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Les conditions du maintien des produits du hacking : des pratiques « interstitielles » au sein des institutions de formation

distinction et accumulation des capitau

2. Les conditions du maintien des produits du hacking : des pratiques « interstitielles » au sein des institutions de formation

La synergie entre loisir informatique et savoirs mathématiques ouvre la voie vers les formations supérieures et oriente vers les cursus en informatique (Flubacher, 2007). Plus que cela, la pratique amateur permet aux enquêtés dont il est question ici de se distinguer avantageusement lors des études supérieures. En effet, les inégalités devant les études ne se limitent pas à leur accès, mais continuent à jouer dans leur déroulement (Bourdieu, Passeron, 1964) : les logiques institutionnelles participent à orienter vers des filières plus ou moins prestigieuses, à différencier les élèves en termes de performance, etc. Face à ces formes de sélection et de hiérarchisation, ce sont classiquement les héritiers qui tirent leur épingle du jeu, car ils sont déjà armés à l’entrée des études pour y réussir.

Or, nous constatons qu’une partie de nos enquêtés bénéficient également d’une forme d’avance qui va leur permettre de se distinguer avantageusement. Cette avance n’est pas le produit d’une pure transmission familiale et doit beaucoup à une pratique amateur leur ayant permis d’acquérir des dispositions et des compétences relatives à l’informatique. Si cette forme spécifique de capital culturel produit un effet vertueux sur le déroulement des études, c’est non seulement par une conversion directe en performances scolaires, mais aussi par la constitution d’un capital social qui a en retour un effet démultiplicateur sur les autres capitaux (Bourdieu, 1980 ; Éloire, 2014). Plus précisément, le capital culturel spécifique à la pratique amateur produit des effets d’inter-reconnaissance.

« Quoiqu’il soit relativement irréductible au capital économique et culturel possédé par un agent déterminé ou même par l’ensemble des agents auxquels il est lié (comme on le voit bien dans le cas du parvenu), le capital social n’en est jamais complètement indépendant du fait que les échanges instituant l’inter- reconnaissance supposent la re-connaissance d’un minimum d’homogénéité « objective » et qu’il exerce un effet multiplicateur sur le capital possédé en propre. » (Bourdieu, 1980 : 2).

Ces effets d’interconnaissance s’expriment à deux niveaux : par l’établissement de solidarités fortes entre pairs et mais aussi par des opportunités de se rapprocher de certains responsables institutionnels ayant également un rapport passionné à l’informatique. Il en découle une forme particulière de capital social qui participe au bon déroulement des études et prépare l’insertion professionnelle. Comme l’a montré par ailleurs Gaël Depoorter (2015), la participation à une « communauté » de logiciel libre vaut comme instance d’encadrement pour les étudiants, leur permettant : « de mettre en pratique des connaissances accumulées dans le cycle scolaire, de les approfondir, et de se confronter à une activité professionnelle à laquelle ils se destinent. Ils y côtoient des informaticiens confirmés et participent à des collectifs de travail. » (Ibid. : 25). De manière analogue, l’entre-soi qui colonise les interstices de la formation favorise l’entraide au niveau des pratiques du hacking mais aussi des enseignements ayant un lien direct ou indirect avec l’informatique. Il participe à la fois à la transition vers un loisir sérieux (Stebbins, 2001 : 1980a) et à son articulation avec le cursus de la formation. Autrement dit, la solidarité entre pairs et les relations privilégiées avec certains responsables institutionnels alimentent le projet de professionnaliser la passion pour l’informatique et donnent accès aux ressources pour le mener à bien. Notons que ces logiques valent aussi bien pour les héritiers que les individus connaissant une mobilité ascendante ou horizontale. Elles tendent à combler en partie l’écart entre ces différentes catégories.

