• Aucun résultat trouvé

Hiérarchie et comportements de type dépressif

Chapitre IV - Rangs sociaux, régulation comportementale et vulnérabilité aux psychopathologies : l’hypothèse la

A. Hiérarchie et comportements de type dépressif

1. Statut socioéconomique et comportements de type dépressif

En 2003, Lorant et al., ont montré dans une méta-analyse portant sur des résultats épidémiologiques obtenus dans des pays du monde entier depuis 1979 (mais avec une surreprésentation de pays d’Europe et d’Amérique

du nord) que l’incidence et la durée moyenne des épisodes de MDD évoluent selon un gradient inverse au niveau de SES. Certains mécanismes de cette association ont depuis été précisés en montrant notamment le rôle prévalant de l’éducation sur celui du revenu dans ce processus.

Ainsi, dans une analyse menée dans trois pays représentatifs de l’Union Européenne (Finlande, Pologne et Espagne) les auteurs, après avoir confirmé qu’une augmentation de l’indice SES (défini par les niveaux d’éducation et de revenu) diminue le risque de dépression dans chacun de ces pays, ont montré que cet effet repose d’abord sur une augmentation du niveau d’éducation des populations concernées (Freeman et al., 2016). Ce rôle protecteur de l’éducation confirme les résultats d’études épidémiologiques menées à large échelle dans d’autres pays (Gan et al., 2012 ; Eikemo et al., 2008 ; Bjelland et al., 2008). D’autres facteurs de régulation du lien SES-MDD ont été soulignés, notamment le groupe ethnique d’appartenance. Ainsi, alors que les populations noires et hispaniques états-uniennes présentent en moyenne des niveaux d'éducation et de revenu par ménage plus bas et des taux de chômage plus élevés par rapport aux blancs, de nombreuses observations montrent que la prévalence de MDD est inférieure au sein de ces groupes ethniques (Gavin et al., 2010 ; Alegria et al., 2004 ; Williams et al., 2007). Aux États-Unis, chez les blancs, le niveau d’éducation est inversement corrélé à la MDD, et chez les hispaniques et les blancs, la sortie de l’emploi constitue un facteur de risque. En revanche, aucun de ces paramètres socio-économiques ne permet de prédire le taux de dépression parmi les populations noires (Gavin et al., 2010). L’effet protecteur de l’appartenance à un groupe ethnique pourrait tenir à des processus d’identification ethnique ainsi qu’à un soutien social plus important au sein de ces communautés (Herd and Grube, 1996 ; Mossakowski, 2003).

Enfin, en France, une étude s’est appuyée sur le suivi, initié en 1989, de l’état de santé de milliers d’employés d’EDF-GDF (cohorte GAZEL) afin d’identifier l’effet de rangs sociaux explicitement établis sur la prévalence et l’évolution des MDD (Melchior et al., 2013). Les résultats indiquent que les employés de plus bas grades ont une probabilité plus élevée d’être atteints de dépression, et plus encore de présenter une dépression persistante, comparativement à leurs collègues plus hauts gradés.

2. Modélisation animale du lien entre rang social et dépression

Parce que la dépression présente une incidence deux fois supérieure chez les femmes, Shively et al., (1997) se sont intéressés à l’impact du rang social sur la vulnérabilité à la dépression chez les singes cynomolgus femelles adultes. Dans leur étude, les statuts sociaux de femelles vivant en tétrade sont déterminés selon la capacité de chacune à remporter des victoires lors d’interactions antagonistes ou compétitives. Les deux animaux de chaque groupe présentant le plus de victoires sont désignés comme dominants tandis que les deux autres cumulant le plus de défaites sont désignés comme subordonnés. Une fois ces hiérarchies stabilisées, de nouvelles tétrades sont constituées en regroupant les dominantes ou les femelles de rangs inférieurs entre elles. Cette redistribution aboutit à la formation de quatre groupes phénotypiques distincts ; i) les dominantes

