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qui se compose du contexte hospitalier où se déroule l’interaction, des contextes social, culturel et scolaire. Chacun des contextes leur sert de filtre cognitif et représentationnel. Le corps que nous abordons dans notre recherche est le corps sensible, au sens du corps comme « caisse de résonance » de cette expérience à la fois sensorielle, affective, perceptive, cognitive et imaginaire. L’expérience est un concept fortement lié à la phénoménologie. Les émotions sont abordées dans une perspective phénoménologique et questionnées dans le cadre de la formation et des soins infirmiers.

L’inscription de la recherche en SIC se fait par le terrain de nature sensible et l’utilisation de méthode et d’outils d’enquête adaptés. Les SIC disposent d’outils et de techniques de recueil de données au service de la méthode qualitative, méthode la plus appropriée pour notre recherche. Le dispositif d’enquête et le terrain sont présentés plus loin.

3. La posture du chercheur

En préalable, nous souhaitons nous arrêter sur cette question : peut-on être soignant et étudier le travail infirmier ? Cette question centrale en appelle d’autres. Peut-on avoir occupé une place au cœur même de cette réalité à étudier et parvenir à la regarder avec suffisamment de recul ? Comment mettre de côté toutes nos projections, difficilement évitables, et gérer notre subjectivité dont nous n’avons pas forcément conscience ? Comment ne pas influencer le discours par les questions posées, et jusqu’où pousser l’interprétation des processus à l’œuvre tout en restant fidèle au récit de l’expérience du soignant ? Notre appartenance au terrain de la recherche nous oblige à expliciter clairement notre posture afin de lever toute ambigüité liée à notre implication dans l’objet à l’étude. Notre double posture de soignant et de chercheur, engagée à la fois dans une

pratique professionnelle de terrain et dans une pratique de recherche ayant pour objet notre

propre pratique sur notre propre terrain, questionne tout à la fois la posture et l’attitude, l’implication et la distanciation à chacune des étapes de l’enquête, elle nous amène à dépasser les allants-de-soi et questionner les outils méthodologiques mis en œuvre pour contourner les difficultés. Cette posture présente des avantages pour l’approche du terrain, mais en contrepartie, cette proximité peut représenter un certain désavantage et nous invite à la vigilance tout au long de la construction de l’objet de recherche.

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3.1. Entre implication et distanciation

La prescription scientifique de distanciation avec l’objet d’étude encadre toute recherche qualitative, car une trop grande implication du chercheur risque de menacer la qualité de la recherche. Aucun chercheur ne peut prétendre être neutre à l'égard de son objet de recherche.

Nous sommes à la fois soignante et chercheuse, impliquée dans une recherche et distanciée de sa pratique pour pouvoir mieux l’observer. Nous ne sommes pas à moitié l’une et à moitié l’autre, nous sommes les deux à la fois et « Cette distance entre le même et l’autre n’est pas de l’ordre de la chronologie, de l’avant et de l’après, ne se prend pas dans l’horizontalité, la rupture – le praticien d’un côté et le chercheur de l’autre –, mais

dans la verticalité, le redoublement, le survol de soi-même par soi-même »35.

C’est dans ce mélange des places que se trouvent justement l’originalité et la ressource de la recherche qui va en naître. Notre implication va se traduire par la prise en compte de tous nos savoirs expérientiels et connaissances accumulés au fil de notre parcours professionnel et qui vont nourrir la recherche. La distanciation sera possible par la mise à

distance de nos a priori, la question qui se pose ici sera celle du comment.

3.2. Une vigilance épistémologique

Le premier travail dans la recherche consiste à rompre avec les préjugés et les évidences,

apprendre à repérer ses projections et ses représentations, tous ses a priori qui peuvent

s’infiltrer tout au long de la recherche et venir faire obstacle à sa dynamique.

Les travaux de Gaston Bachelard nous invitent à réfléchir à ces obstacles, qu’ils soient d’ordre épistémologique, empirique, ontologique, heuristique ou conceptuel, et qui risquent d’entraver la construction de toute recherche. Le premier obstacle à surmonter est lié au caractère illusoire de l’expérience première. Bachelard introduit le concept d'obstacle épistémologique : « La première expérience ou, pour parler plus exactement, l'observation première est toujours un premier obstacle pour la culture scientifique […] l’esprit scientifique doit se former contre la Nature, contre ce qui est, en nous et hors de nous, l’impulsion et l’instruction de la nature, contre l’entraînement naturel, contre le fait

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PAILLE, Pierre. « Les conditions de l’analyse qualitative », SociologieS [En ligne], La recherche en actes, Champs de recherche et enjeux de terrain, mis en ligne le 06 juillet 2011, URL :

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coloré et divers »36. Nous devons déloger nos fausses évidences et certitudes qui sont en

nous comme des passagers clandestins et poser comme préalable à notre enquête la

vigilance épistémologique qui participe d’une philosophie de la découverte. Bachelard nous invite à cette vigilance pour se prévenir des pièges de l’illusion et des interprétations hâtives.

