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La Proclamation des deux empereurs (Acte du 5 novembre 1916) est pour la Question polonaise en Allemagne le document cardinal qui dicte l’avenir de la nation polonaise en entier. Ce document s’inscrit dans un contexte où l’influence russe sur la nation polonaise diminue parallèlement à la montée du pangermanisme en Allemagne. Comme le font remarquer les sociaux-démocrates majoritaires, il semble que les victoires allemandes consécutives, les dissensions sociopolitiques puis l’écroulement de l’Empire russe soient « montés à la tête du peuple [allemand]251 ». Cependant, les deux dernières années de la guerre et l’ascension d’un État polonais via la Proclamation soulèvent de nouveaux questionnements en Allemagne et au sein des mouvements sociaux-démocrates. L’un d’entre eux étant de savoir si l’apparition d’un État polonais aux frontières orientales de l’Empire allemand est bénéfique pour les communautés germano-polonaises. Stanislas Du Moriez252 affirme que la Pologne a été par le passé, et représente toujours pendant la guerre, une menace pour la stabilité de l’État allemand. Il croit que l’Empire « doit trouver un moyen de l’écarter par des « manigances »253» afin de s’assurer le contrôle de la population polonaise soumise à son joug. Le sentiment de méfiance mutuelle que met en évidence M. du Moriez se répercute d’ailleurs au sein d’intervention de la Fraktion polonaise du Reichstag. Le député polonais Korfanty (Polenfraktion) rappelle à ses homologues allemands que la nation polonaise vit un état rappelant une guerre fratricide où « les pères combattent les fils, les frères contre leurs frères et les amis contre les amis.254 »

L’évolution des variables propres à la Question polonaise au cours des dernières années du conflit impose de nouveaux questionnements sur l’application concrète du droit à l’autodétermination des peuples au sein des cercles socialistes européens. Rappelons par la même occasion que la reconnaissance du droit à l’autodétermination est introduite au sein des

250 « Polens Antwort auf die deutsch-österreichische Proklamation », Berliner Volks-Zeitung, Nr. 569, 6 novembre 1916, p.1

251 Cohen, Gemeinsame Sitzung von Reichstagsfraktion und Parteiausschuβ/SPD Fraktionssitzung, « 24.8.1917: Fraktionssitzung: 451c: Protokollbuch III, Handschrift Reimes », 1917, p. 324 dans DOWE, Dieter, Op. Cit.

252 Stanislas Du Moriez fut un membre de la diaspora polonaise vivant en France au cours de la Première Guerre mondiale. À la suite du conflit, il a rédigé quelques livres concernant la relation entre l’Allemagne et la Question polonaise.

253 Stanislas Du Moriez, La Question polonaise vue de l’Allemagne : l’Organisation de l’Est et de l’Europe, Paris, Alcan, 1919, p. 47

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milieux sociaux-démocrates européens au Congrès de Londres en 1896255. Ce droit se manifeste au sein des mouvements sociaux-démocrates allemands, maintenant divisés entre la « Majorität » (MSPD) et la « Minorität » (USPD) par des compréhensions et des applications différentes du concept. Ainsi, la querelle entre le MSPD et le USPD devient un moment décisif dans l’évolution de la perception de la minorité nationale polonaise du Reich par les sociaux- démocrates. Comme le rappel Sebastian D. Schikl :

« Même si on pouvait supposer qu’en raison de la longue période au cours de laquelle la question polonaise avait déjà été négociée au sein du socialisme international, un système uniforme de déclarations avait progressivement émergé au sein de la Deuxième Internationale, la guerre avait déplacé les fronts256. »

En effet, d’une part, le USPD s’accroche fermement à la doctrine marxiste, voir intègre de plus en plus la rhétorique du mouvement communiste naissant257, ainsi qu’à l’application du concept d’autodétermination sans modération258. D’autre part, les sociaux-démocrates du MSPD tentent de maintenir en vie l’esprit du Burgfrieden en coopérant avec les gouvernements impérial et prussien. Sans doute influencé par la « solution autonomiste » formulée par leurs collègues autrichiens, le concept d’autodétermination occupe un rôle important au sein de leur programme politique polonais sans toutefois perdre de vue les enjeux nationaux allemands259. Deux constats émergent des positions polonaises du MSPD. Premièrement, les socialistes n’envisagent pas que ce droit à l’autodétermination puisse être mis en application au détriment de l’intégrité territoriale de l’État allemand. Deuxièmement, les députés sociaux-démocrates majoritaires défendent la position anti-annexionniste du MSPD en affirmant que l’annexion de

