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La chimère polonaise : la social-démocratie allemande et la Question polonaise au cours de la Première Guerre mondiale

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Texte intégral

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© Pier-Alexandre Doré, 2020

La chimère polonaise: La social-démocratie allemande

et la Question polonaise au cours de la Première

Guerre mondiale

Mémoire

Pier-Alexandre Doré

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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La chimère polonaise : La social-démocratie allemande et la Question polonaise au cours de la Première Guerre mondiale

Mémoire

Pier-Alexandre Doré

Sous la direction de :

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ii Résumé

Héritée du XIXe siècle, la Question polonaise est l’un des enjeux majeurs des politiques intérieures de l’Empire allemand au tournant du siècle. Loin de s’avouer vaincue, la minorité nationale polonaise, marginalisée et ciblée par des politiques d’assimilation demeure un objet d’inquiétude qui s’amplifie avec la Première Guerre mondiale. Au milieu des tensions entre l’État allemand et ses citoyens polonais, le mouvement social-démocrate allemand intègre peu à peu les débats sociopolitiques concernant les problématiques polonaises de la Prusse-Orientale. Confrontés à des environnements politiques intérieurs et étrangers dépendant des affres de la guerre, les sociaux-démocrates peinent à imposer leurs visions sur l’avenir des communautés germano-polonaises. Les interventions étrangères répétées, l’implosion du mouvement social-démocrate, la Paix de Brest-Litovsk, les défaites militaires et les révolutions allemande et polonaises marquent finalement l’échec du programme polonais social-démocrate. À de nombreux égards, la Première Guerre mondiale et la gestion de la minorité nationale polonaise d’Allemagne souhaitée par les sociaux-démocrates marquent la fin d’un chapitre pour les relations polono-germaniques. À la conclusion du conflit, la défaite allemande et le nouveau gouvernement social-démocrate mettent la table vers des années de compétitions polono-germaniques qui s’observent par les nombreux conflits marquant les années de l’Entre-Deux-Guerres.

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iii Abstract

Inherited from the 19th century, the Polish Question was one of the major challenges of the internal policies of the German Empire at the turn of the century. Far from admitting defeat, the Polish national minority, marginalized and targeted by assimilation policies, remains an object of concern which increases with the First World War. Amidst tensions between the German state and its Polish citizens, the German social democratic movement is gradually integrating socio-political debates concerning the Polish problems of East Prussia. Faced with domestic and foreign political environments dependent on the throes of war, the Social Democrats are struggling to impose their visions on the future of German-Polish communities. Repeated foreign interventions, the implosion of the social democratic movement, the Peace of Brest-Litovsk, military defeats and the German and Polish revolutions ultimately mark the failure of the German social democracy’s polish program. In many ways, the First World War and the management of the Polish national minority in Germany desired by the Social Democrats marked the end of a chapter for Polish-German relations. At the end of the conflict, the German defeat and the new social-democratic government set the stage for years of Polish-German competition, which can be seen in the numerous conflicts marking the years of the Interwar period.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... II ABSTRACT ... III REMERCIEMENTS ... VI INTRODUCTION ... 1 PROBLÉMATIQUE ... 5 JUSTIFICATION HISTORIOGRAPHIQUE ... 6

1. QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES ALLEMANDES ... 7

1.1. QUESTION NATIONALE EN ALLEMAGNE ... 7

1.2. CONSTRUCTION ET COEXISTENCE DES IDENTITÉS NATIONALES ALLEMANDE ET POLONAISE ... 7

1.1. PARLEMENTARISATION ... 9

1.1.1. Pratique de la politique ... 10

1.1.2. Périodisation « 1914 » ... 11

2. PARCOURS DES SOCIAUX-DÉMOCRATES PENDANT LA GUERRE ... 11

1.2.1. Buts de guerre ... 14

1.2.2. Tensions SPD-USPD ... 15

1.2.3. Abandon de l’orthodoxie marxiste et conflits ... 16

1.2.4. Critique des radicaux et impérialisme social ... 17

1.2.5. Paradoxe et buts de guerre ... 19

1.2.6. Réponse aux critiques des radicaux ... 20

1.2.7. Conclusion ... 22

MÉTHODOLOGIE & CORPUS DE SOURCES ... 23

UNE QUESTION AUX MULTIPLES FACETTES ... 28

CHAPITRE 1 : VERS UN NOUVEAU DOPPELADLER? ... 31

LES POLONAIS D’ALLEMAGNE ET LA STABILITÉ ALLEMANDE... 31

ASSIMILATION ET CONTRE-ASSIMILATION :LE GOUVERNEMENT IMPÉRIAL ET LA MINORITÉ NATIONALE POLONAISE ... 32

LES POLONAIS D’ALLEMAGNE ET LES SOCIAUX-DÉMOCRATES :UNE COOPÉRATION GRANDISSANTE OU OPPORTUNISTE? ... 33

POLONISATION ET RÉVISIONNISME... 37

CHAPITRE 2 : POUVOIR ET CONTRE-POUVOIR : LA « CROISADE POLONAISE » ... 44

LÉGITIMER LA DÉFENSE NATIONALE PAR LA DÉFAITE DU TSARISME... 45

RÉACTION ET CONTRE-RÉACTION :UNE LOYAUTÉ À ACHETER? ... 51

MANIFESTE AU PEUPLE POLONAIS ... 53

OCCUPATION DE LA GALICIE :PREUVES DE LA MAUVAISE FOI DES RUSSES... 56

LE FRONT INTÉRIEUR POLONAIS DANS L’EMPIRE ... 62

SOLUTION RUSSO-POLONAISE ET LA RÉPONSE SOCIALE-DÉMOCRATE ... 64

DU SIÈGE À L’OCCUPATION ... 75

CHAPITRE 3: « ES LEBE EIN FREIES UND UNABHÄNGIGES POLEN! » ... 80

PROCLAMATION DES DEUX EMPEREURS;L’ACTE DU 5 NOVEMBRE 1916 ... 82

RÉSOLUTION DE PAIX DU REICHSTAG JUILLET 1917 ... 89

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CHAPITRE 4 : LE DÉLUGE ... 98

BREST-LITOVSK ET LES KRIEGSZIELSFRÄGEN ... 101

OPPOSITION MSPD ET USPD :LES TERRITOIRES POLONAIS DE L’EMPIRE ET LE SCHISME DE 1917 ... 104

BREST-LITOVSK :TOURNANT DU PROJET POLONAIS DES SOCIAUX-DÉMOCRATES ALLEMANDS ... 105

OSTMARKEN/BORDERLAND ... 108

LA POLOGNE « IMPÉRIALE » ET LA QUESTION POLONAISE ALLEMANDE ... 111

LA POLOGNE COMME PROJET COLONIAL ALLEMAND ... 113

POLITIQUE ET PARTITION :VERS UNE NOUVELLE PARTITION POLONAISE? ... 117

SIGNATURE DE BREST-LITOVSK :14 POINTS DE WILSON ... 120

LE DIVORCE DE BREST-LITOVSK... 122

Révoltes polonaises de 1918 ... 124

LA « BALKANISATION » DE L’EST EUROPÉEN :LA POLOGNE AU CENTRE DU PROBLÈME ... 127

CONCLUSION ... 129 BIBLIOGRAPHIE : ... 134 ARTICLES ... 134 MONOGRAPHIES ... 136 COLLECTIF ... 138 ARCHIVES ... 139

Verhandlungen des deutsche Reichstags ... 139

Journaux ... 141

Conférence de Stockholm ... 143

SPD/MSPD ... 143

AUSWÄRTIGES AMT ARCHIV ... 144

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Remerciements

Le parcours qui a mené à la complétion de ce mémoire en est un semé d’embûches. Cependant, j’ai eu l’avantage de bénéficier du soutien de nombreuses personnes qui ont eu la volonté de croire en mon projet, mes habiletés et, surtout, ont eu la volonté de me soutenir dans mes démarches qu’elles soient locales ou internationales. Par conséquent, je commence cette courte section en remerciant mon directeur de recherche, Talbot Charles Imlay, qui a eu la bonté de me guider et m’appuyer au cours de la totalité de ma maîtrise en histoire. Sans ses bons conseils et son appui indéfectible, je n’aurais jamais pu arriver à compléter cet épisode de mon parcours étudiant. Dans un deuxième temps, je tiens à remercier ma famille, particulièrement mon père et ma mère qui, malgré des doutes initiaux, m’ont encouragé dans mes démarches. Dans un troisième temps, ma conjointe qui, au cours des dix dernières années, m’a appuyé dans tous les aspects de la réalisation de mes recherches. Dans un quatrième temps, merci à tous mes professeurs, collègues et amis, ainsi qu’à ceux avec qui j’ai eu la chance de travailler au cours des dernières années et qui ont marqué mon cheminement d’une façon ou d’une autre. En conclusion, j’aimerais souligner trois mentions particulières. Premièrement, Jean-Marie Giroux qui m’a encouragé à « prendre des notes » afin de ne rien oublier. Deuxièmement, à la professeure France Lafleur qui m’a assisté dans la dernière étape de ma rédaction par ses conseils avisés. Finalement, un « merci beaucoup » à M. Claude Bourret qui a pris le temps de procéder à la révision linguistique de ce mémoire.

