allemand142. Suivant cette croyance, les frontières orientales du Royaume de Prusse, majoritairement polonophone, prennent une signification particulière pour le SPD qui y voit l’un des principaux champs de bataille avec, d’un côté, les mouvements nationalistes allemands, de l’autre, l’Empire russe qui s’apprête à entrer en guerre. Par conséquent, c’est dans les confins orientaux de la Prusse que la Question polonaise prend tout son sens pour les sociaux-démocrates entre 1914-1916.

138 À titre de lectures d’introduction pour ces concepts consulter KENNETH ROSENTHAL, Harry, « The Prussian views of the Pole: The Significance of the Year 1894 », The Polish Review, Vol. 17, No. 1 (Winter, 1972), p. 13-20

139 Gary D. Stark, Banned in Berlin, Literary censorship in Imperial Germany, 1871-1918, New York, Berghahn Books, 2009, p. 105 & GOLDBERG, Ann, « Hate Speech an Identity Politics in Germany, 1848- 1914 », Central European History, Vol. 48, No. 4 (Decembre 2015), p. 480-497

140 Georg Ledebour, Verhandlungen des Deutsche Reichstag, Bd. 290, 160 Sitz., 1913, p. 5492

141 Werner Conze, Polnische Nation und deutsche Politik im Ersten Weltkrieg, Koln, Bohlau, 1958, p. 31 142 Pour une lecture présentant la genèse du phénomène du loyalisme polonais vis-à-vis de l’État allemand, vous référer à BLANKE, Richard, Op. cit., p. 548-565 et BJORK, James, « Flexible Fatherlands :

“Patriotism” among Polish-speaking German Citizens during World War I », Central European History, Vol. 53, No. 1 (March 2020), p. 71-93

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Représentés par quelques députés sociaux-démocrates, dont certains d’envergure tels que Hugo Haase, Georg Ledebour et Karl Liebknecht, les sociaux-démocrates visent principalement deux objectifs clés. Premièrement, ils doivent s’assurer de continuer à s’opposer aux mécaniques d’oppression internes au Reich. Deuxièmement, ils doivent réussir à démontrer la menace que représente une possible avancée russe au sein des territoires polonais de l’État prussien. L’avènement de la guerre entre les empires allemand et russe provoque une évolution drastique dans les politiques orientales de l’État allemand, mais plus spécifiquement du Royaume de Prusse. Bien que les groupes nationalistes demeurent les adversaires internes en ce qui concerne le statut des communautés germano-polonaises, l’adhésion au Burgfrieden en 1914 et les offensives russes en Prusse orientale réorientent le point focal du programme politique polonais du SPD vers une lutte ouverte avec l’Empire russe et insèrent les problématiques législatives polonophobes au sein de celle-ci. En ce sens, l’importance symbolique qui accompagne le tsarisme au sein du mouvement social-démocrate allemand va jouer un rôle primordial dans l’élaboration d’un plan polonais socialiste au cours des deux premières années de conflit. Par conséquent, bien que les sociaux-démocrates continuent de contrer les attaques directes ou indirectes contre la minorité nationale polonaise par les opposants traditionnels à celle-ci au sein du Reich, ces efforts sont relégués au second plan afin de favoriser la menace tsariste. Ainsi, les interventions des députés ou médias du SPD vont surtout se concentrer autour de la réhabilitation des membres des communautés germano- polonaises au sein de la société allemande dans un contexte où l’Empire russe représente un réel danger au maintien de la loyauté et de la cohésion sociopolitique entre les institutions sociopolitiques allemandes et les communautés germano-polonaises. Les sociaux-démocrates mettent donc l’accent sur le fait qu’aucune loi anti-espionnage n'est nécessaire envers les Polonais de l’Empire, mais que pour s’assurer leur coopération complète, le « peuple a davantage besoin de liberté et d’équité143

. »

