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Plan de recherche : quelle interrelation entre territoire et politique publique ?

C. Comment étudier les territoires de projet ?

3. Plan de recherche : quelle interrelation entre territoire et politique publique ?

En théorie, un territoire de projet constitue un instrument dont se dote un territoire pour mettre en œuvre une politique publique. Il s’apparentent donc a priori à ce que Michel Lussault nomme un dispositif « dialectique de traduction / délégation via l’espace »197 : il traduit une situation qui fait problème pour le « territoire » en même temps qu’il incarne la solution. Ainsi, le territoire de projet noue une relation étroite, quasi fusionnelle, entre le territoire et la politique publique. Pour étudier cette situation, il faut disposer de plusieurs cadres d’analyse.

192ibid. p. 122

193 LÉVY, Jacques. Op. cit. 1994. p. 72 194 GUMUCHIAN, Hervé, et al.Op. cit. 2003. 195ibid. p. 28

196

ibid. p. 24

D’abord, il faut pour pouvoir identifier et rendre compte du « territoire » (a). Ensuite, une grille de lecture est nécessaire pour appréhender et définir la politique publique (b). Enfin, il sera précisé pourquoi l’analyse recourt peu aux outils classiques de la géographie politique (c).

a) Comment chercher le territoire ?

Le cadre d’analyse du territoire proposé est inspiré d’une présentation du territoire d’Alexandre Moine198. Ce dernier propose le schéma de la figure 2 pour appréhender le fonctionnement des territoires :

Figure 2 :Boucle de rétroaction qui anime les territoires (Moine 2006199)

198 MOINE, Alexandre. Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l'aménagement et la géographie. L'espace géographique, 2006, n° 2, p. 121

Cette modélisation du territoire met en tension trois sous-systèmes :

- « l'espace géographique : approprié par l'homme, aménagé et au sein duquel apparaissent des organisations spatiales et de multiples interactions fondées sur les interrelations entre les sous-systèmes qui le composent (naturel, anthropisé, social et institutionnalisé),

- le système des représentations de l'espace géographique, ensemble de filtres (individuel, idéologique, sociétal) qui influence les acteurs dans leur prise de décision et les individus dans l'ensemble de leurs choix, selon deux temps : lors de l'observation de ce qu'est l'espace géographique ; lors de la projection de ce que sera l'espace géographique après le choix d'une action,

- le système des acteurs qui agissent consciemment ou inconsciemment sur l'espace géographique, influencés par leurs filtres, et suivant leur position au sein de ce système »200.

La trialectique entre ces trois sous-systèmes guidera notre démarche d’analyse empirique. Premièrement, il s’agira de caractériser l’espace géographique. Nous dresserons un portrait des terrains d’études à partir des principales données démographiques et économiques afin de dégager les dynamiques structurantes de ces espaces.

Deuxièmement, l’analyse requiert de dresser un portrait du système d’acteurs. L’ensemble des acteurs ayant une influence sur les territoires étudiés sera pris en compte : acteurs individuels ou collectifs, privés ou publics. Le tableau suivant permet d’en donner une vue d’ensemble (figure 3).

Figure 3 : Les acteurs à enquêter pour l'étude d'un territoire de projet Privés Publics Individuels Électeurs Maires Présidents intercommunalités Fonctionnaires territoriaux Collectifs Associations d’habitants Syndicats/associations professionnel(le)s Communes Intercommunalités Conseil régional État Commission européenne