Nous allons maintenant voir en détail comment jouent les effets d’inter-reconnaissance, c’est-à-dire la manière dont un capital culturel spécifique à la pratique amateur se convertit en capital social, qui lui-même renforce l’incorporation d’une culture scientifique. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la période charnière du lycée qui valide les acquis de la socialisation primaire et établit des rapports structurants pour la suite du parcours de formation. Lors de cette étape, la pratique amateur quitte la sphère familiale pour trouver des

pairs et des figures de référence qui permettent de maintenir une articulation forte entre loisir informatique et scolarité. En second lieu, nous analyserons comment ces rapports gagnent en importance lors des études supérieures grâce à des logiques collectives de distinction. Précisons que les enquêtés dont il est question ici ont par ailleurs des pratiques du hacking hors contexte scolaire (cf. infra), mais notre propos se concentrera pour le moment sur les pratiques colonisant les interstices de la formation en ce qu’elles représentent, à notre sens, un enjeu central pour leur réussite scolaire et professionnelle.

2.1. Le lycée : une étape charnière où les pratiques commencent à coloniser les interstices des institutions de formation

La période du lycée représente une période charnière. D’une part, il s’agit d’une étape de transition vers les hautes études, autrement dit une période de formation ayant une grande incidence sur les « choix » scolaires et professionnels. Elle représente une barrière sélective forte pour les individus les moins prédisposés envers l’univers scolaire (voir aussi, Lahire, 1995 : 71-72), et plus largement une période durant laquelle nos enquêtés confirment, infirment, voire reformulent leurs orientations, en fonction des rapports subjectifs et objectifs qui se mettent en place avec les disciplines enseignées et leurs enseignants. D’autre part, c’est également une étape où des instances de socialisation peuvent venir concurrencer la famille et l’école. À cet âge, la sociabilité juvénile tend à s’autonomiser et devient une instance de socialisation ayant ses effets propres (Galland, 2007 ; Pasquier, 2005 ; voir aussi Darmon, 2006). Il s’agit également d’une étape durant laquelle l’informatique amorce un tournant vers un loisir sérieux (Stebbins 2001 : 1980a). Les pratiques du hacking deviennent de plus en plus collectives et se désencastrent du contexte familial : pratiques au sein de groupes de pairs, accès plus aisé à Internet et donc à des communautés épistémiques en ligne (Clément- Fontaine, 2013 ; Millerand, Heaton et Proulx, 2012). Il s’agit donc d’une étape où se pose la question de savoir dans quelle mesure la pratique amateur et la sociabilité qui la sous-tend convergent ou divergent avec les socialisations familiales et scolaires.

Si le prochain chapitre montre qu’un loisir sérieux peut entretenir des désajustements scolaires, nous verrons ici comment il s’articule avec l’école. En effet, les entretiens font état d’instances où la pratique informatique et l’univers scolaire se croisent, participant à

transmettre un sens du classement propre aux pratiques informatiques et à leurs hiérarchies symboliques. Nous retrouvons ici la fonction de « plaque tournante » de la socialisation jouée par l’école : « à la fois institution de socialisation spécifique et espace de mise en contact et d’articulation des autres formes de socialisation, voire institution évaluatrice des produits des autres instances de socialisation. » (Darmon, 2006 : 62). Comme nous allons le voir, la mise en cohérence des expériences socialisatrices doit beaucoup aux relations tissées avec des enseignants et des pairs.

Établir des rapports privilégiés avec des enseignants passionnés par l’informatique

Ayant un intérêt marqué pour l’informatique, nos enquêtés choisissent des cours à option dans cette matière, s’impliquent dans un club informatique pour parfois en devenir animateur, et plus largement établissent des rapports privilégiés avec certains enseignants eux-mêmes « fous » ou « passionnés » par ce domaine. Cela est possible en raison de leur capital scolaire, c’est-à-dire leurs attributs de « bons élèves », mais aussi de leurs compétences en informatique qui les distinguent de leurs camarades. En se rapprochant d’enseignants impliqués dans l’enseignement de l’informatique, nos enquêtés vont à la fois valoriser leurs compétences et en acquérir de nouvelles, comme l’illustrent les citations ci-dessous.

« On avait un prof de gymnase qui était passionné par les ordinateurs. Il avait acheté des PDP-11, c’était un tout vieil ordinateur. Et puis il nous a appris en cours facultatif à programmer en Assembleur41. (…) Bon, on avait un prof qui était fou aussi, il était vraiment fana de cette chose. »

Et : « J’ai eu aussi travaillé pour le gymnase [lycée, nda]. On pouvait faire des petits boulots pendant les vacances, pour les profs. Une fois, il fallait par exemple programmer un système pour faire des expériences en physique. » (Marcus, 47 ans, doctorat, fondateur d’une petite entreprise en sécurité informatique).

