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PREMIÈRE PARTIE :

V. Pour une écriture affective de l'histoire

1. Vu d'en haut.

Defrance, Wright ou Buffon ont intégré le rationalisme des Lumières pour en proposer sa propre vision spectaculaire, mettant l'observateur bourgeois face au fascinant travail du fer et du feu. Mais cette confrontation peu courante n'a pas pour fonction de créer un rapport d'échange entre les parties : les œuvres wallonnes et britanniques passent largement au-dessus de l'expérience du travail, au profit d'une lisibilité didactique ou d'une dramaturgie romantique. Le prétexte de la visite correspond bien à ce rapport d'observation superficielle : la visite n'est pas la rencontre ou la conversation, les spectateurs ne font que passer ; les deux parties n'échangent pas, ne partagent rien de leur condition respective, demeurent imperméables l'une à l'autre. Plus encore, la visite instaure un rapport hiérarchique de soumission : le visiteur impose à son hôte un rapport d'évidence, le somme de le laisser jouir de la vision de son labeur.

Si nous n'avons pas senti de regard critique chez Defrance, on trouvera une dénonciation incontestable de cette pratique de loisir dans l'œuvre d'Ernest-Georges Bergès, Visite à l'usine

après une soirée chez Monsieur le directeur (Fig. 12), peinte il est vrai plus d'un siècle plus

tard. La toile montre au premier plan une bourgeoisie endimanchée, arborant haut-de-forme, queues de pie et robes de soirée, venue assister au « spectacle » de l'usine. Le peintre insiste cette fois sur la différence de classe en forçant le trait : dans le fond du tableau, les ouvriers sont réduits à des silhouettes tout juste discernables, aux prises avec les flammes et les fumées de l'industrie. Un homme au torse nu, coupé par le cadre à droite, semble avoir été interrompu dans sa tâche pour guider les importuns. Mais à la différence des visites précédentes, les corps, installations et gestes industriels sont illisibles : tout disparaît dans l'atmosphère enfumée. Le spectateur du tableau est privé de l'objet de jouissance des visiteurs. De la passerelle où on l'observe, l'ouvrier n’apparaît plus que comme une forme floue et lointaine. Le regard surplombant du capital apparaît pour ce qu'il est : un œil lointain, peu attentif aux hommes, incapable de voir en eux autre chose qu'une masse indistincte.

Le titre indique combien cette visite impromptue tient du spectacle récréatif : on vient profiter de la peine des hommes après une soirée festive. Deux temps irréconciliables voisinent en une même image, celui du loisir et du travail, le premier ne pouvant exister sans les bénéfices du second. À cette coutume de la visite, le peintre répond donc par une opposition irréductible, inconciliable, entre travail et capital. En privant de leur spectacle les

représentants de la classe dominante, l'auteur refuse de sacrifier l'expérience sensible du travail à la lisibilité et à la rationalité propres au réalisme industriel : sa peinture ne peut en aucun cas familiariser le public avec l'univers industriel. Le spectateur n'en verra pas plus que la grande bourgeoisie du tableau, de passage à l'usine ; en revanche, il pourra jouir du spectacle de ces gens riches, définitivement aveugles à la condition ouvrière. Les positions de la visite s'inversent : la répartition des rôles et l'entente des classes, qui faisaient consensus chez Defrance365, volent en éclats. Au lieu de montrer un atelier esthétisé coupé des rapports de production, le peintre met en avant ces rapports et fait sentir l'écart entre les classes dans ce qu'il a de plus scandaleux, de plus indigne. Impossible alors de s'identifier aux visiteurs curieux ou aux travailleurs solennels : le système apparaît brutalement dans toute son iniquité. Un matin, alors que le soleil se lève à peine, Diderot a fait une expérience comparable à celle de ces bourgeois haut perchés, observant de sa fenêtre des ouvriers, peut-être enveloppés dans la brume de l'aube automnale comme les fondeurs de Bergès. Il en relate comme suit le souvenir à Sophie Volland :

