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CHAPITRE 4 : ÉTUDE DU DISCOURS D'INVESTITURE D'EMMANUEL MACRON

V. COMPARAISON DES DEUX DISCOURS D'EMMANUEL MACRON

Dans cette partie, nous cherchons à montrer si la parole du président élu s'apparente à celle du candidat en comparant les deux discours d'Emmanuel Macron sachant que les conditions d'énonciation propres à l'analyse du discours diffèrent selon que le locuteur se trouve en meeting politique ou sous les ors du Palais de l’Élysée. Le président sera-t-il dans la continuité du candidat ?

1. Ressemblances et différences des discours

a- Le lexique «macronien»

Le langage du candidat Macron a-t-il changé de celui du président Macron ? Nous serions tentés de répondre qu'il y a des permanences. En effet, Emmanuel Macron a toujours ses mots fétiches comme « transformation » ou « innovation », et il conserve son « en même temps». L’« esprit de conquête » qui rythmait les discours de campagne s'est invité dans le programme d'investiture. Nous retrouvons un style soutenu dans le discours d'investiture où le président manie une langue un peu désuète avec des locutions comme «va-t-en-guerre », « les Hussards de la République » en référence aux enseignants. L'autorité politique qu'il entend construire doit passer par une autorité de la langue. Est-ce pour marquer une distance entre ses allocutaires et lui-même ? L'usage de mots anciens dénote-t-il de sa volonté d'apparaître crédible ? Peut-on

136 parler d'ethos d'intelligence propre à l’honnête-homme-cultivé avec l’idée que l’homme de cul- ture ne peut être qu’un homme de bien ? Pour valoriser cet ethos, l’homme politique expose son capital culturel qu’il a acquis au cours des années dans les diverses manifestations dans les- quelles il se trouve. Le recours au registre de langue soutenu a-t-il pour effet de contrebalancer son jeune âge ? Désavantagé par un double déficit de notoriété et d’expérience, Emmanuel Ma- cron a tenté de combler ses lacunes dans ses discours, en les enrichissant d'images, de procédés stylistiques, de jugements, de points de vue et d'argumentations implicites.

Le discours d'investiture a totalement supprimé l'emploi de phrases prédicatives construites sous la forme « c'est...que » qui abondaient dans le discours de campagne.

Le terme « crise » absent pendant le discours de campagne a été prononcé à trois reprises à l’Élysée… à croire que les présidents de la République sont devenus avec l'avènement de la crise financière des super CEO (« Chief Executive Officier »)170.

b- L'ethos

Durant la campagne, le candidat a tout fait pour effacer son image de banquier d'affaires et de ministre de l’Économie en exercice à Bercy. En effet, l'ethos prédiscursif d'Emmanuel Macron (c'est-à-dire l’image que le public se fait du locuteur avant sa prise de parole à partir de certains éléments comme le rôle que remplit l’orateur dans l’espace social) n'était pas à son avantage. Dans le discours d'Albi, il a privilégié à travers une stratégie convaincante, son image d'homme vertueux par opposition à François Fillon, empêtré dans le « penelopegate », comme nous le devinons en filigrane dans la séquence « C’est d’abord un défi de vérité »171. Pour

combler son manque d'expérience politique du fait qu'il n'a jamais eu de mandat électif, il a fait valoir ses compétences « techniques » et les références historiques de la France en convoquant la figure tutélaire de Jean Jaurès. Il a voulu donner l’image du candidat crédible, honnête et sans antécédent politique susceptible de le nuire. L'ethos prédiscursif a été modifié entre le candidat et le président puisqu'une fois élu, le président a bénéficié du soutien et de la confiance des Français et par conséquent, n'a plus eu à faire la preuve de sa légitimité.

Du point de vue de l'ethos discursif -qui traite de l’image qu’un énonciateur construit de lui-même à travers son discours- nous avons remarqué que l'ethos change selon la situation de communication. De plus, l'adaptation à son auditoire est une condition essentielle pour la réussite de l'action oratoire et pour la construction de l'auditoire par l'orateur.

170 Traduction de Directeur général

171 François Fillon a démarré sa campagne en déconsidérant ses concurrents à la primaire (N. Sarkozy et A. Juppé)

en misant sur son image de droiture et de probité. Le 24 janvier 2017, le Canard Enchaîné révèle des soupçons de fraude liés à l'emploi fictif de sa femme Pénélope.