41 L’Assembleur est un langage de programmation dit « de bas niveau », réputé difficile car proche du code binaire.

« D’ailleurs, ça me fait penser à une anecdote. J’avais une prof de math, (…) elle nous apprenait comment est-ce qu’on démontrait qu’il y avait des angles droits dans certaines figures. Ça me semblait complètement hallucinant, qu’il n’y avait finalement pas plus simple. Parce qu’en trois quatre opérations, je pouvais effectivement montrer qu’il y avait en effet un angle droit. (…) À un moment donné, je lui dis : “Je suis désolé. Ce que vous faites c’est bien mais il y a quand même beaucoup plus simple.” Comme j’étais une fois de plus en conflit avec elle, elle me dit : “Mais comment vous auriez fait ?” (…) Je suis allé au tableau et puis j’écris donc les quatre formules pour démontrer : “Donc ça ça ça et ça alors, là il y a un angle droit.” (…) Depuis ce jour-là, c’est devenu ma copine la prof. (…) Après du coup, elle a monté le club informatique dans le lycée, donc on a travaillé ensemble par rapport à ce cours informatique. » (H9, 41 ans, bac+5, consultant en sécurité informatique).

« Et puis, en quatrième de gymnase [lycée, nda], il y avait le prof de physique. Donc c’est une légende ce professeur. (…) Il s’est mis dans la tête qu’on devait apprendre la physique avec un logiciel qui s’appelle Interactive Physics. (…) Donc il nous avait donné des devoirs et il y avait 10 séries, 10 fiches. Il fallait compléter ça. Et je pense la dixième c’était joker, on pouvait faire ce qu’on voulait. Et j’avais fait… Je me souviens plus si j’avais rendu le spirographe ou bien les machines de Rube Goldberg. (…) Il avait laissé tomber de noter ça, parce que la première fiche ça va, tout le monde avait à peu près réussi. La deuxième, on était que deux à réussir, donc il avait laissé complètement tomber. » (Letizia, 36 ans, doctorat, coordinatrice pour le calcul haute performance d’une haute école).

Les précurseurs de l’enseignement informatique au lycée sont par ailleurs responsables de cours en mathématique ou en physique (Collet, 2006 ; Fassa, 2005). Pouvoir discuter en dehors du cadre formel des cours, leur demander des conseils, ou simplement la bonne relation entretenue avec eux, sont autant de facteurs qui jouent dans le sens d’un renforcement des performances scolaires dans ces matières. Ce capital social permet en outre de bénéficier

de certains avantages, à l’image d’un accès privilégié aux ressources informatiques et pédagogiques de l’école, voire à de petits emplois d’étudiants rémunérés. Parfois, ces enquêtés sont cooptés pour des stages ou des événements relativement exceptionnels dans le domaine de l’informatique. Dans ces cas de figure, ce capital social leur permet d’accéder à des instances prestigieuses, où la valorisation de leurs compétences et l’opportunité d’acquérir des ressources sont en quelque sorte décuplées. Patrick et Letizia témoignent tous deux d’une telle opportunité qui les a marqués durablement.

« En Terminale, il m’est arrivé un truc un peu super, faut le dire. C’était les débuts du G8. Et dans le cadre du G8, Reagan avait offert l’accès à un certain nombre de programmes, comment dire, d’excellence, pour les étudiants de High School. (…) Ils sont allés vers le Lycée X, parce que c’est le lycée réputé de la France, de machin, etc. Où je me trouvais par hasard. Voilà c’était d’autres hasards de la vie. Et donc le proviseur me convoque parce que… Ah oui ! Voyez comme quoi en creusant la mémoire. Il y avait un club informatique aussi au lycée. Il y avait aussi un club informatique et moi j’étais plutôt un des animateurs. » (Patrick, 47 ans, doctorat, professeur des universités).