Dès le matin j’entends sous ma fenêtre des ouvriers. À peine le jour commence-t-il à poindre qu’ils ont la bêche à la main, qu’ils coupent la terre et roulent la brouette. Ils mangent un morceau de pain noir ; ils se désaltèrent au ruisseau qui coule : à midi, ils prennent une heure de sommeil sur la terre ; bientôt ils se remettent à leur ouvrage. Ils sont gais ; ils chantent ; ils se font entre eux de bonnes grosses plaisanteries qui les égaient ; ils rient. Sur le soir, ils vont retrouver des enfants tout nus autour d’un âtre enfumé, une paysanne hideuse et malpropre, et un lit de feuilles séchées, et leur sort n’est ni plus mauvais ni meilleur que le mien…366

Jusque dans ses lettres à sa proche amie, le philosophe paraît incapable de considérer les travailleurs comme des êtres humains : la bestialité du terrassier, comme le caractère arachnéen du tisserand, vont avec la saleté de ses enfants, la grossièreté de son humour, la laideur de sa femme, et l'animalité de ses mœurs (boire au ruisseau, dormir sur un lit de feuilles, vivre nus autour du feu). Commentant ces mots de l'épistolier, Arlette Farge remarque que les chants expriment plus souvent la peine du labeur que la joie ; pour le philosophe à sa fenêtre, les émotions du peuple semblent décidément incompréhensibles367.

365On mesure d'autant mieux l'effort du peintre wallon pour rendre ses sujets lisibles.

366Denis Diderot, « Lettres à Sophie Volland », XXVII, 2 novembre 1759, Œuvres complètes de Diderot, XVIII,Texte établi par J. Assézat et M. Tourneux, Garnier, p. 431.

367Arlette Farge, « Maux et douleurs sociales au temps des Lumières », in Concordance des temps, une émission de Jean-Noël Jeanneney, France Culture, 11/01/2014 [en ligne].

2. Dire le travail d'en bas.

a. L'histoire qualitative : faire sentir le changement.

Ces émotions populaires tiennent une place prépondérante dans l'histoire ouvrière d'Edward P. Thompson, qui correspond tout à fait au matérialisme décrit par Benjamin. Nous avons essayé de montrer dans les pages qui précèdent qu'une croyance collective avait déjà fait son chemin au sein de l'élite culturelle française avant même que les conditions matérielles du capitalisme industriel soient réunies. De la même manière, Thompson s'est intéressé à une histoire du prolétariat séparée de la technique, pour se focaliser sur le travailleur et sa culture : « L'histoire traditionnelle […] attire l'attention sur les facteurs de multiplication (la mule-jenny, la fabrique et la vapeur) ; nous nous sommes pour notre part occupés des gens qui ont subi ce processus de multiplication. »368 Dans sa magistrale histoire de la classe ouvrière anglaise, l'auteur dédie un chapitre entier aux tisserands du Lancashire et du Yorkshire à la fin du XVIIIe siècle369, en tentant de transmettre au lecteur le

368Edward P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, op. cit., p. 411. 369Ibid., Chap. 9, « Les tisserands », pp. 353-414.

Fig. 11: Ernest-Georges Bergès, Visite à l'usine après une soirée chez Monsieur le Directeur, 1901.

bouleversement qu'a représenté pour eux la prolétarisation. Pour ce faire, l'historien opère d'emblée une distinction forte entre niveau et mode de vie : « le premier se rapporte à des quantités, le second est une description (et parfois une évaluation) des qualités. »370 Cela signifie non se contenter de déterminer combien gagne un tisserand du Lancashire à l'orée du XIXe siècle, et si ce salaire augmente avec la production, mais également chercher à savoir comment ce travail est ressenti, ce qu'en pensent les ouvriers, tout en évaluant leurs besoins et en restant à l'écoute de leurs aspirations. Ainsi, l'historien refuse de se plier à la lecture quantitative du monde que Mumford associait à la mécanisation capitaliste, en opposant à la seule collection des chiffres et des statistiques une histoire qualitative de la classe ouvrière. Cette histoire qualitative refuse de faire de la production économique l'unique indicateur de progrès, affirmant par là même que la vie n'est pas réductible à la richesse pécuniaire : on peut travailler plus, gagner plus, consommer plus, tout en étant moins libre et moins heureux.

