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Plasticité du système de récompense induite par la consommation de cocaïne

Chapitre 2 – La voie mésocorticolimbique

B. L’addiction

3. Plasticité du système de récompense induite par la consommation de cocaïne

Toutes les drogues d’abus, quel que soit leur type (psychostimulants, opiacés, cannabinoïdes, alcool), déclenchent une libération de dopamine dans le noyau accumbens (Di Chiara and Imperato, 1988.). Au cours de ma thèse je me suis focalisé sur les effets de la cocaïne qui inhibe directement la recapture de ce neurotransmetteur en interagissant avec le transporteur membranaire de la dopamine mais qui pourrait également contribuer à sa libération en recrutant directement des vésicules de réserve (Venton et al., 2006 ; Homberg et al., 2019). Le rôle du récepteur D1R dans les effets renforçants de la cocaïne a été mis en évidence en abolissant le comportement d’auto-administration chez des souris mutées pour ce récepteur.

De manière similaire à ce que l’on a évoqué par rapport au stress, la cocaïne et les drogues de façon générale induisent des changements stables des circuits de la récompense. La plasticité synaptique est l’un des mécanismes importants dans la modulation des réseaux neuronaux par les drogues d’abus (Hyman et al., 2006 ; Kauer and Malenka, 2007). Ce phénomène, mis en évidence au sein des synapses glutamatergiques de l’hippocampe, a été initialement décrit comme étant une base cellulaire de l’apprentissage et de la mémoire (Bliss and Lomo, 1973). Diverses études ont précisé l’influence des drogues d’abus sur ces processus au sein de la voie mésocorticolimbique (Lüscher, 2016).

a. Au niveau de l’aire tegmentale ventrale

Des travaux ont montré que pour différentes drogues, un traitement unique suffit à entrainer après 24 heures, un renforcement synaptique des afférences excitatrices aux neurones DAergiques de la VTA, en mettant en évidence une augmentation du ratio AMPA/NMDA au niveau de l’élément postsynaptique DAergique (Ungless et al., 2001 ; Saal et al., 2003). En 2008, Argilli et al., ont montré que cette potentialisation induite par la cocaïne s’observe déjà trois heures après traitement.

L’impact comportemental de ces modifications du ratio AMPA/NMDA a d’abord été mis en évidence par l’usage d’antagonistes des NMDARs dans la VTA capables d’inhiber la sensibilisation comportementale à la cocaïne (Harris and Aston-Jones, 2003). De même, l’inactivation de NMDAR via la mutation de sa sous-unité GluN1 abolit toute modification plastique au niveau de ces synapses (Engblom et al., 2008). Bien que l’hypothèse initiale ait été que cette augmentation du ratio AMPA/NMDA reposait sur l’insertion additionnelle de AMPARs pour une expression de NMDARs inchangée, des résultats plus récents ont indiqué que des modifications qualitatives de ces deux récepteurs sont en jeu. Selon le modèle actuel les AMPARs seraient remplacés par des récepteurs privés de la sous-unité GluA2 les rendant perméables au calcium (Bellone and Lüscher, 2006). A l’inverse, les NMDARs canoniques seraient substitués par des récepteurs hétérotrimériques contenant la sous-unité GluN3 ne permettant plus l’influx calcique (Mameli et al. 2011, Yuan et al. 2013).

Précisons que toutes les drogues addictogènes testées à ce jour produisent cette modification typique du ratio AMPA/NMDA (Good and Lupica 2010, Heikkinen et al. 2009, Tan et al. 2010). En revanche, le ratio AMPA/NMDA n’est pas affecté après l’administration in vivo de fluoxétine et de carbamazépine, un médicament psychoactif non addictif (Saal et al., 2003). Le fait que différentes classes de drogues, avec des mécanismes d’action moléculaires différents, induisent un type similaire de plasticité synaptique dans les neurones DAergiques de la VTA a constitué une première indication du fait que cette forme de plasticité synaptique pourrait être liée aux propriétés de dépendance des drogues d’abus. Il est enfin important de noter que la LTP des courants dépendants de AMPAR induite par la cocaïne s'est révélée spécifique des neurones DAergiques de la VTA, aucune potentialisation n'ayant été trouvée dans l'hippocampe ou dans les neurones GABA de la VTA (Van Huijstee et Mansvelder, 2015).

Dans la VTA, des changements plastiques interviennent également au niveau des circuits inhibiteurs avec des effets opposés sur l'activité des neurones DAergiques. Les neurones GABA de la VTA constituent la cible privilégiée des afférences inhibitrices des MSNs-D1. Ces afférences augmentent leur probabilité de libération lors d’un traitement chronique à la cocaïne (cinq injections quotidiennes) provoquant une désinhibition des neurones DAergiques, qui pourrait jouer un rôle important dans la progression de la plasticité vers des parties plus dorsales du striatum liées aux aspects moteurs de la réponse aux drogues (Bocklisch et al. 2013 ; Everitt and Robbins 2013).

