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CHAPITRE I : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

3. L’ingénierie tissulaire du ligament

3.1. Les matériaux des matrices de régénération

3.1.2. Polymères d’origine naturelle

Les polymères d’origine naturelle apparaissent également comme un choix immédiat dans la quête de matériaux mimant la structure naturelle d’un ligament et ses propriétés. Parmi eux, la soie et le collagène ont connu un succès tout particulier.

Le collagène est un choix évident puisqu’il est le composant naturel majoritaire du ligament après l’eau et le support des fibroblastes. Il présente par conséquent des propriétés mécaniques et de biocompatibilité tout à fait intéressantes pour une application ligamentaire. Pouvant être extrait et purifié à partir de tissus conjonctifs, des recherches ont été menées dès les années 1990 sur l’utilisation de collagène bovin extrudé dont les fibres étaient agencées parallèlement. La croissance tissulaire n’a pas été aussi favorisée qu’espéré et les implants ne sont pas parvenus à regagner des propriétés mécaniques suffisantes [106, 107], probablement en raison d’une dégradation trop rapide. Pour ralentir sa cinétique de dégradation et augmenter sa résistance mécanique, une solution consiste à faire réticuler le collagène, que ce soit par voie chimique, physique ou encore enzymatique [108, 109]. Dans les ligaments natifs, il existe en effet des ponts de réticulation au sein de la structure collagénique qui permettent d’accroître sa résistance en tension. Les trois types de réticulation naturelle les plus présents sont l’hydroxylysinonorleucine (HLNL), la dihydroxylysinonorleucine (DHLNL) et l’histidinohydroxymerodesmosine (HHMD) [14]. Dans la mesure où il est difficile de reproduire ce genre de structure naturelle, les agents de réticulation chimique les plus couramment utilisés sont le glutaraldéhyde, le formaldéhyde, les époxydes, les carbodiimides, les azotures et le diisocyanate d’hexaméthylène [110-113]. Bien qu’ils permettent une nette amélioration des propriétés mécaniques, ces agents de réticulation présentent l’inconvénient principal d’être des composés toxiques. Des améliorations mécaniques notables ont également été obtenues avec un dicatéchol, l’acide dihydroguaïarétique (NDGA) mais la biocompatibilité des structures obtenues n’a pas encore été démontrée [108, 114].

L’utilisation de méthodes physiques de réticulation permet en revanche de s’affranchir de composés toxiques. Ces traitements physiques comme le traitement thermique DHT (dehydrothermal treatment) [115, 116] ou l’irradiation UV (éventuellement en présence de glucose [117] ou de colorant comme le vert de méthylène [111] ) induisent une réticulation plus restreinte et peuvent par ailleurs provoquer une fragmentation partielle des chaînes de collagène [118], réduisant ainsi le gain en termes de propriétés mécaniques. De manière plus anecdotique, des travaux menés avec des extraits de plante (Myrica rubra) ont montré l’existence de mécanismes enzymatiques de réticulation du collagène. Des exemples de résultats obtenus avec différentes techniques de réticulation du collagène sont présentés dans le Tableau I–7.

Origine du collagène Réticulation E (MPa) σ

r

(MPa) ε

r

(%)

Derme bovin

Glutaraldéhyde 407 66 16

DHT 170 31 18

Tendon bovin fœtal NGDA 582 91 10

Tendon d’Achille bovin Carbodiimide 485 50 non

déterminé

Tendon bovin Myrica rubra 23 28 15

Tableau I–7 : Propriétés mécaniques de fibres de collagène de type I après réticulation [109]

Grâce aux différentes stratégies existantes, plusieurs modèles de régénération du ligament à partir de gel et/ou de fibres de collagène ont été proposés [110, 118, 119]. En dehors de quelques rares travaux conduits sur des structures textiles présentant des propriétés mécaniques intéressantes [113, 114, 120], la majorité des produits développés ne possèdent pas de propriétés mécaniques suffisantes ou nécessitent des études plus approfondies, en particulier après ensemencement de cellules et après dégradation. Malgré l’attrait offert par sa biocompatibilité, les principaux inconvénients du collagène résident donc dans ses propriétés mécaniques inadaptées notamment liées à sa cinétique de dégradation trop rapide et dans son caractère parfois immunogène dû à son origine animale. L’utilisation du collagène se heurte de plus à une grande variabilité de ses propriétés inhérente à son origine naturelle.

La soie est l’autre polymère naturel privilégié par la communauté scientifique dans le domaine de l’ingénierie tissulaire du ligament. La soie est un matériau fibreux d’origine animale. Elle est notamment sécrétée par les araignées et par les chenilles de certains papillons mais est produite de manière industrielle à partir du ver à soie (chenille du bombyx du mûrier) ou du ver à soie Tussah. La structure grossière de la soie, matériau essentiellement protéique, consiste en deux filaments de fibroïne (semi-cristalline) entourés d’une gaine de séricine (amorphe) [121-123]. La séricine étant aujourd’hui soupçonnée d’être une protéine à caractère immunogène et à l’origine de réactions allergiques [124], la plupart des applications médicales de la soie nécessitent l’élimination de la gaine de séricine (aussi appelée grès), grâce à des procédés thermochimiques comme le décreusage [125, 126]. La soie peut également être utilisée sous sa forme régénérée, c’est-à-dire après application d’un procédé de dissolution-resolidification afin d’éliminer ses défauts ou son hétérogénéité dus à son origine naturelle [127].

