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Chapitre 1 : Recension des écrits

1.2 Pertinence de la littérature jeunesse à contenu LGBTQ

1.2.2 Pouvoir de la lecture de plaisir

L’objet de notre mémoire n’est pas d’examiner en profondeur les tenants et aboutissants de l’acte de lecture et de son pouvoir. Cela dit, la pertinence de notre recherche repose en grande partie sur l’idée que la lecture d’œuvres littéraires à contenu LGBTQ, et donc la présence et l’accessibilité de ces œuvres dans les bibliothèques publiques, est susceptible d’avoir un effet positif sur les jeunes de la diversité sexuelle et de contribuer à l’ouverture d’esprit de l’ensemble des jeunes et des enfants.

La lecture est un processus auquel se sont intéressés de nombreux spécialistes issus de différentes disciplines, dont l’histoire, la sociologie, la littérature et, bien entendu, la bibliothéconomie et les sciences de l’information. Rothbauer (2004), chercheure en bibliothéconomie et en sciences de l’information, a étudié les pratiques de lecture des jeunes femmes queer. En particulier, elle a examiné les pratiques de lecture volontaire des jeunes femmes lesbiennes, bisexuelles et queer auto-identifiées âgées de 18 à 23 ans. Les pratiques associées à la lecture volontaire dans son étude sont les suivantes : trouver, emprunter, acheter, lire et partager des textes, en particulier ceux qui entrent dans le genre de la littérature lesbienne et gaie. Ce qu’elle a montré, c’est que la lecture est créatrice de possibilités et que les lectrices cherchent à avoir accès, par l’intermédiaire de leurs lectures, à des « possibles ». Rothbauer a en effet observé que les jeunes femmes queer utilisent la lecture dans le contexte d’une négociation de leur identité et dans le but d’élargir leur compréhension de l’environnement social dans lequel elles évoluent et de leur marge de manœuvre au sein de cet environnement. Elles souhaitent faire des lectures susceptibles

d’alimenter la vision personnelle qu’elles ont de leurs propres expériences actuelles et futures. Ainsi, plutôt qu’un simple plaisir caractérisé par l’évasion de la réalité, la lecture leur offre au contraire une occasion d’engager un certain dialogue avec le reste du monde (Rothbauer 2004, 65).

Lynne Pearce (1997), dont les recherches sont associées au champ la théorie littéraire et culturelle féministe, a proposé une théorie de la lecture que l’on pourrait traduire très librement comme « lecture engageante » ou « impliquée » (implicated reading). Cette théorie explore les relations et les liens que les lecteurs nouent avec ce qu’elle nomme des « autres textuels » (textual others). Un « autre textuel » est ce qui devient l’objet principal de la connexion établie par le lecteur ou par la lectrice avec un élément du contenu du livre dans le processus de lecture. La plupart du temps, il s’agit d’un personnage fictif, mais pas nécessairement (Rothbauer 2004, 88). Pour Pearce, la lecture est donc davantage un acte d’engagement émotif et affectif avec un texte qu’un acte herméneutique d’interprétation du texte (Rothbauer 2004, 67).

Fortement influencée par Pearce (1997), mais aussi par Certeau (1980) et Sumara (1996), Rothbauer formule cinq postulats sur l’expérience de la lecture, sur ce que « lire » signifie et sur les relations possibles entre les lecteurs, les textes et les contextes :

• Lire est un processus actif de production de sens;

• La lecture constitue un événement ou une expérience dans la vie des lecteurs; • La lecture donne accès à des représentations de certaines expériences de la

vie humaine;

• La lecture constitue un ensemble de pratiques socialement et culturellement enracinées;

• L’acte de lecture a le pouvoir de changer des vies.

(Rothbauer 2004, 17, traduction libre) De manière générale, la recherche empirique sur les relations entre les lecteurs, les textes et les contextes est insuffisante, en particulier en ce qui concerne les jeunes. Parmi les

recherches marquantes, Catherine Ross (1999) a réalisé près de 200 entrevues auprès de lecteurs adultes très actifs. Son étude a mis en lumière ce que les lectrices et les lecteurs eux- mêmes disent de la lecture et des usages qu’ils et elles font de leurs lectures. Dans sa conceptualisation de la lecture de plaisir, elle regroupe en sept catégories les affirmations les plus courantes des lecteurs à propos de ce que la lecture leur apporte :

• Éveil à de nouvelles perspectives; • Modèles d’identité;

• Réconfort, confirmation de leur valeur personnelle, de leur force; • Connexion avec les autres et conscience de n’être pas seul; • Courage de changer quelque chose;

• Acceptation.

(Ross 1996, cité dans Rothbauer 2004, 16, traduction libre). Au Canada, dans le domaine des Sciences de l’information, Howard (2011, 48) a notamment travaillé sur l’importance de la lecture de plaisir chez les ados de 12 à 15 ans. Son échantillon était composé à 70 % de lectrices et à 30 % de lecteurs. Dans le cadre de son étude, elle a établi que la lecture de plaisir avait des impacts positifs sur trois aspects de la vie des ados : la performance scolaire, l’engagement social et le développement personnel. En résumé, son étude confirme que, pour les ados comme pour les adultes, la lecture de plaisir opère comme une pratique quotidienne inconsciente de recherche d’information. Les motivations des ados pour lire, outre le plaisir, s’articulent surtout autour du thème du développement personnel. Par l’intermédiaire de leurs lectures, les ados accèdent à une représentation de différentes notions, dont celles de relation interpersonnelle mature, de valeur personnelle et d’identité culturelle. Selon Howard (2011, 53), le fait de se familiariser avec ces notions et d’en acquérir une meilleure compréhension aide les jeunes dans leur transition vers la vie adulte.

Grâce, notamment, à l’émergence ces dernières années de la bibliothérapie, la société reconnaît de plus en plus les bienfaits de la lecture de plaisir sur la santé psychologique et sur le développement de l’identité (Collard 2016; Brewster 2011; Howard 2011). En effet, de plus

en plus de recherches universitaires s’intéressent aux effets de la lecture de plaisir sur le bien- être psychologique des personnes, en particulier sur celui des femmes, des bienfaits surtout liés au développement de l’identité et à la promotion de la santé émotive, du bonheur et du plaisir (Goldthorp 2007, 235).