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Partie V : résultats et premiers niveaux d’analyses

Chapitre 12 : apports des perspectives d’acceptabilité et d’acceptation

2.2. Poids de la valeur sécurité pour les différents acteurs du système

Dans le Tableau 17, nous avons recensé les valeurs partagées par les différentes catégories d’acteurs auxquelles nous nous sommes intéressés au cours de nos investigations (cf. Chapitre 13).

Tableau 17 : Valeurs partagées par les différentes catégories d’acteurs

Régulateurs Passagers Usagers des sites «

non-utilisateurs » Exploitants Passagers - Sécurité - Utilité - Fiabilité

- Non-gêne des autres usagers

Usagers des sites « non-utilisateurs » - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Besoin de contrôle

- Non-gêne des autres usagers

- Sécurité - Utilité - Fiabilité - Non-gêne des autres usagers - Lutte contre la sédentarité Exploitants - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Satisfaction - Besoin de contrôle - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Non-gêne des autres usagers - Fierté régionale - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Non-gêne des autres usagers Concepteurs de la Leading - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Satisfaction

- Respect des procédures - Non-gêne des autres usagers

- Sécurité - Utilité - Fiabilité - Non-gêne des autres usagers - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Non-gêne des autres usagers - Sécurité - Utilité - Fiabilité - Satisfaction - Non-gêne des autres usagers

157 Nous remarquons, à la lecture du Tableau 17, que la sécurité était une valeur partagée par toutes les catégories d’acteurs. Ce résultat confirme notre hypothèse selon laquelle la sécurité est une valeur incontournable dans le cadre du développement d’un service de transport par NA, et assurément un critère de performance et d’acceptation de cette technologie innovante.

La sécurité n’était toutefois pas la seule valeur que partageaient toutes les catégories d’acteurs. L’utilité et la fiabilité étaient également des valeurs partagées par l’ensemble des acteurs.

Ces résultats montrent donc que la sécurité n’était jamais la seule valeur en jeu dans les systèmes de valeurs des acteurs, à l’encontre de la technologie NA. Elle était en concurrence.

Pour les raisons évoquées précédemment, la mesure précise du poids de la valeur sécurité vis-à-vis des autres valeurs n’a pas été finement mesurable dans le cadre de cette recherche. Néanmoins, les différentes investigations que nous avons menées, nous ont permis de constater que, parmi les 12 situations critiques mettant en balance la valeur sécurité (qui ont donné lieu à 29 types de réponses mettant en balance la valeur sécurité, cf. Tableaux 11 et 12), cette valeur sécurité était mise en concurrence, par les régulateurs :

- 14 fois avec la valeur utilité ;

- 13 fois avec la valeur satisfaction des passagers ; - 12 fois avec la valeur fiabilité ;

- 9 fois avec la valeur non gène des autres usagers du site ; - 8 fois avec la valeur besoin de contrôle ;

- 7 fois avec la valeur respect des procédures.

Nous remarquons qu’en perspective de la hiérarchie établie lors Chapitre 13(2.2), par rapport au nombre de régulateurs ayant évoqué les différentes valeurs, la fiabilité et le respect des procédures ont rétrogradé ; alors que la satisfaction des passagers et la non-gêne des usagers du site ont progressé. La sécurité viendrait donc plus souvent en conflit, en situations critiques, pour les régulateurs, avec la satisfaction des passagers et la non-gêne des usagers du site qu’avec la fiabilité et le respect des procédures.

- chez les passagers, la valeur « sécurité » semble également moins importante que d’autres de leurs valeurs. Par exemple, sur le site du Centre de recherches, à la question « comment

avez-vous perçu cette expérience ? » (cf. Tableau 13), 30 répondants sur 43 abordaient la valeur

utilité (dont 23 pour souligner un manquement à cette valeur), alors qu’aucun répondant n’a évoqué la valeur sécurité. A la question « Quelles évolutions du service/des NA pourraient

vous amener à les utiliser plus souvent ? », sur 43 passagers répondant, 30 ont évoqué

l’amélioration de la fiabilité, 24, l’augmentation de la vitesse des NA (que nous avons associée à l’utilité), alors qu’aucun répondant n’a évoqué le développement de la sécurité ; - chez les usagers des sites « non-utilisateurs », nous faisons le même constat. En effet, à la

question : « Pourquoi n'avez-vous jamais utilisé la NAv2 ? », sur 65 répondant n’ayant jamais utilisé les NA, un seul avait développé un argument que l’on a pu rapprocher de la valeur sécurité. Il avait répondu « pas en confiance » ;

- chez les exploitants et les concepteurs de la Leading, la sécurité est en revanche clairement affichée comme valeur clé. Notons que les entretiens menés avec les exploitants et les concepteurs de la Leading sont davantage décontextualisés des activités et des expériences vécues de déplacement sur un site donné.

La sécurité semble ne pas préoccuper les usagers des sites (passagers des NA et non-utilisateurs), à cette étape de développement de la technologie, dans les conditions actuelles d’usage.