Matériau E (GPa) σ

r

(MPa) ε

r

(%)

Soie du Bombyx mori (avec séricine) 5 à 12 500 19

Soie du Bombyx mori (sans séricine) 15 à 17 610 à 690 4 à 16

Soie d’araignée 11 à 13 875 à 972 17 à 18

Tendon 1,5 150 12

Tableau I–8 : Propriétés mécaniques de la soie [121]

Tout l’intérêt de la soie réside dans ses propriétés mécaniques exceptionnelles (Tableau I–8) et dans sa cinétique de dégradation qui l’ont rendue populaire dans la fabrication de fils de suture [8]. On estime en effet que la dégradation protéolytique in vivo cause la perte de l’intégrité mécanique des fibres de soie après un an et qu’elles sont complètement dégradées après deux ans [18, 108]. Cependant, dans le cadre de la régénération ligamentaire, les propriétés mécaniques de la soie peuvent paradoxalement constituer un inconvénient. Nous expliquions plus tôt qu’un biomatériau utilisé en ingénierie tissulaire doit être capable d’assurer la fonction du tissu à régénérer. Dans le cas présent, la prothèse doit donc pouvoir supporter les mêmes charges qu’un ligament natif. Il ne suffit malheureusement pas d’avoir des propriétés mécaniques plus élevées que le tissu. En effet, un

module d’Young trop élevé serait synonyme de manque de souplesse de l’articulation. Par ailleurs, s’il faut que la prothèse assure la fonction mécanique du ligament pendant la croissance tissulaire tant que le néotissu n’en est pas capable, il faut aussi que la charge mécanique soit transmise progressivement à celui-ci. Dans le cas contraire, c’est-à-dire dans le cas où la prothèse à des propriétés mécaniques trop élevées, aucune éducation mécanique ne s’opère et il en résulte la formation d’un néotissu trop faible qui se rompra dès les premières sollicitations. Il s’agit d’un phénomène appelé stress shielding (transfert, déviation ou encore écrantage des contraintes) déjà bien connu dans le cadre des prothèses osseuses mais également avec le ligament [8, 36, 128].

La principale solution pour moduler les propriétés mécaniques de la soie réside dans sa mise en forme. Les structures à base de soie développées pour l’ingénierie tissulaire du ligament sont particulièrement nombreuses et se présentent en général sous différents agencements textiles qui seront décrits plus en détails dans la section suivante (cf. § I.2.2.2). Il existe actuellement des matrices de régénération obtenues à partir de procédés de tricotage, tressage, torsadage ou de combinaison de plusieurs d’entre eux [129-133]. Deux groupes dirigés par Kaplan (Medford - Etats-Unis) et Goh (Singapour) sont aujourd’hui particulièrement impliqués dans de tels projets avec des approches respectives consistant à développer des cordes de soie par torsadage [18, 134-138] et à associer des structures de soie tricotées avec divers coating microporeux (fibroïne ou collagène) [139-143]. Les différents travaux effectués ont montré que les structures de soie possèdent une excellente biocompatibilité et permettent de favoriser la colonisation cellulaire (Figure I–19) avec des indices de différenciation fibroblastique lors de l’utilisation de cellules souches. Ils ont également prouvé qu’il était possible de moduler l’élasticité de la matrice (module d’Young, limite d’élasticité) en fonction de la structure textile choisie [122, 123] et de fabriquer des structures pouvant tolérer des sollicitations cycliques répétées.

Malgré cela, l’inadéquation des propriétés mécaniques et le stress shielding restent les risques principaux liés à l’utilisation de la soie dans les matrices ligamentaires. La biocompatibilité de la soie, sa production peu coûteuse et à grande échelle et sa cinétique de dégradation permettant la conservation de son intégrité mécanique sur des durées relativement importantes font qu’elle reste tout de même l’un des matériaux les plus prometteurs dans le cadre de l’ingénierie tissulaire du ligament.

Figure I–19 : Cellules souches sur une matrice en soie tricotée observées en MCF [143]

On peut citer la présence d’autres produits naturels et notamment de polysaccharides et de protéines dans la composition de certaines matrices ligamentaires. Cette utilisation relativement restreinte est essentiellement destinée à améliorer la biocompatibilité et à favoriser l’adhésion cellulaire sur des matrices d’une nature chimique différente. On trouve par exemple du chitosane incorporé dans des membranes de PCL afin de favoriser la prolifération et l’adoption du phénotype souhaité (expression de collagènes de type I et III) de fibroblastes de LCA [144, 145]. Des matrices fibreuses ont également été développées à partir de tels produits naturels comme la cellulose [146] ou l’acide hyaluronique éventuellement associé au chitosane ou à l’alginate [147-150]. Ces exemples restent relativement rares et si les matrices présentées favorisent effectivement la prolifération cellulaire, elles ne sont généralement pas pourvues de propriétés mécaniques suffisantes [151].