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CHAPITRE 2 : ÉTUDE DU DISCOURS D'INVESTITURE DE NICOLAS SARKOZY

I. LE PLAN DE L'ALLOCUTION D'INVESTITURE

Dans la première partie, nous avons exploré les grands thèmes du dernier discours de campagne de Nicolas Sarkozy, enrichis des dimensions logiques, éthiques et pathétiques pour tenter de théoriser la visée persuasive de l'orateur-candidat. La deuxième partie, consacrée au discours d'installation, s'attachera à rendre compte des formes du genre discursif par rapport au lieu de production, de diffusion et de réception dans lequel il s'inscrit. Quel levier le locuteur met-il en place pour adapter son style à son nouveau statut ? Quels ressorts le président élu actionne-t-il pour mettre à profit cet espace-temps pour convaincre et faire adhérer son auditoire ? Il apparaît pertinent de s'interroger sur le tour de force de Nicolas Sarkozy consistant à parler au nom du peuple français (contrat de communication oblige) tout en affichant son propre programme politique. Les passions humaines décrites par Aristote suffisent-elles pour agir sur la parole et contribuer à emporter la conviction ? Les différences de situations de communication apportent-elles une nuance dans le discours d’investiture ? Dit autrement, le sarkozysme peut-il servir le président élu ? Enfin, nous tenterons de répondre à la question suivante : le changement de statut du locateur (présidentiable et président élu) modifie-t-il à la fois le fond (la stratégie argumentative) et la forme (les procédés rhétoriques) ? Pour répondre à ces problématiques nous avons fixé des hypothèses de travail qui nous permettront, dans une troisième partie, de comparer les deux discours afin d'en faire ressortir les points communs et les différences selon leurs enjeux de production.

Le 16 mai 2007,Nicolas Sarkozy est investi à la présidence de la République, lors d'une cérémonie de passation des pouvoirs. Au moment où intervient cette scène, dix jours se sont écoulés entre la proclamation des résultats et le premier discours du chef de l’État. La scène étudiée a lieu au Palais de l’Élysée, résidence officielle de la présidence, à l'issue d'une campagne électorale qui a vu Nicolas Sarkozy affronter au second tour Ségolène Royal, candidate du parti socialiste. Le 6 mai 2007, il remporte nettement les élections présidentielles avec 53% des voix. Ce discours présidentiel s'inscrit dans le genre du discours politique. Il s'agit d'une parole publique portant sur une chose publique. Ce texte est assez court et intervient durant une cérémonie millimétrée. Nicolas Sarkozy, en tant que président apparaît clairement en tant que locuteur et énonciateur principal du discours. Il est aussi un locuteur pluriel dans la mesure où la fonction présidentielle recouvre les institutions de la Cinquième République dans leur intégralité. Selon l’article 5 de la Constitution, le chef de l’État incarne l’autorité de l’État. En tant que chef des armées, il est le seul détenteur du « feu nucléaire ». Il assure un rôle éminent

50 en matière de diplomatie62. De nombreuses références à des énonciateurs traversent le texte

notamment dans l'extrait suivant au cours duquel le locuteur adresse aux personnalités politiques de son bord opposé une invitation à le rejoindre :

« A tous ceux qui veulent servir leur pays, je dis que je suis prêt à travailler avec eux et que je ne leur demanderai pas de renier leurs convictions, de trahir leurs amitiés et d'oublier leur histoire. A eux de décider, en leur âme et conscience d'hommes libres, comment ils veulent « servir la France. » (l. 72 à 75)

Le discours d'investiture se situe dans la filiation du genre institutionnel en tant qu'il lui emprunte des terminologies et lexiques qui lui sont propres, et délibératif dans la mesure où il appelle une prise de décision dans la vie politique et où il cherche à faire adhérer au projet présidentiel les électeurs qui n'ont pas voté pour lui63. Nous les soulignerons dans l'examen de

la « confirmation » avec l'énoncé des arguments et des preuves. Si Nicolas Sarkozy doit s'exprimer en tant que président, au nom de la nation toute entière de façon simple et non partisane, nous démontrerons comment le lexique employé vise à influencer l'auditoire et comment, au détour de l'allocution d'investiture, le locuteur l'utilise pour faire accepter son programme présidentiel. Pour traiter cette question, nous nous appuyons sur les travaux de Ruth Amossy qui rappelle les différentes étapes du processus d'argumentation. Tout d'abord, «la confirmation où se manifeste la divergence d'opinion, l'ouverture où se mettent en place les points de départ de la discussion argumentative où les arguments sont étayés, tour à tour attaqués et défendus et la conclusion d'où se dégagent les résultats de la discussion »64.

