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La section précédente avait pour objectif de préciser le projet sous-jacent à cette recherche : celle-ci se donne pour objectif une description du sens linguistique qui prend en compte la variation de sens pour une même forme (c'est-à-dire une même unité linguistique).

Il reste à expliciter les enjeux théoriques d'un tel projet. Cela passe par une réflexion sur le phénomène de la polysémie et une explicitation des problèmes de définition qu'il pose au linguiste. Ce sera l'objet de cette deuxième section.

2.1 Une première approche « consensuelle » de la polysémie

Il est connu que le terme polysémie a été introduit par Bréal (1897) pour désigner le phénomène de

variation de sens d'une même unité linguistique. Néanmoins, dans l'esprit de l'auteur, il s'agissait davantage de désigner, dans une perspective diachronique, un processus d'évolution de sens au cours du temps :

Le sens nouveau, quel qu’il soit, ne met pas fin à l’ancien. Ils existent tous deux l’un à côté de l’autre. Le même terme peut s’employer tour à tour au sens propre ou au sens métaphorique, au sens restreint ou au sens étendu, au sens abstrait ou au sens concret… A mesure qu’une signification nouvelle est donnée au mot, il a l’air de se multiplier et de produire des exemplaires nouveaux, semblables de forme mais différents de valeur. Nous appellerons ce phénomène de multiplication la polysémie(1897 : 143-144, je souligne)

Or, c'est plutôt avec une perspective synchronique qu'on cherchera à explorer ce phénomène30. Il ne

s’agira pas tant de chercher à rendre compte du processus de multiplication de sens au fil du temps

30 Précisons néanmoins que cette perspective synchronique n'interdit pas toute exploration diachronique / étymologique. Comme nous aurons l'occasion de le voir à plusieurs reprises, celle-ci peut parfois s'avérer éclairante.

que d’essayer de décrire une forme de cohabitation de sens en synchronie (puisque, comme le

précise d'ailleurs Bréal, le nouveau sens « ne met pas fin à l'ancien »).

Et, à vrai dire, c'est davantage réduit à cette perspective synchronique que la polysémie a été

envisagée au cours des dernières décennies par les sémanticiens. Aussi, dans un esprit de consensus,

Kleiber propose une « définition passe-partout » fondée sur un « accord définitoire, tout

provisoire » qui fait de la polysémie :

i. une pluralité de sens liée à une seule forme

ii. et une pluralité de sens non disjoints, mais unis par telle ou telle relation (2005 : 51)

Il y a donc poly-sémie quand une unité linguistique donne lieu à plusieurs sens (en fonction de

différents co-textes linguistiques et différents contextes énonciatifs) et que ces différents sens

semblent avoir une relation, un rapport, un lien entre eux. C'est peu ou prou la définition que l'on

retrouve chez Nyckees dans son manuel de référence sur la sémantique :

un motpolysémique (un polysème) est un mot qui rassemble plusieurs sens entre lesquels les usagers peuvent reconnaître un lien. […] Ce sentiment de polysémie n'a évidemment d'autre fondement que l'intuition des usagers qui perçoivent une relation de parenté entre [...] deux sens (1998 : 194, je souligne)

Cette seconde définition appelle deux commentaires. Premièrement, en mettant l'accent sur l'expérience du locuteur et sur son intuition de la langue, elle pose immédiatement le problème du

traitement scientifique de la polysémie. Deuxièmement, en parlant d'un mot qui « rassemble

plusieurs sens », elle donne le sentiment que les sens sont dans le mot (inclus comme un déjà-là), ce qui, on le verra, prête partiellement à confusion et ne fait pas consensus en linguistique.

Pour résumer : au-delà, donc, du constat banal que la variation de sens semble affecter certaines

unités linguistiques, le caractère proprement polysémique réside dans la relation qu'on semble

pouvoir identifier (même confusément) entre les différents sens auxquels l'unité donne lieu.

D'ailleurs, traditionnellement, la polysémie est distinguée de l'homonymie pour laquelle, selon

Nyckees, « il ne paraît pas possible de rétablir une relation sémantique vraisemblable » (1998 :

194). Dans ce cas, on pourra considérer qu'il y a, non pas une même unité linguistique avec plusieurs sens, mais des unités linguistiques distinctes dont les signifiants sont (accidentellement) les mêmes. C'est pourquoi, dans les dictionnaires, la polysémie et l'homonymie donnent lieu à des traitements différents : en cohérence avec les définitions précédentes, un mot polysémique donne lieu à une entrée unique divisée en plusieurs sens alors que deux homonymes donnent lieu à deux entrées distinctes.