La plasticité synaptique induite par les drogues dans la VTA ne se produit pas globalement, affectant tous les neurones DAergiques de la VTA de la même manière. Il a été montré que les drogues affectent différemment différentes sous-populations neuronales DAergiques projetant dans différentes structures de la voie mésocorticolimbique (Lammel et al., 2014). Ainsi, une unique injection de cocaïne modifie sélectivement les synapses glutamatergiques sur les neurones DAergiques se projetant dans la portion shell du NAcc, mais pas les synapses se formant sur les neurones DAergiques se projetant vers de la mPFC (Lammel et al., 2012).

b. Au niveau du noyau accumbens

Le NAcc et ses afférences corticolimbiques, parce qu’ils jouent un rôle clé dans de nombreux apprentissages dépendant de la récompense, constituent une cible privilégiée des drogues d’abus et il est désormais établi que les effets renforçants de ces drogues résultent d’un détournement de ces voies régulatrices (Nestler, 2001 ; Lüscher, 2016).

Contrairement à la VTA, une seule injection de cocaïne ne suffit pas à induire une plasticité synaptique dans le NAcc. Seul un traitement répété à la cocaïne permet d’observer des modifications de la force des synapses glutamatergiques sur les MSNs du NAcc (Thomas et al., 2001 ; Kourrich et al., 2007). Le sens de cette plasticité dépend cependant de la durée du sevrage. Ainsi, Kurrich et al. (2007) ont administré une injection quotidienne de cocaïne pendant cinq jours à des souris mâles chez qui ils ont évalué le ratio AMPA/NMDA dans des neurones de la portion shell du NAcc, 24 heures et 10 à 14 jours après la dernière injection. Au cours du sevrage précoce, 24 heures après la dernière injection, une diminution significative du ratio AMPA/NMDA a été constatée dans cette population neuronale. Cependant, 10 à 14 jours plus tard, ce ratio est augmenté. De plus, une unique injection à l’issue de cette période suffit à provoquer brusquement une inversion de la potentialisation synaptique, comme indiqué par la diminution du ratio AMPA/NMDA un jour plus tard. La dépression initiale de la transmission est associée à l'apparition de nombreuses synapses silencieuses (n’exprimant que des NMDARs) qui sont ensuite transformées progressivement en unités fonctionnelles pendant la période de sevrage (Brown et al. 2011, Lee et al. 2013).

La pertinence comportementale de cette diminution du ratio AMPA/NMDA en début de sevrage n'est pas encore claire. Il a été avancé qu’elle pourrait traduire une désensibilisation des neurones du NAcc shell aux récompenses naturelles, responsable des sentiments d'anhédonie et de dysphorie observés chez les patients (Van den Oever et al., 2013). Ainsi, ce mécanisme pourrait augmenter le besoin impérieux de drogue. La conséquence comportementale de la dépression synaptique observée à la suite d'une nouvelle exposition à la drogue pourrait constituer l’expression aiguë d’une sensibilisation comportementale (Brebner et al., 2005). Ainsi, le blocage pharmacologique de cette dépression synaptique dans le NAcc permet de supprimer l’augmentation de l’activité locomotrice induite par la ré-exposition à l’amphétamine.

L’étude des synapses de la triade glutamatergique projetant vers le NAcc (BLA, HPCv et PFC) chez les souris s’auto-administrant de la cocaïne a permis de montrer les contributions spécifiques de chacune de ces sous-structures dans les modifications plastiques induites par cette drogue et de préciser les sous-populations neuronales impliquées dans le NAcc (Pascoli et al., 2014). Les résultats montrent que l’arrêt de l'auto-administration de cocaïne augmente le ratio AMPA/NMDA dans les synapses du vHPC aux MSNs-D1, tandis qu’un phénomène inverse est observé au niveau des synapses provenant du PFC aux MSNs-D1R.

Cette plasticité induite par la cocaïne dans le NAcc a conduit à l’hypothèse d’un rajeunissement de la

transmission synaptique au cours de la dépendance à la cocaïne, via la création de types de synapses

normalement associés au développement cérébral précoce (Bellone and Lüscher, 2012 ; Dong and Nestler, 2014). Les exemples en sont la génération de synapses silencieuses et l'insertion synaptique d'AMPARs dépourvus de GluA2. L’exposition à la cocaïne réouvre une période critique du développement de la synapse dans le système mésocorticolimbique. Les synapses plus jeunes ont une plus grande capacité à subir des modifications plastiques durables et dépendantes de l'expérience. Cela pourrait expliquer comment les drogues peuvent provoquer des modifications plastiques aussi fortes et particulièrement durables, conduisant à des mémoires tout aussi fortes et durables associées aux drogues (Dong et Nestler, 2014). Le fait que les jeunes synapses ont une plus grande capacité à subir des modifications plastiques dépendantes de l'expérience pourrait également expliquer pourquoi les jeunes sont plus vulnérables à la toxicomanie.