Pour approcher cette qualité de vie, l'auteur a opposé aux statistiques des archives de discours publics, des témoignages laissés dans les journaux ouvriers, mais également de nombreux proverbes, chansons populaires et mémoires d'ouvriers, qui fournissent autant d'actes de parole ravivant une mosaïque affective de l'époque. Dans l'un d'eux, un tisserand raconte comment le va-et-vient des navettes manuelles rythmait la vie de travailleurs ; un autre se souvient qu'avant la fabrique, son salaire était suffisant pour lui laisser le temps de se promener et d'organiser sa journée comme bon lui semble. Nombreux étaient également ceux qui œuvraient au métier un livre sur les genoux, dans un rythme alternant travail mécanique et culture autodidacte371. Des musées régionaux exposent toujours aujourd'hui des collections d'insectes réalisées, sur leur temps libre, par des ouvriers locaux. Bien loin de contrôler l'ouvrier, le métier à domicile lui laissait le loisir de s'aménager du temps pour vivre et les rapports avec les maîtres demeuraient généralement cordiaux, dans l'observation des valeurs et coutumes de la communauté.

Contrairement aux descriptions de Diderot, le métier à tisser prend place ici dans un cadre affectif, s'inscrit au milieu d'une vie de loisirs, dans une somme de petits moments anodins à l'échelle de l'histoire, mais qui faisaient tout le prix de ces vies individuelles, que les métiers mécaniques et la fabrique sont venus balayer. C'est bien parce que la raison capitaliste tend à faire disparaître ce versant humain, à transformer le travail en pure abstraction, que l'historien se doit d'en rappeler le caractère vécu, la manière dont l'activité professionnelle façonne la vie

370Ibid., p. 271.

371Ibid., pp. 384-5. C'est seulement avec la suppression légale du Statut des artisans, qui les protégeait depuis un demi-siècle, que leur situation se dégrada : privés de toute forme de protection, les drapiers se trouvèrent esclaves des prix du marché, mis en concurrence avec une vaste population de déclassés, et finalement concentrés dans des manufactures où ils perdirent tout ou partie de leur mode de vie.

des ouvriers. Comprendre la place que le travail occupe dans ces vies, c'est reconnecter ce que l'idéologie économiste a voulu séparer.

L'usage massif de sources littéraires fait résonner les mots des sans-grade, rompant ainsi le partage policé du sensible. L'intérêt de cette parole, pour Thompson, est de faire éprouver les affects des classes laborieuses face aux changements de l'histoire. En esquissant le paysage affectif des gens qui ont vécu cette époque, l'historien tend à les considérer, non seulement comme objets d'étude, mais comme individus historiques, pris dans des structures qui les marquent et qu'ils mettent en branle à leur tour. Cela implique pour l'historien de faire preuve de sensibilité – revendiquée par lui – pour appréhender cette parole et la transmettre, la rendre intelligible aujourd'hui.

Une telle sensibilité est indispensable pour faire entendre les épisodes dramatiques de l'histoire du travail. En effet, sur le papier, évoquer le « déclin des tisserands à bras » ne dit absolument rien des drames affrontés par ces ouvriers du passé. Comment faire entendre que des communautés entières, qui avaient parfois trois ou quatre siècles d'existence ininterrompue se sont éteintes brutalement, au début du XIXe siècle372 ? En tentant de retranscrire leurs réactions face à ces bouleversements techniques et politiques, nous dit l'auteur ; en montrant à quel point ces tisserands avaient diablement conscience de leur situation, se sentaient guettés par l'imminence de l'extinction. À lire leurs écrits relatant leur condition, on comprend que contrairement au regard rétrospectif qui peut être celui d'un lecteur d'aujourd'hui, « rien ne leur semblait ''naturel'' ou ''inévitable'' dans le processus […] qui permit à leurs maîtres d'ériger de beaux manoirs dans les régions industrielles. »373

L'histoire perd alors de sa linéarité évidente pour apparaître dans toute sa dimension conflictuelle et tragique. De figurants de l'histoire, les tisserands deviennent de véritables figures ayant pris conscience de l’imminence de la catastrophe et ayant imaginé divers propositions politiques pour l'éviter. Ainsi ils ne nous paraissent plus des étrangers, des sans-nom, mais, tant soit peu, des semblables, des gens de qui nous pouvons partager le sort.