Légitimer la défense nationale par la défaite du Tsarisme

Les enjeux propres aux questions nationales allemandes et polonaises en Prusse orientale prennent de la vigueur dès le déclenchement des hostilités. Le nationalisme allemand joue un rôle prépondérant dans le développement d’une perception péjorative de l’Allemagne à

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l’égard de la nation polonaise. Il semble que dès 1914, plusieurs États neutres, notamment le Royaume d’Italie, considèrent que les véritables ennemis du peuple polonais sont les empires centraux. En ce sens, comme le rapporte un article du Vorwärt tirant ses informations d’un journal milanais, les efforts de mobilisation des communautés polonaises des empires centraux au sein d’un corps d’armée polonaise « n’a soulevé aucun Polonais contre la Russie144

. » Pire, il avance que le plus grand ennemi du peuple polonais se situe en Allemagne. Cette allusion découle de deux facteurs clés de la vie politique allemande des premiers mois du conflit. Dans un premier temps, le Burgfrieden laisse à penser que tous les mouvements politiques allemands partagent les mêmes objectifs, souvent jugés néfastes, pour l’avenir de la nation polonaise. Dans un deuxième temps, elle met aussi en évidence la mauvaise presse dont bénéficie l’Allemagne à l’étranger concernant ses actions politiques et diplomatiques au cours des premiers mois de guerre.

Cette mauvaise presse, amplifiée par la propagande de l’Entente au cours du conflit, joue en défaveur de l’Empire allemand, mais particulièrement des sociaux-démocrates allemands qui tentent de démontrer au cours des deux premières années de la guerre que le véritable ennemi de la nation polonaise est celui qui a subjugué celle-ci à la suite du Congrès de Vienne de 1815, le tsarisme. Il semble donc que d’ores et déjà, le particularisme du front oriental et de la Question polonaise pour les sociaux-démocrates se basent sur l’exceptionnalisme de la lutte contre le tsarisme. Cette lutte se veut conjointe et solidaire au cours des deux premières années du conflit des politiques impériales et de l’offensive populaire au sein des mouvements politiques actifs en Prusse. Poursuivant dans la même logique que les interventions publiques précédant la guerre, les sociaux-démocrates mettent de l’avant le danger que représente le tsarisme, non seulement pour l’Allemagne, mais également pour les communautés germano-polonaises de l’est de l’Empire. L’intervention au Reichstag du Dr Haase en 1916 résume les positions du SPD au cours des trois années précédentes. Il met de l’avant la légitimité du désir d’intervention contre l’Empire russe du mouvement en l’enchâssant dans les problématiques propres à la Question polonaise. Loin de justifier une

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guerre de nature uniquement défensive145, celui-ci demande ouvertement quand le gouvernement allemand compte agir afin de libérer les Polonais de leur « assujettissement au tsarisme146 ».

L’invasion russe de la Prusse orientale en 1914 est le premier événement exposant la menace réelle que représente l’Empire russe envers le peuple allemand et les communautés germano-polonaises. En effet, les succès rencontrés par les troupes russes avec l’occupation du Memel (extrémité est de la Prusse orientale) et de l’importante ville d’Allenstein engendrent un mouvement de panique au sein de la population prussienne et des communautés germano- polonaises qui fuient vers l’ouest de la Prusse orientale afin d’y chercher refuge. Réagissant à ces événements, les politiciens régionaux et fédéraux entament une série de discours et d’interventions au sein du Landstag prussien et du Reichstag mettant de l’avant l’idée que l’Allemagne est en État de siège. Or, ce « cercle d’acier147

» entourant les Empires centraux devient par la même occasion le point de ralliement de la nation allemande et légitime l’idée d’une guerre défensive auprès de l’opinion publique allemande.

