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1 - Entre QUALITÉ et PARTIE NÉCESSAIRE

1.2 Distinguer les emplois QUALITÉ et PARTIE NÉCESSAIRE

Le propos est désormais de comprendre comment se construisent en contexte les emplois relevant

de la qualité (QUAL) et ceux relevant de la partie nécessaire (PART). Ma stratégie diverge ici de

celle de Mostrov en ce sens que je ne considère pas qu'un nom puisse être étiqueté (par défaut) « nom de qualité » ou « nom de partie nécessaire » (dimension pour Mostrov).

Prenons un exemple. Mostrov souligne que les NDim (dimension) sont typiquement (il parle de

« catégories de base ») des noms à la différence des NQual (qualité) qui sont dérivés d'adjectifs

(2015 : 138-139). Le tableau suivant illustre cette observation224:

NQual Adjectif NDim Adjectif

patience patient caractère caractériel ? sincérité sincère tempérament tempéré ?

méchanceté méchant âme ?

agressivité agressif moral moralisateur ?

cruauté cruel humeur ?

Effectivement, on voit bien qu'un nom commepatiencesemble dérivé de l'adjectifpatientalors qu'à

des noms comme âme ou humeur ne correspond aucun adjectif. Par ailleurs, ce qui se révèle surtout

déterminant c'est que, dans le cas des qualités, le sens de l'adjectif et le sens du nom semblent très proches. En effet, quelqu'un qui a de la patience ou qui fait preuve de méchanceté peut être qualifié de patient ou de méchant. Avec les dimensions, quand un adjectif dérivé existe, cette synonymie

parait beaucoup moins évidente (avoir du caractère n'a rien à voir avec être caractériel et avoir le

moralne signifie par être moralisateur).

Mais, le problème n'est pas là. Ce qui est discutable, c'est le principe sous-tendu par la démarche qui

consiste à considérer que caractère « est » (par défaut) un nom de dimension. En effet, pourquoi

considérer un tel nom comme un NDim alors qu'il admet des emplois relevant de la qualité (tout

comme tempérament et esprit par exemple) ?

19. Paul a du caractère / du tempérament / de l'esprit

À la suite de Van de Velde qui fait remarquer que « avoir du caractère ou du tempérament ce n'est

pas du tout la même chose que avoir un certain caractère ou un certain tempérament » (1995 : 164 note 150), ces emplois sont d'ailleurs relevés par Mostrov :

20. (a) Cet homme est d'un tempérament colérique [DIM]

(b) Cet homme a du tempérament [QUAL] (Mostrov, 2015 : 135)

Il n'est pas contestable qu'une certaine intuition de la langue porte à envisager caractère, en premier

lieu, comme un nom de dimension ou générosité, en premier lieu, comme un nom de qualité.

Cependant, au moins pour des raisons heuristiques, je prends le parti de ne pas hiérarchiser les emplois (cf. les discussions du chapitre 1).

1.2.1 Emplois relevant de la qualité (QUAL)

Nous avons vu que la qualité était contingente, notamment sur le plan référentiel. Dans un énoncé, l'emploi d'un nom relève de la qualité quand on précise si tel être humain « a » ou « n'a pas » telle caractéristique désignée par le nom (c'est ce qui fait la différence avec la partie nécessaire considérée comme présente par défaut). On a typiquement des énoncés comme :

21. Paul a de l'audace / de la patience / du courage / du caractère / du tempérament / de l'esprit

En fait, ce fonctionnement n'est pas réservé aux humains :

22. cette maison a du cachet / cette voiture a de la reprise / ce chien a du tonus / ce bijou a de la valeur

Comme on le voit, canoniquement, il s'agit ici d'un emploi absolu combiné avec le partitif. De

fait, la combinaison avec le partitif semble interdire toute combinaison avec un modifieur :

23. (a) *Paul a de la sacrée audace [vs Paul a une sacrée audace225] (b) *Paul a de la grande patience [vs Paul a une grande patience] (c) *Paul a du courage de lion [vs Paul a un courage de lion]

