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Adhésion spécifique stabilisée par une répulsion stérique

Chapitre V: Adhésion des vésicules tendues

V.3 Adhésion entre membranes libres

3.3 Adhésion spécifique stabilisée par une répulsion stérique

a) Préparation de « cellules artificielles »

Comme annoncé au paragraphe 1.5, une étude préliminaire a été réalisée sur un modèle ultra-simplifié de cellules adhérentes : des vésicules géantes décorées sur leur membrane externe par une protéine d’adhésion, de la famille des cadhérines1. Ce sont des fragments purifiés EC1–EC2 de la cadhérine-11. Afin que la surface des vésicules soit recouverte d’ions Ni++, qui fixent les protéines par leur terminaison 6xHis, le lipide NTA complexé au nickel (Figure 8) est mélangé au lipide diluant DOPC. Nous allons voir qu’il est aussi nécessaire d’incorporer des molécules qui jouent le rôle d’une matrice extracellulaire pour nos « cellules artificielles » : des phospholipides DSPE-PEG2000 (Fluka 43705, Mw≈2800 g/mol), possédant des chaînes carbonées C18:0, et une tête polaire greffée à un pelote de PEG. Plusieurs compositions lipidiques ont été testées (en fractions molaires) :

- (1) DOPC/NTA (92:8) soit 10 % en poids de lipide ligand ; - (2) DOPC/NTA (87:13) soit 20 % " " " " " - (3) DOPC/NTA/PEG2000 (87:8:5).

Dans les trois cas, le protocole classique d’électroformation (cf. II.1.3), dans du sucrose 300 mM, conduit à des vésicules géantes fluctuantes et de tailles normales. Autre constat positif, les ions Ni++ complexés ne posent aucun problème d’éclatement des vésicules sur le verre.

Sauf indication contraire, les vésicules sont d’abord marquées par perfusion du colorant Di-6-ASPBS 5.6 µM (cf. III–2.2b). Les aliquots de vésicules (20 µL) sont ensuite sédimentés dans 400 µL de glucose 250 mM, contenant par ailleurs un tampon à pH8, TBE 0.25x (22.5 mM Tris borate et 0.5 mM EDTA, complexant les cations divalents) pour ne pas dénaturer les protéines. On ajoute alors 5 à

20 µL d’une solution de protéine environ 5 µg/mL, dans 20 mM de Tris pH8 et 250 mM d’imidazole1. Les vésicules sont incubées avec la protéine pendant approximativement une heure. On prélève ensuite le surnageant (370 µL), qui contient essentiellement des protéines non greffées. La plupart des vésicules restent dans les 30 µL au fond du tube. L’adhésion homophile des cadhérines peut ensuite être déclenchée par le calcium, selon deux protocoles légèrement différents :

- soit dans le même tube, en complétant à 400 µL avec du tampon, contenant en plus 1 à 2 mM de Ca++,2Cl ; les vésicules sont alors observées plus tard ;

- soit par transfert des vésicules dans une chambre d’observation ouverte (cf. II.2.1a), afin de suivre en temps réel les transformations opérées sur elles par le calcium.

Figure 28 : Visualisation de la zone d’adhésion grâce à une cadhérine fluorescente. Les vésicules ont été préparées à partir du mélange lipidique (1), incubées avec la cadhérine-11 (EC1–EC2–6xHis), 0.125 µg/mL, mélangée avec 5% de protéine fluorescente (Alexa 546), dans du glucose 250 mM / tampon TBE 0.25x à pH8. Après 50 min, la moitié de la solution a été échangée par un milieu comportant 2 mM de calcium. Les premiers contacts ont été observés au bout de 35 min.

Afin de tester si les protéines s’accrochent bien aux membranes via l’hexamère d’histidine, des observations ont été réalisées par marquage fluorescent, non plus des lipides, mais des protéines :

- la cadhérine-11 marquée avec Alexa 546, sur des vésicules de composition lipidique (1) ; - une protéine GFP (“green fluorescent protein”), pour chacune des formulations (2) et (3)2.

Dans le cas de la cadhérine-11 (Figure 28), une localisation de la protéine sur la membrane des vésicules est observée, malgré un niveau de fluorescence faible. De plus, la protéine semble bien s’accumuler dans la zone d’adhésion entre les deux vésicules. L’expérience mériterait cependant d’être reproduite, avec un taux de marquage fluorescent plus fort. Quant aux images avec la GFP (non montrées), l’étude de leur anisotropie de fluorescence (cf. III–75à77) montre que les protéines sont

1 entrant en compétition avec 6xHis pour complexer Ni++, sa concentration finale ne doit pas dépasser 20 mM.