Dans la configuration polysémique, les différents sens (qui donnent lieu au découpage de la définition du dictionnaire) correspondent à ce qu'il est généralement convenu d'appeler des

acceptions. Pour expliquer rapidement ce terme, on peut considérer les deux emplois suivants du nom cerveau qui en exemplifient deux sens différents :

5. (a) Paul a subi une délicate opération du cerveau → partie du corps / organe

(b) Paul est le cerveau de cette organisation → chef / celui qui pense la stratégie

Il parait clair que l'énoncé (5a) fournit un emploi de cerveau où celui-ci renvoie à l'organe situé

dans la boite crânienne. Or, dans les énoncés qui suivent, les différents emplois de cerveau semblent

tous renvoyer à ce même sens :

6. (a) le cerveau est un organe vital (b) la balle s'est logée dans le cerveau (c) le sang afflue vers le cerveau

On aura alors tendance à parler (de l'ensemble) des emplois ORGANE du nom cerveau – s'opposant

aux emplois CHEF dont on trouve un exemple en (5b). Mais, la tradition lexicographique (et

sémantique) invite à utiliser le terme d'acception pour désigner l'étiquette sémantique intuitivement

associée à un ensemble d'emplois (Jalenques, 2009a : 42). C'est pourquoi on parlera de l'acception

ORGANE du nom cerveau.

Contrairement à ce que ces éléments de définition laissent peut-être entendre, la distinction entre

polysémie et homonymie est loin de toujours faire consensus. Par exemple, là où le Grand Robert

propose une unique entrée pour le nom cœur, le Dictionnaire explicatif et combinatoire en propose

deux (le nom cœur proprement dit et la locution prépositionnelle au cœur) et le Lexis quatre (un

premier homonyme renvoie à des référents concrets, un deuxième à des réalités psychologiques, un troisième à la partie centrale des choses, un quatrième à la couleur du jeu de cartes) !

Ici, un des enjeux sera précisément de discerner si la pluralité de sens qui caractérise de nombreux noms de parties du corps humain relève (ou non) de la polysémie. Ce qui revient à se demander si l'unicité de forme (un nom unique pour des sens différents) est le signe d'une relation sémantique motivée et présente (d'une manière ou d'une autre) dans la conscience des locuteurs. Ainsi, pour le nom tête, on peut tenter de vérifier si les différents sens exemplifiés par les énoncés suivants, ont un rapport entre eux :

7. (a) Paul a mal à la tête [partie du corps] (b) Paul est à la tête de l’entreprise [direction] (c) Paul n’a pas de tête [mémoire] (d) Paul est en tête de course [avant]

Ce projet de description trouve un écho dans les propos explicites de Robert (1990). Spécialiste des

langues africaines, cette linguiste part du constat « qu'en wolof, ''dos'', ''derrière'' [préposition] et

''puisque'' [conjonction] se disent d'une seule et même manière ginnaaw » (1990 : 82) pour formuler le programme de recherche suivant :

il faudrait […] expliciter le mécanisme par lequel le même terme arrive à assumer […] différentes fonctions grammaticales (lexème, préposition, conjonction de subordination) ; il faudrait aussi s'interroger sur le point de vue qui amène apparemment à penser en français une différence de sens (''dos'' / ''derrière'' / ''puisque'') là où le wolof semble poser un signifié unique ; il faudrait enfin pour cela refuser le raccourci péremptoire de l'intuition […] Si l'on prend au sérieux le triple emploi du wolof ginnaw, quels sont alors les liens manifestés par là entre le corps, la localisation spatiale et l'articulation logique ? (1990 : 83)

Pour Robert, il est tout à fait évident qu'on ne peut se contenter de poser trois termes homonymes.

D'une part, elle rappelle que la récurrence du phénomène (des mots à la fois noms de parties du

corps humain et prépositions spatiales), attesté dans de nombreuses langues31, interdit d'envisager ce

qu'elle appelle « un hasard homophonique » (1990 : 85). D'autre part, une enquête auprès de

locuteurs du wolof la conduit à affirmer que « il s'agit synchroniquement du même mot » (1990 :

86).

