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Politiques nationales et transformations du mariage omanais

I. Comprendre le sultanat d’Oman

1. Politiques nationales et transformations du mariage omanais

Le mariage est le seul cadre accepté pour une relation entre un homme et une femme. Plus, il serait le cadre qui permettrait à des sentiments d’éclore ; une rencontre ou un rendez-vous amoureux étant dès lors relégués à la transgression. Cela signifie-t-il que l’amour ne pourrait se développer sans cadre marital ? Comment les jeunes envisagent-ils leurs rencontres « interdites » ? Ces types de rencontres donneraient à voir, à l’échelle globale, une transformation des pratiques matrimoniales. Elle consisterait à distinguer le « mariage traditionnel » du « mariage d’amour » (Padilla, Hirsch et al., 2007). Le premier est pensé comme une alliance arrangée qui puisse satisfaire les attentes identitaires et sociales de chaque partenaire et des familles engagées, quand l’autre est souvent ressenti par l’absence de ces injonctions, vécues comme des contraintes, pour donner à voir une union qui aboutisse à la suite d’une relation amoureuse. Ces expressions sont utilisées à Mascate et elles défient les règles endogames fortement ancrées dans les pratiques matrimoniales. Néanmoins, plusieurs auteurs ont montré dans les pays arabes que l’alliance matrimoniale endogamique serait de moins en moins prégnante depuis l’avènement de l’urbanisation (Mernissi, 1975 ; Abumalek, 1994).

Celle-ci est associée à l’accès des femmes au travail, à l’université et à d’autres espaces publics, qui ont participé de l’accroissement de l’exogamie.

Mais les modes de rencontre et d’alliance sont rattrapés par d’autres injonctions propres aux politiques nationales omanaises, qui poussent à une forte séparation tangible au quotidien. Les groupes sociaux se définissent à partir des légitimités tribales, et les populations issues de l’Afrique de l’Est et d’Iran suite aux occupations coloniales omanaises participent d’une différenciation identitaire en termes ethnolinguistiques8. De plus, un grand nombre d’unions correspondent à ce que l’anthropologie a appelé le mariage arabe, autrement dit entre enfants de frères (zawāj al-āqārib ou mariage entre proches). Celui-ci est isogame, entraînant une proximité consanguine mais aussi statutaire, en raison de la règle de kafa’a (interdiction d’hypogamie féminine) inscrite dans le Code du Statut Personnel (CSP)9. L’exogamie existe, mais il s’agit de comprendre comment l’ensemble des lois qui contrôlent le mariage sont perçues et intégrées dans les alliances. Constituent-elles un frein au « mariage d’amour » (zawāj ḥubb), libre de toute injonction communautaire ? Poussent-elles les jeunes à reléguer l’amour au rang d’un imaginaire plutôt qu’un projet réalisable ? Un mariage traditionnel est-il nécessairement l’inverse du mariage d’amour ? De telles difficultés participent-elles à renforcer l’aspect interdit de la relation amoureuse ou, au contraire, à se satisfaire d’une relation en dehors du cadre marital ?

Outre la mixité qui caractérise la population mascatie, les politiques golfiennes favorisent la nationalisation de l’emploi et la migration à court terme (Hanieh, 2010 : 55). En Oman comme dans les autres pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), la population est divisée entre nationaux et non-nationaux, que ce soit dans les lois ou dans les représentations et subjectivités. Alors que les populations étrangères sont majoritaires dans la plupart des pays du Golfe, celles-ci sont moindres en Oman, correspondant approximativement à 45 % de la population totale. Ce pourcentage comprend des travailleurs issus d’Asie, du sous-continent Indien et des pays euroaméricains. Dans ce contexte, la promotion de l’identité nationale est envisagée comme un moyen de surmonter les disparités identitaires, par un processus d’intégration politique et à travers la figure du sultan, image conciliatrice de la diversité (Valeri, 2012 : 13). Un certain nombre de décisions politiques attestent par ailleurs d’un désir de distinction, que ce soit à l’égard des Émirats Arabes Unis, vus comme figure progressiste de la région, ou de l’Arabie saoudite, son pendant inverse, tous deux concurrents économiques et

8 Pour plus de développements sur l’histoire d’Oman, voir Skeet I., 1985, Oman before 1970: the end of an era,

Londres, Faber & Faber.

frontaliers d’Oman. Ceci imprègne largement les alliances matrimoniales qui sont soumises aux lois sur la nationalité et, ce, en fonction du sexe de la personne. Une femme omanaise ne peut épouser un non-Omanais, à moins de correspondre à certaines conditions. De plus, le système politique se fonde sur une ascendance ibadite, confession associée au kharijisme, troisième branche de l’islam après le sunnisme et le chiisme. Et bien que la majorité de la population soit sunnite, l’imaginaire national omanais repose sur un discours religieux ibadite, qui est associé à des qualités telles que la tolérance et le respect nécessaire pour l’acceptation des différences. Dans ce contexte, l’idéal d’une « pureté omanaise » (āṣl ʿumānī) se développe dans les discours ordinaires (al-Rasheed, 2005 : 105). Comment se construisent et évoluent les prescriptions matrimoniales en Oman, et comment les pratiques matrimoniales se confrontent aux registres de la « pureté omanaise », de la tradition ou de la figure du « mariage d’amour », libre de toute injonction communautaire ?

L’idéal de la pureté omanaise se prolonge dans la manière dont les individus perçoivent les contours de la nation, à partir des critères géographiques du territoire, mais aussi dans la manière dont est perçu le conjoint idéal. Comme je le montrerai, par la promotion de la tolérance, le mariage et l’amour surviennent comme des pratiques qui pourraient tendre vers une mixité et l’acceptation des différences. Ainsi, un modèle du conjoint idéal se dessine. Il intègre l’ensemble de ces injonctions, lois et considérations morales qui mettent en concurrence celles et ceux qui n’y correspondraient pas. La figure du conjoint idéal questionne ce qui lui serait concurrentiel. À quels critères correspond un individu qui ne serait pas « mariable », ni même « aimable » ? Beaucoup de personnes étrangères font l’objet d’une stigmatisation. Celle- ci réunit des dimensions identitaires, nationales, religieuses qui se voient alors sexualisées, comme c’est le cas des femmes marocaines. Enfin, tout cela est sans compter les dimensions matérielles et financières que le mariage implique. En effet, une union matrimoniale exige des sommes importantes qui passent à la fois dans l’organisation des festivités mais aussi dans la contractualisation de l’union. Celle-ci est entérinée par l’offre d’une compensation matrimoniale (mahar) de la part du futur conjoint à son épouse, et beaucoup de jeunes hommes se trouvent face à la difficulté d’acquérir les montants exigés, notamment lorsqu’ils sont encore étudiants et sans revenu individuel. La dimension matérielle des relations est alors en tension : comment compenser l’impossibilité de financer un mariage ? Cela participe-t-il à pousser les jeunes à se contenter de flirts passagers ? La dimension genrée est également exprimée dans les enjeux matériels de la relation, à travers des stéréotypes sur le don, l’offre de cadeaux et la générosité selon le sexe.