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Chapitre 4 : Discussion des résultats

4.3 Accessibilité du matériel littéraire jeunesse à contenu LGBTQ

En matière d’indexation, notre étude a montré que, dans la grande majorité des catalogues de bibliothèques, le contenu relatif à la diversité sexuelle et de genre des œuvres de la liste était identifié, ne serait-ce que de façon minimale. Nos résultats montrent que le contenu LGBTQ des titres de notre liste est, dans l’ensemble, bien identifié à l’aide d’au moins une vedette-matière appropriée. Ces résultats contrastent avec ceux obtenus, il y a plusieurs années, par d’autres chercheures et chercheurs, ce qui suggère une amélioration considérable sur ce point. Des 35 titres examinés par Boon et Howard en 2004, seulement 14 possédaient une ou plusieurs vedettes-matière permettant d’en identifier le contenu LGBTQ. Dans son évaluation des collections adultes à contenu LGBTQ, Migneault (2003) n’hésitait pas à qualifier l’indexation des documents gais et lesbiens de « défaillante ». Bien entendu, l’évolution des pratiques de catalogage et leur constante uniformisation au cours de la dernière décennie y sont sans doute pour quelque chose. Comme Rothbauer et McKechnie (1999) et Boon et Howard (2004), nous avons constaté que les vedettes-matière utilisées pour identifier le contenu d’un livre étaient souvent les mêmes dans les différents catalogues. Ces résultats

suggèrent que de nombreuses bibliothèques ne procèdent pas à du catalogage original, mais plutôt à du catalogage dérivé.

Néanmoins, nous avons observé des variations. Dans certains cas, les vedettes-matière sont très limitées, voire inexactes. Dans le catalogue de la bibliothèque de La Sarre, par exemple, les deux livres de Kim Messier qui comportent une adolescente lesbienne comme personnage principal sont seulement identifiés au moyen des vedettes-matière « homosexualité » et « homosexualité féminine ». Dans la majorité des autres bibliothèques, on trouve les vedettes-matière « lesbiennes » ou « lesbianisme », comme c’est notamment le cas à Montréal. À ce propos, soulignons que la vedette-matière « homosexualité féminine » constitue désormais une forme rejetée du Répertoire de vedettes-matière (RVM), qui prescrit plutôt l’usage de « lesbianisme ». Cela témoigne de l’évolution des pratiques de catalogage pour décrire la diversité sexuelle et de genre. La notice bibliographique de La fille qui rêvait

d’embrasser Bonnie Parker est un autre exemple de roman qui se voit à juste titre attribuer, à

Montréal, la vedette-matière « adolescentes lesbiennes », mais qui, dans plusieurs autres bibliothèques, dont celle de Laval et de Gatineau, n’est identifié qu’au moyen de la vedette-matière « homosexualité ». Nous avons considéré, dans le cadre notre étude, que la vedette « homosexualité » suffisait à identifier minimalement le contenu LGBTQ de l’œuvre, surtout parce que notre liste comporte des livres dont la publication remonte à 2003 et que les vedettes étaient moins développées, dans le passé, pour décrire la diversité sexuelle et de genre dans le contenu des ouvrages de fiction. En pratique, nous croyons toutefois que la vedette « homosexualité », seule, ne décrit pas de manière satisfaisante le contenu d’une œuvre où l’on trouve principalement une ou des femmes lesbiennes. Surtout quand on sait que les lesbiennes souffrent, dans l’espace public et dans la prestation de services en général, d’une certaine invisibilité.

L’examen de l’évolution des pratiques d’indexation par Greenblatt (1990, 2011, cité dans Chapman 2015) a montré que les personnes et les enjeux LGBTQ étaient auparavant décrits au moyen de termes qui, aujourd’hui, paraissent inappropriés. Malgré certaines

améliorations, les vocabulaires contrôlés conventionnels comme les vedettes-matière de la Library of Congress (LCSH) continuent de faire l’objet de critiques pour leur description des personnes LGBTQ (Greenblatt 2011, cité dans Chapman 2015), tout particulièrement en ce qui concerne la représentation des identités trans (Greenblatt, 2011b). Dans notre étude, nous avons relevé la vedette-matière « trouble de l’identité », utilisée dans quelques bibliothèques pour décrire Garçon manqué de Samuel Champagne. Nous considérons que ce descripteur est péjoratif. De plus, comme Boon et Howard (2004, 137), nous avons parfois eu l’impression que le contenu LGBTQ des documents se trouvait en quelque sorte camouflé dans des vedettes- matière floues et imprécises, comme « préjugés », « relations interpersonnelles », « amitié féminine », « identité », « meilleur ami », etc. Ceci étant dit, les notices de SDM, mises à jour dans leur base de données, ne sont généralement pas mises à jour dans les catalogues des bibliothèques. Plutôt qu’être le reflet d’une quelconque négligence envers le matériel à contenu LGBTQ, nous croyons que les quelques lacunes d’indexation que nous avons observées dans certains catalogues sont possiblement davantage le reflet d’un manque de ressources ou d’une absence de mise à jour des notices, possiblement importées lorsqu’elles étaient encore incomplètes.