« Donc, quand j’étais en quatrième année, il y avait un événement suisse qui s’appelait le Cyber Road Show, c’était l’introduction suisse à Internet. C’était un gros bus qui faisait la tournée des écoles. Ils arrivaient avec plein d’ordinateurs, dans une grande salle. Il y avait des cours à Internet. (…) Alors ils ont demandé des assistants pour ce cours. Et ils ont pioché parmi ceux qui ont fait le cours d’informatique [cours à option, nda]. » (Letizia, 36 ans, doctorat, coordinatrice pour le calcul haute performance d’une haute école).

Nos enquêtés sont donc capables d’entretenir des rapports avec des figures d’autorité qui leur transmettent à la fois des compétences relatives aux mathématiques et à l’informatique, mais aussi plus largement un sens du classement propre aux pratiques informatiques et à leurs hiérarchies symboliques. De tels rapports renforcent leur désir de professionnaliser leur passion et octroient des ressources pour s’orienter entre les différentes filières selon leur spécificité et leur prestige – des ressources d’autant plus importantes pour les hackers

connaissant une mobilité ascendante ou horizontale. Notons toutefois que nos enquêtés ne sont pas des « automates » qui se contenteraient de se conformer aux normes scolaires. Certains ont par ailleurs des pratiques du hacking moins légitimes, voire illégales, à côté de l’univers scolaire. Mais à l’image des membres des classes supérieures qui peuvent consommer des produits culturels illégitimes tout en conservant un sens du classement (Coulangeon, 2004 ; Lahire, 2006 ; Prieur, Savage, 2013), ces enquêtés intériorisent (ou réactualisent) au sein de l’univers scolaire les hiérarchies symboliques entre les différentes pratiques informatiques.

Se retrouver entre pairs

À côté des rapports privilégiés entretenus avec certains enseignants, nos enquêtés vont investir une sociabilité juvénile spécifique qui articule à la fois inscription scolaire et passion pour l’informatique. En effet, des solidarités se nouent avec d’autres élèves partageant des propriétés sociales et un rapport au loisir informatique analogues. Les premiers contacts se font à l’école, mais les rapports qui en découlent peuvent ensuite investir d’autres espaces et d’autres temps. Si des rencontres antérieures sont parfois mentionnées, le lycée apparaît toutefois comme l’étape à partir de laquelle les rapports de ce type s’établissent de manière plus systématique et durable.

« J’ai trouvé d’autres gens, alors ça, c’était au gymnase [lycée, nda]. Donc j’ai fait le gymnase scientifique. Dans la classe, on était à plusieurs, 4 ou 5, à être passionnés par l’informatique. » (Letizia, 36 ans, doctorat, coordinatrice pour le calcul haute performance d’une haute école).

« Après au gymnase, avec les copains de la classe, il y avait quelques-uns qui étaient aussi fanas et on avait passé tout le temps libre dans la salle d’ordinateurs. Il fallait s’inscrire pour avoir accès aux machines. On s’inscrivait et puis on allait faire des programmes pour tout et n’importe quoi. » (Marcus, 47 ans, doctorat, fondateur d’une petite entreprise en sécurité informatique).

« C’était plutôt au collège [lycée, nda]. C’était avec un copain qui a fait après beaucoup de programmation, qui a travaillé pour les jeux vidéo, enfin qui a fait vraiment un truc de super haut niveau. C’était avec lui qu’on a commencé à bricoler. » (H2, 36 ans, bac+5, administrateur-système).

« En gros, on trouve assez vite des gens qui sont intéressés par la programmation et on peut partager des trucs. Se poser des colles (rire). (…) C’était plutôt des copains du même âge. Quand j’étais au lycée, j’avais un certain nombre de contacts. » (Denis, 41 ans, doctorat, chercheur).

À nos yeux, ce rapprochement est favorisé par le marquage symbolique qui découle de leur pratique intensive de l’informatique, de manière analogue aux footballeurs en voie de professionnalisation étudiés par Julien Bertrand (2011). En effet, les réactions des autres élèves aux traitements « de faveur » dont ils bénéficient et à leurs signes extérieurs de richesse leur donnent l’impression d’être stigmatisés, favorisant dans la foulée un entre-soi sportif : « Cette impression participe à la tendance de leur sociabilité lycéenne à se limiter à un entre- soi sportif qui fait alors office de refuge (…) les sportifs ayant l’habitude de se retrouver dans les mêmes lieux au sein du lycée, dans ce qu’ils nomment le « coin des sportifs ». » (Ibid. : 94). Pour nos enquêtés, il s’agit plutôt de leur goût pour la culture scientifique, leur passion pour l’informatique, voire les relations privilégiées qu’ils entretiennent avec certains enseignants, qui participent à les distinguer de leurs camarades et donc à les rapprocher. Il n’est pas rare que ces pairs se rencontrent et se reconnaissent pour ce qu’ils sont dans des espaces spécifiquement dédiés à l’informatique (salle ou club d’informatique, cours à option, etc.), qu’ils investissent par ailleurs hors des heures de cours.