Troisièmement, la portion la plus importante de l’analyse sera consacrée à l’étude du système des représentations qui forme l’interface entre le système d’acteurs et l’espace géographique. Comme l’indique la figure 2, le système de représentations n’est pas figé ; il forme le lien entre « ce qui est » et « ce qui doit être ». C’est en ce sens que le « territoire » est un objet « agissant » et constitue une matrice cognitive en construction permanente, c’est-à-dire qu’elle n’existe pas en dehors de l’action des acteurs. Précisément, les territoires de projet se définissent, en théorie au moins, par cette fusion attendue entre le territoire et le projet où le système de représentations de l’espace est tourné tout en entier vers l’action au point d’incarner une politique publique. Ils se distinguent par cela d’autres formes « d’espaces légitimes »201 comme les communes ou les départements où l’élection des responsables politiques joue un rôle crucial. Cependant, le processus escompté reste sur le plan académique à théoriser comme le fait justement remarquer Alain Bourdin202. Il renvoie au rôle des idées dans l’action publique. Or, celui-ci ne peut être examiné sans aborder deux autres dimensions : les intérêts des acteurs et les institutions203. Ainsi vient se greffer au triptyque du territoire « espace géographique – systèmes d’acteurs – système de représentations » un second triptyque « idées – intérêts – institutions ». Comprendre les territoires de projet revient donc à résoudre l’équation de la rencontre de ces deux triptyques illustrés par la figure 4.

201 LÉVY, Jacques. Op. cit. 1994

202 BOURDIN, Alain. La question locale. Paris: PUF, 2000. p. 42 203

PALIER, Bruno, SUREL, Yves. Les "Trois I" et l'analyse de l'Etat en action. Revue française de science politique, 2005, Vol. 55, n° 1, p. 7-32

Figure 4 : L'équation analytique du territoire de projet

L’analyse du « territoire » se voit donc adjointe d’une « analyse stratégique » des jeux d’intérêts204, ainsi que d’une étude des institutions visant à définir les règles et les contraintes supportées par les acteurs et, in fine, leurs marges de manœuvre. Enfin, il s’agira d’identifier le rôle des idées dans cet ensemble, ce qui constitue un problème sérieux.

b) Le rôle des idées dans les politiques publiques

La « dimension des idées » dans les politiques publiques est délicate à étudier tant il est difficile de l’autonomiser de la définition des intérêts et des institutions. L’approche dite « cognitive » des politiques publiques205 propose une façon d’aborder l’articulation des « trois I »206 particulièrement adaptée à notre questionnement. Pour Pierre Muller207, cette approche permet de dépasser l’acception selon laquelle les politiques publiques viseraient uniquement à « résoudre des problèmes ».

204 Nous nous inspirerons de la méthode exposée par Philippe Braud (BRAUD, Philippe. Sociologie politique.

5ème. Paris: LGDJ, 2004. p. 586-588) repris d’une analyse de Jean Padioleau et de Roger Cobd et Charles Elder. 205

Pour une présentation, voir : MULLER, Pierre. Esquisse d'une théorie du changement dans l'action publique. Structures, acteurs et cadres cognitifs. Revue française de science politique, 2005, Vol. 55, n° 1, p. 155-187 ; P. MULLER, Les politiques publiques, Paris, PUF, 2000 ; Y. MÉNY, J-C. THOENIG, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989

206 PALIER, Bruno, SUREL, Yves. Op. cit. 2005 207

MULLER, Pierre. L'analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l'action publique. Revue française de science politique, 2000, Vol. 50, n° 2, p. 189-208

Politiques publiques Territoire Idées Représentations Acteurs Espace Institutions Intérêts

?

Il envisage les politiques publiques comme la construction de « cadres d’interprétation du monde » (ou référentiel) où se combinent :

• « la dimension intellectuelle, c’est-à-dire le processus de construction d’une vision du monde qui va déterminer la perception des acteurs intervenant dans le système de décision,

• la dimension du pouvoir, c’est-à-dire le processus par lequel va s’instaurer une nouvelle hiérarchie entre les acteurs, l’un des groupes en présence faisant accepter son leadership au sein du système et sa place centrale dans le processus politique »208.

L’approche cognitive des politiques publiques partage avec les théories de la connaissance « le postulat que toute relation sociale est aussi un facteur de connaissance et de compréhension du réel » ce qui signifie dans le champ des échanges politiques que tout n’est pas réductible à l’allocation de ressource ou à l’imposition de la coercition209. Les luttes et les enjeux symboliques jouent un rôle extrêmement important ce qui amène Pierre Muller à appréhender les politiques publiques essentiellement comme « un processus de construction d’un rapport au monde »210 qui produit une image du monde articulant le rôle des acteurs et de leurs actions avec une représentation de la situation présente et de celle souhaitée.

