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CHAPITRE 1 : ÉTUDE DU DISCOURS DE CAMPAGNE DE NICOLAS SARKOZY

IV. L'ACTION ORATOIRE

1. La voix et la gestuelle mises au service de l'orateur

Dans son discours, l'orateur convoque les principes de base de la rhétorique antique. Après avoir étudié l'inventio (c'est-à-dire la mise en œuvre des arguments et des idées), la dispositio (l'ordonnancement des différentes étapes de l'argumentation avec l'exorde, la narration, la confirmation et la péroraison) et l'elocutio (étude stylistique), nous nous intéressons maintenant à l'actio. Elle constitue la dernière tâche de l’orateur. L'actio est considérée comme un moyen de manifester discursivement non seulement les émotions, mais aussi les caractéristiques éthiques de l'orateur.

L'actio est primordiale pour l'orateur car s'il souhaite se montrer convainquant lors d'une prestation publique, il doit mettre en voix et en gestes son discours tout comme le ferait l'acteur. D'ailleurs, le terme actio s'applique également au jeu d'acteur. Comme ce dernier, l'orateur se sert des moyens que peut lui apporter son corps pour exprimer ses émotions et son

45 caractère. Il joue de ses mimiques et de son regard pour s'attirer la bienveillance de son auditoire. Le discours politique comporte une dimension théâtrale. En effet, il s'apparente davantage à une mise en scène où l'on se donne en spectacle : choix des lumières, présence des drapeaux, chant de La Marseillaise, éclairage soigné. Nicolas Sarkozy, en grand débatteur politique, est un acteur qui aime théâtraliser son discours. Nous percevons dans le discours, quelque chose de plus que le discours où la théâtralité révèle une tentative de faire agir les autres par des moyens directs ou détournés. Les applaudissements du public se font entendre après que l'orateur a intensifié sa voix à la fin de chaque idée détaillée.

Selon Aristote, l'actio consiste dans l'usage de la voix, instrument de parole. Dans la Rhétorique, il donne la définition de l’action oratoire : « L’action consiste dans l’usage de la voix, comment il faut s’en servir pour chaque passion, c’est‐à‐dire quand il faut prendre la forte, la faible et la moyenne, et comment employer les intonations, à savoir l’aiguë, la grave et la moyenne, et à quels rythmes il faut avoir recours pour chaque sentiment »60. Il importe de régler

le rythme et la manière d'employer les intonations. La voix doit être puissante, résistante et souple car elle doit pouvoir s'adapter à la nature des sujets traités qui supposent différents tons et à l'état d'esprit pour qu'elle soit en accord avec le discours.

La voix de Nicolas Sarkozy est d'un timbre clair, la tonalité moyenne et la diction rapide et aisée. Cette aisance renvoie à sa maîtrise rhétorique. Chez lui, l’art oratoire semble inné : le corps et l’esprit sont liés. Sa voix bien posée est en phase avec un imaginaire d'ordre et d'autorité. Le timbre de sa voix évolue selon ses propos et selon le sentiment qu'il cherche à provoquer chez son auditoire. Au fur et à mesure du discours, le candidat déploie toute son énergie, il détache chaque phrase de son message tel un comédien en scène. Il joue sur les intonations pour renforcer son message. Il emploie un ton solennel lorsqu'il est transfiguré par la ferveur de ses supporters, un ton autoritaire à l'endroit de ses adversaires ou bien enthousiaste pour appeler au sursaut de ses militants. Lorsque ses arguments convoquent la peur, sa voix est sombre, son intonation est expressive, et la hauteur de sa voix est grave. Il vit ce qu'il dit. Pour rapporter les propos de ses détracteurs, il le fait sous le mode ironique voire méprisant en parlant bas et en balayant l'air d'un revers de la main. Au fur et à mesure de la campagne, sa voix est passée à une tonalité plus grave et à une diction plus lente. Sa voix s'est « humanisée » selon les recommandations de son conseiller en image politique, Thierry Saussez. Il murmure ou au contraire, lors de ses meetings comme celui de Montpellier, sa voix de stentor est mise au service de la harangue.