Il est question de vigilance mais pas de rupture épistémologique. Notre posture distanciée n’est pas rupture avec le savoir commun, « le savoir commun n’est pas un non savoir, il

recèle au contraire des savoirs »37, mais il oblige à quelques aménagements afin de tenir

compte de notre situation « intérieure » et antérieure.

Le moyen le plus fort et le plus efficace pour mener à bien ce processus de distanciation est son inscription dans un champ disciplinaire nouveau pour les soins infirmiers : les SIC. La problématisation et la conceptualisation en SIC vont permettre d’ouvrir à un questionnement plus large, de poser un regard différent sur l’objet d’étude et de regarder autrement une pratique familière comme s’il s’agissait d’un nouvel environnement. Norbert Elias considère que le facteur décisif de la prise de distance avec le savoir spontané est « dans la manière de poser les problèmes et de construire les théories […] la technique seule ne permet pas de construire la distance à l’objectivation. C’est la théorie

qui lui donne du volume »38. Notre recherche s’inscrit dans le champ disciplinaire des SIC

qui permet cette mise en perspective des idées, cette organisation de la pensée, cette harmonisation des concepts pour théoriser ailleurs et autrement les éléments soumis à l’analyse. Avec la difficulté toutefois de se perdre dans une telle étendue de connaissances, « qui trop embrasse mal étreint ». Jean-Claude Kaufmann nous met en garde, « le premier danger de la recherche est de partir dans tous les sens, de se perdre

dans les sables et de rendre ainsi impossible toute construction d’objet »39

. L’architecture conceptuelle va venir structurer l’objet en construction, « c’est elle qui tient l’ensemble et

évite les dérives et les éclatements »40.

36

BACHELARD, Gaston. La formation de l’esprit scientifique. Paris : librairie Philosophique J. Vrin, 5e éd., 1967, p. 23.

37 KAUFMANN, Jean-Claude. L'entretien compréhensif. Coll. l'enquête et ses méthodes, 2e éd., Paris : Armand Colin, 2008, p. 24.

38

ELIAS, Norbert, cité par KAUFMANN, Jean-Claude. Ibid., p.22.

39 KAUFMANN, Jean-Claude. Op. Cit., p. 34.

40

3.3. L’attitude du « chercheur de l’intérieur »

La posture renvoie à qui je suis au moment de démarrer l’enquête, à l’état de nos

connaissances, empiriques et théoriques, et à notre point de vue sur le sujet. L’attitude va

révéler le comment je suis au moment de l’enquête, comment accueillir l’inattendu,

relativiser nos propres jugements, et nous laisser surprendre par d’autres schèmes

d’interprétation41

. « […] L’attitude est en lien avec le présent, avec ce qui se présente devant soi, alors que la posture est un héritage du passé. En fait, la posture ne peut évoluer que si l’attitude est correcte, c'est-à-dire si elle est faite d’ouverture, d’écoute, de respect,

si donc elle rend possible une remise en question de l’acquis »42

.

Nous postulons qu’une certaine forme de familiarité s’avère nécessaire pour rapprocher, mais sans les confondre, le monde de la recherche et celui des soins. Notre connaissance du terrain, construite au fil de nos années d’exercice, favorise le repérage intuitif du chemin à prendre et nous aide à nous diriger. Nous savons où regarder tout en étant consciente que notre champ de vision est forcément limité et ne demande qu’à s’élargir. Il est également avantageux d’avancer sur un terrain connu car il n’est pas nécessaire de s’approprier la culture, le langage, les codes et les conventions sociales du milieu étudié. Cette situation de « chercheur de l’intérieur » est privilégiée et permet de dépasser l’idéal

empathique recherché par tout chercheur, d’arriver àcomprendre l’autre comme si l’on

était à sa place, être et penser comme lui. Cette position de chercheur « indigène » est avantageuse car elle permet d’entendre l’impensable, d’encourager à l’explicitation de l’indicible, et d’aller « chercher » plus loin dans le descriptif de certaines scènes. Il peut y avoir une certaine réserve de la part de l’étudiant à décrire des réalités plus sensibles que d’autres ou à forte charge émotionnelle. Sachant qu’il a en face de lui un chercheur ayant vécu des situations similaires, il va lui parler sans retenu car il le sait capable d’entendre cet insoutenable. Lors de certains entretiens, nous avons été amenée à pousser l’étudiant dans ses retranchements, à explorer certaines zones d’ombre, l’encourageant à approfondir

41

Expression empruntée à Jean-Claude PASSERON, 1970.

42 PAILLE, Pierre, MUCCHIELLI, Alex. L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Paris : Colin, 2e éd., 2008, pp. 83-84.

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