Les chansons retrouvées par l'historien font entendre cet écart entre leur situation est celle de leur maître. A leur tour, les tisserands déplorent d'être regardés de haut par la bourgeoisie qui les tyrannise :

Gentilshommes et commerçants, qui vous promenez à loisir,

Regardez de haut ces pauvres gens ; c'est assez pour vous rendre fiers ; Regardez de haut ces pauvres gens, alors que vous allez et venez, Je pense qu'il y a un Dieu là-haut pour rabaisser votre superbe

372Ibid., pp. 382-383. 373Ibid., p. 395.

Refrain :

Vous, tyrans d'Angleterre, votre race pourrait bien s'éteindre,

On pourrait bien vous demander des comptes, pour le mal que vous avez causé.374

En citant longuement pareils chants populaires, Thompson refuse d'adopter le regard des « gentilshommes et commerçants », restés sourds aux complaintes du travail. Au contraire, cette parole leur donne chair, les rend présents à nous, et nous incite à nous identifier, non aux grandes figures qui écrivent l'histoire, mais aux vaincus, à ceux que l'on ne regarde que d'en haut. Ces derniers ne nous apparaissent plus comme une masse prolétarisée informe, mais comme une foule moralisée et consciente.

Construire un imaginaire de la ressemblance commun à ceux d'en bas, à travers les siècles qui les séparent, voilà un attribut de l'historien, que Thompson a également poursuivi en donnant des cours du soir dans des banlieues ouvrières. Un tel imaginaire, en rendant flagrant l'écart entre les classes, rend toute tentative de réconciliation impossible, et résonne comme un appel aux générations futures pour demander des comptes au nom de leurs ancêtres.

b. Orwell à Wigan : construire un imaginaire de la ressemblance.

Nous voudrions clore cette première partie sur une autre écriture qui peut se lire comme une réponse aux visites bourgeoises, quitte à avancer d'un siècle et demi et à descendre de quelques centaines de mètres sous terre, pour suivre George Orwell lors de l'un de ses reportages dans les corons du nord de l'Angleterre. La venue du Londonien dans une ville minière du Nord pourrait s'apparenter à une visite : un corps étranger vient parasiter, coloniser l'espace de travail ouvrier pour en rendre compte à ceux de sa classe. Pourtant, les modalités de présence d'Orwell et la façon dont il médiatise la réalité entrent en opposition radicale avec les exemples vus auparavant.

L'objectif premier de l'écrivain est de contrecarrer les préjugés des classes moyenne et supérieure sur les mineurs. Pour ce faire, l'auteur commence par prendre à contre-pied les fantasmes attachés à la mine pour en proposer un anti-spectacle : « vous n'avez pas l'impression de vous trouvez beaucoup plus bas que dans un tunnel de métro, à Picadilly »375. Le travail sous terre perd tout exotisme : « C'est très décevant, ou à tout le moins ça ne

374« Lamentation » des tisserands du Lancashire. Ibid., p. 394.

ressemble pas à ce que vous imaginiez. » On pensait suivre Jules Verne, on n'a fait que prendre le métro. Au lieu d'insister sur la profondeur extraordinaire qui intrigue le profane, c'est sur la longueur et la durée des marches souterraines qu'Orwell met l'accent. C'est que la trajectoire horizontale est bien plus éprouvante pour le mineur, et pour lui-même : l'écrivain choisit de décevoir sciemment la curiosité du lecteur par fidélité au vécu du travailleur.