À l'instar de Robert (1990), je propose d'interroger la pluralité de sens associée à une même forme linguistique. Conformément à la définition de la polysémie donnée plus haut, une telle ambition implique non seulement de décrire la diversité de valeurs sémantiques en contexte mais également

de mettre au jour la relation qui existe entre tous ces sens. La section suivante précise ce qu'on

entend par cette relation sémantique.

2.2 Vers le concept d'invariant sémantique

À la suite d'autres auteurs, on peut envisager la relation sémantique unissant les différents sens d'un

polysème comme un invariant sémantique. Pour cela, dans un premier temps, il est nécessaire de

mieux expliciter le mécanisme général de la variation de sens. À la suite de Gosselin (1996a), on

commencera par remarquer que le traitement linguistique de la polysémie se heurte au « fait que la

signification d'un marqueur [peut] varier en fonction non seulement des formes, mais aussi des significations des autres marqueurs qui l'entourent (lesquels varient aussi de semblable façon) »

(1996a : 61). C'est ce qu'il appelle la polysémie contextuelle généralisée.

Dans des mots à peine différents, on retrouve cette idée chez Franckel et Paillard : « Tout élément

du co-texte est lui-même déformable et polysémique, susceptible à son tour de prendre plusieurs valeurs » (1998 : 61). Voyons comment prendre en charge cette instabilité.

2.2.1 Entre principe de compositionnalité et principe de contextualité

On peut considérer que le traitement sémantique des énoncés est le produit d'un rapport dynamique

entre le principe de compositionnalité et le principe de contextualité32 que Gosselin formule de la

manière suivante (1996a : 95) :

Principe de compositionnalité

La signification du tout (un énoncé par exemple) est déterminée par celle de ses parties

Principe de contextualité

La signification d'un marqueur est déterminée par celle du tout dans lequel il apparaît

Le principe de compositionnalité permet d'envisager la construction du sens comme une simple

concaténation. Au niveau du mot, on peut ainsi considérer que le sens de insupportable est construit

31 Notamment africaines (cf. par exemple Roulon-Doko, 2003) ou amérindiennes (cf. par exemple Hollenbach, 1995). Dans un reportage consacré à Antoine Culioli (accessible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=4fyY8udZ-Ac et consulté le 17 mars 2017), Robert explicite un autre argument en précisant que, à l’intérieur même de la langue wolof, cette pluralité de sens entre dans un système (c’est-à-dire qu’elle est récurrente i.e. on la retrouve avec d’autres noms de parties du corps humain).

32 Gosselin signale que, « à tort ou à raison », la paternité de ces deux principes est attribuée à Frege (1996a : 95). On trouvera sur ce point des éléments de discussion dans Janssen (2001) et Tamba (2014).

par composition des sens du préfixe in, du radical supportet du suffixe able. Il semble qu'on puisse

appliquer le même raisonnement au niveau de l'énoncé. Le sens de l'énoncé cet élève est

insupportablen'est-il pas une simple composition des sens du déterminant (cet), du nom (élève), du

verbe (est) et de l'adjectif (insupportable) ?

En fait, comme le suggèrent ces exemples, le principe de compositionnalité a sa pertinence mais il a également ses limites, précisément imposées par le phénomène de variation de sens. Car l'application exclusive de ce principe suppose que les différentes unités qui composent le tout (les

morphèmes pour le mot, les mots pour l'énoncé...) ont un seul et unique sens c'est-à-dire que la

contribution sémantique de chaque unité est stable. Étant donné le caractère massif du phénomène polysémique dans les langues humaines, un tel postulat est intenable.

Pour Gosselin, les approches sémantiques33 focalisées sur « des règles de composition efficaces »,

sans souci de tenir compte des phénomènes de variation de sens, relèvent de l'atomisme (1996a :

96). Dans le contexte anglo-saxon, Lakoff et Johnson considèrent que de telles approches s'inscrivent dans un paradigme objectiviste qu'ils remettent clairement en cause ; notamment parce

qu'il conduit à une sorte de « building-block theory of meaning » (1980 : 202).

Également très critique, Récanati (1997) emploie le terme explicite de fixisme à quoi il oppose une

approche contextualiste. Cependant, dans le cadre pragmatique qui est le sien, il semble vouloir

faire fi de toute compositionnalité et envisager « un modèle de génération de sens d'où la

''signification linguistique'' des mots disparaît totalement » (1997 : 22). Gosselin rejette également

cette approche qui tend à « minimiser le rôle de la compositionnalité, et donc de la signification

proprement linguistique » (1996a : 96) au profit exclusif du principe de contextualité.