255 Sebastian D. Schikl, Op. cit., p. 453 256 Ibid.

257 Les écrits de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, deux contemporains des événements, peuvent nous éclairer à propos de la radicalisation de la gauche allemande. Pour Karl Liebnecht, voir LIEBKNECHT, Karl,

Lettres du front et de la geôle, 1916-1918, Paris, Sandres, 2007, 203 pages et LIEBKNECHT, Karl,

Militarism, Toronto, W. Briggs, c. 1917, 178 pages. Dans le cas de Rosa Luxembourg, voir EVANS, KATE, Red Rosa : A Graphic Biography of Rosa Luxembourg, New York, Verso, 2015, 224 pages et WEITS, Eric

D., « “Rosa Luxemburg Belongs to Us!” German Communisme and the Luxemburg Legacy », Central

European History, Vol. 27, No. 1 (1994), p. 27-64. Pour un ouvrage général sur la montée du communisme en

Allemagne voir WEITZ, Eric D., Creating German Communism, 1890-1990: From Popular Protests to

Socialist State, Princeton, Princeton University Press, 1997, 472 pages et LUBAN, Ottokar, « The Rôle of the

Spartacist Group after 9 November 1918 and the Formation of the KPD », p. 45-65 dans HOFFROGGE, Ralf, LaPORTE, Normand (Eds), Weimar Communism as Mass Movement 1918-1933, Londres, Lawrence & Wishart, 2017, 276 pages

258 Carl E. Schorske, Op. cit, p. 303-304

259 Philipp Scheidemann, The Making of New Germany : The Memoirs of Philipp Scheidemann, Vol. 2, New York, D. Appleton and Company, 1929, p. 6

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nouveaux territoires polonais à l’Empire, plus précisément au Royaume de Prusse, aurait pour conséquence directe de mettre en danger l’unité et le pouvoir de l’État national allemand.

Proclamation des deux empereurs; L’Acte du 5 novembre 1916

À la suite de la publication de la Proclamation, il devient impératif pour les acteurs politiques allemands qui s’intéressent à la Question polonaise d’intervenir afin de résoudre les problématiques polonaises internes et externes de l’État allemand. Bien que ce sentiment d’urgence se retrouve déjà au sein du SPD depuis 1914, la promulgation de La Proclamation des deux empereurs ne fait qu’accentuer ce sentiment au sein du mouvement social- démocrate260. L’annonce officielle de la création d’un État polonais aux frontières des régions habitées par une forte proportion de la minorité polonaise d’Allemagne comporte plusieurs aspects pouvant à la fois avantager et nuire à la stabilisation de la situation polonaise de l’Empire. Bien que les sociaux-démocrates fassent preuve d’un certain optimisme face à cette promesse vis-à-vis de la nation polonaise, à partir de novembre 1916, la Question polonaise devient véritablement indissociable de l’avenir sociopolitique de l’Allemagne. Des politiques favorisant la coopération entre les communautés germano-polonaises et les autorités impériale et prussienne doivent être mises en place afin d’assurer la cohésion sociale et politique du Reich maintenant que la minorité nationale polonaise allemande a un projet auquel se rattacher261.

Avant d’entrer dans les répercussions concrètent de l’Acte du 5 novembre, il est intéressant de le mettre en perspective avec un document similaire déjà traité dans le cadre de cette étude, soit le Manifeste du Grand-Duc de 1914, car il faut le rappeler, les sociaux- démocrates se sont rapidement présentés comme de grands opposants à ce document proposant une plus grande autonomie aux sujets polonais du Tsar. Premièrement, les sociaux-démocrates reconnaissent que, tout comme le Manifeste, cette proclamation conjointe des empires centraux représente l’opportunité d’un avenir meilleur pour la nation polonaise262

. Certes, à première vue, cette affirmation peut être perçue comme de l’hypocrisie de la part du mouvement social- démocrate vis-à-vis de l’offre russe de 1914. Cependant, l’appui des sociaux-démocrates au

260 « Die polnische Frage », Vorwärts, Nr. 296, 27 octobre 1916, p. 9

261 Werner Conze, Polnische Nation und deutsche Politik im Ersten Weltkrieg, Köln, Bolhau, 1958, p. 308 262 « Zum Manifest von Warschau », Vorwärts, Nr. 306, 6 novembre 1916, p. 1