137 L'ethos discursif a valorisé le locuteur soucieux de susciter davantage l'adhésion des Français dans la recherche du consensus et de l'homonoïa (« Je sais pouvoir compter sur tous nos compatriotes »). Il a continué à mettre à l'honneur la grandeur de la France et des Français (« puissance », « renaissance », « remerciés », « un modèle pour le monde ») ce qui lui a conféré un ethos de légitimité. Il a flatté adroitement les Français à travers l'emploi d'un lexique valorisant et n'a pas employé de termes susceptibles de heurter l'auditoire. Sa gestuelle très sobre et retenue a renforcé son ethos de sérieux. L'ethos discursif a évolué entre le premier discours et le second discours. Le président s'est montré humble, se mettant au service du peuple.

c- Les déictiques et actes de langage

Le discours de l'orateur est orienté à travers l’emploi des pronoms « je », « nous », des actes de langage et des procédés de style. Le discours du candidat est caractérisé par l'usage du « je » et de « France » qui renforcent l'idée de destinée et de rencontre avec le pays tout entier172.

A l'inverse, nous notons que le discours du président est basé davantage sur des notions d'économie, de finance, de "résultats" (« toutes les ressources pour figurer au premier rang des nations […] les entreprises seront soutenues »).

2. L'homme compte plus que le projet

Durant la campagne électorale, Emmanuel Macron avait une forme de prudence car il était dans l'esquive du programme en refusant de préciser les choses. Dans toutes ses phrases, il y avait le mot « projet » sans qu'on sache vraiment de quoi il était question173. Il était en marche

sans dire où il allait. Dans une interview accordée au Journal du Dimanche le 12 février 2017, il répond à la critique selon laquelle il n'a pas de programme : « c'est une erreur de penser que le programme est le cœur d'une campagne. […] La politique c'est comme la littérature, c'est un style. C'est une magie. Il faut définir le cœur de ce qu'on porte »174.

N’adhérant à aucun parti politique, Emmanuel Macron est libre de se mettre en avant sans être obligé d’orienter son discours vers une idéologie précise ; cette remarque est corroborée par l'observation d'un lexique privilégiant une idéologie individualiste. A l'appui de cette affirmation, Damon Mayaffre, plutôt sévère à l'égard d'Emmanuel Macron, souligne que celui-ci a cultivé volontairement un vide idéologique et programmatique : « On l’a remarqué durant la campagne. Il utilisait des mots creux, tellement vides de sens que chacun peut y mettre le sens qu’il veut. [Il emploie] des concepts forts mais qui deviennent consensuels à force d’être

172 Depuis l'instauration de l'élection au suffrage universel direct du président de la République, la Constitution a

renforcé la légitimité du président et lui a conféré un rôle de plus en plus important au sein des institutions de la Cinquième République. Le pouvoir exécutif devient de plus en plus personnalisé. C'est donc la personnalisation qui au cœur des discours présidentiels.

173 Le candidat Macron qualifie son projet de « progressiste ». 174 P. J. Maarek et A. Mercier (2018 : 38)

138 polysémiques. « Liberté » est un bon exemple, qui a été revendiqué au cours de l’Histoire par tous et chacun »175.

Nous-mêmes nous avons pu remarquer à travers l’étude des arguments qu’Emmanuel Macron a contourné les notions et employé des expressions assez vagues telles que : « quitter la scène de l’Histoire » (l. 7) et « Nous prendrons toutes nos responsabilités pour apporter chaque fois que cela sera nécessaire une réponse pertinente aux grandes crises contemporaines » (l. 76 à 78 du discours d'investiture) sans préciser les actions concrètes qu'il mettrait en œuvre pour y remédier.

Le jour de son élection, les média ont plébiscité Emmanuel Macron mais sa popularité a fortement baissé après les conflits économiques et politiques que connaît la France depuis le 17 novembre 2018. Depuis qu'il est président, Emmanuel Macron a un discours plus précis, plus assumé. Il prend position. Il a pris une sorte d'assurance. Mais ne s'est-elle pas transformée en forme d'arrogance ? C'est là, toute la question. Selon une enquête faite par l’hebdomadaire Le Point, le chef de l’État atteint aujourd’hui un bas niveau de popularité depuis son entrée en fonction, 76% des Français portent un jugement « défavorable » sur son action et parmi eux, 50% expriment même une opinion « très défavorable ».

175 Interview de D. Mayaffre sur le projet « Le Poids des mots » lancé en 2017 par Paris Match qui propose une

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CHAPITRE 5 : COMPARAISON DES DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY ET