Et il faut bien reconnaitre que les propositions de Récanati ont été accueillies avec une certaine

fraicheur. Kleiber, par exemple, se montre réticent face à un point de vue qui envisage un « sens qui

n'est plus du sens » (1999 : 43). Et il signale que même le contextualisme le plus radical « conserve […] un point de départ sémantique » (1999 : 36 note 45) et semble incapable « de se débarrasser comme il le voudrait d'un sens linguistique non construit » (1999 : 45).

2.2.2 Invariant sémantique et sémantique holiste

Ainsi, il semble bien que toute approche sémantique soucieuse de prendre en compte le caractère généralisé de la polysémie doit prendre en compte la réalité empirique des deux principes énoncés

précédemment. À la suite de Gosselin, on qualifiera d'holiste toute sémantique qui « reconnaît la

validité simultanée des deux principes » (1996a : 96).

Dans la logique de calcul de sens qu'adopte Gosselin, le holisme semble conduire à un problème insoluble de circularité illustrée par le schéma suivant (1996a : 100) :

L'auteur commente ainsi ce phénomène de circularité :

a désigne une signification contextuelle particulière d'un marqueur et X, la signification globale du tout. a, en relation avec d'autres marqueurs, détermine X en vertu du principe de compositionnalité, tandis que, selon le principe de contextualité, X détermine a (1996a : 100)

Pour sortir de cette impasse apparente, Gosselin affirme que « la seule solution paraît être de

distinguer entre une signification abstraite et invariable, associée au marqueur (notée A) et ses significations en contexte (a1, a2 ...) » (1996a : 100, je souligne). Il illustre cette option théorique à

l'aide du schéma suivant (structure dite en came) :

Et Gosselin de conclure :

De Saussure à Culioli, en passant par Guillaume, toute une tradition européenne d'étude sémantique de la polysémie repose sur cette distinction – même si elle prend des formes et des portées diverses – entre des significations ou valeurs abstraites et stables associées aux marqueurs dans le système de la langue, et des significations empiriquement observables, et variables parce que partiellement déterminées par le contexte dans lequel elles se rencontrent (1996a : 100)

Dans cette thèse, adoptant une telle solution théorique, je désignerai par l'expression invariant

sémantique(ou simplement invariant) la signification abstraite et invariable associée à chacun des noms étudiés et considérerai que cet invariant sémantique est l'expression de la relation sémantique entre les différentes acceptions du mot.

Nous verrons à la section suivante que différents courants linguistiques intègrent à leur manière cette perspective holiste conscients de la nécessité d'articuler principe de compositionnalité et principe de contextualité. Et on notera au passage que cette approche du sens linguistique fait écho

a X compositionnalité contextualité a X compositionnalité contextualité A

au propos de Larrivée cité en début de chapitre (p. 19) qui évoquaient une tension entre unité et

diversité.

Avant d'aller plus loin, il est sans doute utile de préciser en quoi l'option théorique retenue ici se distingue d’autres options en réinterrogeant les frontières entre homonymie, polysémie et monosémie.

2.2.3 Homonymie, monosémie, polysémie et invariant sémantique

Le cadre général décrit précédemment se heurte à différentes formes de contestation qu'on cherchera ici à écarter. La première consiste à préférer un traitement homonymique à un traitement polysémique même dans des cas où une relation sémantique semble perceptible entre les différents sens du mot considéré. La seconde contestation est plus subtile : elle revient à confondre un traitement invariant de la polysémie avec un traitement monosémique. La troisième contestation relève davantage d’un problème de définition de la polysémie : l'enjeu est alors parfois simplement terminologique ou, à l'inverse, relève d'un véritable désaccord théorique.

2.2.3.1 Caractère artificiel d'une conception homonymique

À ma connaissance, il n'est jamais contesté qu'un mot comme avocat relève de l'homonymie34. D'un

point de vue synchronique, il parait assez difficile d'envisager une quelconque relation sémantique

entre les sens « homme de loi » et « fruit » et donc de considérer cette variation de sens comme

relevant de la polysémie. En termes saussuriens, on peut considérer que le signifiant avocat donne

lieu à deux signifiés qui n'ont rien à voir entre eux (homonymie).