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projet polonais allemand s’explique par la différence fondamentale dans les promesses faites par les deux empires. Tandis que l’Empire russe promet une plus grande autonomie et la réintroduction d’institutions politiques polonaises au sein du Royaume du Congrès après la guerre, les empereurs allemand et autrichien pour leur part ne promettent non pas l’autonomie de la Pologne du Congrès sous le joug de deux puissances germaniques, mais proclament dès la publication de l’Acte du 5 novembre l’indépendance d’un nouvel État polonais qui serait dirigé par une monarchie constitutionnelle Polonaise. Plus que par un quelconque sentiment de solidarité entre le gouvernement impérial et les sociaux-démocrates découlant du Burgfrieden, c’est ici que se trouve la véritable raison du soutien des sociaux-démocrates au projet polonais de la coalition allemande, une Pologne indépendante.

Loin d’être un événement marginal pour les sociaux-démocrates qui se dirigent inlassablement vers un schisme, la proclamation du Königsreich Polen représente ce qui peut être décrit par plusieurs contemporains comme la première véritable victoire de ceux-ci vis-à- vis des gouvernements impérial et prussien. Bien que la nouvelle soit accueillie avec prudence par les Polenfraktion des parlements allemand et prussien du moins c’est ce qu’affirme l’Agence polonaise centrale263

, la publicisation de cette proclamation se démarque par sa volonté d’agir concrètement et ouvertement en faveur de la nation polonaise. En effet, plutôt que de procéder à une nouvelle partition polonaise comme le croient plusieurs activistes étrangers, la création « immédiate » du Royaume de Pologne se veut une démonstration tangible et immédiate de la part des deux empereurs à présenter les politiques de leurs gouvernements sous des jours favorables, voire comme des libérateurs. De plus, pour l’État allemand fortement attaqué par les réseaux de propagande franco-britanniques, l’avènement de la Pologne est une occasion importante afin de redresser son image dans les États neutres. D’un trait de crayon, les deux empires alliés viennent, avant même les « 14 points » du Président américain Woodrow Wilson, de réaliser l’un des grands événements du XXe

siècle, soit la résurrection d’un État national. Malheureusement pour eux, le précédent qu’ils viennent de créer n’est pas sans danger, comme le démontreront les événements des années suivantes. Ironiquement, les sociaux-démocrates qui souhaitent ardemment pendant le conflit la mise en

263 Agence polonaise centrale, Les clubs polonais du Reichstag et de la diète prussienne gardent le silence, Lausanne, 8 novembre 1916, p. 1

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place de cette décision sont parmi les premiers à exposer les potentielles conséquences de cet événement.

Malgré le caractère positif que revêt l’Actes du 5 novembre pour la minorité nationale polonaise d’Allemagne et pour les sociaux-démocrates, cette proclamation, longtemps sous- estimée par l’historiographie nationale polonaise, mais fondamentale à l’histoire nationale polonaise, partage certaines visées du Manifeste du Grand-Duc. En effet, tout comme le manifeste du gouvernement russe en 1914, l’élévation du Royaume du Congrès en un pays indépendant à la fin de 1916 ne se fait pas, pour plusieurs raisons d’importance variable, dans la plus grande simplicité, au grand dam des sociaux-démocrates et des communautés germano- polonaises, voire de l’ensemble de la nation polonaise264. Bien que nous pourrions nous attarder à chacune de ces raisons amenant son lot de problématiques propres à la situation polonaise en Allemagne, deux d’entre elles se montrent particulièrement importantes. La première raison est celle de la nomination du nouveau roi de Pologne. L’indépendance polonaise soulève dès novembre 1916 de sérieux problèmes structurels puisqu’elle est encore sous l’administration du Gouverneur-Général von Beseler, un grand défenseur du projet étatique polonais. Cependant, l’impossibilité de régler rapidement la question de la nomination royale par les empires allemand et austro-hongrois engendre des retards qui ne sont pas sans répercussions265. Après tout, la nomination d’un souverain polonais est centrale à la création de ce nouveau royaume polonais. Sa nomination aurait été un symbole de la bonne foi et de la coopération offerte par les empires centraux à la nation polonaise266. Il y a certes quelques propositions, voire même la nomination d’un proche de l’Empereur austro-hongrois, mais cet important préalable à l’indépendance polonaise ne voit jamais le jour au cours de la guerre. La deuxième raison est celle des délimitations frontalières du nouvel État entre, d’une part, ses voisins allemand et austro-hongrois et, d’autre part, les autres États appelés à naître à la suite à l’écroulement russe. Parallèlement à l’annonce de la création du Royaume de Pologne, il se développe un sentiment d’incertitude, voire d’opposition vis-à-vis de la question frontalière de la Pologne. Ainsi, comme le rapporte le Vorwärts, l’Ostmarkenverein, un mouvement nationaliste et expansionniste allemand, affirme que les Polonais aspirent à « l’unification de tous les États