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1 Introduction

La Première Guerre mondiale est le dernier acte d’une époque révolue pour la Question polonaise. À la conclusion de la guerre, la Pologne est ressuscitée sous les auspices d’un démantèlement partiel ou complet des empires vaincus. Cette réémergence polonaise ne se fait toutefois pas sans heurts. En effet, tout au long du conflit les politiques nationales de chacun des belligérants concernés ont affecté indirectement le destin de la nation polonaise, comme c’est le cas pour la France et la Grande-Bretagne, ou directement, notamment l’Empire allemand1 qui compte à la fois une minorité nationale polonaise en son sein et côtoie les territoires du Royaume du Congrès sous le joug russe.

Conjointement à l’émergence de l’État polonais et derrière « l’orage d’acier2 » qu’est la Grande Guerre, la tourmente des révolutions sociopolitiques qui la caractérise, la Question polonaise s’inscrit dans une dynamique de changements sociopolitiques qui secouent les empires d’Europe centrale et orientale. L’avenir des Polonais et, particulièrement, des Polonais d’Allemagne soulève la curiosité et l’intérêt chez de nombreux protagonistes politiques au sein du Second Empire allemand. Cette minorité nationale, bien que bénéficiant d’une plus grande liberté politique qu’ailleurs, demeure mal comprise et opprimée par les instances de l’Empire. Or, du fait de son importance pour les régions orientales de l’État allemand, toutes prussiennes, les atmosphères politiques impériale et prussienne, deviennent garantes des décisions politiques affectant ces communautés nationales. Tandis que les autorités allemande et prussienne choisissent de les marginaliser, d’autres mouvements politiques décident de soulever les enjeux régionaux propres aux communautés germano-polonaises et d’en faire des enjeux nationaux. C’est dans cette optique que les sociaux-démocrates s’intéressent à la Question polonaise en Allemagne dès le tournant du XXe siècle. Dépassant le cadre traditionnel de la résurrection d’une Pologne indépendante, les sociaux-démocrates allemands voient dans la situation des citoyens polonais d’Allemagne, des enjeux sociétaux et politiques (Ex. question linguistique, religieuse, représentation démocratique, accès à la propriété, reconnaissance d’un particularisme nationale, etc.) qui sont influencés par les événements propres au destin des Polonais d’Allemagne au cours des combats de 1914 à 1918.

1 Il est important de noter qu’au cours de cette étude nous ferons références à l’Empire allemand sous diverses dénominations, notamment Reich, Allemagne, Kaiserreich dans une optique d’éviter la redondance des termes.

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Profitant de leur statut de parti le plus représenté au sein de la diète impériale3 (Reichstag) et de leur influence auprès des classes moyenne et ouvrière,4 où les communautés germano-polonaises sont les plus représentées, les sociaux-démocrates ont fait de la Question polonaise un aspect central des politiques orientales de l’État allemand au cours des hostilités. En fait, pour beaucoup de sociaux-démocrates l’avenir de la nation polonaise est

« probablement la question la plus importante […] en raison de la grande importance qu’avait le destin ultime de la Pologne sur les politiques de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie […], et donc pour l’avenir des politiques intérieures des deux empires [Empire allemand et Empire d’Autriche-Hongrie]5. »

L’importance de la Question polonaise au cours de la Grande Guerre pour le Parti social-démocrate allemand (Sozialdemokratische Partei Deutschlands - SPD) repose donc sur deux éléments :

1 : L’importance des enjeux germano-polonais propres à l’Est allemand.

2 : Les impacts de l’évolution des politiques du mouvement social-démocrate au cours de la Grande Guerre sur le statut de la Question polonaise et les enjeux internationaux. Pour un État se voulant une « fédération des Allemands6 », le particularisme polonais des provinces frontalières prussiennes joue un rôle prépondérant dans la construction du programme politique proposé par le Parti social-démocrate d’Allemagne concernant l’est de l’Europe au cours de la Première Guerre mondiale7

. La présence de communautés polonaises

3 Deutscher Bundestag, « Wahlen im Kaiserreich 1871-1918 », Historische Ausstellung des Deutschen

Bundestages, Verwaltung des Deutschen Bundestages, Fachbereich WD1, Mai 2006, bundestag.de, consulté

le 2017-06-08 & Table 1- Election results in Imperial Germany, Gerhard Besier, « The history of party development in Germany 1848 – the present. From ideological communities to post-modern associations »

Kirchliche Zeitgeschichte, Vol. 23, No. 2, Zwischen Aufbruch und Anpassang – Kirchenreform im 20.

Jahrhundert/ Departures and Adaptions – Church Reform in the 20. Century (2010), p. 526 4 Ibid., p. 528-530

5 Vorwärts, « Die polnische Frage, Vorwärts », Nr. 223, 15 août 1916, Nr. 223, p. 1

6 GHDI, Constitution of the German Empire (April 16, 1871), Volume 4. Forging an Empire : Bismarckian Germany, 1866-1890, P. 2, récupéré de http://ghdi.ghi-dc.org/sub_document.cfm?document_id=1826, Consulté le 16-01-2020

7 Elke Hauschildt & Brian D. Urquhart, « Polish Migrant Culture in Imperial Germany », New German

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aux frontières orientales de l’Empire est l’un des facteurs qui, pour ceux-ci, ne doit pas être sous-estimé, surtout en période de guerre avec l’Empire russe. Par conséquent, tout au long du conflit, les sociaux-démocrates considèrent que les discussions menant à la création d’un État polonais ne peuvent être faites sans tenir compte des répercussions que la « Polnische Lösung » (Solution polonaise) peut avoir sur la minorité nationale polonaise dans l’Empire étant donné les conséquences qu’une telle solution implique pour les politiques intérieures et sur la construction sociopolitique de l’État allemand.

Parallèlement à la relation entre les enjeux propres à la Question polonaise et le mouvement social-démocrate en Allemagne, il apparaît que l’importance des relations entre le régime des Hohenzollern, les sociaux-démocrates et la minorité nationale polonaise ne peut être ignorée afin d’en comprendre les enjeux régionaux, nationaux et internationaux. Les gouvernements impérial et prussien sont deux institutions influençant le mécontentement du SPD et des communautés polonaises de l’est de la Prusse. Ils sont donc des facteurs d’unité entre les deux entités pendant la guerre. Il ne faut pas omettre que le régime impérial allemand n’est pas une démocratie à proprement parler, malgré le droit de vote universel – masculin -, puisque le gouvernement n’est redevable qu’à l’Empereur. Par conséquent, les relations entre le mouvement social-démocrate, qui souhaite implanter un régime pleinement démocratique en Allemagne, et le régime sont ponctuées d’affrontements sociopolitiques qui se répercutent inlassablement sur les enjeux polonais de l’Empire. La guerre prouve toutefois que les sociaux-démocrates sont eux-mêmes divisés sur la démarche à suivre afin d’implanter cette démocratisation de l’État allemand. Cette situation a d’importantes répercussions sur les démarches des sociaux-démocrates cherchant à améliorer le sort de la minorité nationale polonaise. En effet, non seulement la dualité présente au sein du mouvement social-démocrate affecte les relations avec les représentants des communautés polonaises, mais elle permet au gouvernement militaire d’aller de l’avant avec des mesures polonophobes similaires à celles ayant été imposées au tournant du siècle.

