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CHAPITRE I : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

3. L’ingénierie tissulaire du ligament

3.4. Les modes de stimulation

Si l’affinité des cellules avec la matrice ligamentaire choisie peut permettre une bonne adhésion cellulaire et éventuellement une bonne prolifération, elle suffit rarement à induire l’orientation phénotypique voulue, voire la différenciation. La plupart du temps, pour aboutir à une différenciation cellulaire, il est nécessaire d’appliquer des conditions de culture bien particulières aux cellules présentes sur le support de régénération. Plusieurs types de stimulations sont possibles pour parvenir à de tels résultats.

3.4.1. Stimulations biochimiques

Il existe un grand nombre de facteurs biochimiques et physico-chimiques permettant d’induire la différenciation cellulaire ou d’augmenter la production des molécules caractéristiques du phénotype différencié. On sait par exemple que la modification du taux de

dioxygène dans l’atmosphère de culture peut favoriser soit la prolifération soit la synthèse des

collagènes par les fibroblastes de LCA [202]. L’acide ascorbique (AA) et son dérivé le L-ascorbate-2-phosphate (A2P) sont également connus pour stimuler la prolifération et la synthèse de collagènes par les fibroblastes de LCA [203] ou la différenciation fibroblastique de CSM [186].

Durant le cycle de vie cellulaire, les cellules sont par ailleurs soumises à des signaux appropriés à des moments bien précis qui permettent de déclencher des réactions spécifiques : croissance, prolifération, différenciation ou synthèse de MEC. La plupart de ces signaux proviennent de composés appelés facteurs de croissance ou de différenciation, des protéines responsables de la régulation de la croissance et des fonctions cellulaires [204].

Ces facteurs sont très largement employés dans l’ingénierie tissulaire des ligaments et tendons pour moduler les réactions cellulaires [136, 137, 143, 170, 184, 192]. Parmi les effets induits, on peut noter la prolifération cellulaire, la synthèse de MEC et de protéines associées (en particulier les collagènes) et l’amélioration des propriétés mécaniques des néotissus formés (Tableau I–10).

Facteurs de croissance Effets induits dans les tissus

EGF

Epidermal Growth Factor

- prolifération - synthèse de MEC

FGF

Fibroblast Growth Factor

- prolifération - synthèse de MEC - synthèse de collagène - vascularisation - rigidification GDF

Growth Differentiation Factor

- prolifération - synthèse de MEC - migration cellulaire - renforcement mécanique - production de néotissus IGF

Insulin-like Growth Factor

- prolifération - synthèse de MEC - synthèse de collagène

PDGF

Platelet Derived Growth Factor

- prolifération - synthèse de MEC - vascularisation - rigidification - amélioration des propriétés structurales TGF-β

Transforming Growth Factor-β

- prolifération

- synthèse de collagène

Tableau I–10 : Principales familles de facteurs de croissance utilisés en ingénierie tissulaire du

ligament [10, 17, 151, 186]

En ce qui concerne la différenciation des CSM vers les différents lignages, on peut mettre en évidence l’apparition de cellules différenciées grâce à l’identification et la quantification de gènes (et des protéines) spécifiques des différents phénotypes. En ce qui concerne la différenciation en ligamentocyte, les gènes exprimés ne sont que peu spécifiques (cf. § I.3.3.2) [143, 170, 192]. Les facteurs de croissance appartenant aux familles FGF et

TGF-β semblent être les plus employés pour cette différenciation. Moreau et al. (de l’équipe de Kaplan) ont notamment réalisé des travaux portant sur la différenciation de CSM grâce à l’application séquentielle de facteurs de croissance [17, 136, 137, 186, 205]. Cette stratégie reposant sur l’idée que l’administration séquentielle de certains facteurs à des moments précis du processus de différenciation permettrait d’optimiser la différenciation des cellules a révélé une efficacité particulière avec des associations EGF/TGF-β ou bFGF/TGF-β.

