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ECOLE ET EDUCATION APRES 1947

1. LA PORTEE DE LA REFORME DE L’ENSEIGNEMENT DE 1948

Après la Seconde Guerre mondiale, quand la Roumanie devint l’un des pays satellites de l’Union Soviétique, les transformations du système d'enseignement suivirent les changements généraux du pays imposés par l'idéologie marxiste-léniniste du Parti unique. L’éducation était donc mise au service du régime, avec pour tâche de former l'homme nouveau - sujet élu qui devait parachever la révolution socialiste1. Au début des années trente, Makarenko est devenu le port parole du projet éducatif soviétique. Le principe fondamental de la pédagogie soviétique était de poser les bases de l’entreprise éducative qui allait suivre: « L’école a pour tâche de former le nouvel homme collectif.

Elle doit créer des personnalités communistes. »2.

Dans cette perspective, l’événement référentiel d’importance majeure, qui a marqué la fin de l’ancien modèle d’éducation et jeté les bases légales de l’application du nouveau système éducatif d’inspiration soviétique, a été la réforme de l’enseignement de 1948.

Au plan structurel

Au plan structurel, la réforme de l'enseignement de 1948 a été caractérisée par l'introduction du manuel unique, le fonctionnement exclusif de l'école d’Etat et

« l’épuration » des manuels scolaires et des supports de cours selon le « nouvel esprit » de l'idéologie matérialiste dialectique. L’enseignement privé et religieux étaient supprimés. A noter que l’enseignement confessionnel supérieur (les Facultés orthodoxes de Bucarest et Sibiu) ou d’un degré équivalent (les Séminaires romano-catholiques de Iassy et Alba-Iulia) a pu se poursuivre officiellement.

L’enseignement dispensé éliminait toute référence à une identité roumaine classique3 et à la culture occidentale. La culture russe, dans sa version soviétique, supplantait la culture roumaine traditionnelle4. « En raison de l’amitié avec l’URSS »1,

1 César Bîrzea, Les politiques éducatives dans les pays en transition, Ed. du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1994, p.38.

2 Anton S. Makarenko in Emil Wiederkehr, La jeunesse sous l’emprise de la morale rouge. Faits et documents sur la situation de la jeunesse des pays de l’Est, Ed. Comité d’aide aux victimes du communisme, Berne, 1958, p. 9.

3 « Après 1947, la Roumanie semblait être l’un des pays communistes qui avait le plus complètement perdu son identité nationale », Cf. I. Fetscher et coll., Le communisme de Marx à Mao Tsé-tung, Ed. Librairie Universelle/P.M.S., Paris, 1974, p. 194.

4 La « russification » de la vie intellectuelle a duré jusqu’au début des années soixante. A ce moment-là, la Roumanie s’est décidée à suivre progressivement une ligne « national-communiste ». Cette

on a également introduit pour la première fois en Roumanie l’enseignement obligatoire de la langue russe dans les écoles primaires et secondaires. En 1946, des chaires de langue et littérature russes ont été créées à la Faculté des Lettres de Bucarest2.

Des critères idéologiques intervenaient, à la demande de Moscou3, dans la sélection des valeurs culturelles4 ; ainsi, des figures marquantes de la culture traditionnelle roumaine étaient-elles enlevées des manuels scolaires (N. Iorga, L. Blaga, V. Voiculescu, I. Pillat, D. Gusti, O. Goga, E. Lovinescu, G. Enescu, C. Brâncusi, M.

Eliade, T. Arghezi, C. Radulescu-Motru, V. Pârvan).

La langue roumaine, l’histoire, la géographie, l’éducation civique, l’économie politique et la sociologie étaient dorénavant enseignées conformément aux « réalités politiques et sociales », c’est-à-dire modifiées, tronquées ou présentées partiellement selon les mêmes critères de référence.

Les exigences de l’examen de baccalauréat, provisoirement dénommé examen de maturité, avaient été abaissées pour permettre à un nombre d’élèves aussi grand que possible l’accès aux écoles de spécialité post-lycéenne, pour la plupart techniques, qui répondaient ainsi aux besoins en cadres moyens de l’économie socialiste. Pour preuve, si en 1925 le pourcentage de ceux qui y réussissaient était à peine de 48,5 % des élèves inscrits5, en 1975 le nombre d’échecs était dérisoire, puisqu’il représentait moins de 1 %.