Pour les sociaux-démocrates, les difficultés associées à la résolution de la Question polonaise, entre 1914-1918, sont symptomatiques de la relation contradictoire entre les ambitions extraterritoriales et intestines de l’Allemagne. À de nombreux égards, il nous

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apparaît que l’avenir de la Pologne et la participation du mouvement social-démocrate dans l’élaboration d’un programme politique est-européen pour l’Empire est à la croisée des chemins au cours des hostilités. Bien que le SPD soit l’un des seuls protagonistes politiques d’importance à s’intéresser au sort des Polonais en 1914, dès 1915 les acteurs politiques se multiplient et les luttes d’influence sur les programmes gouvernementaux concernant les communautés germano-polonaises de l’Empire se font plus rudes. Ces confrontations entre les solutions polonaises (Polnische Lösungen) contribuent à la création du Regentschaftskönigreich Polen8 en 1916, soit un État polonais satellite de l’Empire allemand. La « Pologne impériale » n’est évidemment pas celle souhaitée par les sociaux-démocrates pour trois raisons. Premièrement, elle est politiquement soumise aux empires centraux. Deuxièmement, elle exclut l’idée de réformer les restrictions imposées aux communautés germano-polonaises pendant la guerre au sein de l’État prussien. Finalement, la sécurité des frontières du nouvel État n’est pas certaine jusqu’à ce que les modalités de celles-ci soient « déterminées par les conventions militaires à la conclusion du conflit9. » En soi, pour que les sociaux-démocrates voient leurs projets d’État polonais et de réformes réussir, il faudrait une « Pologne de Westphalie », c’est-à-dire une Pologne née d’un compromis entre les États belligérants où les Polonais de Russie, d’Autriche-Hongrie et d’Allemagne pourraient bénéficier d’une grande autonomie, voire d’une indépendance complète pour certains. Or, dans le contexte politique de la Grande Guerre, cette solution n’est qu’une illusion. Ce n’est qu’en 1917 avec l’effondrement de l’Empire russe que le mouvement social-démocrate allemand peut en prendre pleinement conscience. Ainsi, malgré la renaissance d’un État polonais dans les décombres de l’Empire russe - qui représente en soi une victoire pour les sociaux-démocrates -, il leur est difficile de considérer celui-ci comme une construction politique définitive puisqu’elle ne répond pas aux enjeux polonais en Allemagne. Après tout, l’ensemble de la nation polonaise n’a pas pu choisir par elle-même si

8 Le Regentschaftskönigreich Polen aussi appelé le Royaume de Pologne est l’aboutissement des efforts conjugués des gouvernements allemand et austro-hongrois afin de respecter leur engagement pris lors de l’Acte du 5 novembre 1916. Cet État est soumis à la tutelle d’un conseil de régence qui doit administrer celui-ci jusqu’au couronnement d’un nouveau Roi de Pologne. Ce Royaume de Pologne est finalement dissous avec la défaite allemande en 1918. L’ouvrage de SHANAFELT, Gary W., The Secret Enemy : Austria-Hungary

and the German Alliance, 1914-1918, New York, Columbia University Press, 1985, 272 pages fait

directement référence à cet aspect de la Question polonaise et des relations germano-autrichiennes. 9 Scheidemann, « 28.9.1916: Fraktionssiztung: 417b Protokollbuch II », Gemeinsame Sitzung von

Reichstagsfraktion und Parteiausschuss/SPD Frationssiztung, Handschrift, Reimes 1916, p. 216 dans

DOWE, Dieter, Protokolle der Sitzungen des Parteiausschusses der SPD 1912 bis 1921, Berlin, Dietz, 1980, 1117 pages

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elle souhaite bénéficier « d’une pleine indépendance plutôt qu’être un membre autonome d’un État fédéral10. »

Le facteur nationaliste, qu’il soit germanique ou polonais, est donc central dans le cheminement des acteurs sociaux-démocrates. En ce sens, celui-ci s’observe au sein des diverses parties sociaux-démocrates qui naissent, évoluent, se confrontent et coopèrent tant bien que mal afin de solutionner la Question polonaise en Allemagne. Toutefois, l’enjeu de la Question polonaise demeure le même, peu importe l’approche du parti socialiste que nous allons étudier, c’est-à-dire la reconnaissance par les États allemand et prussien d’un statut sociopolitique confirmant les droits de la minorité nationale polonaise des régions orientales de l’Empire. Pour ces socialistes, l’accession à ce nouveau statut en Allemagne passe inlassablement par la création d’un État polonais en Europe de l’Est. La principale différence entre les parties, et nous croyons qu’il est important de le mentionner, réside dans le fait que les sociaux-démocrates de la majorité (MSPD), contrairement à leurs collègues de la gauche du mouvement, conçoivent et acceptent que la résurrection polonaise doive être bénéfique, d’une façon ou d’une autre, à l’Empire. Cette conception met en évidence un point central de la logique de la majorité des sociaux-démocrates qui a pour effet d’influencer leurs démarches polonaises pendant le conflit de façon que, dès 1916, ceux-ci considèrent que « l'indépendance de la Pologne ne p[eut] [se concrétiser] qu'au-delà de sa propre sphère d'intérêt11. » Il va sans dire que cette conception des relations germano-polonaises est l’un des enjeux qui contribuent à forger la confrontation entre le régime impérial, les socialistes et les communautés germano-polonaises au cours du conflit.

Problématique

À la lumière des efforts déployés par le mouvement social-démocrate allemand afin de solutionner la Question polonaise, il nous apparaît difficile de nier l’importance de celle-ci pour le SPD, mais aussi pour les enjeux propres à l’Allemagne entre 1914-1918. En effet, bien plus qu’une simple question territoriale, l’avenir de la nation polonaise représente aussi l’avenir des

10 USPD, « Erklärung der Delegation der USPD vor dem Holländisch-skandinavischen Komitee. o.D. (Juni 1917) », Holländisch-skandinavischen Komitees, Stockholm, 1917

11 Sebastian D. Schikl, Mannheimer historische Forschungen: Universalismus und Partikularism:

Erfahrungsraum, Erwartungshorizont und Territorialdebatten in der diskursiven Praxis der II. Internationale 1889-1917, St. Ingbert, Röhrig Universitätsverlag, 2012, p. 464

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communautés germano-polonaises au sein du Reich. Par conséquent, elle peut influencer la structure étatique de l’Empire, sans parler des conséquences socioculturelles que celle-ci aurait sur l’identité nationale allemande. En effet, ces communautés, autrefois oppressées par l’État, sont maintenant directement concernées par les objectifs de guerre allemands. En effet, un État polonais ressuscité, mais divisé, représente un potentiel facteur de tensions sociales dans l’est de l’Allemagne, surtout si la minorité nationale polonaise ne bénéficie pas d’une plus grande autonomie sociopolitique adaptée aux nouvelles réalités multinationales et démocratiques d’un Empire allemand renouvelé. C’est dans cette logique que les démarches des sociaux-démocrates allemands, de tous horizons, s’insèrent. Elles comprennent la reconnaissance du particularisme polonais des provinces orientales et, surtout, l’inclusion dans la société allemande des membres des communautés germano-polonaises en marge de l’émergence d’un État polonais.

Justification historiographique

La Question polonaise s’insère dans un cadre bien particulier de la Première Guerre mondiale. Loin de l’immobilisme des tranchées du front occidental, les opérations militaires allemandes victorieuses à l’est permettent de soulever des questionnements concrets quant à la finalité de la guerre. Ce faisant, plusieurs historiens se sont intéressés à ce que les instances gouvernementales et les mouvements politiques allemands envisagent pour l’avenir de l’Europe de l’Est entre 1900 et 1919. Dans le but de mettre en évidence les angles historiographiques qui sont mis de l’avant dans les prochaines pages, nous nous intéresserons dans un premier temps à l’approche favorisée afin de traiter de la situation sociopolitique de l’Empire allemand avant et pendant la Première Guerre mondiale ainsi que leurs liens avec la gestion des minorités nationales au sein de cet État. Dans un deuxième temps, nous allons nous attarder aux études ayant mis en évidence le parcours particulier du mouvement social-démocrate allemand au cours de la décennie incluant les événements de la Première Guerre mondiale (1914-1918).