3.4.2. Stimulations mécaniques

La seconde méthode classiquement utilisée pour induire la différenciation ou stimuler la cellule différenciée est la stimulation mécanique. Les sollicitations mécaniques, au même titre que les facteurs de croissance, comptent parmi les signaux qui affectent la croissance et le développement des tissus ligamentaires. De manière à simuler les mouvements subis par l’organisme et ainsi se rapprocher de l’environnement réel des cellules, de nombreux appareillages de stimulation mécanique ont été développés pour les matrices ligamentaires. Il a été montré que de telles stimulations appliquées à des fibroblastes de différentes sources favorisent l’alignement des cellules ainsi que l’expression des collagènes de type I et III, de ténascine-C et de fibronectine [204, 206-208], y compris en l’absence de facteurs de croissance spécifiques [18, 183]. Cette stratégie a donc été appliquée à des fibroblastes ensemencés sur divers supports de régénération (Figure I–26), parfois en association avec l’administration de facteurs de croissance, afin de favoriser la synthèse des protéines de la MEC et l’orientation phénotypique des cellules [119, 161, 165, 204, 209, 210]. Les déformations imposées à ces supports sont typiquement comprises entre 5 et 10 % à des fréquences ne dépassant généralement pas 1 Hz.

Pour induire la différenciation des CSM, de nombreuses expériences ont en effet suggéré que les molécules de régulation comprenant notamment les facteurs de croissance et l’application de contraintes mécaniques agissent de concert pour déterminer le type de tissu conjonctif formé par différenciation des CSM [8]. Cela serait lié au déclenchement de récepteurs d’étirement présents à la surface des cellules [195]. Comme pour les fibroblastes, on trouve de nombreux travaux sur la stimulation de supports ensemencés avec des CSM. Là encore associées à des facteurs de croissance dans certains cas, ces sollicitations semblent avoir favorisé l’expression de gènes et la synthèse de protéines typiques de la MEC de

ligamentocytes [211-213] ce qui laisse supposer que les CSM se sont bien différenciées dans ce sens [136, 138, 209].

Figure I–26 : Observation en MCF (filaments d’actine en rouge et noyaux en bleu) de fibroblastes

non stimulés (a) et stimulés mécaniquement (b) (barre d’échelle : 10 µm) [210]

L’application de stimulations mécaniques sur des matrices de régénération ensemencées avec des cellules présente cependant certaines difficultés. La manipulation de ces objets requiert en effet de maintenir des conditions stériles afin d’éviter toute contamination des échantillons. Cette nécessité ainsi que la popularisation de cette technique et la volonté de développer des systèmes capables non seulement d’appliquer des sollicitations mécaniques toujours plus complexes mais aussi de fonctionner sur plusieurs échantillons ont conduit à la mise au point et à la commercialisation de systèmes appelés

bioréacteurs (Figure I–27).

Les bioréacteurs sont conçus pour simuler au mieux les conditions environnementales des cellules au sein d’un organisme et s’inscrivent dans trois catégories : les bioréacteurs statiques, à perfusion et à stimulations mécaniques. Pour les plus complets d’entre eux, ils permettent de maintenir les échantillons et les cellules dans une atmosphère contrôlée, de maîtriser l’introduction du milieu de culture et des éventuels facteurs de croissance et bien sûr d’appliquer les contraintes mécaniques souhaitées (uniaxiales ou multiaxiales, traction, compression, torsion ou leur combinaison), et cela pendant des durées importantes (plusieurs semaines) [138, 195, 211, 212, 214-216]. Depuis la naissance de ces systèmes, de nombreuses sociétés ont développé leurs propres bioréacteurs qui sont désormais commercialisés [217, 218]

Cependant, la plupart des équipes de recherche travaillant sur l’ingénierie tissulaire du ligament préfèrent développer elles-mêmes leurs appareillages, certainement avec la volonté de les concevoir aussi adaptés que possible à l’application, mais aussi en raison du coût élevé des systèmes commercialisés. Il faut également être conscient des inconvénients présentés par les bioréacteurs. Un certain nombre d’entre eux, généralement encombrants, nécessitent par exemple une installation dans un incubateur pour pouvoir rester sous atmosphère contrôlée. Le nombre de supports pouvant être stimulés simultanément est également limité par le nombre de chambres de culture dont le bioréacteur est équipé, les appareils dotés de nombreuses chambres étant bien évidemment les plus coûteux.

Figure I–27 : Bioréacteur Bose®

ElectroForce 5200 Biodynamic