2 expérience réalisée par L. Moreaux (ESPCI / Neurophysiologie) et F. Amblard (Institut Curie / PCC).

bien orientées perpendiculairement aux bicouches. Elles sont donc greffées spécifiquement aux lipides NTA, et non simplement adsorbées à la surface des vésicules. Par ailleurs, les membranes de compositions (2) et (3) présentent des niveaux de fluorescence équivalents en présence de GFP. Les pelotes de PEG ne constituent donc pas une barrière répulsive pour les protéines.

b) Adhésion électrostatique due au calcium

Les ions calcium sont nécessaires dans le milieu pour déclencher l’interaction trans des cadhérines (cf. 1.5). Comment étudier dès lors l’adhésion des protéines, alors que Ca++ provoque lui même une agrégation très forte des membranes ? Les vésicules préparées avec le mélange (1), sans lipide lié au PEG, forment des mousses en milieu contenant 1 à 2 mM de Ca++,2Cl. Les vésicules présentent de larges aires de contact entre elles, et développent rapidement des invaginations.

Figure 29 : Echantillon témoin, sans cadhérine, mais avec 2 mM de calcium, pour des vésicules préparées avec la composition (1). Les invaginations apparaissent au bout de 2 min environ.

c) Adhésion spécifique des cadhérines entre vésicules « chevelues »

a b

Figure 30 : Agrégation des vésicules préparées avec la formulation (2), visualisées en microscopie de transmission (a) et de fluorescence (b), grâce au marqueur membranaire Di-6-ASPBS. Les vésicules ont été incubées avec la protéine « dans le tube », pendant 6 heures, dans un milieu 1 mM Ca++,2Cl.

10 µm 10 µm

Les vésicules sont protégées efficacement contre l’adhésion non spécifique, grâce à une couche de PEG greffé sur une partie des lipides, assurant une répulsion stérique (1.1b). En effet, des échantillons témoins (sans protéine), respectivement à 0.6 mM et 1.2 mM de calcium, présentent seulement quelques adhésions entre vésicules, mais aucune invagination. Quand l’adhésion est due au calcium uniquement, les mousses contiennent au plus une dizaine de vésicules, dont les membranes forment des angles proches de 120°. Les parois séparant les vésicules sont larges, et développent au cours du temps des invaginations(Figure 29). Cette structure de mousses créées par adhésion non spécifique est facilement reconnaissable des agrégats stabilisés par le greffage du PEG2000.

L’aspect est très différent pour un échantillon de vésicules couvertes de PEG et de cadhérines, mises en présence de calcium 1 mM pendant une longue durée, à l’intérieur d’un tube. Il ne reste alors plus aucun vésicule isolée en suspension. Elles sont en effet toutes agglutinées en grappes, qui comptent chacune des centaines de vésicules (Figure 30). Leurs formes individuelles sont quasi-sphériques, les aires de contact entre vésicules restant assez faibles.

Figure 31 : Etablissement des contacts entre des vésicules recouvertes de PEG2000 et de cadhérine-11, au hasard des rencontres. Le calcium est ajouté directement « sous l’objectif ».

Afin de visualiser l’assemblage progressif des vésicules, le calcium est ajouté cette fois directement dans la chambre d’observation1. L’injection induit par ailleurs des écoulements, qui mettent en mouvement les vésicules, et favorisent les rencontres entre deux membranes. Au lieu de se repousser normalement, à cause des ondulations thermiques, celles-ci restent collées l’une à l’autre. Les vésicules forment ainsi des chaînes (Figure 31), qui doivent être les premiers stades vers les agrégats géants observés précédemment.

Un dernier trait caractéristique de l’adhésion spécifique avec les cadhérines est la réversibilité des contacts. A l’inverse, le pontage électrostatique de deux vésicules par le calcium n’est pas réversible, du moins lorsque l’étape d’hémifusion a débuté. Sur la Figure 32, deux vésicules initialement collées se détachent à cause d’un cisaillement, lorsqu’elles sont emportées par un léger flux hydrodynamique. A la fin, elle ne sont plus reliées que par un étroit filament de membrane.

1 injection de 4 µL d’une solution de Ca++,2Cl 100 mM dans le puits d’observation (400 µL). 10 µm

Figure 32 : Réversibilité des contacts, par adhésion avec la cadhérine-11.