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Population, mortalité, recrutement et taux de croissance

4. Le caribou nordique et son écologie : hier et aujourd’hui

4.4 Le troupeau de la Rivière-George

4.4.1 Population, mortalité, recrutement et taux de croissance

Tel que démontré précédemment, les récits des voyages des explorateurs du passé indiquaient clairement que les populations de caribous de la péninsule Québec-Labrador avaient considérablement décliné au tournant du XIXe siècle. Pour illustrer l’ampleur de cette diminution, le naturaliste Elton (1942) faisait observer que 13 567 peaux de caribous avaient été échangées dans les missions moraves du Labrador à Hebron et Okak entre 1894 et 1903, et aucune entre 1914 et 1923 (tableau 2). En analysant les journaux de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Luttich (1983) a démontré qu’aucun journal de poste de traite des régions du Haut-Ungava et du Labrador ne faisait référence à une population importante de caribous occupant le secteur entre 1925 et 1942. Dans cette analyse historique, l’auteur indiquait également que, pendant cette même période, très peu de loups, sinon aucun, avaient été repérés ou récoltés et que pratiquement aucun carcajou

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n’avait été repéré ou récolté, suggérant là encore que les populations de caribous étaient en faible densité. Néanmoins, Luttich (1983) a remarqué que des augmentations mineures des populations de caribous vers la fin des années 1920 et 1930 avaient été accompagnées d’une augmentation de la chasse et de la prédation.

Les naturalistes, notamment Elton (1942) et Rousseau (1950 et 1951), ont sonné l’alarme à propos des populations de caribous dans les années 1940 et 1950. Rousseau (1950 et 1951) a révélé l’un des nombres les plus pessimistes, estimant à 3 500 la population totale de caribous de la toundra, et a déclaré que l’espèce pourrait disparaître complètement de cette région. Certaines hypothèses ont été émises afin d’expliquer cette baisse. L’arrivée des armes à feu modernes, les températures plus élevées (Crête et Payette 1990), une augmentation des incendies dans la toundra, la surutilisation de l’habitat, les maladies ou les parasites sont autant de facteurs possibles. En fait, il est probable qu’une combinaison de facteurs, y compris la surutilisation de l’habitat saisonnier, soit l’explication la plus plausible.

Les inventaires aériens hivernaux ont commencé au milieu des années 1950 et se sont poursuivis pendant les années 1960 et 1970. Toutefois, les connaissances insuffisantes sur la migration et l’occupation du territoire à cette époque ainsi que le chevauchement des territoires respectifs des troupeaux en hiver ont empêché la formulation d’énoncés précis sur les tendances démographiques des troupeaux. Jusqu’aux années 1970, les tendances étaient plutôt observées à l’échelle de la péninsule entière. Ce n’est qu’en 1976 qu’un inventaire a dénombré uniquement le troupeau de la Rivière-George (révisé par Juniper en 1982). Les résultats de cet inventaire et certaines données démographiques recueillies depuis 1976 sont présentés dans le tableau 3. D’autres inventaires ont été effectués en 1980 (Juniper 1980) et 1982 (Goudreault 1982) à partir d’un décompte visuel sur le terrain de mise bas à la mi-juin. Ces inventaires ont confirmé la croissance du troupeau. En 1984, les méthodes d’inventaire ont changé et l’inventaire photographique aérien a fait son entrée, toujours sur le terrain de mise bas à la mi-juin. Après cinq inventaires consécutifs à deux ans d’intervalle de 1980 à 1988, il y a eu une pause de cinq ans avant le suivant. Faisant suite à une période d’incertitude quant à la taille du troupeau, un projet d’envergure majeure a été lancé en 1993. Ce projet a donné lieu à une concertation des efforts de nombreux partenaires dans le domaine de la conservation du caribou, en particulier le ministère de la Défense nationale, mais aussi le gouvernement de Terre-Neuve et Hydro-Québec, afin d’effectuer deux inventaires indépendants au cours de

