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Partie V : résultats et premiers niveaux d’analyses

Chapitre 16 : valeurs, expérience et acceptation

2.2. Ecarts entre acceptabilité et acceptation interprétés par le prisme des analyses

Les analyses d’acceptabilité et d’acceptation relatées dans le Chapitre 12, ont révélé :

- Des résultats « encourageants », « positifs » en termes d’acceptabilité (avant utilisation) et d’acceptation (après la première utilisation) lorsque ces résultats étaient obtenus par l’intermédiaire de questionnaires. D’ailleurs, toutes les variables retenues dans les questionnaires CHU témoignaient d’un avis plus favorable après l’utilisation des NAv1 qu’avant.

- Des résultats « décevants », « négatifs » en termes d’acceptation selon le critère de l’affluence du service (lorsque l’on moyenne l’affluence sur chacun des sites expérimentaux à l’issue de périodes d’expérimentations dépassant les 68 jours de mise en service des NA).

Pour comprendre ces écarts, nous avons analysé les valeurs des différents acteurs. Bien que ces analyses mériteraient d’être approfondies - notamment du point de vue des valeurs des usagers des sites aux différents moments du déploiement de la technologie – nos résultats indiquent que les valeurs sont sujettes à des dynamiques qui influencent l’acceptation (cf. Chapitre 13).

Les analyses des valeurs des usagers des sites (passagers, non-utilisateurs et exploitants) menées au cours de cette recherche, ont ainsi montré que :

181 - Les passagers ne semblaient pas vivre des expériences de transport par NA ; mais plutôt des expériences de « découverte » d’une technologie innovante en conception et en démonstration. Une « découverte » étant un événement singulier, une « réutilisation » n’est plus conforme avec l’expérience de la « découverte » - ce qui expliquerait la dégradation de l’affluence du service avec le temps. Les valeurs portées lors d’une première utilisation, lors d’un essai, d’une découverte, ne sont pas exactement les mêmes que par la suite. En premier lieu, la valeur curiosité, qui influence fortement le comportement visant à tester les NA, diminue après la première utilisation. Il faut donc que d’autres valeurs suppléent la curiosité pour que l’acceptation et le choix d’utiliser les NA soient durables. Nous introduisons ici une nuance entre l’acceptation et l’utilisation d’une technologie. Il nous a semblé, en effet, que certains usagers des sites expérimentaux acceptaient la présence des NA, et y étaient même favorables car la technologie NA correspondait à leurs valeurs déclaratives (écologie / développement durable, fierté régionale, accessibilité aux personnes à mobilité réduite, développement technologique, etc.). Néanmoins ces usagers n’utilisaient pas, ou ne réutilisaient pas le service de transport par NA ; celui-ci ne correspondant pas à certaines de leurs valeurs en acte (rapidité, utilité, fiabilité…). Ce phénomène mériterait d’être confirmé par une analyse plus fine des valeurs des usagers des sites.

- Les usagers des sites non-utilisateurs et les exploitants ne semblaient pas vivre des expériences d’implantation d’un service de transport durable sur leurs sites, mais plutôt l’expérience d’une expérimentation ponctuelle, potentiellement contraignantes, mobilisant une technologie amenée à disparaître de leur site quelques semaines plus tard. Ce contexte expérimental pourrait être une source de rejet puisque la construction de nouveaux repères et de nouveaux systèmes de valeurs est couteuse ; et n’en « vaut » pas forcément la peine pour quelques semaines.

- Les valeurs importantes pour les usagers des sites n’étaient pas toujours comblées par les NA, notamment en situation critique. Or, le fait de vivre de « mauvaises expériences » est probablement source de rejet.

La présente étude renforce le point de vue de Porcher et al. (2016, p.6), selon qui : « les concepts «

d’acceptabilité » et « d’acceptation » ne s’excluent pas, au contraire, ils se complètent dans l’étude des conceptions, de l’appropriation ou du rejet d’un dispositif technique ».

L’analyse des intentions d’usage (donc de l’acceptabilité) a ici permis de répondre à un certain nombre d’objectifs :

- vérifier qu’il n’y avait pas de rejet a priori des NA, pour certaines raisons d’ordres pratique, social, idéologique, etc. ;

- identifier des normes et valeurs des passagers potentiels et ainsi transmettre des repères de communications aux concepteurs. Par exemple, en :

o valorisant le label « fabrication locale » (« made in Auvergne » en Auvergne ; « logiciel de

guidage fabriqué par des ingénieurs du campus » sur le campus universitaire suisse ; « application smartphone développée par des entreprises de la Technopole ») ;

o vantant la valeur écologique de cette technologie innovante. Par exemple en habillant les NA du CHU et du campus auvergnat de stickers représentant des arbres verts ;

o intégrant l’enjeu d’accessibilité pour les PMR à la conception des NAv2, ce que n’avaient pas fait les constructeurs concurrents présents sur le site du Congrès ; o construisant des contre-arguments vis-à-vis de certaines réticences évoquées lors

des focus group : « les NA ne vont pas provoquer de pertes d’emploi mais au contraire en

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situations où ces NA seront utiles… », « nous n’avons jamais eu d’accident, 90% des accidents de la route sont dus à une erreur humaine » ;

- valider/invalider certaines hypothèses de conception concernant l’agentivité et les caractéristiques anthropomorphiques des technologies autonomes.