L’état de guerre existant avec la coalition franco-russe à toutefois pour conséquences de pousser les diverses formations politiques allemandes à légitimer leur soutien à la guerre et de débuter une réflexion sur l’avenir de l’Europe. Cette réflexion, favorisée par l’idée répandue que la guerre sera courte et similaire aux conflits européens des décennies précédentes, est un exercice complexe pour le mouvement social-démocrate allemand qui jongle avec les idées d’une guerre strictement défensive et celle d’une lutte de libération nationale contre le tsarisme. Rejetant le concept de guerre offensive, ils s’accrochent dans un premier temps à l’idée, récurrente au cours des années à venir, de la défense de l’intégrité du territoire national allemand. Cependant, se sentant dans l’obligation de légitimer son appui aux mesures de guerre adoptées par le Reichstag, le mouvement social-démocrate affirme dans l’article « Die nationale Frage im Weltkrieg » paru dans le Vorwärts que malgré les réticences idéologiques

145 « 3. Die Friedensarbeit der Fraktion », 1917, p. 74, Protokoll über die Verhandlungen des Parteitages der

Sozialdemokratischen Partei Deutschlands; Abgehalten in Würzburg vom 14. bis 20. Oktober 1917, Berlin,

Paul Singer, G. m. b. H., 1917, 321 pages

146 Dr. Haase, Verhandlungen des Deutsch Reichstag, Deutsch Reichstag, 6 avril 1916, p. 890 147 Alexander Watson, Op. Cit, 788 pages

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des sociaux-démocrates à soutenir cette guerre, « chaque nation défend ses terres et sa partie, sur laquelle […] est enracinée sa culture148. » En ce sens, la défense du territoire du Reich, en particulier là où une forte densité de population appartenant à des minorités nationales se trouve (Ex. Alsace-Lorraine et l’Est du Royaume de Prusse) devient rapidement un enjeu problématique. En effet,

« C’était un phénomène de politique étrangère et une solution embarrassante liée à la guerre que tous les décideurs politiques et tous les observateurs politiques craignaient ou était convaincu que, en raison de leurs ramifications ethniques, elles compromettaient grandement l’intégrité territoriale de la Prusse et de l’Empire149

. » L’invasion des territoires orientaux de l’Allemagne par deux armées russes à la fin de l’été 1914 légitime l’idée que le conflit en est un défensif. De plus, l’importante présence de communautés germano-polonaises sur les territoires visés influence les enjeux nationaux relatifs aux minorités nationales est-européens. En effet, la réaction des sociaux-démocrates aux offensives russes se répercute dans un discours reflétant une haine ouverte envers ce que symbolise le tsarisme russe et une série d’appels aux Polonais de l’Empire afin de repousser l’ennemi russe. Suivant cette logique, la presse sociale-démocrate commence à promouvoir l’idée d’une lutte de libération nationale polonaise. Ironiquement, l’article « Die nationale Frage im Weltkrieg » promouvant la défense du territoire national allemand met aussi en relief l’importance de la Question polonaise en Allemagne. En effet, puisque toute nation doit défendre les terres où est enracinée sa culture, la social-démocratie allemande doit donc s'interroger sur la marche à suivre afin de lutter à la fois pour la libération du peuple polonais soumis à la couronne impériale russe en plus des règlementations restrictives imposés aux communautés germano-polonaises. En ce sens, le paradoxe polonais auquel est confronté les sociaux-démocrates au début du conflit est donc de justifier l’amélioration des conditions sociopolitiques germano-polonaises, tout en utilisant cet argument afin de légitimer une intervention contre la Russie tsariste.

Répondant à l’exhortation de Wolfgang Heine dans le Vorwärts, ses collègues répliquent dans le Hamburguer Echo en mettant en lumière le changement de philosophie de la

148 Der Gisenbahner, « Die nationale Frage im Weltkrieg », Vorwärts, Nr. 325, 28 novembre 1914, p. 2 149 Hans-Erich Volkman, Op. cit., p. 428

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social-démocratie allemande par rapport à la guerre. En effet, pour ceux-ci, l’approche défensive du discours social-démocrate envers le conflit devient rapidement un appel aux armes contre ce qu’ils caractérisent comme le « despotisme asiatique150

» qu’est le tsarisme. Décrit par ces mêmes collègues comme « un vieil homme de l’histoire du monde », ils semblent persuadés qu’il est du devoir de l’Allemagne de précipiter le « Jugement final » et de « vaincre et subjuguer le barbarisme de l’Empire russe151. » Abandonnant donc officiellement la rhétorique liée au concept de guerre défensive, les combats contre la Russie prennent davantage les allures d’une croisade afin d’abattre le tsarisme et, par la même occasion, libérer les peuples qu’il opprime.

