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Histoire de l’endocrinologie de la réponse au stress

Chapitre III - La réponse au stress

I. Histoire de l’endocrinologie de la réponse au stress

Afin de s’adapter aux variations de leurs environnements, les organismes vivants ont développé au cours de l’évolution des mécanismes de plus en plus complexes. Ainsi, ils ont pu acquérir une relative indépendance vis-à-vis du milieu extérieur en développant notamment leur propre milieu intérieur. Ce concept a été formulé pour la première fois par Claude Bernard (1813-1878) entre 1854 et 1857 en référence au sang dans lequel il observe que des variables physiologiques tels que le pH et la glycémie demeurent à des niveaux constants et nécessaires à la survie de l’organisme. A cette époque, la communauté scientifique est encore divisée sur la question des moyens de production de sucre chez les animaux. Afin de répondre à cette question, Claude Bernard extrait plusieurs organes chez le chien afin d’identifier un éventuel candidat dans la production du glucose. C’est alors accidentellement qu’il constate qu’un foie, resté pendant 24 heures à température ambiante, présente une importante quantité de sucre bien qu’il ait été complètement nettoyé la veille. Il découvre ainsi, au travers de la glycogénèse dans le foie, que l’organisme est capable de produire les substances nécessaires à sa propre survie et que cela lui confère une certaine autonomie vis-à-vis des variations du milieu extérieur. Tout au long de ses travaux, sa compréhension du milieu intérieur a substantiellement évolué, le portant à une conception dynamique de la régulation de ce milieu au moyen d’une myriade continuelle de réactions compensatoires de l’organisme aux variations de l’environnement extérieur.

Sur la base de ces observations, Walter B. Cannon (1871-1945) a entrepris au début du XXème siècle une série de travaux afin de comprendre par quels mécanismes une telle régulation est possible. En droite ligne avec le concept de milieu intérieur, l’auteur forge le terme d’homéostasie (du grec ancien όμοιος, omoios, « semblable, égal » et στάσις, stasis, « état, pause, arrêt ») pour rendre compte de la capacité d’un organisme de maintenir à l’équilibre, ou dans une gamme relativement restreinte, un certain nombre de paramètres physiologiques nécessaires à son fonctionnement, comme la température corporelle, la glycémie ou le taux de sodium dans le sang. Cannon a observé quelques années auparavant que, chez des animaux effrayés ou en état d’excitation émotionnelle, le mouvement péristaltique est brusquement interrompu, suggérant un lien entre physiologie et émotions. Poursuivant ses observations afin de caractériser la réponse de l’organisme à une situation aversive (physique ou psychique) il formule à partir de 1915 l’hypothèse selon laquelle, toute modification de l’équilibre homéostatique (ou menace d’une telle modification), due à des facteurs internes ou externes, entraine une réponse de lutte ou de fuite qui repose sur un ensemble de modifications physiologiques

(vasoconstriction, augmentation de la fréquence cardiaque etc.) préparant le corps à l’action afin de produire des réponses compensatoires susceptibles d’augmenter la probabilité de survie. Chez le chat dont le cœur est expérimentalement dépourvu d’innervations, il montre qu’une augmentation de la fréquence cardiaque continue de se produire lorsque l’animal est apeuré, suggérant une régulation hormonale de cette réponse. En procédant à des ablations de glandes endocrines, il met ensuite en évidence le rôle de la médullosurrénale dans ce processus et plus spécifiquement de l’adrénaline dont il observe que les concentrations croissent chez l’animal stressé, sous contrôle du système nerveux sympathique (Cannon and Lissak, 1939).