Néanmoins, la suite de nos expérimentations a confirmé le point de vue de plusieurs auteurs (Legris, Ingham, & Collerette, 2003 ; Turner, Kitchenham, Brereton, Charters, & Budgen, 2010 ; Bobillier-Chaumon, 2016), lorsque nous avons constaté que les études d’acceptabilité n’étaient que peu prédictives des usages réels (cf. Chapitre 12). Nous expliquons ce constat par plusieurs raisons :

 l’acceptation est un processus complexe : situé, dynamique et systémique. Alors que l’acceptabilité est une projection généralement assez éloignée des conditions réelles d’usage ;

 engagés dans l’action, les systèmes de valeur des usagers se réélaborent et ne correspondent plus forcément à ce qu’ils étaient dans le contexte de l’étude d’acceptabilité. La micro-identité activée par un individu lors d’un focus group pour lequel il s’est déplacé contre rémunération, est probablement différente de la plupart des micro-identités des individus « vivant » sur les sites où des NA sont déployées ;

 ainsi, l’acceptation se « joue » dans les usages, dans l’activité, dans les expériences que vivent les sujets (Bobillier-Chaumon, 2013, 2016) ;

 or, les études d’acceptabilité constituent pour le sujet des expériences de natures très différentes des projections d’usages qu’elles sont censées explorer (d’où l’écart entre valeurs déclaratives et valeurs en acte) ;

 l’exploration disjointe des valeurs déclaratives (sur lesquelles se focalisent les études d’’acceptabilité sociale, cf. Chapitre 1(2)) et des caractéristiques des technologies (sur lesquelles se focalisent les études d’acceptabilité pratique, cf. Chapitre 1(1)) présente des limites au regard d’une acceptation qui est le fruit de la rencontre ;

Les analyses des processus d’acceptation, telles que nous les avons menées, nous ont ainsi permis de palier les limites des études d’acceptabilité (cf. Chapitre 13). Toutefois, les limites de l’acceptabilité que nous venons de relever pourraient, en partie, être dépassées. Nous pourrions, en effet, envisager de proposer aux utilisateurs potentiels sondés différents scénarios de confrontation à la technologie. Ces scénarios activeraient des micro-identités et des systèmes de valeurs situés ; ils viseraient la projection d’expériences à différents stades de développement du produit et des services associés. Pour construire ces scénarios, des analyses expérientielles préalables pourraient être déployées sur les sites expérimentaux (analyses des activités, des expériences vécues dans les situations d’actions caractéristiques, des valeurs en acte dans ces situations). Ainsi, en intégrant des projections situées, dynamiques et systémiques, les biais principaux des études d’acceptabilité seraient réduits. Cette proposition s’inscrit dans le courant de l’ergonomie prospective (Brangier & Robert, 2014) ou de la prospection de l’acceptation (Bobillier-Chaumon, 2018).

La présente étude n’a permis d’appréhender qu’une partie du processus d’acceptation des NA, car :

- la technologie n’est pas encore mature ;

- les sites expérimentaux n’ont été que partiellement adaptés à l’exploitation de services de transport par NA ;

- des régulateurs étaient présents pour pallier les défaillances techniques ;

- un certain nombre de contraintes méthodologiques ne nous ont pas permis de mettre en place l’ensemble des investigations souhaitées (cf. introduction de la Partie IV).

183 Ainsi, les usages « finaux » (prévus par les concepteurs) n’ont pas pu être analysés ; les expériences et les systèmes de valeurs en acte vécus lors de ces usages, non plus. Les différents services que pourraient rendre les NA n’ont pas pu être simulés. Ceci ouvre des perspectives de poursuite des analyses d’acceptation (perspectives développées par ailleurs dans cette Partie VI) ; mais également d’acceptabilité.

En effet, dans la phase actuelle de développement de la technologie, nous nous trouvons en amont de nombreuses formes d’usages futurs, ce qui pourrait légitimer la perspective de déployer, à nouveau, des études d’acceptabilité.

Les études d’acceptabilité sont historiquement réalisées en amont des usages. Certains chercheurs (He, Qiao, & Wei, 2009 ; Lee, 2010) ont toutefois pris l’initiative de déployer les études d’acceptabilité également après l’utilisation des technologies : « on notera cependant un glissement sur les

finalités et applications de ces modèles : il ne s’agit plus simplement de prédire les intentions d’usage sur une nouvelle technologie à implémenter, mais d’évaluer également le maintien de l’usage sur des outils existants (après une première expérience des dispositifs) » (Bobillier-Chaumon, 2016, p.9).

Si, comme l’ont démontré certains auteurs (Rabardel, 1995 ; Orlikowski, 2000 ; Mendoza, Carroll, & Stern, 2011 ; Béguin, 2010) la conception se poursuit dans l’usage, alors il y aura toujours potentiellement des usages futurs nouveaux. D’autant plus dans le cadre d’une technologie amenée à être déployée dans des systèmes sociotechniques complexes, où la diversité des déterminants situés générera une diversité d’usages. En suivant cette logique, des études d’acceptabilité d’une technologie pourraient être menées à tout moment du cycle de vie de ladite technologie.

2.3. Intérêts et les limites des approches expérientielles pour la conception d’un