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Les soins infirmiers et le travail des infirmières ont fait l’objet de nombreuses recherches portant sur différents aspects du métier, de la formation et des soins. Les débats qui animent la profession infirmière restent vifs et fondamentaux et intéressent principalement les Sciences Humaines et Sociales. Les problématiques, aux multiples facettes, s’inscrivent dans différents champs disciplinaires qui apportent leur point de vue sur la

réalité. La psychologie et la philosophie s’intéressent à la relation de soin et au care, la

sociologie à la reconnaissance sociale, la médecine et la biologie au cure. Quant aux

sciences de l’éducation et la didactique professionnelle, leurs recherches concernent

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Dans une approche compréhensive, nous proposons d’aborder l’apprentissage des soins infirmiers dans ses rapports au corps et aux émotions. L’état des lieux des recherches francophones montre que ce domaine-là a été très peu exploré. Il semble être l’une de ces « terres en friche » évoquée par Marcel Mauss lorsqu’il écrit : « c’est généralement de ces domaines mal partagés que gisent les problèmes urgents […]. C’est là qu’il faut pénétrer. On est sûr que c’est là qu’il y a des vérités à trouver : d’abord parce qu’on sait qu’on ne

sait pas, et parce qu’on a le sens vif de la quantité de faits »24.

L’originalité de notre recherche se trouve dans son angle d’approche par le corps et les émotions mais également dans son ancrage dans les Sciences de l’Information et de la

Communication25. Mais notre objet a-t-il bien sa place dans les SIC et en quoi notre

recherche intéresse-t-elle les SIC ?

Pascal Lardellier nous a appris qu’il n’y a pas d'objets plus communicationnels que d'autres, l’essentiel est dans le mode de traitement de l’objet et dans ses approches conceptuelles et méthodologiques qui doivent être communicationnelles. L’ancrage de notre recherche dans les SIC va nous permettre de penser différemment et percevoir autrement cet espace-temps. Son inscription se fait par la problématique posée en termes propres aux SIC, par le terrain de nature sensible, par son ancrage théorique et ses différents modes d’approches, épistémologiques et méthodologiques.

2.1. Une problématique communicationnelle et sensible

Notre étude porte sur les soins infirmiers avec une entrée par le corps et les émotions dans le contexte de formation et dans l’espace sensible de l’hôpital. L’étudiant est placé au centre de notre recherche, il vit à travers son corps une expérience sensorielle et relationnelle inédite et singulière dans un cadre social chargé de symboles. Le face à face de la rencontre se ritualise à travers des échanges de significations, parfois au plus intime, et de négociations permanentes entre soignants et soignés.

Notre recherche interroge la première expérience de soin dans toute sa complexité et sa singularité, nous cherchons à en comprendre le sens. Daniel Bougnoux nous rappelle que

le mot sens renvoie à plusieurs dimensions : « La sensation d'abord, tout le domaine de la

24 MAUSS, Marcel. Les techniques du corps. 1936, p.365.

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sensibilité, du sensuel et de l'émotionnel, mais aussi la direction, le bien fondé d'un

cheminement et l'ouverture ou la saisie d'une perspective, la signification enfin, de

nouvelles voies pour l'intelligence des choses, une capacité à éclairer le présent par les

représentations du passé, et d'un certain avenir »26.

Chacune de ces dimensions fait écho avec notre objet de recherche, le sens comme signification donnée à cette expérience, le sens au niveau sensoriel et sensible, et le sens comme direction et orientation axiologique.

L’objet de notre recherche est le vécu de cette expérience sensible avec une attention toute particulière sur le moment critique où l’étudiant entre en contact pour la première fois avec un corps malade. Notre problématique générale questionne, au sein du processus

d’interaction de soin, en quoi l’expérience sensible et sociale de la première rencontre

avec le corps malade est signifiante pour l’étudiant en soins infirmiers.

2.2. L’ancrage théorique en SIC

Trois concepts clés constituent les bases théoriques sur lesquelles va s’appuyer notre réflexion : le corps, les émotions et la communication. Ces concepts animent une large partie des réflexions en SIC et se trouvent à l’intersection de nombreuses disciplines issues des Sciences Humaines et Sociales ayant un bagage commun de concepts fondamentaux.

Les SIC sont une discipline qui a une place privilégiée pour associer et entrelacer, et non juxtaposer, les différentes approches nécessaires à l’exploration et à la compréhension de notre objet d’étude. Les SIC revendiquent l’interdisciplinarité et une complète autonomie et « si les SIC empruntent à d’autres disciplines questionnements et approches, c’est pour

les reformuler, les inscrire dans leurs propres perspectives et les adapter à leur objet »27.

Patrick Charaudeau définit l’interdisciplinarité comme étant « l’effort d’articuler entre eux

les concepts, les outils et les résultats d’analyse de différentes disciplines »28

, et précise les conditions de sa réalisation en recourant à la notion d’interdisciplinarité focalisée comme

26 BOUGNOUX, Daniel. La crise de la représentation. Coll. La Découverte, Paris : 2006, p. 88.

27 BOURE, Robert. « L’histoire des sciences de l’information et de la communication (2). Le cas des origines littéraires des SIC », in Questions de communication, 11/2007.