Parallèlement à ces recherches, Hans Selye (1907-1982) découvre une autre fonction des glandes surrénales et certains des mécanismes de sa régulation. Pendant ses études de médecine, il a observé qu’une majorité de patients, indépendamment de leur maladie, présentent un « air malade » caractérisé par plusieurs symptômes : une langue blanchâtre et épaisse, des douleurs articulatoires et gastro-intestinales accompagnées de troubles gastriques. Plus tard, alors qu’il cherche à identifier de nouvelles hormones en injectant des extraits de différentes glandes endocrines à des rats, il constate que tous les animaux présentent des symptômes identiques, suggérant une réaction générique de l’organisme plutôt que l’effet de quelque hormone spécifique. Ces symptômes incluent une hypertrophie du cortex surrénalien, une atrophie du thymus, de la rate, des ganglions lymphatiques ainsi que des saignements et des ulcères de l’estomac et du duodénum (Selye, 1975). Ces symptômes aspécifiques lui rappellent « l’air malade » qu’il observait chez les patients. Aussi, afin de mieux comprendre cette réaction générique de l’organisme à toute agression qui lui est faite, il soumet des animaux à différents traitements aversifs (variations de températures, lésions chirurgicales, administration de chocs électriques, exercices musculaires excessifs, ou encore intoxication par administration à doses sous-létales de diverses drogues) et constate que ces symptômes apparaissent systématiquement. Il montre au cours d’expériences successives que l’ablation spécifique des glandes surrénales supprime l’atrophie du thymus classiquement observée chez des animaux soumis à des traitements aversifs, suggérant le rôle de ces glandes dans ce processus. Dans les années 30, les hormones sécrétées par le cortex surrénal sont identifiées puis isolées (Kendall et al., 1934 ; Reichstein, 1936). Selye montre que l’injection de l’une d’elles, qu’il nommera « cortisol » en référence au cortex surrénalien où elle est sécrétée, suffit à provoquer l’apparition des réponses biologiques qu’il observait de longue date. Il prouve ainsi le rôle des glucocorticoïdes (GCs, vocable inventé par Selye pour désigner le cortisol et ses dérivés) dans ce qu’il nommera « la réponse de stress » (Selye, 1936 ; Szabo et al., 2012).

Par des méthodes d’ablation similaires, il a ensuite montré que la sécrétion de cortisol est elle-même régulée par un messager contenu au niveau de l’hypophyse, l’hormone adrénocorticotrope (adreno corticotrophic hormone, ACTH), identifiée par Li en 1956. Dans la même période, l’ancien étudiant de Selye, Guillemin, montre en même temps que Schally, que la libération d’ACTH est sous le contrôle d’une neurohormone sécrétée dans le noyau paraventriculaire de l’hypothalamus (PVN), la corticolibérine (corticotropin-releasing hormmone, CRH) (Guillemin and Rosenberg, 1955 ; Saffran and Schally, 1955). L’implication de cette

cascade neuroendocrine hypothalamo-hypophysaire surrénalienne (Hypothalamic–pituitary–adrenal, HPA) a depuis largement été étudiée dans le cadre de la réponse au stress et impliquée dans de nombreux phénotypes adaptatifs et pathologiques.

Une première modélisation de la réponse au stress impliquant l’axe HPA est proposée par Selye dans le cadre de sa théorie du syndrome général d’adaptation qu’il définit comme la réponse non spécifique de l’organisme lorsqu’il est soumis à des conditions adverses (Figure 7). Ce modèle repose sur trois étapes. Tout d’abord, la réaction d'alarme est la réaction immédiate à un facteur de stress décrite par Cannon et déclenchant la réaction de lutte ou de fuite. Si le stress se prolonge, l'organisme entre dans une phase de résistance, au cours de laquelle il cherche à contrôler les changements physiologiques déclenchés pendant la phase d'alarme. Cette étape implique l’axe HPA et aide l’organisme à faire face au facteur de stress. Enfin, lorsque le facteur de stress persiste et ne peut pas être supprimé, les efforts de régulation en vue du maintien de l’homéostasie peuvent entrainer un épuisement du système et provoquer l’apparition de pathologies mentales et physiologiques, voire la mort.

Figure 7. Syndrome général d’adaptation.