Notre étude montre de plus que, dans la grande majorité des bibliothèques publiques québécoises, les œuvres à contenu LGBTQ destinées à la jeunesse se trouvent classées dans les sections appropriées à leur public. Encore une fois, ce résultat contraste avec celui obtenu dans le cadre d’autres études, qui ont au contraire montré que le matériel littéraire à contenu LGBTQ destiné aux jeunes est à risque d’être classé dans une section réservée à un public plus âgé. La majorité des cas que nous avons répertoriés où le classement en rayons des œuvres paraît inapproprié en considération de son public cible concernent des livres pour les ados qui sont classés dans la section pour les adultes. Au total, 11 des 38 titres de notre liste, soit 28,9 % d’entre eux, apparaissent comme mal classés dans au moins une bibliothèque de l’échantillon, parfois deux, mais jamais plus de quatre. Neuf de ces 11 titres sont destinés aux ados. Cook (2004, 26), qui a évalué les bibliothèques publiques de l’Indiana à la lumière d’une liste de 24 romans pour adolescentes et adolescents, a trouvé que 15 (62,5 %) d’entre eux étaient

rangés dans la section des adultes d’au moins une bibliothèque de l’échantillon. C’est considérablement plus que ce que nous avons observé. D’après nos observations, la bibliothèque de Saint-Georges place cinq livres jeunesse à contenu LGBTQ de la liste dans une section inappropriée à leur public. C’est la bibliothèque de notre échantillon qui en compte le plus. En comparaison, l’une des bibliothèques de l’échantillon de Cook (2004, 26) plaçait 10 des 18 titres de sa liste dans la section des adultes. Ce que notre étude montre, c’est que le phénomène du classement en rayons des œuvres jeunesse à contenu LGBTQ dans une section destinée à un public plus âgé (qui constitue, comme on l’a vu, une forme de censure) existe, ici comme ailleurs, dans les bibliothèques publiques, mais qu’il s’agit d’un phénomène marginal.

Parmi les nombreuses évaluations de collections que nous avons consultées pour élaborer et mener à bien notre recherche, aucune n’a mesuré le taux de prêt des documents de sa liste de vérification. Nous n’avions pas prévu, initialement, de collecter cette donnée, mais lorsque nous avons commencé à interroger les catalogues, nous avons pensé que cette information, dont la collecte ne représentait pas un grand effort supplémentaire, pourrait ultimement nourrir notre réflexion sur les collections littéraires jeunesse à contenu LGBTQ. En effet, nous avons trouvé très intéressantes les analyses par ailleurs tout à fait sommaires que nous avons dégagées des données sur le prêt en bibliothèques des titres de la liste. En particulier, le fait que les albums qui abordent l’homoparentalité soient le type de document le plus emprunté dans les bibliothèques tandis qu’ils sont sous-représentés dans les collections. Cette donnée, seule, nous oblige à nous demander si les collections de littérature jeunesse à contenu LGBTQ offertes dans les bibliothèques correspondent véritablement aux besoins des usagères et des usagers. La question se pose d’autant plus lorsqu’on remarque qu’aucun titre gai (homosexuel masculin) ne figure parmi les titres qui étaient les plus prêtés, au moment de l’étude, dans les bibliothèques qui les détiennent, alors que ces titres sont pourtant largement représentés dans les collections des bibliothèques publiques québécoises. Loin de nous l’intention, bien sûr, de déplorer la présence abondante de romans gais dans les collections. Tout ce que nous questionnons ici, c’est l’équité de la représentation et

l’adéquation entre les besoins des communautés servies et les collections offertes par les bibliothèques québécoises.

Plusieurs auteures et auteurs d’évaluations de collections semblables à la nôtre ont déploré que les pratiques de catalogage et de rangement en bibliothèques des œuvres à contenu LGBTQ nuisent à leur accessibilité. Nous avons trouvé, en comparaison de ces études, que les bibliothèques québécoises semblaient en général très bien faire à cet égard. Néanmoins, ces phénomènes existent et sont observables dans les bibliothèques québécoises. Il y a donc possibilité d’amélioration des pratiques et nécessité, surtout, pour les bibliothécaires et les autres personnes qui œuvrent en bibliothèques, de faire preuve de vigilance et de résolution par rapport à ces enjeux. Au bout du compte, pour mieux comprendre les variations dans le traitement et l’indexation des notices, ainsi que dans le développement des collections des bibliothèques examinées, il faudrait nécessairement s’intéresser davantage au personnel des bibliothèques, à sa composition, à ses compétences, à ses qualifications, à ses conditions de travail, à ses attitudes, etc.