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7 1. Questions constitutionnelles allemandes

1.1. Question nationale en Allemagne

L’Empire allemand à la veille de la Grande Guerre est soumis à de nombreuses mutations sociopolitiques, particulièrement en ce qui concerne la pratique de la politique au sein de ses institutions. En effet, depuis les élections de 1912, les sociaux-démocrates représentent le plus grand contingent de représentants au sein de la diète impériale (Reichstag). Ce faisant, leur présence correspond à un important jalon des événements se déroulant avant et pendant le conflit 1914-1918. Cette période coïncide avec ce que l’historien Mark Hewitson qualifie de véritable crise constitutionnelle sur la scène politique nationale de l’Empire allemand12. Soutenant cette idée de crise politique à la veille de la Grande Guerre, Sheri Berman explique que celle-ci découle du processus ayant mené à l’émergence de l’État allemand. En effet, selon Berman, l’unification allemande s’est effectuée, à l’instar de l’unification italienne, par une série de conflits ayant forcé un rapprochement entre les divers États allemands de la fin du XIXe siècle sans toutefois tenir compte des différences majeures qui existent entre ceux-ci. Par conséquent, il n’est pas surprenant de constater que de nombreux groupes se dressent en obstacles à la stabilité d’un État des Allemands unifié13

.

1.2. Construction et coexistence des identités nationales allemande et polonaise

C’est à ce niveau que nous croyons, à l’instar de Berman et Hewitson, que se situent les problèmes concernant la minorité polonaise, que les sociaux-démocrates allemands tentent de régler au cours du conflit. En effet, si nous nous référons à la constitution de l’Empire allemand qui affirme dans §3 que : « For the whole of Germany one common nationality exist with the effect that every person (subject, State citizen) belonging to any of the federated States is to be treated in every other of the federated States as a born native14 », il nous est possible d’affirmer que la fondation constitutionnelle de l’Empire repose sur une assimilation identitaire par

12 Mark Hewitson, « The Kaiserreich in Question: Constitutional Crisis in Germany before the First World War », The Journal of Modern History, Vol. 73, No.4 (December 2001), p. 725

13 Sheri E. Berman, « Modernization in Historical Perspective : The Case of Imperial Germany », World

Politics, Vol. 53, No.3 (Août 2001), p. 437; Dorota Praszalowicz, « Overseas Migration from Partitioned

Poland : Poznania and Eastern Galicia as Case Studies », Polish American Studies, Vol. 60, No.2 (Autumn, 2003), p. 64-72

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l’identité nationale prussienne15

. Par-là, nous entendons qu’elle ne reconnaît pas le particularisme national des membres constituant la fédération allemande et ses populations. Ce phénomène est d’autant plus important qu’il s’observe et s’inscrit dans les cas de la minorité nationale polonaise comme une réalité sociopolitique centenaire au déclenchement des hostilités16. Or, nous argumentons ici que l’unité nationale voulue par la constitution n’est atteinte qu’en partie. En effet, la diversité ethnique, culturelle, politique et historique de l’État allemand empêche tous les membres de la « nation allemande » de se considérer comme entièrement allemands. C’est entre autres le cas des communautés germano-polonaises qui défendent leur particularisme national avec vigueur. C’est dans cette optique que nous rejoignons la thèse d’une crise constitutionnelle en Allemagne à la veille de la guerre. Tous comme Berman, nous croyons que le processus d’unification allemand n’a pas su intégrer le particularisme national polonais, mais s’est plutôt d’abord construit en opposition à celui-ci, puis a tenté de l’instrumentaliser dans sa lutte contre l’adversaire russe. Ce phénomène a favorisé l'émergence d'un sentiment d’attachement de la minorité nationale polonaise à l’État historique polonais et à la confrontation avec les autorités gouvernementales17.

Ce principe de normalisation de l’identité nationale18

n’est toutefois pas une particularité de l’entité nationale allemande. Au contraire, elle prit place dans la majeure partie des nations européennes au cours du XIXe siècle. Cependant, la difficulté rencontrée par les gouvernements allemands, et par extension les sociaux-démocrates, au cours des tentatives de germanisation des citoyens de l’Empire découle entre autres de l’attachement de la minorité nationale polonaise à ce que nous considérons être le développement d’une narration reposant

15 Cornelia Wilhelm, « Diversity in Germany: A Historical Perspective », German Politics & Society, Vol. 31, No. 2 (107), Special Issue: The Fiftieth Anniversay of Migration from Turkey to Germany (Summer 2013), p. 13-29

16 William W. Hagen, « The Partitions of Poland and the Crisis of the Old Regime in Prusia 1772-1806 »,

Central European History, Vol. 9, No. 2 (Jun., 1976), p. 115-128 & Karl Krueger, « The Politics of Anxiety :

Prussian Protestants and Their Mazurian Parishioners », Church History, Vol. 73, No. 2 (Jun., 2004), p. 346-382; Richard Blanke, « The Development of Loyalism in Prussian Poland, 1886-1890 », The Slavonic and

East European Review, Vol. 52, No. 129 (Oct., 1974), p. 548-565; Lech Trzeciakowski, « The Prussian State

and the Catholic Church in Prussian Poland 1871-1914 », Slavic Review, Vol. 26, No. 4 (Dec., 1967), p. 618-637.

17 Sheri E. Berman, Op. cit., p. 437

18 Kevin Hannan, « Borders of Identity and Language in Silesia », The Polish Review, Vol. 51, No. 2 (2006), p. 131-145

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sur l’historicité nationale19. Dans l’ouvrage dirigé par Gilbert Krebs et Bernand Poloni, Volk, Reich, und Nation 1806-191820, Hans Delbrück, historien allemand contemporain des événements, se questionne sur l’importance de la présence d’éléments étrangers au sein de la construction nationale allemande en affirmant que celle-ci est :

« une tâche particulièrement difficile lorsque des éléments essentiels d’une nationalité étrangère sont inclus. Comment un État des Allemands, qui se construit entièrement sur la conscience vivante du peuple allemand, peut-il accepter le fait qu’il ne compte pas moins de 4 millions de Polonais, et en plus des Danois au Nord, des Français à l’Ouest, dans son Empire? Et dans son corps d’État21

? »

C’est dans ce cadre théorique que notre étude de la Question polonaise et de la social-démocratie allemande s’inscrit. En effet, nous affirmons que tout au long du conflit, les sociaux-démocrates n’arrivent pas réellement à proposer une solution définitive à la Question polonaise en Allemagne. Plus que cela, nous croyons que malgré les efforts déployés par les sociaux-démocrates afin de faire reconnaître le particularisme national polonais au sein de la société politique allemande, eux-mêmes savent que les communautés germano-polonaises ne sont que « Prussiens sur demandes22. » Cela se manifeste par le renforcement des mouvements sociopolitiques polonais de Prusse et d’Allemagne qui sont plus actifs à la veille des hostilités au point que les propos de ceux-ci trouvent écho dans des régions n’étant historiquement pas polonaises, mais abritant une importante proportion de membres de cette communauté nationale comme la Haute Silésie23.

1.1. Parlementarisation

Ajoutons à la problématique constitutionnelle affectant l’identité nationale au sein du Reich, la réalité de la pratique de la politique par les mouvements politiques. L’article §29 de la constitution spécifiant que « the members of the Reichstag are representatives of the entire

19 Thomas Serrier, « Historical Culture and Territoriality Social Appropriation in the German-Polish Border Region in the 19th and 20th Centuries », p. 201-216 dans LECHEVALIER, Arnaud & WIELGOHS, Jan,

Borders and Border Regions in Europe; Changes, Challenges and Chances, Bielefeld, 2013, 269 pages.