L’approche cognitive propose donc que la structuration des intérêts, et les rapports de force et de pouvoir que cela implique, s’accompagne d’un processus de décodage/recodage du réel relatif à la formulation du couple problème/solution. En somme, les intérêts n’existent pas en dehors de matrices cognitives. Cependant, Pierre Muller différencie différents niveaux de matrice : le niveau immédiat de l’action et le niveau « global ». Précisément, une politique publique propose une interprétation de l’articulation cognitive des constructions « locales » avec une matrice plus globale. En ce sens, elle permet à la société de penser son rapport au monde en produisant sa propre altérité.

Ce schéma général est travaillé par deux évolutions majeures. Jusqu’au début des années 90, le global et le local représentaient respectivement l’État et les secteurs d’action publique. Or, d’une part, le lieu de construction de ce rapport « global/sectoriel » échappe de plus en plus à

208 MULLER, Pierre. Les politiques publiques. Paris: PUF, 1990. p. 60

209 SUREL, Yves. Les politiques publiques comme paradigme. In A. FAURE, et al. La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel. Paris: L'Harmattan, 1995. p. 126 210 MULLER, Pierre. Les politiques publiques comme construction d'un rapport au monde. In A. FAURE, et al. La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel. Paris: L'Harmattan, 1995. p. 179-153

l’État nation et au gouvernement national211. D’autre part, Alain Faure montre que les secteurs cèdent progressivement la place aux « territoires » et préfère parler de la formation d’un rapport « global/territoire ». Autrement dit, les cadres d’interprétation seraient de moins en moins sectoriels et de plus en plus territorialisés212.

Si l’on ramène ce modèle d’analyse à l’étude de la territorialité politique, cette dernière apparaît localement comme le fruit des figures globales (centralité, réseau, polycentrisme…) et des constructions politiques locales. Dans cette perspective, la territorialité politique est à saisir comme un processus d’hybridation entre deux phénomènes plus ou moins contradictoires :

• au niveau global, la pluralité des figures contradictoires associées au global : d’une part, la figure du polycentrisme inhérent à la décentralisation, à la construction européenne et à la mondialisation et, d’autre part, la figure du centralisme politique, véhiculée par la montée en puissance de l’intercommunalité de projets inspirée par le « modèle territorial historique » fondé sur un espace commun borné,

• au niveau local, la « complexification » territoriale des individus et des groupes produisant des territorialités en résille, en réseau213 ou encore des formes combinatoires entre territoires et réseaux214.

L’approche cognitive des politiques publiques doit cependant prendre garde à ne pas tomber dans une conception « mécaniste » de la relation connaissance-action. En ce sens, elle est animée par de nombreuses controverses qui constituent autant de garde-fous pour l’analyse et l’interprétation des résultats. Les points de débats se concentrent, d’une part, sur la place et le rôle des idées dans les comportements des acteurs politiques et, d’autre part, sur l’opérationnalité du modèle en dehors d’un système d’acteurs étatiques fortement marqué par une logique corporatiste.

211 MULLER, Pierre. Op. cit. 2000

212 FAURE, Alain. Les politiques locales, entre référentiels et rhétorique. In. La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel. Paris: L'Harmattan, 1995. p. 69 - 83 ; FAURE, Alain, DOUILLET, Cécile. L'action publique et la question territoriale. Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 2005. 300 p.

213 BEAUCHARD, Jacques. Penser l'unité politique entre fondements, turbulences et mondialisation. Paris: L'Harmattan, 2001. 150 p.

214

DEBARBIEUX, Bernard, VANIER, Martin. Repenser l'espace. In. Ces territorialités qui se dessinent. La Tour d'Aigues: Editions de l'aube, 2002. p. 257-265

Le premier débat concerne le modèle de Bruno Jobert et Pierre Muller qui explique mal, selon Yves Surel, la genèse et le fonctionnement des politiques publiques dans les cas de rupture, de changement où, par définition, le référentiel en est crise et se renouvelle215. Cette analyse est validée par les spécialistes de l’action publique locale qui montrent que la distinction entre dimension cognitive et rhétorique est plus difficile à faire à cette échelle216. Certains auteurs réfutent même l’idée que le territoire puisse incarner une vision partagée du monde217 et, par conséquent, que « les idées (soient) au principe de l’action »218.