28CHARAUDEAU, Patrick, cité par FLEURY, Béatrice, WALTER, Jacques. « Interdisciplinarité, interdisciplinarités », in Questions de communication, 12/ 2010.

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« état d’esprit engendrant une démarche qui cherche à tenir à la fois la multi-appartenance disciplinaire des phénomènes sociaux et la rigueur d’une discipline ». Roselyne Koren renchérit et considère l’interdisciplinarité focalisée comme « une ouverture au sein de

l’orthodoxie disciplinaire »29

.

Toute la difficulté va résider dans la façon d’interroger les concepts sans les déformer et d’expliquer à quelles fins ils seront empruntés et intégrés dans notre analyse. Certains concepts ont des portées sémantiques très larges et peuvent prêter à confusion ou donner lieu à plusieurs définitions. Dans un souci de clarification, nous préciserons l’acception retenue et le sens donné aux termes utilisés, et nous dirons comment nous les appliquons dans une perspective communicationnelle.

Notre approche est multiple, nous naviguons d’une perspective microsociologique à une phénoménologie plus macro. Notre recherche n’a pas pour objectif une quelconque orthodoxie théorique, elle propose au contraire la mise en lien entre les questions qui émergent du terrain et les concepts qui s’avèrent les plus adéquats. Mais comment affirmer que les concepts sont adéquats, et peut-il y avoir production scientifique avec des concepts qui « s’appliquent à peu près », pour reprendre l’expression de Howard S. Becker ?

L’auteur nous éclaire en tenant le propos suivant : « Bien que nous réfléchissions à leur sujet, que nous spéculions à leur sujet et que nous les définissions, les concepts ne sont pas simplement des idées, ou des spéculations, ou des problèmes de définition. En fait, les concepts sont des généralisations empiriques qui doivent être mises à l’épreuve et affinées sur la base des résultats de recherche empirique, c’est-à-dire sur la base d’une connaissance du monde. Nous avons souvent du mal à appliquer des concepts aux phénomènes sociaux réels : ils s’appliquent à peu près, mais pas tout à fait. C’est parce que nous définissons rarement les phénomènes par un seul critère clair et sans ambiguïté »30.

Notre recherche emprunte le chemin de la diversité conceptuelle considérant qu’une perspective théorique unique n’est pas pertinente pour analyser les situations vécues.

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KOREN, Roselyne, cité par FLEURY, Béatrice, WALTER, Jacques. Ibid.

30 BECKER, Howard S. Les ficelles du métier. Comment construire sa recherche en sciences sociales.

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L’inscription de notre recherche en SIC va se faire ainsi par la conceptualisation à travers plusieurs disciplines mais aussi à travers différentes approches théoriques, l’interactionnisme symbolique, le sensible et la phénoménologie.

2.3. Le positionnement épistémologique

L’ouvrage de David Le Breton L’interactionnisme symbolique nous a servi de repère

méthodologique. Dans son introduction il écrit : « La sociologie est foisonnante d’approches des hommes ou des sociétés, elle multiplie les angles de regard et les méthodes pour donner sens à l’action ou expliquer les mouvements incessants du

social. »31L’interactionnisme symbolique établit son domaine de recherche sur la

concrétude des relations interindividuelles, il accorde une place centrale à l’interaction sur fond d’interprétation. C’est le cadre épistémologique que nous avons choisi pour aborder la complexité de l’interaction de soin, comme le sont toutes les interactions sociales. Notre intérêt ne se tourne pas uniquement sur les rapports de tension entre les normes soignantes et les normes sociales et ses principes d’ajustement. Il porte également sur ce qui se joue entre les acteurs dans la détermination de leurs comportements, dans la construction du sens, dans le moment de l’interaction, dans la capacité de renégocier le rapport au monde. L’interactionnisme permet d’identifier « les processus à l’œuvre dans

une société en train de se faire »32, elle nous permet d’identifier les processus à l’œuvre

dans l’interaction de l’étudiant en train de devenir soignant. « Le processus d’interaction

est symbolique, c’est à dire qu’il est un échange de signification. »33

Ce courant de pensée rassemble tout un réseau de chercheurs ayant une sensibilité

commune et partageant un intérêt pour le « monde naturel de la vie quotidienne »34. Ils

proposent un cadre théorique de concepts sensibles pour notre analyse. La dimension

microsociale du soin appelle à prendre en compte le contexte de l’interaction, le cadre de

l’expérience, les relations de face à face et le caractère négocié de l’échange.

L’étude ne se limite pas au microsocial. L’intérêt de ce qui se passe in situ doit s’enrichir

de l’extra-situationnel, de l’environnement signifiant dans lequel les acteurs évoluent et

31 LE BRETON, David. L’interactionnisme symbolique. Paris : PUF, 2008, p. 1.

32

Ibid., p. 6.

33 Ibid., p. 7.

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