20 Hans Delbrück, « Das Reich und die Welt », P. 163-189, dans KREBS, Gilbert (dir.), POLONI, Bernard (Dir.), Volk, Reich, und Nation 1806-1918, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2018, 300 pages

21 Ibid., p. 163 22 Ibid., p. 163 23 Ibid., p. 163

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people and are not bound by orders and instructions24 » laisse supposer que chaque représentant est indépendant de ses décisions et actions puisqu’il représente le peuple allemand. Cela implique donc, en théorie, une indépendance de fait pour les représentants du peuple à la diète impériale. Cependant, la création de partis politiques (Fraktionen) s’observe rapidement au sein des différentes législatures impériales. Dans cette logique, les résultats de l’élection de 1912 présentent le SPD et le Zentrum comme des partis politiques. Ces parties « outsiders » ont la particularité d’être « modern and highly institutionalized, with impressive voter and membership bases25. » Cette seconde réalité a pour conséquence de polariser les enjeux à la veille de la décennie 1910. Par conséquent, la volonté des sociaux-démocrates de se présenter comme une seule voix sur des enjeux qui ont été décidés préalablement par le parti est un aspect important de notre recherche. Ce changement dans la façon de faire la politique transforme la pratique de celle-ci de sorte que les mouvements politiques actifs sont moins des groupes d’intérêts que des instances politiques travaillant de concert à l’atteinte d’objectifs précis.

1.1.1. Pratique de la politique

Cette pratique de la politique s’inscrit dans une dynamique de démocratisation de l’activité politique en Allemagne, mais plus spécifiquement dans une optique de diversifications des enjeux nationaux. Les enjeux se démocratisent, selon Hewitson via « an unprecedented expansion of the press, the modern organization of political parties, growing identification with a German nation-state, and an increase in the powers of the Reichstag and the Reich government26. » C’est dans cette optique que se développe l’intérêt grandissant de la masse allemande vis-à-vis du sort de la minorité nationale polonaise de l’Empire. Il devient, avec la guerre, impératif selon les sociaux-démocrates d’amener une solution politique définitive aux problématiques propres à la Question polonaise. Faisant référence aux positions du représentant social-démocrate Eduard Bernstein, Hetwitson présentent que le mouvement conçoit que la décentralisation de l’État allemand favorise le maintien de gouvernements

24 GHDI, Op. cit., p. 8, récupéré de http://ghdi.ghi-dc.org/sub_document.cfm?document_id=1826, 16-01-2020 25 Sheri E. Berman., Op. cit., p. 448

26 Mark Hewitson, « The Kaiserreich in Question: Constitutional Crisis in Germany before the First World War », The Journal of Modern History, Vol. 73, No.4 (December 2001), p. 726

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locaux s’autodéterminant dans un contexte impérial27. Cette idée d’une redistribution des prérogatives gouvernementales en Allemagne abordée par Bernstein va de pair avec la Question polonaise dans une optique où tout au long de la guerre, il est avant tout question de favoriser l’intégration de la minorité polonaise au sein de la société allemande plutôt que de la voir s’émanciper.

1.1.2. Périodisation « 1914 »

Dans cette logique, même si plusieurs études se concentrant sur l’histoire de l’Empire allemand semblent proposer la date de 1914 comme une fracture importante entre deux pans de l’histoire allemande, nous avançons plutôt que l’avènement de la Première Guerre mondiale n’est pas un événement provocant de changements drastiques. L’année 1914 fournit plutôt l’environnement qui permet à l’obsolescence constitutionnelle de l’Empire allemand de se manifester à la suite des sacrifices consentis. En ce sens, la Question polonaise s’inscrit dans la crise constitutionnelle du Reich et les hostilités débutant en 1914 sont à notre avis le carrefour qui mène et l’Allemagne impériale, et les sociaux-démocrates à confronter des réalités qu’ils ne sont pas aptes à confronter28.

2. Parcours des sociaux-démocrates pendant la guerre

La Première Guerre mondiale est une expérience traumatique pour les sociaux-démocrates allemands. Elle se traduit par la remise en cause de l’unité politique du mouvement et une redéfinition de sa conception des politiques intérieures et extérieures comme le montre le cas de la Question polonaise. En effet, comme nous l’avons présenté précédemment, d’un point de vue politique et historiographique, les problématiques concernant l’avenir de la minorité nationale polonaise propres au Reich sont des dangers continuels auxquels est confronté le système politique impérial puisqu’elles impliquent le destin des Polonais vivant en Prusse29

. En ce sens, tout comme l’avance William Lee Blackwood, nous croyons que les difficultés rencontrées par les sociaux-démocrates s’expliquent par l’incapacité de ceux-ci dès 1914 à

27 Ibid., p. 757

28 Sheri E. Berman, Op. cit., p. 454

29 Hans-Erich Volkmann, Die Polenpolitik des Kaiserreichs; Prolog zum Zeitalter der Weltkriege, Deuschtland, Ferdinand Schöningh, 2016, p. 376-277

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« reconcile theory with pratice » ce qui empêche les sociaux-démocrates de forger « a practical foreign policy tool out of internationalist […] in the face of nationalist antagonisms30. » Ceci a donc pour conséquence d’affecter directement l’important concept de « transnational class consciousness » propre aux sociaux-démocrates avant le conflit et de provoquer les dissensions caractéristiques des sociaux-démocrates allemands entre 1914-191831. Ainsi, contrairement à la structure présentée par Jürgen Kocka qui affirme que la construction sociale de l’Empire, selon les sociaux-démocrates, repose sur la relation entre les intérêts des industriels versus ceux du prolétariat au cours de la Grande Guerre32, il est préférable d’envisager la question sous un aspect national plus traditionnel afin de bien cerner les enjeux propres à la Question polonaise et les solutions envisagées par les sociaux-démocrates. En ce sens, nous rejoignons l’idée de Blackwood qui postule que dans le contexte d’exacerbation du sentiment national qu’est un conflit entre États-nations, la social-démocratie n’a pas réussi à se présenter comme un acteur en politique internationale aussi puissant que la doctrine du mouvement l’espérait33

. En effet, bien qu’ils espèrent apporter des changements globaux en lien avec les réformes nationales qu’ils souhaitaient implanter34

, les sociaux-démocrates ne réussissent pas à s’extraire complètement du contexte national dans lequel ils évoluent au cours de la guerre. Les politiques sociaux-démocrates concernant la minorité polonaise en Allemagne symbolisent en quelque sorte cet état de fait.

La question de la gestion des minorités nationales par les sociaux-démocrates, centrale à l’étude actuelle, repose donc sur l’idée que le particularisme national a définitivement remplacé le concept de lutte des classes au cours du conflit en ce qui concerne la résolution de la Question polonaise. Toutefois, cela n’exclut pas, comme le rappelle Yves Plasseraud, que l’approche des sociaux-démocrates soit « essentially instrumental35

» puisque les luttes nationales représentent un facteur contribuant à l’avènement d’une conscience de classe36

. Or, de notre point de vue, bien que nous n’adhérions pas à l’idée que le nationalisme sert à éveiller

30 William Lee Blackwood, Socialism, nationalism, and « the German question » from World War I to

Locarno and beyond, Dissertations and Theses, 1995, p. 4

31 Ibid., p. 4-5

32 Hans Mommsen, « Society and War: Two New Analyses of the First World War », The Journal of Modern

History, Vol. 47, No. 3 (Sept., 1975), p. 533

33 William Lee Blackwood, Op. cit., p. 5 34 Ibid., p. 1-2

35 Yves Plasseraud, « Choose Your Own Nationality », Le Monde Diplomatique, (May 2000), p. 2 36 Ibid., p. 2

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la conscience sociale, il nous apparaît que l’approche des nombreux sociaux-démocrates instrumentalise celui-ci entre 1912 et 1919 afin d’assurer des réformes domestiques. Par conséquent, les politiques intérieures et extérieures poursuivies par les sociaux-démocrates de tous horizons entre 1912-1919 résultent sur en une confrontation avec l’orthodoxie doctrinaire du mouvement et l’approche révisionniste d’Edouard Bernstein37

.