Un tel emploi peut être qualifié de massif (par opposition à comptable). Néanmoins, comme l'observe Kleiber (2014 : 71-72) qui étudie précisément cette question, la contrainte observée ne s'applique qu'aux « noms de propriété » (dont font partie les « noms de qualité ») et ne vaut pas pour tous les emplois massifs (les énoncés a, b et d sont extraits de l'article de Kleiber) :

24. (a) *Marie a de la patience d'ange

(b) *Paul éprouve de la tristesse douce et mélancolique (c) Paul a du beurre salé [dans son frigo]

(d) Paul a bu du bon vin hier soir

Cette absence de modifieurs semble cohérente avec la notion de qualité telle qu'elle a été présentée plus haut. En effet, le principe n'est pas de qualifier la caractéristique (qui possède en elle-même sa propre qualification) mais d'en constater la présence. D'où l'effet de synonymie dans les paires suivantes :

25. (a) Paul a de l'audace / Paul est audacieux (b) Paul a de la patience / Paul est patient (c) Paul a du courage / Paul est courageux226

La proximité de sens observée entre ces paires d'énoncés conduit à rapprocher le fonctionnement de

avoir de celui de être. Ainsi, commentant la forme Il a du courage (Il est courageux), Riegel & al.

(2004 : 237) signalent que « rien n'interdit de considérer que dans leurs emplois copulatifs ces deux

verbes fonctionnent comme de purs opérateurs prédicatifs, donc comme des verbes supports ». On

trouve l'origine de cette analyse chez Benveniste (1966 : 197) qui considère avoir comme un verbe

d'état. On pourrait également parler d'un avoir attributif mais, à ma connaissance, cette formulation

est réservée aux constructions du type Marie a les yeux bleus (Tellier, 1992 ; Furukawa, 2002 ;

Furukawa, 2005) qui seront évoquées dans la section suivante.

Ce qui compte surtout ici c'est de constater la différence entre des emplois relevant de la qualité (a, c) d'autres emplois renvoyant à des référents externes au sujet comme une « activité » (b) ou une « possession » (d) :

26. (a) Paul a de l'audace / est audacieux en ce moment [QUAL] (b) Paul a du travail / travaille en ce moment

(c) Paul a beaucoup de courage / est très courageux [QUAL] (d) Paul a beaucoup d'argent / possède beaucoup d'argent

La compatibilité d'un nom avec la construction absolue avoir DU constitue néanmoins un critère

excessif. En effet, on note avec Mostrov (2015 : 150) des différentiels d'acceptabilité227 patents

entre :

27. (a) Paul a de l'audace / de la patience / du courage (b) ?Paul a de la sensibilité / de la générosité228

/ de l'avarice (c) ??Paul a de la vanité [vs Paul a de la vanité à revendre]

En combinaison avec ce que Van de Velde (1995 : 168) appelle des « spécifieurs caractéristiques

des grandeurs continues » diverses formes d'emplois absolus sont cependant parfaitement acceptables :

28. (a) Paul a beaucoup de sensibilité / pas mal de générosité (b) Paul a trop de vanité (Van de Velde, 1995 : 168)

Ces énoncés renvoient à une certaine qualité que Paul a (ou n'a pas : Paul n'a pas de patience) tout

en précisant éventuellement « en quelle quantité229 ». Typiquement, on évalue la quantité de

courage ou de patience dont est pourvu Paul.

226 Comme on l'a déjà évoqué, le fait que des noms comme caractère ou tempérament n'aient pas d'équivalents adjectivaux (l'adjectif caractériel existe mais ne signifie pas avoir du caractère) explique peut-être l'intuition que ces noms ne sont pas « vraiment » ou pas « fondamentalement » des noms des qualité.

227 Van de Velde considère cette variation distributionnelle comme idiosyncrasique (1995 : 167-169). Étant donné les options théoriques adoptées au chapitre 1, j'aurais tendance à mettre en doute une telle affirmation. Néanmoins, je n'ai pas d'argument à opposer à Van de Velde et l'étude sémantique des noms comme générosité n'entrent pas dans le projet de ce travail.