264 Jeffrey Aaron Mankof, Op. cit., p. 305 265 Gary W. Shanafelt, Op. cit., p. 89

266 « Was die Polen wollen.; Wien 5. November (Privat) », Berlin Volks-Zeitung, Nr. 569, 6 novembre 1916, p. 2

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polonais en un seul pays indépendant267 ». Par cette affirmation, l’Ostmarkenverein soulève la principale cause de tensions au sein du mouvement social-démocrate concernant l’avenir polonais pour les années 1917-1918. Comment promettre à la nation polonaise la liberté si une importante partie de sa population demeure sujette aux empires centraux? L’Acte du 5 novembre, d’abord pensé comme un document de politique étrangère attaquant la crédibilité du gouvernement russe en Pologne, vient discrètement de devenir une question de politique intérieure en se retournant contre les gouvernements impériaux allemand et austro-hongrois l’ayant promulgué. En effet, en plus de faire de la victoire de l’Allemagne un prérequis au maintien du nouvel État polonais, l’Acte du 5 novembre affirme à ses adversaires que le Reich et ses alliés se présentent comme les seuls à percevoir la renaissance d’une Pologne libre comme un « intérêt vital268 ». Ainsi, loin de solutionner les tensions polonaises en Europe orientale, la Proclamation des deux empereurs a fait de la Question polonaise un « classique de l’autodétermination269

».

Comme mentionné auparavant, bien qu’en apparence, l’essence de la Proclamation des deux empereurs semble rejoindre le programme polonais des sociaux-démocrates uniquement par la renaissance de la Pologne, le document s’inscrit en réalité en contradiction vis-à-vis de l’agenda polonais de ceux-ci. Rapidement, il faut mettre en évidence que cette déclaration « d’indépendance » n’est pas celle espérée par les sociaux-démocrates. Premièrement, le document est imprégné de l’influence des mouvements nationalistes qui gagnent en influence au cours des années 1916-1918. Ces mouvements souhaitant redéfinir les frontières orientales de l’Empire à l’avantage du Reich voient dans la formation du Royaume de Pologne une opportunité de procéder aux ajustements de frontières tant recherchés, le fameux « Polnische Grenzstreifer » qui vise à annexer une tranche de l’ancien territoire russo-polonais à la Prusse orientale270. Deuxièmement, la proclamation d’un nouvel État polonais se fait selon un modèle traditionnel de monarchie constitutionnelle. Les réformes démocratiques tant attendues par le SPD et les communautés germano-polonaises semblent donc encore loin d’être mises en place. En ce sens, la Proclamation des deux empereurs n’offre aucune garantie de démocratisation du

267 « Zur Polenfrage in Preuβen », Vorwärts, Nr. 105, 18 avril 1917, p. 3 268 « Polens Schicksalsstunde », Vorwärts, Nr. 305, 5 novembre 1916, p. 1

269 Sebastian D. Schickl, Mannheimer historische Forschungen: Universalismus und Partikularism:

Erfahrungsraum, Erwartungshorizont und Territorialdebatten in der diskursiven Praxis der II. Internationale 1889-1917, St. Ingbert, Röhrig Universitätsverlag, 2012, p. 453

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système politique traditionnel prussien qui se présente comme un véritable obstacle à la représentativité de la minorité nationale polonaise au sein du Royaume de Prusse, de l’Allemagne et, par extension, du nouveau Royaume de Pologne271

.

