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Pores transitoires : résultats expérimentaux globaux qualitatifs

Chapitre IV: Pores transitoires dans les vésicules tendues

IV.2 Pores transitoires : résultats expérimentaux globaux qualitatifs

2.1 Vésicules adhérant sur un substrat solide

1a) Adhésion faible : fuite lente

La perméabilité d’une vésicule géante augmente lorsqu’elle est collée à une surface solide rugueuse(23), ou bien plane mais décorée par des motifs de fonctions chimiques différentes(24). Une vésicule se vide aussi, partiellement, quand elle adhère sur une surface lisse et homogène chimiquement : le suivi de la zone d’adhésion au cours du temps, par microscopie EWIF, montre que la perméabilité de sa membrane augmente alors de plusieurs ordres de grandeur(25). De même, on observe bien qualitativement une telle diminution du volume entre deux instants successifs, sur les images de la Figure III–15. Seule la présence de pores transitoires permet d’expliquer cette fuite lente de la solution interne. Alors qu’ils ont été détectés sur les surfaces décorées, les pores n’ont jamais pu être observés directement par microscopie optique, dans le cas d’une vésicule mise sous tension uniquement par l’adhésion faible sur une surface homogène. Deux raisons peuvent l’expliquer : leur localisation probable près du bord, à l’endroit de courbure maximale de la membrane ; l’absence de défaut nucléateur de taille supérieure au µm.

a b

Figure 7 : a) Micropipette d’électrophysologie intracellulaire, insérée dans une vésicule géante adhérant sur une surface de verre, en milieu Na+Cl- et Ca2+,2Cl-. L’image provient de coupes de fluorescence, prises sur le microscope à deux photons ; b) Micropipette observée en transmission.

Nous apportons une autre preuve expérimentale de cette perméabilité accrue d’une vésicule géante en adhésion faible, basée sur une mesure électrique(26). L’expérience consiste à insérer dans la vésicule une micropipette très fine1, permettant de mesurer in situ la résistance de membrane.

1 Remplie d’une solution de K+Cl- 1M et de calcéine 1mM, de conductivité électrique γS≈10-2 S/cm, la pipette possède une conductance Gtip=10-8 S. Son rayon interne à l’extrémité est estimé à rint=Gtip/(παγS)≈100 nm.

5 µm 2α≈4°

Figure 8 : Trace électrique typique d’une membrane de vésicule géante. Une impulsion de courant d’intensité 100 pA est injectée dans la vésicule pendant environ 200 ms. La membrane se charge avec un temps caractéristique de 16 ms, jusqu’à atteindre une tension transmembranaire de 100 mV. La bicouche possède une résistance de 1 GΩ, ou inversement une conductance de 1000 pS.

La membrane d’une vésicule en suspension possède une conductance faible, typiquement pS

100 ≈ m

G : un courant de 10 pA suffit à assurer un potentiel transmembranaire de 100 mV. Pour établir la même tension électrique entre l’intérieur et l’extérieur d’une vésicule en adhésion sur le verre, le courant injecté doit être plus fort (100 pA ou plus). On écrit formellement un incrément de conductance dû à la présence de pores : G=Gm+Gp. La valeur moyenne de Gp, mesurée sur plusieurs vésicules de tailles proches, est corrélée avec la force de l’adhésion. Ainsi, Gp passe de 100– 150 pS dans un milieu contenant 0.5 mM d’ions Ca2+, à 200–400 pS quand ces ions divalents qui s’adsorbent sur les bicouches ont leur concentration doublée. L’effet est encore plus prononcé pour les vésicules collées sur le verre grâce à la poly(L-lysine) : Gp900 pS à pH6.6 et Gp≈2400 pS à pH4.3, quand la charge positive du verre est augmentée. De ces mesures, on déduit que la perméabilité de la membrane à l’électrolyte (Na+Cl- 1mM) croît lorsque l’énergie d’adhésion augmente, et donc aussi la

tension de surface. Compte tenu de la conductivité électrique de la solution, γS =1.2×104S/cm, cette conductance Gp≈100–1000 pS peut être créée par un unique pore de taille Gp γS ≈10−100nm, ou de façon équivalente, par plusieurs pores de plus petite dimension. Dans tous les cas, la microscopie optique ne permet pas de les observer autrement que par une diminution du volume, ou bien une disparition de contraste optique par mélange des solutions interne et externe.

