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Interaction électrostatique

Chapitre V: Adhésion des vésicules tendues

V.1 Les forces intermoléculaires entre bicouches

1.2 Interaction électrostatique

Le dispositif SFA (“surface force apparatus”) permet de mesurer des forces électrostatiques répulsives, entre deux membranes lipidiques dont une partie des lipides possède une tête polaire chargée, telle que PA, PG ou PS (cf. I.1.1). Ces forces sont en partie écrantées par les ions de la solution(10), créant une longueur d’écran électrostatique κ-1

, ou « longueur de Debye » : environ 10 nm dans Na+Cl- 1mM par exemple. Quand bien même les membranes des cellules biologiques sont chargées, elles baignent dans un milieu très salin, dans lequel la portée des répulsions électrostatiques est inférieure à 1 nm. Les cellules font donc appel à d’autres répulsions pour rester à distance les unes des autres (cf. 1.1).

Tout au long de ce travail, on a utilisé des lipides portant une tête polaire phosphatidylcholine PC, qui est un zwitterion (+/–), de charge nominale nulle. Pourtant, des expériences de SFA révèlent une force répulsive entre des bicouches de PC, dont la décroissance est caractéristique d’une interaction électrostatique(11). Cette répulsion n’est pas rencontrée entre des bicouches zwitterioniques d’un autre type (PE), excluant ainsi que cette interaction puisse provenir simplement des dipôles. Pour rendre compte de leur répulsion, on doit attribuer aux lipides PC une faible fraction de charges, environ 0.1– 0.5%. Elle permet d’expliquer également des mesures électrocinétiques réalisées sur des vésicules (LUV), conduisant à un potentiel zeta négatif(12,13) : –4mV pour la lécithine naturelle (EPC), environ – 10 mV pour des phosphocholines synthétiques (DMPC, DPPC, DSPC), variant avec la température et la salinité. Une autre preuve indirecte de la charge effective négative des membranes de lipides PC est apportée par leur interaction avec des nanoparticules magnétiques : les particules « citratées » négatives forment une couche de déplétion (cf. I.3.5) de part et d’autre de la membrane, tandis que les colloïdes positifs précipitent dessus. Cet effet a été démontré, par des expériences macroscopiques et par microscopie électronique, sur des bicouches enroulées en tubules(14). Les impuretés chargées dans les bicouches de lipides PC pourraient être de l’acide phosphatidique PA (Figure I–4), produit par hydrolyse. Un test par simple chromatographie sur couche mince (éluant : chloroforme / méthanol / eau 65:25:4) ne permet pas de déceler une fraction aussi faible de lipide chargé. Dans les expériences d’adhésion, on gardera à l’esprit que les vésicules géantes de DOPC se comportent comme des objets faiblement chargés négativement.

Des phénomènes complexes sont attendus de l’attraction entre une bicouche lipidique chargée et une surface de signe opposée : une autre bicouche, un substrat plan, une particule sphérique ou une macromolécule (pour l’ADN, qui forme des complexes électrostatiques très denses avec les lipides positifs, voir les références du paragraphe II.1.4e). On recense ici les études expérimentales impliquant l’adhésion électrostatique de vésicules géantes :

(i) Formation d’un cristal colloïdal par adsorption de billes négatives sur une vésicule positive(15,16)

Des billes (Ø≈1µm) portant des groupements de surface négatifs sont attirés par une vésicule géante fluctuante, préparée à partir d’un lipide bicaténaire positif (DDAB), d’un amphiphile neutre et d’un cosurfactant. La vésicule capture un maximum de billes, jusqu’à ce qu’elle devienne tendue, et que les particules forment sur sa membrane un cristal bidimensionnel. Ainsi décorée par les billes, la vésicule possède une charge globale négative.

(ii) Séparation de phases dans la bicouche d’une vésicule fluide positive, adhérant sur une monocouche de phospholipides, de charge négative variable(17,18)

Immobilisés à la surface, les lipides négatifs de la monocouche sont des acides faibles, de sorte que la densité surfacique de charges négatives σ1 est modulée par le pH. La densité surfacique σ2 de charges positives est fixée en moyenne par les lipides positifs de la bicouche, des ammoniums quaternaires. Par augmentation du pH, la surface solide peut devenir plus chargée que la vésicule ; les lipides positifs, mobiles dans la bicouche, vont démixer si l’énergie électrostatique compense leur perte entropique1. La zone d’adhésion de la vésicule sur le substrat devient alors inhomogène, avec d’une part des plaques d’adhésion forte, d’autre part des cloques (“blisters”), où la membrane, appauvrie en lipides positifs, se détache de la surface.