initiales conservant leur dominance au sein du nouveau groupe ; ii) les dominantes devenues subornées ; iii) les subordonnées devenues dominantes et iv) les femelles restant subordonnées tout au long de l’expérience. Au sein de chaque groupe, les auteurs ont alors observé l’évolution de l’activité de l’axe HPA, des cycles d’œstrus dont il a été montré qu’ils sont fortement inhibés chez les femelles subordonnées ainsi que des comportements de type dépressif (courbure du dos et isolement). Les résultats indiquent que les femelles nouvellement dominantes présentent des taux de GCs cumulés dans les selles plus faibles, des interactions sociales plus fréquentes et une activité ostrogénique préservée par rapport au femelles devenues subordonnées. Les résultats indiquent par ailleurs une plus grande vulnérabilité à la dépression chez les femelles restées subordonnées tout au long de l’expérience comparativement aux femelles subordonnées précédemment dominantes. En effet, 70% des femelles déprimées dans leur deuxième tétrades étaient subordonnées dans leur précédent groupe. Il est important de préciser qu’en conditions naturelles, les jeunes femelles cynomolgus acquièrent très tôt leur statut social et que celui-ci tend à être stable tout au long de leur vie. A ce titre, le statut social initial peut être considéré comme une caractéristique comportementale stable de l’individu, alors que le statut acquis pendant la deuxième phase de l’expérience représente un état de stress social manipulé expérimentalement.

Comme présenté au chapitre 2, la défaite conditionnée correspond à une augmentation des comportements d’évitement chez le hamster après qu’il a subi un stress social. Afin de déterminer si le rang social influence la vulnérabilité à ce phénotype, Morrison et al., (2011) ont soumis des paires de hamsters à des confrontations journalières pendant deux semaines, afin d’établir pour chaque couple, un rapport de dominance sable. 24 heures après la dernière confrontation, les dominants et les subordonnés ont été soumis à un protocole de défaite sociale aigue (i.e. 3 agressions de 5 min le même jour) puis testés pour la défaite conditionnée le surlendemain. Dans cette dernière phase, les hamsters dominants présentent moins de comportements défensifs et d’évitement que leur conspécifiques subordonnés, suggérant une vulnérabilité accrue des individus subordonnés aux phénotypes de type dépressif.

Chez la souris, l’association entre statut social et vulnérabilité à la dépression n’est pas claire et plusieurs résultats contradictoires ont été rapportés. Dans une première étude, des souris hébergées individuellement depuis une semaine ont été confrontées à des interactions quotidiennes directes de cinq minutes pendant 21 jours (Bartolomucci et al., 2001). Pendant le temps restant, le résident et l’intrus, bien qu’occupant la même cage, étaient séparés par une paroi transparente perforée. Ce protocole a permis de distinguer quatre phénotypes : les résidents dominants, les résidents soumis, les intrus dominants et les intrus soumis. Les résultats montrent que l’acquisition du rang conduit les dominants à une diminution de poids corporel et à une hyper-locomotion, alors qu’un phénotype inverse est observé pour ces deux paramètres chez les souris dominées. Ces profils neurocomportementaux ont été interprétés comme une tentative d'adaptation (coping) accrue chez les dominants et inversement, comme une manifestation d’impuissance et de comportements de type dépressif chez les subordonnés. Ce résultat contraste avec deux autres études de modèles murins, l’une

n’ayant trouvé aucun indice prédictif de risque de comportements de type dépressif dans l’identification du rang social, la seconde ayant rapporté une vulnérabilité accrue des souris dominantes face à un protocole de CSDS (Lehmann et al., 2013 ; Larrieu et al., 2017). Bien que ces trois études aient établi les rangs sociaux via l’utilisation du test de préséance dans un tube, certaines différences méthodologiques pourraient rendre compte des divergences des résultats obtenus. Ces travaux faisant directement écho à nos travaux de thèse, nous les discuterons plus en détail dans la discussion générale.

B. Hiérarchie sociale et vulnérabilité à la cocaïne