228 Ainsi, sur 11 doctorants questionnés (à l'écrit) lors d'une réunion, 9 considèrent cet énoncé comme « bizarre ».

229 Kupferman (1997 : 233-234) considère des comme un pluriel de du et le rapproche notamment de ce qu'il appelle les « quantificateurs adverbiaux » (beaucoup de / énormément de / trop de). Pour lui, des est la composition d'un quantificateur (de) et d'un article (les) – la contraction renvoyant à l'amalgame entre une préposition et un article comme dans je parle du travail de Paul.

On remarquera avec Leeman que le partitif entre dans des énoncés où il évoque à lui seul « une grande quantité » (2004 : 156). Ainsi, on ne dira pas, en parlant de quelqu'un qui possède un

minimum de patience : il a de la patience. L'expression avoir de la patience s'interprète comme

avoir une grande quantité de patience.

Ici, l'attention sera plutôt focalisée sur des constructions avec le verbe avoir mais d'autres

constructions verbales sont possibles et permettent de construire des emplois QUAL :

29. (a) Paul est plein de générosité / d'avarice / d'esprit (b) Paul manque de courage / de patience / de caractère

Pour terminer, notons que certains noms repérés comme donnant lieu à des emplois relevant de la partie nécessaire se prêtent mal à de telles constructions (et ne semblent donc pas admettre d'emplois relevant de la qualité) :

30. (a) ??Paul a de l'âme

(b) ??Paul a beaucoup de physique (b) ??Paul est plein de conscience (c) ??Paul manque de moral

Tournons-nous désormais vers les emplois relevant de la partie nécessaire.

1.2.2 Emplois relevant de la partie nécessaire (PART)

La notion de partie nécessaire renvoie à un attribut considéré comme nécessaire à l'être humain.

D'un point de vue syntaxique (cf. la discussion du chapitre 1), une telle inhérence est marquée par les structures phrastiques de possession inaliénable (où l'article défini a valeur possessive, cf. Guéron, 1983) généralement exemplifiées avec des noms de parties du corps humain (Van

Peteghem, 2006 : 442230) :

31. (a) Il a les yeux bleus (b) Il conduit les yeux fermés (c) Paul lui prend la main

Mostrov (2015 : 153) fait de la compatibilité avec ces structures le principal critère pour distinguer

NDim et NQual. De fait, on peut considérer que dans les énoncés suivants les noms caractère, esprit,

santé, âme, conscience, moral et physique ont des emplois relevant de la partie nécessaire :

32. (a) Paul a le caractère bien trempé / l'esprit libre / la santé fragile

(b) Paul conduit l'esprit léger / repart l'âme fendue / la conscience tranquille (c) Paul lui remonte le moral / torture l'esprit / démonte le physique

Corollairement, générosité, courage ou sensibilité ne s'intègrent pas dans de telles structures :

33. (a) ?Paul a la générosité remarquable [vs Paul a une remarquable générosité] (b) ??Paul agit la sensibilité épatante [vs Paul agit avec une sensibilité épatante] (c) ??Paul lui remonte le courage [vs Paul lui donne du courage]

L'affinité entre les notions de partie nécessaire et de possession inaliénable est cohérente avec les

définitions de ces deux notions : il parait logique qu'une partie nécessaire (à l'être humain)

s'avère inaliénable. D'un point de vue syntaxique, il parait également cohérent que l'article défini

se révèle un marqueur des emplois relevant de la partie nécessaire. En effet, d'après Riegel & al.

(2004 : 154), ce déterminant « présuppose l'existence et l'unicité » (chaque partie nécessaire

« existe » de « façon unique » pour chaque être humain).

Comme le suggère Hanon (1988 : 164), le passage à la forme négative met en valeur de façon nette

la différence entre la structure phrastique de possession inaliénable avec avoir(a-partie nécessaire)

et la structure en avoir DU N (b-qualité) :

34. (a) DIM : Paul a l'esprit vif → Paul n'a pas l'esprit vif [= Paul a un esprit & cet esprit n'est pas vif] (b) QUAL : Paul a du courage → Paul n'a pas de courage [= Paul n'est pas courageux]

Comme évoqué précédemment (p. 165), les énoncés en (31a), (32a) et (34a) relèvent de ce qu'il est

convenu d'appeler une construction en avoir attributif. Étudiant de telles constructions, Riegel

(1988) et Furukawa (2005) considèrent qu'un énoncé comme Paul a les yeux bleus porte en lui une

double prédication231 : selon Riegel (1988 : 81), on a une prédication présupposée (Paul a des yeux)

et une prédication posée (Les yeux sont bleus). La construction se caractérise par le fait qu'elle

exploite le caractère implicite de la relation partie-tout entre yeux et Paul (1988 : 82) et permet

« une prédication partonomique présupposée » (Riegel, 1989 : 339).