D'un point de vue diachronique, une telle interprétation est d'ailleurs confortée par deux parcours

bien différents : ainsi, selon le Dictionnaire historique de la langue française (DH), le mot avocat1

(« homme-de-loi ») vient du latin advocatus (lui-même dérivé du verbe advocare signifiant

« avouer ») alors que avocat2 (« fruit ») vient de aquacate, mot nahuatl (langue indienne de la

culture aztèque) via un emprunt à l’espagnol.

Par analogie avec le mot avocat, il peut être tentant de traiter tout cas de variation de sens comme

relevant de l'homonymie. Il semble que c'est en fait ce que propose Wierzbicka dans son traitement

initial du nom mouth que rappelé ci-dessous (1980 : 80) :

Mouth1 : part of the lower part of the face which can open Mouth2 : hole in the lower part of the head, behind the mouth1

Identifiant deux significations distinctes (« partie du corps matérielle » vs « espace dans le corps »),

elle choisit de distinguer deux unités qui, si elles partagent le même signifiant, ne paraissent pas avoir de relation sémantique l'une avec l'autre. La définition de la seconde unité fait certes appel à la première mais il s'agit de positionner un référent par rapport à un autre (un autre repère aurait pu

convenir : cavité dans la partie basse de la tête, en haut de l'œsophage). Au final, il s'agit bien de postuler deux signifiés distincts. Sans même parler du fait qu'elle néglige des emplois comme

mouth of the river, il semble qu'une telle option homonymique découle du choix de Wierzbicka de définir les mots en partant des référents qu'ils désignent (référents distincts, selon elle, ici).

Pour plusieurs raisons, ce choix parait contestable. D'un point de vue heuristique tout d'abord, comme cela a déjà été évoqué (en recourant notamment à Robert, 1990), il parait fondé de partir du

principe qu'une identité de forme avérée – objectivement observable – n'est pas contingente, qu'elle

trouve sa motivation dans une certaine relation sémantique et qu'elle relève donc, à priori, de la polysémie. Si l'analyse conduit à considérer qu'il s'agit d'un exemple comparable à celui du nom

avocat, alors il faudra opter pour un traitement homonymique (rappelons d'ailleurs que Wierzbicka

abandonne finalement le traitement homonymique de mouth en 2007).

Deuxièmement, d'un point de vue descriptif, le traitement homonymique est souvent confronté à un problème majeur. En effet, s'il est aisé de distinguer les sens « homme de loi » et « fruit » pour

avocat, il est souvent « très difficile d'arrêter une liste exhaustive d'acceptions distinctes (censées correspondre à autant d'homonymes) » (Gosselin, 1996a : 97)35. C'est ce qui pousse Victorri et Fuchs à affirmer que :

contrairement à l'homonymie où la coupure est nette entre les sens possibles de la forme considérée, la polysémie se caractérise par l'impossibilité de définir à coup sûr un nombre précis de sens (1996 : 18)

En guise d'illustration, considérons une nouvelle fois le nom tête :

8. (a) Paul a pris une balle en pleine tête (b) Paul a un mal de tête

(c) Paul a cette idée en tête (d) Paul n'a pas de tête

Dans une perspective homonymique, l'opposition entre les énoncés (a) et (d) conduirait sans trop

d'hésitation à poser deux unités distinctes (avec un signifiant commun) tête1 (« partie du corps ») et

tête2 (« faculté psychologique »). Mais les emplois en (b) et (c) paraissent beaucoup plus délicats à

positionner. En (b), si la signification parait relever du physiologique, tête, qui semble évoquer un

espace intérieur, désigne-t-il exactement le même référent que tête1 ? En (c), l'emploi de tête peut

sembler plus proche de celui de tête2 mais exclut-il la dimension physiologique à laquelle renvoie

tête1(après tout, l'idée se forme dans le cerveau, lui-même logé dans la partie du corps désignée par

tête1) ? Au final, faut-il poser deux, trois ou quatre homonymes ? En postulant une forme de

continuum sémantique, la perspective polysémique parait plus à même de résoudre ce dilemme. Par ailleurs, deux arguments empiriques permettent généralement de défendre la position

polysémique. Le premier – nous l'avons vu de façon converse, avec avocat – relève de la

diachronie. En français, par exemple, il serait difficile de défendre l'idée que les différents sens des