Nous relevons les grands axes qui structurent le discours du président de la République. En premier lieu, le choix de l'adresse est sobre « Mesdames et Messieurs ». Le président s'adresse au « peuple français et aux Français ». L'emploi du syntagme nominal « peuple français » dénote d'une dimension réelle, à l'inverse de « nation » qui revêt une signification abstraite. Le discours souligne la gravité des responsabilités incombant au président de la République ainsi que le révèlent plusieurs énoncés « lourde tâche » (l. 4), « avec gravité » (l. 24), « la tâche sera difficile » (l. 66) et les procédés anaphoriques « exigence ». Comme le veut l'usage, Nicolas Sarkozy s'inscrit dans la continuité de la monarchie présidentielle propre au régime instauré par le Général de Gaulle selon lequel il rend hommage aux présidents qui l'ont précédé. Ainsi, il choisit implicitement de mettre en avant une action significative de leur mandat présidentiel. L'évocation de la mémoire des anciens présidents est

62 www.vie-publique.fr/decouverte-institutions

63Dans l'ouvrage collectif La mise en scène des valeurs. La rhétorique de l'éloge et du blâme, E. Danblon rappelle

que l'activité rhétorique, selon Aristote, «a pour fin un jugement que l'auditoire doit produire sur la base de ce que lui présente l'orateur. […] l'orateur du délibératif conseille ou déconseille, et l'auditoire décide ». (2001 : 22)

51 introduite par l'anaphore «je pense» (l. 6 à 24). Charles de Gaulle «qui rendit à la France sa souveraineté et à l’État sa dignité et son autorité ». La citation renvoie à l'article 3 de la Constitution de 1958 qui stipule que «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum». Nicolas Sarkozy prend en charge cet énoncé en se situant dans la lignée de Charles de Gaulle, instigateur de ce texte constituant, adopté par référendum. L’action de rénovation du pays est assignée à Georges Pompidou et à Valéry Giscard d'Estaing « qui firent tant pour que la France entrât de plain-pied dans la modernité » (l. 9 à 10). L’action en faveur des institutions françaises est assignée à François Mitterrand « qui sut préserver les institutions et incarner l'alternance » (l. 11). En 1981, lorsque François Mitterrand arrive au pouvoir, il installe l'alternance politique en devenant le premier président socialiste de la Cinquième République. Il met fin à vingt-trois années de pouvoir de la droite. Enfin, l’action de promotion de la paix et de l'écologie revient à Jacques Chirac qui « a œuvré pour la paix […] au rôle qui a été le sien pour faire prendre conscience […] imminence du désastre écologique. » (l. 14 à 17)65.

Il est intéressant de souligner que Nicolas Sarkozy attribue à « tous les hommes » (l. 16) la responsabilité de l'héritage laissé aux générations futures sans prise en charge de cette assertion avec l'emploi du pronom « eux »66.

Une seconde partie (ou narratio) met en lumière les chantiers que le nouveau président engagera. L'exposé des faits permet de comprendre l'enjeu du discours. Il déroule sa feuille de route qui n'est autre que ses engagements programmatiques. Il explique quelles seront les actions de son quinquennat. Un paragraphe s'ouvre sur une énumération introduite par l'occurrence « Exigence » (l. 26 à 54). L'emploi de ce syntagme fera l'objet d'un travail approfondi dans les pages suivantes.

Ensuite, vient la « confirmatio» avec l'énoncé des arguments et des preuves en s'adressant à « cette France » à laquelle il promet « le progrès social » (l. 33), « l'ouverture » (l. 35), « l'efficacité « (l. 78), « la détermination » (l. 83). Il est intéressant de voir ce que disent les postulats de Nicolas Sarkozy. Ceux-ci renvoient aux concepts de travail (« réhabiliter les

65 Le 2 septembre 2002, Jacques Chirac, président de la République française, prononce un discours devenu célèbre

devant l’assemblée plénière du sommet mondial du développement durable à Johannesburg : « La terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. Il est temps, je crois, d’ouvrir les yeux. Sur tous les continents, les signaux d’alerte s’allument. L’Europe est frappée par des catastrophes naturelles et des crises sanitaires. […] Certains pays insulaires sont menacés de disparition par le réchauffement climatique. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. »

66 « L’assertion est le résultat d'une prise en charge qui engage complètement l'énonciateur ; c'est donc un acte de

langage qui porte sur la vérité de « ce qui est dit » et qui, par conséquent, devient directement non négociable dans un échange dialogique. » Matériaux philosophiques pour l'analyse du discours (2011 : 181)

52 valeurs du travail », « servir la France »), de sécurité (« l'identité de la France »), de libre entreprise et de marché (« le mouvement », « le progrès », « qui ne veut plus que l'on décide à sa place »), qui sont au cœur de son projet politique, centré autour de la notion du mérite et de récompense individuelle sur fond de réduction d'interventionnisme étatique.

Enfin, vient la péroraison, la dramatisation finale qui conclut le texte par un énoncé affectif « notre amour et notre respect » (l. 83).

Après avoir mis en exergue les idées maîtresses du discours de Nicolas Sarkozy, nous nous intéressons au positionnement idéologique du locuteur qui transparaît dans le discours d'investiture.