Toute atteinte à l’état d’équilibre de l’organisme entraine une réponse physiologique incluant éventuellement trois phases : 1) Alarme : l’élément stressant déclenche une réaction immédiate de lutte ou de fuite, mettant en jeu le système sympatho-adrénergique. 2) Résistance : si le stresseur perdure, l’organisme tente de contrôler les changements physiologiques advenus lors de la phase précédente, en mobilisant notamment l’axe HPA. 3) Épuisement : si le stresseur se maintient, le coût du maintien de l’homéostasie peut excéder les ressources de l’organisme et conduire à des maladies, voire à la mort (D’après Myers, 2007).

Cannon et Selye emploient le terme stress, par emprunt à la mécanique d’expression anglaise où l’idée de

stress and strain relation, marque la relation entre la force exercée et la tension. Tout comme une charge en

exerçant une force (stress) sur une poutre métallique peut entrainer sa déformation (strain), les variations environnementales peuvent impacter le fonctionnement d’un organisme en en altérant la physiologie. Cette métaphore inclus le fait qu’à des niveaux de stress relativement faibles, la déformation subie est élastique et réversible, pouvant en cela être rapprochée des mécanismes homéostatiques qui autorisent un certain degré de

variabilité des paramètres physiologiques. Mais lorsque des forces physiques excessives sont exercées, cette déformation peut devenir permanente, et entrainer une distorsion qui correspond sur le plan physiologique à l’apparition de pathologies.

La vue unidimensionnelle, linéaire et réactive de la réponse au stress telle qu'elle a été développée par Selye en lien avec le concept d'homéostasie défini par Cannon a depuis été mise en question et raffinée par des travaux expérimentaux pluridisciplinaires. Ainsi, au niveau neurobiologique, les "hormones du stress" sont apparues plus spécifiques que ne le pensait Selye : l’adrénaline est plus sensible à l'effort physique et le cortisol plus réactif à des facteurs psychologiques et sociaux (Mason 1971). De plus, bien d’autres substances sont impliquées lors des réactions de stress (hormones polypeptidiques, hormones minéralocorticoïdes, neuromédiateurs, neuromodulateurs etc.) et leur fluctuation se fait non seulement pour s'accommoder aux pressions de l'environnement mais également pour les anticiper. Enfin et surtout, la plasticité cérébrale et en particulier celle des régions limbiques et préfrontales joue un rôle fondamental dans leur coordination et leur régulation. C'est à cette plasticité qu'on attribue la possibilité de modifier durablement certaines variables biologiques par l'apprentissage et l'entrainement, ce qui permet non seulement d'améliorer les capacités physiologiques et psychologiques des individus, mais aussi de modifier durablement les capacités biologiques de l'organisme (pour revue Mc Ewen, 2007).

Ainsi, le concept d’allostasie (du grec ancien ἄλλος allos, « autre, différent » et στάσις stasis, « pose ») est venu compléter ce modèle initial en proposant de distinguer des paramètres dont les valeurs doivent être maintenues dans des limites strictes, d’autres systèmes physiologiques autorisant une plus grande variabilité et permettant l’adaptation de l’organisme aux changements ayant occasionné cette réponse au stress (Sterling and Eyer, 1988). Contrairement à la notion d’homéostasie, l’allostasie conçoit le maintien à un niveau d’équilibre sur la base de modifications durables de certains mécanismes physiologiques mis en jeu, sans retour à leur état initial une fois ce nouvel état d’équilibre atteint. Ainsi, l’allostasie ne vise pas la préservation d'une constance mais plutôt le calibrage des fonctions de l'organisme en réponse aux conditions externes et internes. La charge allostatique se défini comme le coût d'une exposition chronique à une réponse neurale et neuroendocrinienne fluctuante ou accrue résultant d'un défi environnemental chronique auquel un individu réagit comme étant particulièrement stressant (McEwen and Stellar, 1993).