Qui plus est, au lieu de faire de la mine un lieu de production comme les autres, l'écrivain s'emploie à en tirer toute l'étrangeté. Pour cela, il ne cesse de mettre en scène son propre corps comme condition d'accès à la visibilité du travail souterrain : grand et maigre alors que les mineurs sont souvent petits et trapus, le trajet dans les galeries devient très vite pour lui « une insupportable torture »376. La faible hauteur du plafond, les poutres irrégulières le forcent à marcher courbé, provoquant une douleur tenace dans les cuisses et un torticolis permanent. Loin de mettre sur le même plan sa souffrance et la condition des mineurs377, la difficulté à s'acheminer au front de taille fait sentir au lecteur l'incongruité du travail souterrain, de façon beaucoup plus directe qu'en suivant le parcours des ouvriers qui en ont pris le pli. Au contraire de celui de Vialet par exemple, le regard n'est pas issu de l'œil abstrait du géomètre ou de l'ingénieur. C'est un regard incarné, pris dans un milieu hostile et qui a souffert pour observer. Enfin, pour que cet effort soit imaginable, l'auteur en cherche un équivalent dans la vie du citadin, comparant les trajets quotidiens du mineur à « [l'effort] que vous devriez fournir pour escalader une petite montagne au début et à la fin de votre journée de travail »378.

Accéder à cette connaissance souterraine implique donc traverser un monde. Mais même une fois sur place, celle-ci reste encore difficilement accessible. D'abord, le visiteur ne cache pas son besoin de s'allonger plusieurs minutes dans la poussière pour « être en état d'observer ». Et puis, alors qu'on s'attend à ce que commence la description, l'écrivain nous surprend encore : il n'y comprend rien. « C'est très difficile de remarquer quoi que ce soit. […] Il vous faudra sans doute plusieurs descentes au fond avant de commencer à comprendre ce qui se passe autour de vous. »379 Signe de l'opacité du travail minier pour les néophytes, les machines elle-mêmes demeures « mystérieuses », comparables à « des grappes d'outils accrochés à des fils métalliques […] dont vous ignorez la destination »380.

L'écriture d'Orwell s'apparente à un véritable travail de re-présentation : ayant conscience de ce que ses lecteurs, mal informés, n'ont à l'esprit que des idées confuses et des préjugés de

376Ibid., p. 31.

377Dans la suite de sa lettre à Sophie Volland citée plus haut, Diderot se plaint d'une indigestion et de douleurs au ventre qui l'obligent à marcher pour digérer, comparant sa souffrance à celle de ces hommes qui vivent la bêche à la main du matin au soir.

378George Orwell, Le quai de Wigan, op. cit., p. 36. 379Ibid., p. 28.

classe inculqués dès l'enfance – l'auteur cite également de nombreuses caricatures médiatiques – il s'ingénie à y opposer des images plus puissantes : des images plus détaillées, plus claires, plus persuasives. Ainsi par exemple de la productivité du mineur, qu'il ne convertit pas en mesure scientifique rationnelle, mais en proportions tangibles pour le lecteur :

Si j'atteins l'âge de soixante ans, commence l'écrivain, j'aurais sans doute produit trente romans, soit de quoi remplir deux rayonnages d'une bibliothèque ordinaire. Dans le même laps de temps, un mineur moyen aura extrait huit mille quatre cent tonnes de houille : assez

pour recouvrir Trafalgar Square sous près de soixante centimètres de charbon, ou pour

approvisionner en combustible sept familles nombreuses pendant plus d'un siècle.381

Voilà de quoi donner au lecteur une vision précise, concrète de la quantité produite et de son utilité pour la société.

Ses descriptions visent d'abord à produire l'étonnement de son lecteur, ce « flottement de l'âme », « cet ́tat de l’esprit, qui nât ainsi de deux affects contraires »382 : ce flottement gèle provisoirement le processus d’enchaînement des images, dérange les habitudes herméneutiques. Orwell énonce et défait soigneusement les préjugés ancrés chez ceux de sa classe, comme ceux concernant l'hygiène ouvrière : « ''Si vous donnez des salles de bain à ces