Une nouvelle discipline était apparue : l’enseignement politique et idéologique.

Ce dernier était dispensé dans les écoles, gymnases, collèges et universités et consistait en l’étude des œuvres de Marx, Engels, Lénine, Staline et des directives de la politique du Parti communiste roumain. Les enseignés comme les enseignants, à tous les niveaux de formation, perdaient leurs droits de critiquer et de discuter librement. Cette matière se donnait également en dehors du système d’enseignement institutionnalisé, dans les collectifs de travail, associations professionnelles, clubs sportifs. Dans les prisons, l’enseignement politique et idéologique s’appelait rééducation et visait à intégrer toute personne au régime communiste. La rééducation s'identifiait au lavage de cerveau, et atteignit son apogée avec l'expérience de Pitesti en milieu carcéral entre 1949 et 1952 ; par des tortures physiques et psychiques ininterrompues pendant des semaines, où tout le monde était à la fois victime et bourreau, les autorités y tentaient de transformer des étudiants en hommes nouveaux communistes. Une thèse de doctorat en psychologie

décision coïncide avec le retrait, en 1959, de l’armée soviétique stationnée en Roumanie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

1 Rapport du Ministère de l’Education nationale de Roumanie envoyé à la IXe Conférence Internationale de l’Instruction publique, in Annuaire International de l’Education et de l’Enseignement, op.cit., 1946, p. 119.

2 Ibid., p. 119.

3 L’accès aux archives soviétiques, après 1991, a permis la publication ultérieure des « Directives de base du NKVD (Service de sécurité soviétique) concernant les pays sous l’influence soviétique », Moscou le 2 juin 1947, top secret, K – AA/CC 113, Indication NK/003/47. Chapitre 35 : « Il faut remplacer les professeurs émérites et populaires des écoles élémentaires, spécialisées, mais surtout des lycées et des facultés. Leurs places doivent être occupées par des gens désignés par nous, ayant un niveau de formation faible ou moyen. (…) », in C. Andrew et O. Gordievski, KGB – Istoria secreta a operatiunilor sale externe de la Lenin la Gorbaciov (KGB – L’Histoire secrète de ses opérations externes de Lénine à Gorbatchev), Bucuresti, All, 1994, p. 490.

4 « Si l’idéologie communiste s’est tant attaquée aux repères culturels c’est que la culture est le pire ennemi de l’idéologie », cf. Irena Talaban, Le Christ s’est arrêté à Pitesti, thèse de doctorat, Université Paris VIII, 1998, p. 280.

5 Rapport de G. G. Antonescu sur l’examen de baccalauréat en 1925, in Revista generala a învatamîntului (Revue générale de l’enseignement), Bucuresti, MEN, 1925, p. 439.

clinique et psychopathologie, soutenue à Paris en 1998, traite le sujet de la rééducation de Pitesti1.

D'autres disciplines comme la philosophie, le droit et la pédagogie étaient soumises à un contrôle rigoureux (admission à l’enseignement supérieur sur dossier faisant preuve de l'origine sociale prolétaire du candidat2, censure du contenu des cours).

La médecine et les mathématiques gardaient une indépendance relative et, par voie de conséquence, préservaient mieux leur prestige, malgré une évolution proportionnellement ralentie par rapport à d’autres branches.

En revanche, l'enseignement technique et polytechnique connaissait un développement sans précédent, car l’école devait assumer la formation de la main-d’œuvre nécessaire à l’économie socialiste planifiée, notamment pour ce qui était de l’industrie lourde, chimique, de l’énergie et de l’agriculture. Dans ce sens, le développement de l’enseignement technique supérieur au détriment de l’enseignement universitaire est révélateur : alors que le premier, qui représentait 47,8 % du total de l’enseignement supérieur en 1948, est passé à 51,7 % en 1965 pour atteindre 77,8 % en 1983, l’enseignement universitaire a connu une évolution inversement proportionnelle : de 52,2 % en 1948, il est passé à 48,3 % en 1965, et à 22,2 % en 19833.