D’une grande importance pour la présente étude, nous croyons que le courant révisionniste influence le SPD vers l’adoption d’une approche nationale plutôt que sociétale concernant la gestion des communautés polonaises de l’Empire. Sans rejeter l’aspect globalisant du concept de lutte des classes, il faut davantage voir dans l’approche des révisionnistes concernant la minorité nationale polonaise comme une translation du centre d’intérêt de la lutte des classes vers une approche syncrétique mélangeant classes sociales et particularisme national de façon à transformer l’Empire allemand en un libérateur de la nation polonaise plutôt qu’un nouveau suzerain pour les Polonais38. Conséquemment, il est intéressant de s’attarder à l’ouvrage d’Immanuel Geiss. L’analyse de celui-ci, bien que très juste concernant les buts des mouvements politiques annexionnistes du Reich, ne prend pas en considération le manque de cohésion au sein des mouvements politiques allemands tel que David Stevenson le montre39. En effet, Stevenson affirme que les partis politiques de l’Empire

allemand sont des entités fracturées, plutôt qu’unifiées, qui maintiennent leur cohésion via des lignes directrices consensuelles qui résistent mal aux chocs des armes entre 1914-1918, comme c’est le cas pour le parti social-démocrate allemand40

. Conséquemment, il est difficile pour les mouvements politiques allemands d’édifier des programmes politiques et des objectifs stables pour la durée du conflit par manque de cohésion entre leurs membres41.

37 William Lee Blackwood, Op. cit., p. 15

38 Hans Mommsen, Arbeiterbewegung und Nationale Frage, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1979, p. 119

39 David Stevenson, Cataclysm: The First World War as a Political Tragedy, New York, Basic Books, 2004, 624 pages

40 Ibid., p. 105

41 William Maehl, « The Role of Russian in German Socialist Policy, 1914-1918 », International Review of

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14 1.2.1. Buts de guerre

Pour étudier les buts de guerre du SPD et du gouvernement allemand impliquant la Question polonaise, il nous apparaît nécessaire de voir que le chancelier Theobald von Bethmann Hollweg (1914-1917) a déterminé les objectifs de guerre de l’Empire selon ce que l’historien Hans-Erich Volkmann considère comme une « “policy of diagonal”, which balanced between a “Ludendorff-“ and a “Scheidemann-peace” in the East42

». Il existe donc une dynamique d’échange entre les différents extrêmes du spectre politique allemand qui force les mouvements politiques et groupes de pression à ouvrir un dialogue, parfois conflictuel, afin de solutionner le cas polonais et ses implications pour l’Allemagne. Ce faisant, contrairement à la vision présentée par Geiss, entre 1913 et 1918, le gouvernement et les partis politiques doivent composer avec des facteurs de divergence qui forcent ceux-ci à adapter constamment leurs positions quant à l’avenir de la Pologne43

. En ce sens, la difficulté de cette politique de la diagonale repose sur la volonté de la chancellerie impériale à maintenir un équilibre entre les programmes d’expansion à l’est d’acteurs politiques comme l’Oberste Heeresleitung (OHL) et ceux anti-impérialistes des sociaux-démocrates44. L’un des objectifs de cette politique étant finalement d’assurer minimalement le statu quo sociopolitique interne à l’Empire allemand après le conflit.

Il faut toutefois regarder la situation politique des sociaux-démocrates de façon pragmatique. Malgré l’imposante présence des représentants sociaux-démocrates au Reichstag, ceux-ci n’ont que peu de pouvoirs, particulièrement à partir de 1917. Cette situation crée un contexte où « when it came to international affairs the SPD knew the first lines of everything and the second of nothing45. » L’historien William Maehl met ce phénomène en évidence lorsqu’il traite du Traité de Brest-Litovsk en 1917/18. En effet, selon lui « l’inconstitutionnalité » des politiques du ministère des Affaires étrangères concernant la Pologne et l’est de l’Europe est mal perçue par Friedrich Ebert, chef du Parti social-démocrate allemand et le SPD qui qualifie le traité de « misfortune which it always will remain46 ». Cette critique ouverte vis-à-vis des actions gouvernementales allemandes montre que le SPD est,

42 Ibid., p. 382-383 43 Ibid., p. 388 44 Ibid., p. 406 45 Ibid., p. 179

46 Konrad H. Jarausch, « Cooperation or Intervention? Kurt Riezler and the Failure of German Ostpolitik, 1918 », Slavic Review, Vol. 31, No. 2 (Juin 1972), p. 395

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comme l’avance Konrad Jaraush, de 1916-1918, l’une des voix clamant pour des objectifs modérés pour l’est-européen et donc pour la Pologne. Il faut donc voir dans les sociaux-démocrates de cette période, avant tout comme une force politique qui réagit aux événements plutôt que les régir. De cette façon, il est possible de considérer les politiques polonaises des sociaux-démocrates de 1915 jusqu’à la proclamation du Royaume de Pologne le 5 novembre 1916, comme d’un outil pour faire avancer les intérêts nationaux Polono-Germaniques dans l’Est européen, mais, suivant cette date, ils paraissent être prisonniers de leurs politiques polonaises ce qui engendre des tensions au sein du mouvement et du gouvernement47.

1.2.2. Tensions SPD-USPD

Dans cette optique, nous nous rapprochons donc d’une tangente historiographique qui conçoit l’étude du traitement des groupes marginaux au sein de la société allemande par les sociaux-démocrates comme un important noyau du mouvement48. Cette étude de la Question polonaise du point de vue social-démocrate se veut donc une approche souhaitant s’intéresser à un groupe national, plutôt qu’un groupe social. En ce sens, l’expérience de la guerre par les sociaux-démocrates démontre l’inaptitude de ceux-ci à s’adapter rapidement à des changements sociopolitiques brusques affectant un composant sociopolitique de l’État allemand. Nous adhérons donc à l’idée que le SPD:

« regarded the domestic Polish question in much the same as the rest of society - with incomprehension; the Poles fractious as citizens as they were awkward as Socialists. The remedy was organizational absorption, which was merely a Socialist version of Germanization49. »

Cependant, nous poussons cette logique dans le cadre de la Première Guerre mondiale en affirmant que non seulement le SPD, mais les partis et mouvements successeurs (MSPD, USPD, Spartakusbund & KPD) n’arrivent pas à se défaire des aspects obsolètes de leurs doctrines respectives afin de résoudre efficacement les enjeux de la Question polonaise en Allemagne et en Europe orientale. En effet, le SPD puis le MSPD s’accrochent à l’idéal de

47 William Maehl, Op. cit., p. 189

48 Adelheid von Saldern, « Current Trends in Research on the German Workers’ Movement and Labor History », International Labor and Working-Class History, No. 45, Drinking and the Working Class (Spring, 1994), p. 129

49 Peter Nettl, « The German Social Democracy Party 1890-1914 as a Political Model », Past & Present, No. 30 (Avril 1965), p. 82

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l’unité de la nation allemande face à ses adversaires dans l’optique d’acquérir des réformes favorables aux communautés germano-polonaises favorisant l’émergence de la minorité nationale dans un cadre impérial50. De cette façon, les sociaux-démocrates majoritaires rejettent l’option d’un rattachement des régions polonaises du Reich à un nouvel État polonais indépendant, les plaçant dans la même mouvance idéologique que les théoriciens austromarxistes Otto Bauer et Karl Renner qui rejettent, comme l’affirme Plasseraud, les mouvements nationaux séparatistes allant à l’encontre de l’unité de la classe prolétarienne51

. Seulement, nous argumentons ici que, plus que d’aller à la défense de l’unité prolétarienne, les sociaux-démocrates majoritaires défendent plutôt l’unité nationale allemande en souhaitant l’élargir à l’identité polonaise des citoyens polonais d’Allemagne. Nous rejoignons donc en partie l’approche de Plasseraud qui affirme que les sociaux-démocrates ont instrumentalisé les « petites nations » polonaises et baltes dans la lutte contre les empires réactionnaires, principalement la Russie52. Toutefois, nous rejetons partiellement l’idée que cela soit fait au nom d’une quelconque solidarité de classe étant donné la nature nationale inhérente au conflit et à l’hétérogénéité sociétale des constituants de la minorité nationale polonaise de l’Empire.