Gaatone (1991 : 45) note que cette construction – qu'il appelle pour sa part construction de

caractérisation intrinsèque (COCARI) – fonctionne avec des noms qui ne comportent pas le « sème » de possession inaliénable. C'est-à-dire qu'on trouve des énoncés mettant cette construction en jeu avec des noms qui n'ont aucune raison (sémantique) de relever, à priori, de la possession inaliénable. C'est le cas dans les expressions plus (a) ou moins (b) figées suivantes où on voit mal

en quoi des noms comme gâchette ou compliment relèveraient de la possession inaliénable :

35. (a) il a la gâchette facile232 (b) il a le compliment perfide

D'où un effet de calembour233 dans les énoncés suivants :

36. (a) ils ont le chewing-gum éloquent, les mecs (Le Monde, 19 octobre 1988 – cité par Gaatone, 1991 : 49) (b) tu as le vin étrangement monotone (Hugo, Lucrèce Borgia – cité par Riegel, 1996 : 212)

(c) je n'ai pas le cyclisme quotidien (E – Rouen le 12 juillet 2016)234

Ces observations remettent en cause le jugement d'acceptabilité porté sur (33a). Si on peut avoir le

chewing-gum éloquent, rien ne s'oppose à avoir la générosité remarquable – qu'on envisage

chewing-gum et générosité comme renvoyant à un comportement (Gaatone, 1991 : 52 ; Salles, 2006 : 114-115), comme relevant d'une forme d'inhérence (Kupferman, 2000 : 78) ou qu'on les

231 Riegel parle d'une structure bipropositionnelle, Furukawa d'une construction bithématique. On retrouve une telle analyse dans Riegel (1989), Gaatone (1991), Riegel (1996), Kupferman (2000) et Furukawa (2002). Quant à Tellier (1992), elle conteste clairement cette analyse. Notons que Riegel est sceptique quant à la pertinence de l'expression « possession inaliénable » qu'il juge« doublement malheureuse »(1988 : 74). Mais Leeman estime que les arguments qu'il met en avant sont référentialistes et ont peu à voir avec la vision véhiculée par la langue (1993 : 110). 232 C'est d'ailleurs au caractère productif de l'adjectif faciledans cette construction que s'intéresse Salles (2006) : il avait le chèque facile, il avait

l'ordonnance facile, Max a la promesse facile...

233 Gaatone reprend à Milner (1978 : 176) l'expression « calembour syntaxique ».

interprète métonymiquement (Riegel, 1996 : 215). C'est ce que confirme l'énoncé suivant trouvé sur Internet :

37. Belkacem a la générosité sélective, pourquoi les banlieues et pas les autres ? (Blog sur lexpansion.lexpress.fr – édité le 28 avril 2014)

En cohérence avec les observations précédentes, on serait tenté de parler ici d'un emploi PART du nom générosité. Car, en quelque sorte, la construction impose une interprétation en termes de partie nécessaire.

Cette analyse parait acceptable. Néanmoins, il faut bien reconnaitre que l'emploi parait ici très spécifique. J'ai eu l'occasion de rapporter l'énoncé (36c) à différents locuteurs. L'absence de contexte les rend unanimement dubitatifs quant au caractère naturel d'un tel énoncé (la plupart n'en

comprennent même pas le sens). Un tel constat explique d'ailleurs la désignation de calembour et la

connotation humoristique (Gaatone, 1991 : 53) à laquelle de tels énoncés sont associés (cf. cette

réplique de Jean Rochefort sur France Inter rapportée par Riegel (1996 : 210) : Je n'ai pas le

cinq-à-sept facile). Gaatone (1991 : 49) va jusqu'à qualifier de « petits monstres » des énoncés comme (36a).