Le second débat porte sur la difficulté à exploiter le modèle quand il s’agit d’objets de l’action publique aux contours mal délimités et reposant sur un système d’acteurs aux intérêts peu structurés219. Les arbitrages (ou activités de médiation) sont alors moins évidents à identifier, notamment en matière de choix idéologique. Cela s’applique particulièrement aux politiques contractuelles dont la nature conventionnelle des relations entre acteurs ne peut « qu’infléchir à la marge le comportement des principaux acteurs concernés »220. Les conflits apparaissent finalement moins catégoriels que territorialisés221, phénomène sans doute accentué par la nature « multicasquettes » des acteurs territoriaux222.

Il faut donc rester prudent quant à l’application trop directe du modèle du référentiel, notamment à l’échelle locale. Les liens entre action et cognition restent encore largement à conceptualiser223 notamment à propos de la capacité des forums de discussion à produire des

215

SUREL, Yves. Op. cit. 1995 216

FAURE, Alain. Op. cit. 1995

217 Lire par exemple Jane Rasmussen qui, à la suite de Patrick Le Galès, met en doute l’idée que la politique de la ville (territoires de projet urbain) soient porteuse de forums : RASMUSSEN, Jane. Quand l'arène politique s'en mêle : la mise en place des zones franches urbaines. In J. FONTAINE , P. HASSENTEUFEL. To change or not to change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2002. p. 211-232

218

DESAGE, Fabien, GODARD, Jérôme. Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales. Revue française de science politique, 2005, Vol. 55, n° 4, p. 633-661

219

POLLET, Gilles. Analyses des politiques publiques et perspectives théoriques. Essai de modélisation à travers l'exemple des politiques de retraite dans une pespective historique. In A. FAURE, et al.La constuction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel. Paris: L'Harmattan, 1995. p. 25-47

220

Bernard Lacroix et Vincent Merle cité par MÉRIAUX, Olivier. Réferentiel, représentation(s) sociales(s) et idéologie. Remarques à partir d'une application du référentiel à la politique de l'emploi. In A. FAURE, et al.La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel. Paris: L'Harmattan, 1995. p. 51

221 FAURE, Alain. Op. cit. 1995

222 GUMUCHIAN, Hervé, et al.Op. cit. 2003. p. 67-83. On peut également se référer à un concept développer par Michel Bassand et Daniel Joye : l’habitant-usager-citoyen (HUC). Lire BASSAND, Michel, JOYE, Daniel. L'usager, un acteur complexe. Urbanisme, 1999, n° 307, p. 55-60

223

HASSENTEUFEL, Patrick, SMITH, Andy. Essouflement ou second souffle ? L'analyse des politiques publiques "à la française". Revue française de science politique, 2002, Vol. 52, n° 1, p. 53-73

constructions collectives ordonnées224. Il faut en particulier prêter attention aux rapports d’échelles entre les objets et l’analyse qui s’y rapporte. Pierre Muller met en garde contre une utilisation restrictive de son approche à travers les référentiels et souligne qu’il trouve sa validité essentiellement à l’échelle « macro »225. Yves Surel va dans le même sens quand il compare les politiques publiques aux paradigmes selon Kuhn226. Il faut donc garder à l’esprit que l’approche cognitive, en particulier par le référentiel, rend problématique l’articulation heuristique entre l’échelle micro et l’échelle macro.

c) Une moindre sollicitation des outils classiques de la géographie politique

Au terme de cette présentation des éléments de définition et de méthode, il apparaît que la géographie politique est peu sollicitée au profit d’une déclinaison géographique de l’analyse des politiques publiques. Ce choix se justifie par la nature de notre objet de recherche, les territoires de projet, qui situe les questions de recherche à l’intersection entre science politique et géographie : ils rendent indissociable l’étude des constructions territoriales et l’analyse des politiques publiques. Les deux se trouvent parfaitement mêlées provoquant ainsi une élaboration concomitante de l’espace et de l’enjeu qu’il incarne. Dans ce contexte, la géographie politique apparaît mal adaptée pour trois raisons.

