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Notre travail comprend deux parties de deux chapitres chacune. Une conclusion remettra nos résultats en perspective. Dans la première partie, nous analyserons les rapports entre la pratique du hacking et les formes de la mobilité sociale. Nous décrirons précisément les mécanismes par lesquels la pratique du hacking s’articule ou se découple de la culture scientifique légitime.

Le premier chapitre abordera les conditions de leur articulation. Nous verrons comment l’appartenance à certaines fractions des classes bien dotées en capital culturel favorise un loisir informatique compatible avec l’incorporation de modes de pensée mathématiques. Des trajectoires de transfuge de classe viennent paradoxalement confirmer ses

analyses : leur pratique amateur est soutenue par des médiations scolaires tout au long de leur trajectoire. Autrement dit, leur ascension sociale ne vient pas contredire le rôle de l’école et de la culture scolaire en tant qu’instruments privilégiés de la reproduction sociale. En colonisant les interstices des institutions de formation, nous verrons que la pratique du hacking soutient non seulement la scolarité, mais également l’insertion professionnelle. Qu’ils décident d’investir le champ professionnel des TIC ou le champ académique, ces hackers peuvent jouer sur leur double appartenance tout au long de leur carrière professionnelle afin de se distinguer.

Le second chapitre abordera les différentes formes de désajustement vis-à-vis de la culture scientifique. Un premier type met en évidence la transmission au sein d’un milieu familial populaire d’un rapport à l’informatique sur le mode du bricolage (Lévi-Strauss, 1962). Une pratique du hacking axée sur les savoirs pratiques favorise la reproduction d’une position dominée. Certains individus s’accrochent coûte que coûte pour accéder à des filières du supérieur. Il s’agit toutefois d’une réussite scolaire en demi-teinte, conditionnée par la mise en veille du hacking. Un second type renvoie au braconnage culturel (de Certeau, 1990) et concerne en premier lieu des individus marqués par des relations conflictuelles avec des représentants de l’autorité. Il peut s’agir d’individus d’origine populaire en conflit avec l’école, mais aussi d’individus d’origine plus aisée chez qui un conflit familial perturbe la transmission de l’héritage et provoque une mobilité descendante. Ces différents parcours renvoient globalement à des carrières professionnelles en berne ou chaotiques. Toutefois, certaines trajectoires semblent faire mentir ces résultats : des « rencontres décisives » permettent à certains hackers d’être cooptés dans des milieux professionnels auxquels ils n’auraient pas accès en temps normal. Comme nous le verrons, ces trajectoires se caractérisent à la fois par leur rareté et leur fragilité.

La deuxième partie portera sur la propension des hackers à vouloir changer le travail ou la société. Nous verrons que les différents engagements des hackers sont bien souvent interdépendants : certains types d’engagements hors du travail répondent à des insatisfactions vis-à-vis du travail (désajustement entre aspirations subjectives et chances objectives), alors que d’autres sont motivés et rendus possibles par une position professionnelle prestigieuse (accumulation et conversion de capitaux).

Le troisième chapitre abordera la forte articulation entre hacking et travail. Une majorité de nos enquêtés cherchent avant tout à se réaliser professionnellement en tant que

hacker, ce qui tend à mettre en veille les expressions militantes ou politiques du hacking. Le travail est donc la principale cible de leurs investissements et la pratique amateur leur permet d’entretenir les dispositions qu’ils n’arrivent pas à transférer dans leurs activités professionnelles – à des degrés variables selon leur origine et leur mobilité sociales. Chez les hackers qui se réalisent professionnellement, nous observons une diminution de la pratique amateur, concomitante d’une volonté de retour aux loisirs. Connaissant plus de difficultés au début de leur carrière, les pionniers s’engagent pour la professionnalisation de leur secteur d’activité. Chez les hackers occupant une position dominée, la pratique amateur prend une valeur compensatoire (Stebbins, 2001 ; Dumazedier, 1988) et s’adosse à un projet de réorientation professionnelle. Si le sentiment de frustration vis-à-vis du travail peut nourrir un engagement associatif, l’espoir de reconquérir un jour le travail en limite la portée militante.

Le quatrième chapitre montrera que les expressions militantes ou politiques du hacking sont plus fréquentes lorsque la pratique amateur est découplée du travail. Tout d’abord, certains enquêtés s’engagent dans une carrière d’hack-tiviste comme substitut à leur travail : le militantisme devient le principal support de leur identité sociale. De telles carrières sont favorisées par une position d’interface entre la culture classique et la culture scientifique, à l’image des militants de la science populaire en leur temps (Bensaude-Vincent, 1993). Le rapport à la culture classique est en règle générale hérité ; il prend exceptionnellement la forme d’un capital de substitution acquis grâce à l’engagement politique (Parti Pirate). Nous observons également une attitude militante lorsque la pratique amateur est « libérée » du travail, à l’image des hackers-usagers qui militent dans leur entourage social et dont le métier n’a aucun rapport avec la technologie. Il en est de même des hackers occupant une position au sein du champ académique. Ceux-ci sont en mesure de concilier leurs appartenances professionnelles et militantes et n’hésitent d’ailleurs pas à mobiliser leur position universitaire dans leurs engagements.

Ces préoccupations sociologiques ont été sous-tendues par des choix méthodologiques qu’il convient de préciser : quels outils sont adaptés à l’exploration de notre questionnement ?

4. Reconstruire les trajectoires et les rapports entre les sphères d’activités : choix