l’été 1993. L’un de ces inventaires, celui de 1993 (Couturier et al. 1996), était fondé sur la méthode de photographie des terrains de mise bas utilisée depuis 1984; la méthode avait cependant été améliorée sur le plan technique (utilisation du GPS, ordinateurs à bord des appareils, altimètre radar, etc.). Un deuxième inventaire indépendant a été effectué en juillet 1993 (Russel et al. 1996) et portait sur les grands rassemblements post mise bas suivant la période de harcèlement par les insectes en juillet. Les résultats de l’inventaire de juillet 1993 (Rivest et al. 1998; Russell et al. 1996) étaient très similaires à ceux de juin 1993. Par conséquent, les deux estimations ont été combinées. L’estimation finale de la taille du TRG pour 1993 s’élève à 775 891 caribous, avec un intervalle de confiance de 13,4 % (Couturier et al. 1996). Un autre inventaire a été effectué en juillet 2001, employant la technique post mise bas. Les résultats nous laissent supposer que la population du troupeau a diminué de quelque 50 % et s’élève maintenant à 385 000, avec un intervalle de confiance de 28 % (Couturier et al. 2004).

Les résultats des inventaires sont corroborés par des travaux indépendants et par les données de récolte sportive. Des analyses dendrochronologiques des marques sur les racines de conifères effectuées à l’Université Laval confirment la rareté du TRG entre le début du XXe siècle et les années 1960, l’augmentation rapide de leur nombre au cours des années 1970 et 80, et leur déclin prononcé par la suite (Boudreau et al. 2002;

Morneau et Payette 1998, 2000). En regardant de plus près les rapports de récolte sportive (tableau 7), on peut constater que les récoltes de caribous sont plus élevées lorsque les populations de caribous sont plus élevées.

Les années 1970 marquent le début de la collecte de renseignements permettant d’évaluer le recrutement. En théorie, le recrutement représente le nombre de jeunes caribous qui entrent dans le segment exploité. Le meilleur indice de recrutement annuel est le pourcentage de faons au printemps (9-10 mois). Le pourcentage de faons à l’automne est aussi utilisé puisque la mortalité hivernale est peu élevée. Le rapport de

« faons par 100 femelles » pendant la période de rut en octobre est la base la plus communément utilisée au Québec.

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Tableau 3. Données sur la démographie du troupeau de la Rivière-George Année Taille estimée

Les changements dans la taille du TRG ont incité les biologistes à faire une priorité de l’étude du recrutement au sein du troupeau de la Rivière-George. De 1973 à 1983 inclusivement, le rapport de « faons par 100 femelles » à l’automne était en moyenne de 51,9 (tableau 3), ce qui faisait du troupeau de la Rivière-George l’un des plus productifs en Amérique et expliquait sa croissance rapide. Depuis l’automne 1984, ce rapport a été légèrement supérieur à 39 pendant cinq années seulement (1986, 1987, 1993, 1998 et 2001); il s’agit là du niveau auquel le TRG est considéré comme stable suivant l’analyse démographique de Crête et al (1996).

La mortalité naturelle atteint près de 10 % annuellement. Les principales causes sont la prédation, les maladies, les accidents, les noyades, etc. Le loup est le principal prédateur du caribou mais on ne connaît que peu de choses sur leur relation prédateur-proie dans le Nord du Québec. La mortalité des adultes ne peut expliquer à elle seule les variations interannuelles notées dans l'évolution démographique des troupeaux. La baisse notée du TRG est donc en grande partie reliée à la baisse de la productivité des femelles ou à la mortalité plus élevée des faons.

De 1973 à 1993, le taux d’accroissement annuel du troupeau de la Rivière-George a voisiné les 15 %. Certains spécialistes estiment que les taux d’accroissement réel se sont situés plutôt entre 10 et 14 %. Ces valeurs sont supérieures à celles estimées pour d’autres troupeaux nord-américains qui cohabitent avec le loup. Le taux d’accroissement élevé observé avant 1984, quoique spectaculaire, n’est pas un fait unique en Amérique du Nord. En effet, d’autres troupeaux ont également connu des phases d’accroissement relativement rapide. Par contre, ce qui semble exceptionnel, c’est le niveau maximum de population atteint par le troupeau. La dynamique d’un troupeau de caribous se caractérise très souvent par une évolution en dents de scie montrant des variations très importantes dans le nombre de bêtes.

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