1.2.3. Abandon de l’orthodoxie marxiste et conflits

L’approche des sociaux-démocrates concernant la Question polonaise permet de mettre en évidence la fracturation progressive de l’unité du mouvement socialiste allemand. Les divisions au sein de l’unité des sociaux-démocrates culminent en 1917 avec l’implosion du SPD. Les tensions, influencées en grande partie par l’approche révisionniste qui réconcilie davantage le mouvement avec l’idéal de l’État-nation, se caractérisent par un certain abandon des approches marxistes traditionnelles concernant le droit à l’autodétermination. Toutefois, il est important de préciser que les facteurs menant au schisme de 1917 sont en développement bien avant la guerre, comme le reflète l’élection du futur chef du USPD, Hugo Haase, au côté d’August Bebel dans la décennie le précédent53

. De notre point de vue, la problématique de cette rivalité doctrinaire entre les factions de gauche, minoritaire et radicale du SPD et la majorité du mouvement est qu’elle affecte directement les approches concernant les défis

50 Sheri E. Berman, Op. cit., p. 452 51 Yves Plasseraud, Op. cit, p. 2 52 Ibid., p. 2

53 Kenneth R. Calkins, « The Election of Hugo Haase to the Co-Chairmanship of SPD and the Crisis of Pre-War German Socialists », International Review of Social History, Vol. 13, Nr. 2 (Août 1968), p. 174-188

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sociopolitiques propres au socialisme et à la Question polonaise en Allemagne. Ceci est d’autant plus important que le réformisme de Bernstein devient le fondement des politiques intérieures du SPD54 et, par extension, de la conceptualisation d’une solution définitive pour la gestion de la minorité nationale polonaise55.

L’un des points de contentieux qui occupe une place centrale dans notre étude repose sur la compréhension et l’application du droit à l’autodétermination. En accord avec nos positions présentées plus haut, nous défendons l’idée que les sociaux-démocrates défendent l’intégrité territoriale de l’Empire malgré leur attachement au droit à l’autodétermination. Ce conflit idéologique au sein du mouvement social-démocrate en ce qui concerne l’avenir des communautés germano-polonaises fait preuve, comme le mentionne Hans Mommsen, d’une étonnante sentimentalité de la part des sociaux-démocrates concernant le concept de nationalisme. Plus précisément, il affirme que:

« With the increasing implementation of nationalist and imperialist aspirations in German domestic politics, which included parts of social democracy, especially the wing that was theoretically and politically related to Bernstein, the problem of a bilateral delimitation in a national relationship arose for Bernstein56. »

1.2.4. Critique des radicaux et impérialisme social

Les critiques de la gauche du SPD et de son mouvement successeur s’expliquent par ce que Jean-François Fayet considère être une « société socialiste alternative57 » et le romantisme révolutionnaire entretenu par la nation polonaise. En effet, il ne faut pas omettre que plusieurs révolutionnaires polonais, convaincus par le concept de révolution violente, ayant fui le Royaume du Congrès après l’échec de la Révolution de 1905 se joignent à la gauche radicale du SPD à la veille du conflit. Ceci favorise ce que Fayet nomme la « polonisation » des sociaux-démocrates radicaux, c’est-à-dire une sensibilisation, puis l’adoption de l’idéal révolutionnaire polonais par les armes contre un adversaire impérialiste58. Bien que l’identité révolutionnaire polonaise et des radicaux du mouvement social-démocrate les distinguent de la

54 Gerhard Besier, Op. cit., p. 528 55 William Lee Blackwood, Op. cit., p. 15 56 Hans Mommsen, Op. cit., p. 119

57 Jean-François Fayet, « 1905 de Varsovie à Berlin : La polonisation de la gauche radicale allemande »,

Cahiers du Monde russe, Vol. 48, No. 2/3; Les résonances de 1905 (Avril - Septembre., 2007), p. 414

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ligne de parti révisionniste officiel, celle-ci a toutefois le mérite de les unir dans leur volonté d’émancipation de la nation polonaise vis-à-vis de la monarchie russe.

À ce phénomène de « polonisation », il faut ajouter la remarque de David W. Morgan qui affirme qu’une part significative des membres et des dirigeants de seconde zone du SPD sont recrutés au sein d’une génération plus jeune susceptible au phénomène de radicalisation au cours de la guerre et qui ne se reconnaissent plus dans le « tried and true ideas and methods59 » traditionnel aux sociaux-démocrates allemands et dans le révisionnisme de Bernstein. Ainsi, pour eux, les positions conciliantes du SPD envers le gouvernement impérial et ses plans polonais sont attribuables à l’adhésion du parti au concept de « social imperialism » de Bismarck60 et non pas à une preuve de prudence ou de modération.

Il n’en demeure que pour ces radicaux, et malgré la décentralisation caractéristique des opposants du SPD pendant la guerre61, les politiques de guerre du SPD sont donc majoritairement perçues par ceux-ci comme un outil afin de détourner les tensions internes de l’Empire et les concentrer vers des objectifs extérieurs, comme ce semble être le cas avec la Pologne entre 1912-1919. Ainsi, comme l’avance Robert Wheeler, le USPD demeure fermement loyal aux valeurs de l’internationalisme et s’oppose activement aux objectifs impérialistes des États en guerre62. Cette position idéologique s’observe entre autres dans leur traitement de la Question polonaise pendant la Première Guerre mondiale via le militantisme de plusieurs de ses membres et la constance avec laquelle les radicaux s’opposent au Burgfrieden auquel la direction du SPD a adhéré en 1914. Ce rôle d’antagonisme vis-à-vis des instances décisionnelles impériales et de leurs collègues gagne en importance au cours des années de guerre. Il devient tellement présent dans le discours des radicaux que la rhétorique des

59 David W. Morgan, The Socialist Left and the German Revolution: A History of the German Independent

Social Democratic Party, 1917-1922, Ithaca N. Y., Cornell University Press, 1975, 499 pages

60 Hans-Ulrich Welher, Bismarck und der Imperialismus, Cologne, 1969, 115 pages

61 Robert Wheeler, USPD und internationale: Sozialistischer internationalismus in der Zeit der Revolution, Frankfurt, Ullstein, 1975, 384 pages

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opposants aux politiques des sociaux-démocrates majoritaires le qualifie de biais nationaliste nuisant à la gestion de la crise polonaise63.

1.2.5. Paradoxe et buts de guerre

Cette situation met en évidence la polarisation concernant les objectifs polonais sociaux-démocrates et le paradoxe d’une identité politique ayant du mal à s’adapter aux nouvelles réalités de la guerre. Cette contradiction identitaire des socialistes allemands joue donc un rôle central dans la présente étude dans l’optique où les sociaux-démocrates « deplored the militarism of German foreign policy but did not see that the state to which Socialists no less than Conservatives were deeply attached could not be defended with pacifist gesture64. » En ce sens, il nous semble être difficile d’accuser les sociaux-démocrates de faire preuve de « unsocilialist[s] preoccupation[s]65 » concernant la Pologne pendant la guerre. En effet, même si la majorité de ceux-ci s’éloignent de leurs positions de 1914 concernant le futur des communautés germano-polonaises au cours du conflit, il n’en demeure que malgré l’aspect paradoxal des positions social-démocrate en 1914, ils persistent à concevoir les événements de 1914-1918 comme une guerre défensive visant à abattre le tsarisme. En effet, le SPD développe au cours des quatre années de guerre un argumentaire offensif envers le tsarisme et la Russie qui est défendu par plusieurs députés, notamment Haenisch, Winning, Eduard David, Max Cohen et Carl Legien66. Suivant cette logique, Paul Sweet affirme que « the leaders of the right wing of the SPD […] clamored for the conquest of Russia, which to their mind was the carnel chamber of despotism and the incarnation of the reactionary principle in Europe67 ». Cette position belliqueuse est caractéristique de la rhétorique des sociaux-démocrates majoritaires vis-à-vis de l’Empire russe tout au long du conflit68. Cependant, ce discours russophobe ne se cantonne pas uniquement à une supposée aile de droite du mouvement dans l’optique où elle fait partie de la doctrine marxiste établie par Marx et Engel qui est également perpétuée par la gauche du mouvement pendant le conflit. Les révolutions russes de 1917 jouent d’ailleurs un

63 Susanne Miller, Burgfrieden und Klassenkampf, Die Deutsche Sozialdemokratie im Ersten Weltkrieg, Düsseldorf, Droste, 1974, 440 pages

64 William Maehl, Op. cit., p. 177

65 Alexander Watson, Ring of Steel; Germany and Austria-Hungary in World War 1, New York, Basic Books, 2014 p. 261

66 William Maehl, Op. cit, p. 184-187 67 Ibid., p. 395

68 John L. Snell, « The Russian Revolution and the German Social Democratic Party in 1917 », The American

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rôle auxiliaire intéressant dans les querelles entre la Majorität et la Minorität concernant l’avenir de la minorité nationale polonaise à la fin de la guerre.