Cette vision du rôle de l’Allemagne, développée puis entretenue en partie par les sociaux-démocrates, tend à présenter l’État allemand comme une puissance libératrice de la nation polonaise. Ce symbolisme particulièrement important au sein du mouvement permet d’offrir à l’Empire une aura qui permet, à terme, un rapprochement favorable entre le Reich et la nation polonaise. Le désir de cultiver une image méliorative de l’État allemand, mais plus précisément du Royaume de Prusse, est d’autant plus important pour le mouvement social- démocrate puisqu’il est conscient qu’il est « indispensable pour l’Allemagne de réussir à se réconcilier avec les Polonais […] Nous avons besoin de nouveaux amis, un tel soutien de masse donnerait confiance à tous les peuples opprimés de Russie et saperait le pouvoir du Tsar.152 » Toutefois, les socialistes allemands croient que pour réussir à présenter l’Allemagne comme un allié luttant pour les intérêts de la nation polonaise, il faut s’attaquer d’abord et avant tout à l’attitude conciliante qu’a eue le gouvernement impérial allemand par le passé vis-à-vis de la monarchie russe153. Il est donc essentiel de concevoir les décisions et actions militantes du SPD envers le sort des Polonais de l’Empire allemand entre 1914 et 1916 comme étant basées autour du concept, encore embryonnaire, de « principe d’autodétermination des peuples154 » inhérent à la lutte contre la doctrine politique du tsarisme. Bien que ce principe de relations internationales aille de pair avec l’idée promue au sein de la social-démocratie allemande, qui est nécessairement d’améliorer la situation sociopolitique des minorités nationales au sein de

150 Wolfgang Heine, « Gegen den Zarismus », Vorwärts, Nr. 106, 18 avril 1915, p. 5 151 Ibid.

152 Georg Ledebour, « Reichstag: 8. Sitzung vom Sonnabend, den 20. März, vormittags 10 Uhr », Vorwärts, Nr. 80, 21 Mars 1915, p. 9

153 « Abrechnung mit Russland », Vorwärts, Nr. 232, 26 août 1914, p. 1 154 Carl E. Schorske, Op. cit., 374 pages

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l’État impérial allemand, il n’en demeure pas moins qu’un paradoxe important s’implante dès le début de la guerre au sein de la rhétorique sociale-démocrate. Dès 1914, il existe déjà une différenciation importante entre la nation polonaise soumise aux autorités russes et celles étant membres de la nation allemande. En effet, les communautés russo-polonaises étant la nation polonaise opprimée par l’impérialisme russe, tandis que les communautés germano-polonaises regroupent avant tout des citoyens allemands avant d’être des Polonais. Cette importante distinction a pour conséquence d’influencer la perception qu’a le mouvement social-démocrate entre la situation polonaise allemande et celle de Russie. Bien qu’il y ait la reconnaissance que les citoyens polonophones de l’Allemagne sont une minorité nationale polonaise par la social- démocratie, l’appartenance de ceux-ci à la nation allemande n’est pas remise en doute, ce qui n’est évidemment pas le cas avec les Polonais de Russie.