Il semblerait donc que le niveau de sécurité actuel soit trop élevé, au détriment d’autres critères d’acceptation comme l’utilité, la fiabilité du service, la satisfaction des passagers, la non-gêne des autres usagers des sites.

158 Les procédures prescrites aux régulateurs (donc la sécurité réglée) ne semblent pas pouvoir assurer, dans toutes les situations critiques, la sécurité des passagers. Certaines procédures viennent même en conflit avec la sécurité, générant donc des situations à risque en l’absence d’une sécurité gérée par les régulateurs.

La valeur « besoin de contrôle » nous intéresse également particulièrement dans la perspective de définir le seuil de risque acceptable de la technologie innovante que constituent les NA. En effet, une des hypothèses que nous avons avancées dans le Chapitre 7 est que lorsqu’un risque est choisi et non subi, lorsque l’on a le sentiment de pouvoir y échapper (puisque c’est nous-mêmes qui sommes aux commandes), alors nous acceptons davantage ce risque (les accidents d’avions sont moins bien acceptés que les accidents de voitures ou d’alpinisme, alors qu’ils sont moins fréquents).

Nous constatons, à l’issue de nos investigations que la valeur « besoin de contrôle » est portée par les régulateurs, et notamment les accompagnants présents dans les NA (16 des 27 régulateurs dont 11 des 22 accompagnants ont exprimé cette valeur au cours des analyses expérientielles). Nous notons aussi que la valeur « besoin de contrôle » est opposée 8 fois à la valeur « sécurité » en situation critique. Par exemple, lors de la situation de déclenchement automatique du klaxon, certains accompagnants avaient le sentiment de subir le klaxon. Mais pour couper le klaxon, il fallait shunter la sécurité des NA, ce qui concourait à sacrifier leur valeur « sécurité ». Inversement, la valeur « besoin de contrôle » est associée 14 fois à la valeur « sécurité ». Ce ratio de 8 contre 14 semble indiquer, qu’en situation critique, la valeur sécurité occupe une place importante dans la hiérarchie des valeurs des accompagnants.

En revanche, chez les passagers des NA et chez les usagers des sites non-utilisateurs, cette valeur

« besoin de contrôle », associée à l’activité de transport, est très secondaire à cette étape de

développement de la technologie, dans les conditions actuelles d’usage. Seul 1 des 142 répondants du questionnaire du Centre de recherches (passagers et non-utilisateurs compris), a évoqué un

« manque de confiance » vis-à-vis des NA (que l’on pourrait associer à une atteinte à la valeur « besoin de contrôle »). Le besoin de contrôle a bien été exprimé par des passagers vis-à-vis de la fiabilité du

service (ne pas maîtriser le moment où la NA arrive, par exemple) ou par les non-utilisateurs vis-à-vis d’un empêchement de leurs activités habituelles ; mais cela nous intéresse moins ici, dans la perspective de situer le seuil de risque acceptable des NA.

Conclusion du Chapitre 14

3.

Les résultats de la première partie du Chapitre 14, ont permis de confirmer l’existence d’écarts entre les tâches prescrites aux régulateurs et les activités qu’ils déploient effectivement.

Nous avons montré le caractère situé et dynamique des tâches prescrites aux régulateurs. En effet, les prescriptions sont en partie différentes selon les expérimentations ; elles sont adaptées aux contextes, elles évoluent.

La transmission des tâches peut prendre différentes formes : orale lors des 3 premières expérimentations puis orale et écrite lors de l’expérimentation de la Technopole.

Les tâches peuvent être édictées par différents prescripteurs : les exploitants et/ou les concepteurs de la Leading donnant parfois lieu à des injonctions paradoxales entre lesquelles les régulateurs doivent arbitrer.

La transmission des tâches intervient à différents moments : au démarrage de l’expérimentation, au moment de la formation ; puis également dans le courant des expérimentations - ce qui traduit un des processus de régulations froide. Nous constatons également une augmentation de la formalisation des prescriptions au fil des expérimentations (dossiers transmis sur la Technopole) - phénomène que interprétons comme une volonté, de la part de la Leading, de cadrer l’activité des régulateurs et limiter les régulations chaudes non contrôlées.

159 En effet, l’analyse des représentations de la Leading sur les régulations chaudes mises en place par les régulateurs, a montré que ces régulations chaudes étaient davantage perçues comme des déviances qu’il fallait contrôler, que comme des opportunités pour innover. Par conséquent, la Leading s’intéresse peu à ces régulations chaudes, aux valeurs qui animent ces régulations et aux situations critiques dans lesquelles elles ont lieu ; elle ne se les approprie pas ou alors

« partiellement ».