Premièrement, elle fonde son analyse sur des objets géographiques « déjà-là » plutôt qu’elle ne cherche à les déconstruire. La géographie électorale utilise par exemple les maillages électoraux pour comprendre les phénomènes politiques227. Le politique est alors envisagé comme les modes d’interactions entre divers objets géographiques, ce qui pose un double problème pour notre démarche vis-à-vis de la place des acteurs, des enjeux et des dynamiques territoriales. La géographie politique et la géopolitique ont tendance à utiliser des « catégories géographiques numériques et classificatoires » pour reprendre les termes de Bernard Debarbieux228, c’est-à-dire des catégories définies a priori par l’analyste. Nous situons plutôt notre analyse en amont au niveau de la compréhension de la production de ces catégories par les acteurs étudiés eux-mêmes. En ce sens, nous cherchons à comprendre la construction des objets géographiques indigènes. Une seconde raison, qui découle de la première, nous pousse

224

DESAGE, Fabien, GODARD, Jérôme. Op. cit. 2005 225 MULLER, Pierre. Op. cit. 2005

226 SUREL, Yves. Op. cit. 1995

227 BUSSI, Michel, BADARIOTTI, Dominique. Pour une nouvelle géographie du politique. Territoire-démocratie-élections. Paris: Économica, 2004. 301 p.

228

DEBARBIEUX, Bernard. Prendre position : réflexions sur les ressources et les limites de la notion d'identité en géographie. L'espace géographique, 2006, n° 4, p. 340-354

à prendre nos distances avec des approches plus classiques de géographie politique : l’utilisation de catégories géographiques a priori tend à situer sur le même plan les différentes formes d’espaces politiques (territoire institutionnel, territoires sociaux et maillages administratifs, etc.). Il y a alors un risque de les réduire à un marché de ressources politiques pour les acteurs. Notre recherche vise au contraire à comprendre leurs relations pour saisir l’articulation de la spatialité des trois dimensions politiques (le politique, la politique et les politiques).

Deuxièmement, la géographie politique fonctionne généralement sur une dissociation formelle entre l’espace en tant que cadre et l’espace en tant qu’enjeux. Si l’on résume, elle est parcourue par trois courants qui se différencient par leur manière d’appréhender l’espace : la géographie politique le considère comme un cadre, la géopolitique comme un enjeu et la géostratégie comme un théâtre. Stéphane Rosière propose de les articuler de la façon suivante : « si l’espace est bien avant tout un cadre, il se doit d’être un enjeu avant d’être un théâtre. En effet, s’il n’y a pas d’enjeu, il n’y a pas de rivalité, ni d’affrontement, donc pas de théâtre au sens classique du terme »229. Cette approche de l’espace politique, qui a le mérite de réconcilier les sœurs ennemies de la géographie du politique (la géographie politique étudie le cadre et la géopolitique son évolution230) dans une perspective commune, s’appuie sur une double batterie conceptuelle :

• pour l’analyse de l’espace en tant que cadre : « les territoires délimités par des frontières, reliés par des réseaux, formant des lignes politiques fondamentales » constituent la « géométrie fondamentale de l’espace politique »231,

• pour l’analyse de l’espace en tant qu’enjeu : la recherche s’intéresse « aux acteurs, aux enjeux qui motivent leur confrontation et aux dynamiques territoriales qui découlent de leur rivalité »232.

Cependant, elle apparaît mal adaptée à notre problématique car elle dissocie formellement cadre et enjeux, alors que les territoires de projet, généralement peu abordés dans les ouvrages de géographie politique, ne sont exclusivement ni l’un ni l’autre. Au contraire, ils sont le lieu d’une construction simultanée de ces deux versants du phénomène politique et, dans cette

229 ROSIÈRE, Stéphane. Géographie politique et géopolitique. Une grammaire de l'espace politique. Paris: Ellipses, 2003. p. 19

230ibid. p. 20 231

ibid. p. 19 232ibid. p. 20

perspective, oblige à un syncrétisme que l’approche cognitive des politiques publiques cherche précisément à proposer.