La lutte contre la Russie prend donc la forme d’une lutte pour la libération de la nation polonaise et pour assurer la protection de la civilisation européenne « menacé[e] par une victoire du despotisme russe155. » Après tout comme le rappel Eduard Berstein (SPD), le conflit contre l’Empire russe prend toutes les allures d’une lutte contre le « péril mongol156

» qui menace l’Allemagne, mais aussi la civilisation. Reprenant l’imaginaire de la lutte contre les Tatars, les sociaux-démocrates apprécient l’idée que les Polonais de Russie se battent contre l’Allemagne uniquement puisqu’ils y sont contraints par les « cosaques » russes. En effet, plusieurs prisonniers polonais affirment que les troupes russo-polonaises sont contraintes à se battre par les cosaques qui les « poussent les régiments polonais à avancer en les fouettant sauvagement157. » En ce sens, les répercussions de l’appel aux armes des sociaux-démocrates ne sont pas sans réponse des communautés germano-polonaises. En effet, des instances sociales traditionnellement proches de ces communautés appellent leurs membres à combattre la menace historique que représente la Russie tsariste. L’Évêque Lukoswki appelle ses ouailles à soutenir la lutte de l’armée allemande contre le tsarisme. Cet appel n’est cependant pas dénué d’intérêt. Lukoswki assure ses ouailles que selon lui « la libération de la Pologne n’est certainement pas une perspective inintéressante pour le gouvernement prussien158». Il affirme, conjointement à la rhétorique sociale-démocrate, que dans le contexte d’un conflit contre la

155 Wolgang Heine, Op. cit., p. 5

156 Georges Haupt & Madeleine Rebérioux, Op. cit., p. 97

157 « Vom östlichen Kriegsschauplatz. XII », Vorwärts, Nr. 244, 7 septembre 1914, p. 2 158 Évêque Lukoswski, « Die Polenfrage », Vorwärts, Nr. 220, 14 août 1914, p. 5

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Russie, la participation de la nation polonaise au côté de la nation allemande offre l’occasion aux citoyens polonais de Prusse de combattre pour la libération de leurs confrères soumis au régime russe et plus important, « l’assurance que les lois prussiennes de Pologne seraient révisées159. »

Réaction et contre-réaction : Une loyauté à acheter?

Il est important de comprendre que l’exercice de légitimation du conflit contre l’Empire russe entreprit par le mouvement social-démocrate allemand en 1914 ne découle pas d’une haine profonde de l’« Autre », de l’étranger ou contre le peuple russe lui-même, mais plutôt de ce que la monarchie russe représente en Europe et pour la nation polonaise dans son ensemble, c’est-à-dire un type d’archaïsme politique, une résistance face au progressisme de l’Europe et de l’autodétermination des peuples. En ce sens, l’imminence de la guerre contre la Russie est perçue comme la réalisation d’une demande traditionnelle de la social-démocratie. Cette guerre contre la « perfidie du tsarisme » est même accueillie avec un certain enthousiasme au sein du mouvement social-démocrate allemand comme le révèle l’article « Der Kampf gegen den Zarismus » paru dans le Vorwärts au début du conflit160 .

Pour cette raison, certains membres du SPD vont s’attarder à représenter scrupuleusement l’État russe comme un État asiatique, voire non civilisé. À ce niveau, il est important de mentionner que dans l’imaginaire centre-européen, le « cosaque », homme violent et barbare, se rapprochant des Mongols d’autrefois, comme le fait si bien remarquer Eduard Bernstein161, soulève des émotions allant de la haine à la terreur. Dans cette optique, la mobilisation totale des forces russes à l’aube de la guerre soulève les passions des masses en Allemagne. Pour reprendre les mots de William Maehl, « les masses étaient hypnotisées par la menace russe162. » Ce sentiment relayé au sein du SPD, comme le révèle un document datant de 1920, joue un rôle particulièrement important dans la mise en place des objectifs de guerre à

159 Ibid., p. 5

160 « Der kampf gegen den Zarismus », Vorwärts, Nr. 209, 3 août 1914, p.1 161 Georges Haupt & Madeleine Rebérioux, Op. cit., p. 97

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l’Est pour la social-démocratie allemande163

. Ainsi, pour un nombre important de sociaux- démocrates, la responsabilité de cette guerre, en 1914, n’est pas allemande, ni austro-hongroise,

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