Au même titre que l’entre-soi sportif des footballeurs, la sociabilité juvénile entre passionnés d’informatique est fortement masculinisée. Celle-ci perpétue en toute probabilité une forme de domination masculine en informatique, ou du tout moins le caractère très genré de cette pratique (Collet, 2006 ; voir aussi, Pasquier, 2005). La plupart de nos enquêtés ne mentionnent que des pairs masculins. De manière symptomatique, Letizia relate qu’au lycée : « C’était le début d’être la seule [fille]. (…) Non, il n’y avait aucun problème, parce que c’était vraiment un groupe super sympa ». Dans son cas, en tant que fille unique sur laquelle

se reportent tous les espoirs familiaux de promotion sociale, nous supposons qu’elle a bénéficié d’investissements parentaux qui auraient été en temps normal réservés au garçon de la famille. Nous pouvons tirer ici un parallèle avec l’hypothèse du « garçon manquant » qui a été mobilisée pour expliquer la féminisation de la profession d’ingénieur, tout particulièrement chez les pionnières (Marry, 2004). D’un point de vue plus général, il est probable que les rares femmes à intégrer les milieux du hacking ont été dotées par leur socialisation familiale de certaines dispositions leur permettant d’évoluer avec une relative aisance dans des groupes de pairs fortement masculinisés.

Cet investissement croissant dans les pratiques du hacking ne vient pas perturber la scolarité, car celles-ci s’appuient en grande partie sur une sociabilité entre « bons élèves », c’est-à-dire des individus ayant incorporé des dispositions scolaires et dont les interactions quotidiennes participent à les entretenir. Au même titre que les rapports entretenus avec certains enseignants, cet entre-soi permet l’incorporation de savoirs et savoir-faire relatifs à l’informatique, tout en maintenant un ancrage scolaire. Le poids et l’incidence de cette socialisation juvénile pour nos enquêtés varient bien entendu en fonction du milieu d’origine et de la pente de leur trajectoire. Ainsi, pour les individus dotés familialement d’un capital scolaire important et de prédispositions pour l’informatique, la sociabilité juvénile s’inscrit dans la continuité de la socialisation familiale et entretient l’héritage familial. Elle participe tout de même à enrichir ou convertir avantageusement les capitaux hérités, c’est-à-dire à orienter vers de nouveaux domaines de l’informatique non connus ou maîtrisés par la famille d’origine. Ainsi, cet enquêté qui a été grandement influencé par son oncle informaticien42

découvre Linux grâce à un ami rencontré au gymnase : « J’ai commencé à utiliser Linux à la fin du gymnase. Chercheur : Il n’y avait pas un oncle (rire) ? Oscar : Non. Alors lui, il n’était pas du tout là-dedans. » (Oscar, 32 ans, EPF, en sabbatique). De même, Romain dont la mère est informaticienne dans une grande entreprise a découvert avec le temps et grâce à des pairs le monde du libre et plus particulièrement Linux qui est étranger au travail de sa mère : « Ce n’est pas son intérêt, donc du coup on ne va pas commencer à parler de Linux. (...) Elle s’en fout surtout. Dans la partie où elle est, dans SAP [progiciel de gestion intégré, nda], (…) ce

42 Cet oncle joue un rôle de premier plan en raison du décès précoce de son père qui avait par ailleurs une formation en mathématiques avec une spécialisation en informatique. Notons qu’il mentionne également un autre oncle, travaillant dans une banque et ayant également accès à du matériel informatique, par le biais duquel il obtiendra un stage durant son adolescence.

n’est pas du tout mon centre d’intérêt. Et moi ce que je fais, ce n’est pas du tout le sien. »