La Leading semble s’inscrire dans le paradigme d’un humain « agent d’infiabilité » (Favergue, 1967) et développer une technologie fonctionnant sur des dimensions réglées, plutôt que sur une dialectique réglé/géré. Les régulations froides envisagées par la Leading sont d’ailleurs d’ordres technique et procédural. Or, au vu des résultats présentés dans cette étude, le fait de concevoir une technologie NA reposant uniquement sur un fonctionnement réglé, nous apparaît incompatible - au moins à court terme - avec la complexité des situations dans lesquelles cette technologie sera engagée (cf. Chapitre 17). Il nous apparaît en effet, qu’il est nécessaire de concevoir une technologie, et des services associés, résilients ; c’est-à-dire capables de s’adapter, par des régulations chaudes et froides. Et ainsi satisfaire aux critères : situé, dynamique et systémique de l’acceptation.

Dans la deuxième partie du Chapitre 14, nous avons fait une focale sur la valeur « sécurité », dans la perspective de positionner le seuil de sécurité acceptable d’un service de transport par NA. Nous avons montré que l’ambition de l’atteinte d’une sécurité totale, de la part de la Leading, conduisait à un service peu utile, peu fiable, non-satisfaisant pour les passagers, gênant les autres usagers des sites, et générant des dérogations aux procédures non connues par la Leading.

Nous avons qualifié la technologie actuelle de « sur-sécurisée », en constatant que les valeurs

« sécurité » et « besoin de maîtrise » n’étaient presque jamais mentionnées par les usagers, au contraire

d’autres valeurs nécessaires à l’acceptation.

Les résultats de ce Chapitre 14 vont donc dans le sens de la thèse intermédiaire III et invitent à définir les conditions d’une sécurité acceptable pour que la technologie entre en osmose avec le système de valeurs des différents acteurs des systèmes sociotechniques dans lesquels elle sera déployée.

160

Chapitre 15 : recommandations adressées aux partenaires

concepteurs

Nombreux sont les travaux, en ergonomie, qui réfèrent aux processus de construction de leviers d’action au cours d’une démarche d’intervention (Falzon, 2004 ; Guérin, Laville, Daniellou & Duraffourg, 2006 ; Coutarel, 2011 ; Saint Vincent & al., 2011 ; Falzon, 2013). L’analyse des situations critiques, l’identification des conséquences de ces situations et des déterminants à leurs origines, constituent l’essence des diagnostics ergonomiques. Les déterminants à l’origine des situations critiques se révèlent alors des repères permettant d’inférer des leviers de développement du système et, probablement d’acceptation de la technologie.

Afin de nous faire accepter dans le projet de conception des NA, nous nous étions engagés, auprès des partenaires concepteurs, à transmettre des repères de conception et d’exploitation de la technologie.

Les méthodes d’investigations que nous avons déployées devaient donc aussi nous permettre d’honorer cet engagement.

Dans le Chapitre 15, nous présentons :

1. les méthodes qui nous ont permis de construire des spécifications à l’intention des partenaires concepteurs ;

2. les déterminants à l’origine des situations critiques ;

3. les formes de spécifications transmises aux partenaires concepteurs.

Méthodes ayant permis de construire des spécifications à l’intention

1.

des partenaires concepteurs

Certaines des méthodes visaient la « mise en évidence des déterminants à l’origine des situations critiques » (donc indirectement des spécifications en termes de leviers de conception et d’acceptation du service) :

- Les entretiens composites à destination des régulateurs et des Concepteurs de la Leading - Le questionnaire du Centre de recherches

- Les réunions de travail avec les concepteurs

1.1. Entretiens composites

Plusieurs auteurs ont loué le fait de procéder à des analyses expérientielles dans une perspective d’amélioration ou de conception de systèmes complexes (Theureau, & Filippi, 1994 ; Salembier, Theureau, Zouinar, & Vermersch, 2001). Salembier, Cahour et Zouinar (2013) affirment que le recours à des méthodes de recueil de verbalisations consécutives à l'action, comme nous les avons menées, permet notamment de décrire finement les problèmes de couplage entre l’acteur et son environnement et d’en inférer les déterminants. Certaines techniques d’entretiens favorisant la compréhension des situations critiques (nommées aussi « méthode des incidents critiques » ou des

« décisions critiques ») sont également recensées dans la littérature (Clot & Leplat, 2005).

Ainsi, au cours des entretiens composites (Annexes 6 et 7) - dans une perspective de développement de la technologie, d’autonomisation et d’allocation de fonction - nous avons demandé :

- Aux régulateurs : « quelle est ta plus-value par rapport à un automate ? Qu’est-ce que tu mets en place

aujourd’hui qui fait que les usagers du site acceptent mieux la présence des NA/le service, que si tout était géré automatiquement ? » ; qu’est-ce qu’il faudrait améliorer selon toi pour que le service soit plus utile ? Mieux accepté ? Plus sécurisé ? Quelle est ta plus-value par rapport à un automate ? » ;

- Aux concepteurs et aux exploitants : « comment voyez vous l’autonomisation du service dans les

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mettent en place aujourd’hui des actions qui font que les usagers du site acceptent mieux la présence des NA/le service, que si tout était géré automatiquement ? ».