Le thème de la lutte contre l’oppression russe n’en demeure pas moins la principale source d’inspiration et de légitimité des objectifs de guerre polonais des sociaux-démocrates en général69. En fait, jusqu’en 1917, elle est le moteur derrière la majorité des actions et interventions du mouvement en faveur de la minorité polonaise d’Allemagne. La dichotomie qui découle de cette conception du conflit se conclut par l’impossibilité pour les sociaux-démocrates de convaincre les dirigeants allemands de créer un « constructive German peace »70 favorisant la stabilité de l’Europe orientale, notamment en solutionnant les problématiques polonaises du Reich.

1.2.6. Réponse aux critiques des radicaux

Au vu des accusations lancées par les radicaux envers leurs collègues du SPD, il nous apparaît nécessaire de remettre en contexte le rôle et l’influence que le nationalisme a sur la social-démocratie allemande. En effet, nous ne pouvons vraisemblablement pas parler de la présence d’une faction nationaliste sociale-démocrate « so inspired by nationalistic sentiment that it swung over to the side of the most bellicose expansionnists in Germany71 » comme l’avance Ascher, surtout au vu des objectifs modérés du SPD concernant l’avenir de la nation polonaise entre 1914-1919. Bien que quelques députés sociaux-démocrates, notamment Eduard David, défendent des politiques dites « nationalistes », nous pouvons affirmer avec certitude que ceux-ci rejettent et s’opposent aux politiques polonophobes caractéristiques de nombreux mouvements nationalistes. Un exemple frappant sur lequel repose notre position est l’opposition publique des sociaux-démocrates majoritaires aux politiques d’émigration visant à germaniser l’Est prussien en 1917-1918. De là découle notre argument qui met en évidence l’incapacité de maintenir une cohésion entre les objectifs politiques et idéologiques socialistes par rapport à leur interprétation du rôle des intérêts nationaux face aux préceptes socialistes72. À cela s’ajoute l’idée que le SPD n’est plus, entre 1914-1918, un mouvement révolutionnaire et

69 Vorwärts, 6 novembre 1916 dans Maehl, William, Op. cit., p. 184 & p. 187 70 Konrad H. Jarausch, Op. cit., p. 397

71 Abraham Ascher, « « Radical » imperialists within German Social Democracy, 1912-1918 », Political

Science Quarterly, Vol. 76, No. 4 (Déc., 1961), p. 573

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relègue de nombreux peuples d’Europe centrale et orientale au rang de nation non historique73 . Évidemment dans le cas des communautés germano-polonaises, il y a bien une certaine reconnaissance de l’historicité de la nation polonaise. Toutefois, nous ne nions pas que l’importance de l’historicité d’une nation demeure primaire dans la bonne compréhension de l’analyse des sociaux-démocrates afin de solutionner la Question polonaise.

Geoff Eley apporte une nuance importante sur l’utilisation du concept de « social imperialism » et des champs lexicaux nationalistes utilisés par les radicaux afin de décrire les députés révisionnistes du SPD. En effet, il affirme que l’utilisation de termes nationalistes péjoratifs par les membres du USPD n’est que « sarcastic on the discredited name of [the] Social Democracy74 ». Il ne s’agit donc que d’une utilisation rhétorique du concept d’impérialisme social afin de nuire à l’image publique de la direction et la députation de la Majorität. Par conséquent, il n’est pas possible de qualifier objectivement les ambitions polonaises du SPD d’impérialistes, voire même de nationalistes, surtout lorsqu’elles sont comparées à ceux des mouvements politiques et groupes de pression ouvertement nationalistes75. En effet, il faut voir le SPD comme ayant élevé « [the] international relations to the level of programmatic doctrine76. » Cette approche que nous reprenons dans le cadre de notre propre analyse adhère également à l’idée que l’expérience de la direction du mouvement auprès des organisations sociales-démocrates internationales avant le conflit favorise le développement d’une approche pragmatique vis-à-vis de « l’attitude dogmatique » du SPD à partir de 1912. Reprenant la formulation de John L. Snell, en 1912, le SPD « still sounded like Marx, but acted much more like the Revisionist leader, Eduard Bernstein, in domestic matters77 ». Cette position qui encourage l’abandon des révolutions armées en faveur d’une approche de réformes « par l’intérieur » favorise donc un rapprochement naturel entre le mouvement social-démocrate, les composantes majoritaire et minoritaire de la société allemande et des paliers gouvernementaux supervisés par la monarchie.

73 William Lee Blackwood, Op. cit., p. 24

74 Eley Geoff, « Defining Social imperialism: use and abuse of an idea », Social History, Vol. 1, No. 3 (Oct. 1976), p. 266

75 Immanuel Geiss, Op. cit., p. 66

76 William Lee Blackwood, Op. cit., p. 1-2

77 John L. Snell, « German socialists in the last imperial Reichstag, 1912-1918 », Bulletin of the international

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À la lumière de l’état de l’historiographie actuelle du mouvement social-démocrate allemand pendant la Première Guerre mondiale, nous ne pouvons nier qu’un certain sentiment nationaliste a influencé les décisions politiques du SPD concernant l’avenir de la nation polonaise pendant la guerre78. Cependant, il nous apparaît important de circonscrire le rôle de celui-ci dans l’optique où même l’un des théoriciens accusés de maintenir une ligne nationaliste au cours du conflit, Edouard Bernstein, s’oppose à l’intégration d’un traitement nationaliste des questions sociopolitiques propres à la social-démocratie européenne en affirmant son attachement aux traditions lassalienne du mouvement allemand79. En ce sens, les critiques dirigées contre Bernstein et le MSPD par ses adversaires sociaux-démocrates, à l’instar de la critique d’Eric D. Weitz concernant l’approche historiographique de Wolfgang Kruse80

, « overdoes the intentionality of the SPD leaders […] At the same time, he probably underestimates the degree of nationalist sentiments among workers and the SPD rank and file81. » Ce faisant en 1917, année cruciale dans l’élaboration de la solution polonaise en Allemagne, la rupture politique entre les sociaux-démocrates allemands est consommée et se reflète, comme l’affirme David Kirby, par la quasi-inexistence de solidarité internationale entre les socialistes des deux factions82.

1.2.7. Conclusion

Pour les sociaux-démocrates allemands, la Question polonaise et la Première Guerre mondiale influencent l’unité, non seulement de l’Empire allemand, mais également du mouvement socialiste allemand. La guerre et les enjeux polonais vont accélérer la déconstruction progressive de l’orthodoxie marxiste traditionnelle au profit d’une évolution politique menant à la création de deux tangentes politiques distinctes. Ces deux voies du socialisme jouent un rôle important dans la construction du programme politique polonais unifié souhaité par les sociaux-démocrates. Cela est d’autant plus vrai que celui-ci dépend d’institutions politiques sur lesquelles les socialistes n’ont que peu de contrôle ou sur le

78 Hans Ulrich Wehler, Sozialdemokratie une Nationalstaat. Nationalitätenfragen in Deutschland 1840-1914, Göttingen, Vandenhoeck & Rupreceht, 1971, 289 pages & Abraham Ascher, Op. cit., p. 555-575

79 Hans Mommsen, Op. cit., p. 220

80 Wolfgang Kruse, « Krieg und national Integration: Eine Neuinterpretation des sozialdemokratischen

Brugfriedensschlusses 1914/15 », Essen, Kartext Verlag, 1994, 336 pages

81 Wolfgang Kruse, « “Krieg und national Integration: Eine Neuinterpretation des sozialdemokratischen

Brugfriedensschlusses 1914/15”, Essen, Kartext Verlag, 1994, 336 pages », commenté par Eric D. Weitz, Central European History, Vol. 28, No. 3 (1995), p. 423-424

82 David Kirby, « International Socialism and the Question of Peace: The Stockholm Conference of 1917 »,

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