Paradoxalement, les contradictions apparentes entre les objectifs polonais des groupes de pression nationalistes et des sociaux-démocrates s’observent essentiellement dans une perspective « micro », puisqu’en théorie les deux types de mouvements voient la résurrection d’un État polonais à l’Est de façon somme toute positive. Ainsi, l’un comme l’autre cherche à offrir un nouveau statut social à tous les membres des communautés germano-polonaises. La différence fondamentale ici est que les sociaux-démocrates luttent afin qu’un citoyen allemand de nationalité polonaise ait la même valeur qu’un citoyen de nationalité allemande, tandis que les mouvements nationalistes souhaitent promouvoir l’émigration des membres des communautés germano-polonaises vers le nouvel État polonais afin de favoriser la germanisation des provinces orientales de la Prusse et des nouveaux territoires conquis.

Face à cette logique, les sociaux-démocrates affirment que de tels plans ne peuvent qu'être compris comme diverses provocations et de nombreux troubles entre les citoyens polonais en Allemagne, voire de les pousser vers des mouvements indépendantistes caractérisés par de forts sentiments antigermaniques272. Souhaitant s’opposer concrètement aux pressions exercées par les partisans de cette doctrine impérialiste, le SPD affirme plutôt que le droit à l’autodétermination est primordial à la résolution de la Question polonaise allemande. Par cette action, les députés du SPD souhaitent recentrer les débats polonais non pas sur les questions territoriales, mais plutôt sur les individus eux-mêmes. En ce sens, est-ce que la création d’un nouvel État fédéral allemand avec les territoires polonais sous la juridiction du Reich, comme le propose du Moriez, aurait pu être une option viable pour les sociaux-démocrates273? Certes cela aurait été un moyen d’offrir aux communautés germano-polonaises une représentativité politique intéressante étant donné le poids démographique qu’elle aurait exercé dans la région. Plus que cela, il est possible d’observer une certaine sensibilité face à cette option de la part du mouvement social-démocrate allemand lorsque parait dans le Vorwärts un article qui fait

271 Jeffrey Aaron Mankoff, Op. cit., p. 305

272 « Der Ostmarkenverein zur Polenfrage », Vorwärts, Nr. 18, 19 janvier 1917, p. 4 273 Stanislas Du Moriez, Op. cit., p. 79-80

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l’éloge des États multinationaux où « le droit des minorités doit être appliqué avec la plus grande rigueur274. » Or, pour les opposants aux objectifs polonais des sociaux-démocrates, l’Empire n’est pas un État multinational, il n’est qu’allemand. Cette conception de l’État fédéral allemand mérite que l’on s’y attarde quelque peu. En effet, malgré l’obstination de la majorité de l’élite allemande à considérer l’Allemagne comme un État national homogène, celui-ci demeure, depuis le XIXe siècle, une entité étatique qui est caractérisée par de forts clivages. D’abord religieux – le Nord protestant versus le sud catholique –, ensuite social – l’Ouest fortement urbanisé et industrialisé versus l’Est rural et traditionnel –, finalement politique – le Royaume de Prusse; monarchique et centralisateur versus les États bavarois et environnants; réformatrice et décentralisatrice, la Question polonaise n’est donc, en quelque sorte, qu’un bouc émissaire qui s’inscrit dans chacun de ces clivages et donc aux problématiques plus profondes à la nation allemande qui ressurgissent au cours du conflit275. En ce sens, comme l’affirme l’historien Conze Werner,

« La monarchie constitutionnelle de traditions prussiennes s’est heurtée au mouvement des sociétés d’Europe orientale et d’Europe centrale qui prônaient une constitution démocratique […]. Ce problème général était particulièrement compliqué en Pologne. Cela allait atteindre son paroxysme lorsque le Reich fut poussé à la “solution étatique” pour la Question polonaise, mais cette tâche ne pouvait être accomplie par des inhibitions internes et externes276. »

Malgré la sensibilité des sociaux-démocrates à la cause de la minorité polonaise, il est difficile de penser que ceux-ci souhaitent en arriver à cette conclusion pour le projet polonais en Allemagne. En fait, ils évoluent plutôt selon une ligne directrice qu’a définie Hermann Müller (SPD) qui affirme qu’il ne faut « ne jamais demander l’autodétermination complète pour les nationalités, mais plutôt une autonomie nationale au sein de l’Empire277

».

Face à la Proclamation des deux empereurs, il est pertinent de se questionner sur les réels gains des communautés germano-polonaises et du SPD concernant la Question polonaise.

274 « Die Polen und ihr Verhältnis zu anderen Nationalitäten », Vorwärts, Nr. 181, 4 juillet 1916, p. 3

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