Au plan quantitatif

Au plan quantitatif, de manière générale et dans la perspective des changements structurels radicaux mis en place, l'enseignement roumain postérieur à la réforme de 1948 connut un essor considérable en termes de suppression officielle de l’analphabétisme, de nombre d’élèves, d’étudiants, d’écoles, d’universités, de salles de classes, de laboratoires, de bibliothèques. En 1930, selon le recensement général de la population de la Roumanie de cette même année, l’analphabétisme était de 38,2 % ; en 1945, il tombait à 20,5 % et en 1961, il ne représentait plus que 1 % de la population4.

L’enseignement de tous les degrés enregistrait une progression statistique spectaculaire. Pour prendre l'exemple de l'enseignement supérieur, le nombre total d'étudiants en 1953 s'élevait à 70 000 contre seulement 55 300 en 1951. En 1953, ce progrès numérique situait la Roumanie, avec 438 étudiants sur 100 000 habitants, devant la France ou la Belgique, où le même taux était respectivement de 341 étudiants et de 2505. Le nombre total d’étudiants a passé de 130 614 en 1965 à 174 042 en 19836. Toutefois, il faut mentionner que ces chiffres incluent le système de l’enseignement

1 I. Talaban, op.cit. Voir également à ce sujet V. Ierunca, Pitesti-laboratoire concentrationnaire (1949-1952), Ed. Michalon, Paris, 1996 et le film documentaire Treptele caderii (Les étapes de la déchéance) réalisé par Anca Hirtze et Jean Lafoux, Youmi Productions (France) et Tofan Grup (Roumanie), 1998.

2 « Dans l’enseignement supérieur, la priorité ou l’exclusivité doit être accordée à ceux provenant des catégories sociales les plus basses, ceux qui ne sont pas intéressés à se perfectionner à un niveau élevé mais qui cherchent seulement à obtenir un diplôme », C. Andrew et O. Gordievski, op. cit., p. 491, Chapitre 45.

3 Rapport du Ministère de l’éducation et de l’enseignement sur L’Enseignement en République Socialiste de Roumanie, Bucuresti, MEI, 1984, p. 62.

4 Rapport sur La liquidation de l’analphabétisme dans la République Populaire Roumaine, Bucarest, Commission nationale de la RPR pour l’UNESCO, 1962, pp. 5, 7, 16.

5 E. Wiederkehr, op.cit., p. 22.

6 Rapport sur L’Enseignement en République Socialiste de Roumanie, op.cit., p. 60.

technique supérieur « par points » des années cinquante, conformément auquel un étudiant de l’Ecole polytechnique pouvait devenir ingénieur diplômé après seulement six mois d’études.

Des expériences déjà entrées dans l’histoire nous obligent à être prudents avec l’interprétation des données statistiques. L’Allemagne sous les Nazis et le Japon sous le régime militaire comptaient parmi les pays les mieux instruits et les plus scolarisés du monde et, jusqu’à il n’y a pas longtemps, l’Union Soviétique était le pays qui avait poursuivi pendant quarante ans l’effort éducatif le plus rapide et le plus puissant qu’ait connu la planète. Néanmoins, George S. Counts1 nous rappelle que le niveau de la culture humaine ne peut pas être mesuré au nombre des écoles et que l’éducation, force puissante de la société, peut être bonne ou mauvaise non pas en fonction des lois du savoir, mais de la conception de vie ou de civilisation qu’elle exprime.

Il est certain que, à ce moment-là, la Roumanie enregistra une démocratisation des études. Néanmoins, ce phénomène n’était pas un acquis exclusif de la démocratie populaire, comme la propagande du régime tentait de le présenter. Le concept de démocratisation en matière d’éducation remonte au début de ce siècle et il joue un rôle explicite dans le mouvement éducatif international, avec ses variantes libérales et socialistes2. Dans les pays occidentaux, il est une résultante de l’évolution de la société, et à partir des années soixante-dix on le retrouve dans la législation spécifique de la plupart des pays européens3.

Au plan qualitatif

Au plan qualitatif, l’introduction de la réforme de 1948 entraîna une véritable mutation : l'enseignement fut amputé de ses valeurs traditionnelles et non-conformes.

Cette démarche avait pour but de créer des « bases » à la nouvelle éducation et comme conséquence prévisible de séparer progressivement l’enseignement roumain du patrimoine culturel européen « bourgeois et rétrograde » et de l'intégrer dans le nouvel espace culturel de l'Est.

La réorganisation du système éducatif alignait la Roumanie sur le modèle soviétique et allait donc de pair avec la transformation radicale de la société.