Peut-être trouve-t-on là une limite entre emploi et acception. Si on peut considérer que, dans

l'énoncé (37), l'emploi de générosité relève de la partie nécessaire, un tel emploi semble bien trop

singulier pour définir une acception PART pour le mot générosité. Franchir un tel pas reviendrait à

considérer que l'énoncé j'ai mal à la France (cf. chapitre 1, p. 111) permet de circonscrire une

acception PARTIE DU CORPS pour le nom France ! C'est pourquoi on considérera que les emplois

PART relevant du calembour syntaxique ne permettent pas de définir une véritable classe d'emplois (i.e. une acception).

1.2.3 Que faire de Paul a une grande générosité ?

En termes d'emplois, l'opposition entre qualité et partie nécessaire tient donc à ce qu'on dit du référent du nom. Pour la qualité, on interroge sa présence (et, le cas échéant, sa quantité) chez la personne considérée alors que, pour la partie nécessaire, on la caractérise (sa présence étant présupposée). Autrement dit, on répond à des questions du type :

38. (a) QUAL : A-t-il beaucoup de générosité ? Est-il généreux ? (b) PART : Comment est son caractère ? Quel caractère a-t-il ?

Cependant, la nette opposition entre l'emploi du partitif sans modifieur et celui de l'article défini avec modifieur (possession inaliénable) est mise à mal par le caractère tout à fait acceptable des énoncés suivants :

39. (a) Paul a un caractère de cochon / un tempérament impulsif / une âme noble

Dans tous ces énoncés, le nom est accompagné de l'article indéfini et d'un modifieur. La construction se distingue donc de la structure phrastique de possession inaliénable par la nature du déterminant et de la construction absolue par la présence d'un modifieur.

Il semble que la construction impose « une lecture partitive » qui introduit un sous-ensemble de la

classe des référents (Leeman, 2004 : 130) : parmi tous les caractères possibles, celui de Paul est

impulsif. Dans les énoncés en (a), même si on perd la spécificité de la possession inaliénable, il

semble qu'on soit toujours en présence d'emplois relevant de la partie nécessaire. En effet, même si le référent du nom est présenté différemment, il s'agit bien de le qualifier. On notera cependant que,

le modifieur perdant sa fonction attributive, il ne peut plus êtrestage level et évoquer un état :

40. (a) ??Paul a une âme fendue [vs Paul a l'âme fendue] (b) ??Paul a une âme en peine [vs Paul a l'âme en peine]

Les énoncés en (b) sont plus problématiques. Même si le déterminant indéfini ne présente pas le référent comme présupposé (ce qui imposerait une lecture relevant de la partie nécessaire comme

dans le calembour : Belkacem a la générosité sélective), le fait qu'on « qualifie » les noms courage,

générosité et patience tend à contredire l'idée que leurs emplois relèvent de la qualité.

Dans les lignes qui suivent, on cherchera à montrer qu'il n'en est rien. Afin d'illustrer les affirmations, on partira d'un petit corpus d'adjectifs constitué grâce à FX50c. Dans le tableau, sont

répertoriés tous les adjectifs accompagnant les noms courage, générosité et patience en position

postposée comme antéposée (soit 6 requêtes différentes). Les adjectifs aux occurrences multiples

sont signalés en gras. Par ailleurs, les adjectifs sont classés selon leurs emplois (qualificatifs,

relationnels, du troisième type235) :

Emploi courage générosité patience

un(e) N + ADJ

Qual. terrible, affreux, beau, mince, énormegrand (6), inépuisable

terrifiante, lente, douce, maligne, longue (10), inépuisable (2), infinie (5), incroyable, ardente,

grande, sacrée, inlassable

3° type tel, vrai, brusque, réelcertain (5), nouveau, telle, totale,certaine

-un(e) ADJ + N

Qual.

appréciable, invincible, invulnérable, exemplaire (2),

avide, remarquable, insensé extraordinaire, inouï, fou, monumental, étonnante, active

allègre, infinie

indicible, discrète, minutieuse, remarquable, infinie (5), inépuisable (2),

admirable

Rel. surhumain (2), quotidien humaine millénaire, mythique, métallique

3° type certain, particulier - extrême

235 Pour une présentation sur les adjectifs du troisième type, je renvoie à Schnedecker (2002). Pour les adjectifs relationnels, je me réfère à Noailly (1999 : 22-23) et à Nowakowska (2004). Dans le tableau, l'absence d'une ligne relationnels pour l'adjectif antéposé est cohérente avec la définition de ce type d'emplois.