1b) Adhésion forte : éclatement irréversible

Des vésicules en adhésion forte sur une paroi solide éclatent par expansion d’un pore unique. Après une période d’approche puis d’étalement, la vésicule est fortement tendue par l’adhésion sur le solide. Elle possède une forme très aplatie, s’écartant beaucoup de celle d’une sphère. L’angle de contact de la membrane sur la surface est θ <<1. Si L désigne la taille caractéristique de la zone de contact, la

hauteur de la vésicule est hLθ, de l’ordre de 1–2 µm. Elle est en effet inférieure à la profondeur de champ ∆z de l’objectif. De multiples taches fluorescentes sur le verre indiquent que des vésicules ont déjà éclaté. L’observation attentive permet d’enregistrer plusieurs événements de rupture. Au départ, un trou de rayon ri≈1 µm nuclée au bord de la membrane fluorescente. Son rayon présente une croissance exponentielle, puis tend vers un rayon rc. Cette saturation n’est pas un effet de bord, car elle s’amorce alors que le pore ne couvre qu’une fraction modérée de la surface de la vésicule (image b). Sur les images apparaît aussi une avancée de la tache fluorescente sous la vésicule, et donc un étalement de la membrane sur le verre (la ligne verticale à gauche de l’image peut servir de repère pour voir cet effet). Contrairement aux expériences qui vont suivre, le milieu des vésicules ne contient pas de glycérol, et sa viscosité est proche de celle de l’eau pure. La courbe maîtresse en trait continu rassemble les points issus de trois expériences sur le même graphe. Elle résulte d’un modèle hydrodynamique, tenant compte uniquement du flux de lipide accompagnant l’ouverture du pore.

a b c

d e

Figure 9 : Eclatement d’une vésicule de DOPC, marquée par Di-6-ASPBS, contenant du glucose 100 mM et suspendue dans du sucrose 100 mM à pH3, sur une surface très adhésive de poly-(L-lysine). Le pore s’est ouvert sur l’image a), juste à droite du mot « Plys ». Le graphe est tracé en cordonnées semi-logarithmiques, en fonction des unités réduites de rayon r rc et de temps t τ, où est τ le temps caractéristique d’ouverture. Le rayon de nucléation ri est mesuré, tandis que le rayon rc est choisi légèrement supérieur au rayon maximum. L’équation de la courbe maîtresse sera donnée dans la section IV–3, dans laquelle le modèle théorique est exposé.

Temps en unité réduite t/τ

R ayon du pore r éd u it r/ rc L h

2.2 Vésicules dans un mélange d’eau et de glycérol

A l’origine, on avait à l’idée de ralentir le drainage du liquide intercalé entre la vésicule et la surface solide. Pour cela, on a préparé des vésicules dans une solution visqueuse d’eau et de glycérol. Mais un résultat imprévu nous a détourné du but initial : au fur et à mesure qu’on les observait, les vésicules se tendaient, puis un trou apparaissait furtivement dans la membrane fluorescente, avant de se refermer. Le phénomène était reproductible, et allait changer le cours de ce travail…

a b c d

e f g h

Figure 10 : Succession de pores transitoire photo-induits dans une vésicule de DOPC marquée avec Di-6-ASPBS ; au départ la vésicule est fluctuante (a) ; après 15 min d’éclairement elle est devenue tendue (b) ; par la suite, des pores apparaissent successivement, à différents endroits et à intervalle régulier (environ 4 min), tandis que la vésicule se vide peu à peu de sa solution interne (c à h).

Figure 11 : Fermeture d’un pore transitoire à vitesse lente, mesurable sur les images vidéo, car ralentie par la viscosité accrue du solvant (glycérol 66%), qui doit s’évacuer lentement à travers le pore.

Temps t (s) R ayon r du pore ( µ m)

Pourquoi les pores transitoires ont-ils une taille si grande dans ces conditions, alors qu’ils sont invisibles au microscope optique dans une solution dépourvue de glycérol ? Les modèles de relaxation de la tension de surface présentés au 1c) prévoient des pores stationnaires macroscopiques. Néanmoins, la fuite du liquide interne diminue rapidement la tension de surface, et empêche les pores d’atteindre leur maturité. En rendant le solvant des vésicules plus visqueux, on allonge la durée pendant laquelle la tension de surface subsiste, permettant aux pores d’atteindre leur taille maximale. Dans ces expériences en milieu riche en glycérol, la mise sous tension des vésicules est assurée par une illumination intense avec la lampe du microscope, qui provoque la sortie de la membrane d’un flux constant de lipides. Ce phénomène un peu mystérieux est caractérisé à la section IV–5. Il ne change en rien la description théorique, selon laquelle la membrane est tendue par une tension latérale.

Par rapport aux premières images de pores transitoires, celles de la Figure 12 représentent l’amélioration technique réalisée pour acquérir, de façon précise et automatisée, les rayons r du pore et R de la vésicule. L’algorithme présenté en III–2.4 détecte le contour de la membrane (liseré) et calcule numériquement les deux rayons. Celui de la vésicule est défini comme le rayon de la sphère de même volume que celui de la forme expérimentale, calculé grâce à la symétrie de révolution1.

Figure 12 : Séquences d’un pore transitoire dans une vésicule, à des instants t successifs (indiqués en s). La membrane se compose d’un mélange DOPC / cholestérol (8:2), marqué par Di-6-ASPBS. Les solutions interne et externe contiennent du glucose 0.1M dans un mélange eau 34% / glycérol 66%.

1 Le rayon R n’est pas défini à partir de la surface calculée numériquement, car sa mesure est plus bruitée que celle du volume. De plus la fuite de solution interne est quantifiée par un débit volumique à travers le pore. Il semble donc plus judicieux de calculer la diminution du volume interne pour comparer l’expérience à la théorie.