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c Les potentiels d’interactions urbaines

les économies d’agglomération et de réseau

3.2. Les trames urbaines: potentiels d’interaction des villes dans le système urbain européen

3.2.1. c Les potentiels d’interactions urbaines

Les facteurs de taille et de position géographique sont essentiels pour comprendre les trajectoires différenciées des villes européennes sur le temps long. La notion de potentiel d’interactions, qui combine ces deux facteurs, permet de relativiser les tailles des villes. En particulier, elle atténue le poids des grandes capitales primatiales dont l’ampleur est en partie due à un isolement spa- tial relatif. À l’inverse, elle souligne les régions urbaines denses formées de plus petites villes, individuellement moins puissantes en termes démographiques que les précédentes, mais qui, grâce à leur réseau régional, ont pu avoir des rôles très centraux dans l’organisation économi- que européenne. C’est, par exemple, le cas d’Amsterdam et de Rotterdam qui sont devenues

au XVIIe siècle les centres commerciaux et financiers dominants en Europe, soutenues par un

Source: GEOPOLIS, 1993 Types d'évolution démographique de 1950 à 1990 d'après une classification ascendante hiérarchique

0 350 km ©MGM-UMR ESPACE 2002

Figure 3.5

Évolution de la population des villes de 1950 à 1990

Population en 1990 (milliers d'habitants) 9 300 3 000 110 60 1950 1960 1970 1980 1990 100 140 180 220 260

300 Population en indice (base 100 pour 1950) Moyenne

Nous sommes parties de l’hypothèse, posée par De Vries (1984), selon laquelle les plus forts potentiels coïncident avec ce que Braudel a nommé les centres de l’économie monde (1979). Cette hypothèse place au centre des facteurs de développement urbain, le volume d’échanges théoriquement possible entre chaque ville et l’ensemble des autres villes du système européen. L’application des potentiels, sur le temps long, pose toutefois des problèmes méthodologiques que l’on doit rappeler succinctement (Bretagnolle et al., 1999). D’une part, pour les vitesses de transport aux époques les plus reculées, les distances entre les couples de villes ont été affectées de pondérations d’accessibilité, selon les possibilités de transport maritime, fluvial, voire par fleuve canalisé. L’apparition des transports plus rapides a fait l’objet de pondérations supplé- mentaires : à partir de 1850, l’accessibilité entre les villes augmente largement grâce au chemin de fer ; pour la période actuelle, ce sont les liaisons ferroviaires à grande vitesse, et les aéroports internationaux qui ont été comptabilisés (Bretagnolle, 1999). D’autre part, on a peu de con- naissance empirique sur les échanges entre les villes et donc sur la manière dont ils décroissent avec l’augmentation de la distance. Ceci est surtout vrai pour les périodes reculées, mais aussi pour la période actuelle : les informations disponibles sur les transports aériens, ferroviaires ou routiers sont, la plupart du temps, relevées par tronçon, et non pour l’ensemble des parcours (Amiel, 2003, 2004).

Pour modéliser les interactions, on a toutefois besoin de définir une fonction d’interaction. Or, les fonctions représentant cette décroissance des échanges avec l’augmentation de la distance sont très diverses (Stewart, Wartz, 1968 ; Grasland, 1991 ; Boursier-Mougenot et al., 1993). Notre choix s’est orienté vers une fonction puissance négative qui correspond au modèle que De Vries avait expérimenté sur des données comparables aux nôtres (1984).

Le potentiel d’interaction de chaque ville i à chaque date t, Poti s’écrit donc :

avec :

Pi : population de la ville i

Pj : population de chacune des autres n villes j

Dii : pondération de la contribution de la population de la ville i à son propre potentiel à chaque temps t (ici Dii a

été estimé de manière différente pour chaque ville en divisant par deux la distance à sa plus proche voisine : ainsi, plus la ville est isolée, moins son propre poids lui offre de fortes capacités d’interactions).

Kij (t) : paramètre pondérant la distance entre chaque couple de villes selon leur accessibilité à des réseaux de

transport au temps t.

La représentation de ces potentiels (fig. 3.6) montre bien le basculement du centre de gravité de l’Europe depuis le sud vers le nord (Italie du Nord, Belgique, Pays-Bas, Angleterre), puis un recentrage progressif vers l’Europe continentale. On repère nettement la situation de bipolarité vers 1500 entre les villes de l’Italie du Nord et les villes belges et néerlandaises, ces dernières profitant du déplacement des courants commerciaux dominants depuis le bassin méditerra- néen, vers la Mer du Nord et l’Océan Atlantique, pour échanger avec le Nouveau monde. Ainsi, ce sont bien les villes détenant les plus forts potentiels d’échanges et celles de plus grande taille qui correspondent aux centres de l’économie-monde identifés par Braudel entre 1300 et 1800 (Braudel, 1979). La révolution industrielle marque une rupture importante, en

donnant à Londres une primauté mondiale qu’elle conservera jusqu’à la fin du XIXe siècle, la

Poti= PD i ii(t) + Pj kij(t)Dij j=1( jπi) n

Figure 3.6

cédant ensuite à New York. La diffusion progressive des innovations industrielles s’inscrit dès

le milieu du XIXe siècle dans la partie Nord-Ouest de l’Europe, annonçant l’émergence de la

dorsale métropolitaine, qui s’étend des Midlands jusqu’à l’Italie du Nord, et qui s’inscrit donc dans la continuité des structures héritées de l’époque industrielle (Brunet, 1989).

Aujourd’hui, malgré le maintien des potentiels les plus forts dans cette dorsale européenne, on peut contester le positionnement de celle-ci comme centre économique et fonctionnel, puisque Londres et Paris culminent pour tous les indicateurs d’attractivité, de centralité et de

polarisation2, mais aussi les fonctions internationales3. Sans doute l’accessibilité aérienne, donc

de longue distance, devient largement prépondérante par rapport à l’accessibilité de proximité, et ce davantage que nous ne l’avons estimé dans la forme contemporaine du modèle. Néan- moins, l’accessibilité de proximité reste un facteur primordial pour la cohérence régionale des développements urbains.