N'insistons pas sur des adjectifs comme réel, vrai ou certain qui sont généralement considérés comme des adjectifs du troisième type. D'un point de vue sémantique, on considère que ces

adjectifs ont comme point commun de ne pas « qualifier » – dans le sens où ils « ne dénotent pas de

propriétés » (Schnedecker, 2002 : 10). Dans l'exemple suivant, il ne s'agit pas de qualifier le courage mais d'en affirmer l'existence et d'en évaluer la quantité (ce qui est cohérent avec la notion de qualité) :

41. Diane avait uncertaincourage, qu'elle devait également à une ascendance irlandaise, une nurse sadique dans son jeune âge, et une fortune personnelle assez considérable pour qu'elle n'ait jamais eu besoin de se plier à qui que ce soit. (Sagan, 1965 – FX50c / R464)

Les adjectifs relationnels présentent également moins d'enjeu puisqu'ils ont tendance à « catégoriser » (en cohérence avec la lecture partitive de l'article indéfini) plutôt qu'à « qualifier ». Ainsi :

42. (a) Faisant preuve d'un couragesurhumain, poursuit le Mongol après un silence, le Franc était enfin arrivé auprès de celui que votre pape et vos princes prenaient pour le nouveau roi David mais qui n'était autre que notre Gengis, le Khan des Khans. (Lanzmann, 1994 – FX50c / S269)

(b) Cardoni vivait dans unepatiencemythique où les mêmes gestes préparaient sans fin le moment où sa route et celle d'un sanglier se croiseraient, l'instant brusquement aigu et éternel abolissant tout le reste, le sacrifice, avant que reprennent les mêmes rites d'une autre attente. (Moinot, 1963 – FX50c / R456)

C'est en fait plutôt un regard porté sur les « vrais » adjectifs qualificatifs qui s'avère pertinent. En effet, on ne s'attend pas à les trouver combinés à des noms dont l'emploi relève de la qualité. Car la

notion appelle de la quantification et non de la qualification.

Mais, précisément, à bien regarder les adjectifs « qualificatifs » du tableau, ils relèvent

généralement d'un emploi intensif. Ce qui revient à dire que leur emploi relève d'une « opération

qui met en jeu la notion de degré (c'est-à-dire un cas particulier de quantification) » (Romero,

2004 : 450). Cela parait particulièrement évident avec des adjectifs comme grand236, énorme,

longue, infini, incroyable, sacré, remarquable, extraordinaire, inouï et monumental. Par exemple :

43. Même que j'avais eu unesacrée patience. (Seguin, 1990 – FX50c / R760)

Dans un tel énoncé, il ne s'agit pas d'attribuer à la patience un quelconque caractère religieux mais

bien de poser l'existence d'une grande quantité de patience. Même des adjectifs comme minutieuse

et invulnérable (qui, à priori, « qualifient ») semblent relever de ce type d'emplois :

44. (a) Il décida bientôt de n'y accomplir aucune tâche utilitaire - pas même sa cuisine - de la décorer avec une patience minutieuse et de n'y dormir que le samedi soir, continuant les autres jours à user d'une sorte de grabat de plumes et de poils dont il avait bourré un enfoncement de la paroi rocheuse de la grotte.

(Tournier, 1967 – FX50c / S122)

(b) Il faut bien dire que tout est à reprendre au sujet de ce Cristobal Colon, personnage d'une mentalité complexe, vaniteux, menteur, intéressé, mais d'une volonté magnifique et d'uncourageinvulnérable.

(T'serstevens, 1963 – FX50c / L277)

En effet, si on comprend bien pourquoi minutieuse et invulnérable sont convoqués dans leurs

contextes d'énonciation respectifs, il n'en reste pas moins que, fondamentalement, ces adjectifs

pourraient être glosés par grand ou énorme. D'ailleurs, les propriétés auxquelles réfèrent minutieuse