(iii) Dynamique de l’adhésion électrostatique entre des vésicules négatives et une surface solide positive(19)

L’adhésion est réalisée par un “sandwich” verre/ITO/or/thiol sulfonate/poly(L-lysine)2. La dynamique se déroule en trois temps : (1) sédimentation de la vésicule et drainage du film d’eau intercalé entre la membrane et la surface, jusqu’au contact (30 s) ; (2) progression très rapide d’un disque d’adhésion (50 ms), à volume constant, au dépens de l’excès de surface de la membrane ; la distance entre la bicouche et la paroi n’évolue plus (déq, voir ci-dessous) ; (3) élargissement de l’aire de contact (pendant quelques secondes), tandis que les vésicules perdent environ 7% de leur volume. Bien qu’ils ne soient pas visualisés, seuls des pores transitoires permettent d’expliquer un débit aussi important de solution interne. Cette étude met ainsi en lumière l’augmentation de perméabilité d’une membrane tendue par adhésion.

(iv) Adhésion stable d’une vésicules géante un substrat de silicium oxydé(20)

Réalisée dans des conditions qui semblent très proches des nôtres, cette expérience d’adhésion électrostatique, sur une galette de silicium couverte d’un réseau de transistors, conduit néanmoins à

1 Cette condition s’écrit formellement kT e s 2 1 2 2 0 2 σ κ σ ε ε >

, d’où une inégalité σ1>σ2>σ2*.

2 Le traitement de surface est analogue à celui des bandes chargées décrites au II.2.3c), excepté qu'il recouvre ici la totalité de la surface solide.

des membranes plus imperméables. Ainsi la conductance électrique Gm n’est que de 10 pS pour une vésicule en adhésion stable sur le silicium. Par contre, celle de fragments d’une vésicule éclatée sur la surface (en présence de poussières) devient identique à notre mesure de Gp, environ 1000 pS (cf. IV.2.1a). Les vésicules qui adhèrent sur le silicium oxydé présentent une faible perméabilité à l’électrolyte. Ce substrat est certes lisse à l’échelle atomique (d’après mesure ellipsométrique, cf Figure II-16a). Cependant, la surface est composée d’un réseau de lignes, de largeur 1.8 µm, entre lesquelles la hauteur d’oxyde SiO2 alterne entre 10 et 400 nm. D’après les auteurs, la bicouche épouse cette rugosité périodique sans se rompre. Deux différences par rapport à nos conditions expérimentales sont importantes à préciser : les chaînes de poly(L-lysine) utilisées ici sont plus courtes (Mw 10.000 au lieu de 150.000–300.000 g/mol), donc l’adhésion pourrait être moins forte ; le milieu extérieur est clairement hyperosmotique, de sorte que les vésicules sont au départ dégonflées.

a b

Figure 6 : a) Profil d’une vésicule adhérente sur une pastille de silicium, obtenu à partir de sections de fluorescence(20) ; contenant 1% de charges négatives, la membrane adhère sur une couche de poly(L-lysine) adsorbées sur le silicium oxydé ; la vésicule est remplie de sucrose 300 mM et baigne dans du glucose 300 mM, contenant par ailleurs Na+Cl- 40 mM et Tris/HCl 10 mM ; b) Image en microscopie FLIC de la zone d’adhésion, sur un réseau de transistors de pas 3.6 µm.

Du point de vue théorique, la distance d’équilibre entre deux surfaces chargées de signes opposés résulte de la compétition entre l’attraction électrostatique et la pression des contre-ions, confinés entre les parois(21). Elle est reliée aux densités surfaciques de charges et à la longueur de Debye :

Eq. (3) 2 1 1 éq ln σ σ κ = d

Dans les expériences (iii), et dans les nôtres, la salinité est faible (1 mM) de sorte que κ–1

se situe aux alentours de 10 nm. Par ailleurs, la paroi de verre est beaucoup plus chargée que les vésicules(19) : la distance d’équilibre, estimée par la formule précédente, se situe entre 20 et 80 nm. Les adhésions sur le silicium oxydé décrites au (iv) sont effectuées dans un milieu contenant 40 mM de sel et 10 mM

10 µm

d’un tampon acido-basique : κ–1

est de l’ordre de 1–1.5 nm. Sur ce substrat réfléchissant, l’épaisseur de solution intercalée est mesurée précisément par microscopie FLIC (cf. III.2.1). Comme déq=1.1±0.2 nm est très proche de κ–1

, les deux surfaces doivent porter des densités de charges équivalentes (σ1≈σ2). L’absence de regroupements des lipides chargés, par le mécanisme décrit au (ii), pourrait expliquer la relative stabilité des vésicules sur le silicium oxydé, par rapport aux expériences sur le verre.