Les mouvements du corps sont tout aussi importants. La première chose que voit

46 l'auditoire est le corps. A partir de la démarche, des gestes de la main et des signes de tête, le public peut se faire une première impression de l'orateur. La communication non verbale tient un rôle important dans la transmission des sentiments et des impressions à l'interlocuteur. Les gestes sont le reflet des émotions, ils aident à décrire une situation. Pour réussir sa prestation, l'orateur doit harmoniser sa gestuelle, son langage corporel avec son propos. Ainsi, il doit synchroniser le bon geste avec l'idée soutenue. Tout comme la voix doit refléter les sentiments de l’orateur, les gestes s’accordent aussi parfaitement avec eux : ils correspondent aux sentiments et aux passions de l’orateur, qui, du haut de sa tribune, veut émouvoir son auditoire et lui plaire. Cicéron ira même plus loin en précisant que la physionomie est le miroir de l’âme : « C’est l’âme, en effet, qui anime toute l’action, et le miroir de l’âme, c’est le visage »61.

Pour asseoir son pouvoir, un homme politique doit être charismatique et acquérir une certaine force dans ses gestes qui permettent de rassurer, de mettre en confiance l'électeur. Nicolas Sarkozy, en professionnel de la politique, a bien compris l'importance de l'art du discours en public et de la médiatisation. Comme tout candidat à l'élection présidentielle, il s'est certainement entraîné aux débats télévisés et aux meetings à l'aide de media-training, méthode consistant à maîtriser son comportement face aux caméras et aux auditoires. Il est connu pour ses mimiques qui font de lui la cible de moqueries avec ses gestes nerveux et le port de talonnettes. Sa gestuelle est affirmée et rythmée. Les mots sont ponctués de manière répétée, les propos sont suivis de gestes d'accompagnement expressifs comme pour mieux illustrer sa colère, son indignation ou sa surprise. Ses mouvements sont amples, vigoureux et verticaux pour accompagner et devancer la parole plutôt que saccadés, rapides et verticaux. Ces gestes d'accompagnement du discours verbal renforcent la crédibilité d'une capacité à agir et donnent de l'emphase au discours. Il place sa main droite sur le cœur (gestuelle inédite pour un homme politique) à la manière des politiciens américains comme pour se montrer reconnaissant de l’«amour» porté par le peuple.

Chez Nicolas Sarkozy, la spontanéité et le naturel priment sur la retenue. Il ne cherche pas à masquer ses défauts notamment celui qui le caractérise, le haussement d'épaule et la tête qui dodeline, au risque parfois de le desservir. Il adopte une posture naturelle et décontractée suffisamment contrôlée pour paraître sérieux et conscient des responsabilités. Il utilise la provocation, et cette dernière est reflétée dans de nombreux gestes, notamment l'index, symbole du surmoi, de l'image parentale signifiant l'interdit, mais aussi de l'autoritarisme. Utilisé de façon abusive chez lui, ce geste peut traduire un manque de respect total, voire une menace. De même, il a souvent les pouces levés pour accompagner une bonne idée. Autre

47 gestuelle, les mains levées au niveau du visage comme pour défendre son territoire et fixer des limites à ne pas dépasser. Cette attitude traduit une barrière contre toute agression. Parmi les gestes que Nicolas Sarkozy accomplit consciemment ou inconsciemment, nous relevons celui du frottement des sourcils, qui serait signe positif des gens créatifs. Nous pourrions poursuivre l'inventaire de toutes les gestuelles de ce personnage charismatique tant celui-ci n'est pas avare de gestes en public, mais nous avons choisi de ne relever que les plus significatifs d'entre eux.

2. Le candidat en scène

Ce long discours de campagne marque la dernière apparition publique du candidat avant le second tour. C'est au Parc des Expositions de Montpellier, devant près de 15 000 spectateurs, que Nicolas Sarkozy arrive au terme de sa campagne électorale. Une scène a été installée au centre de la salle, éclairée par un faisceau de lumières bleues, blanches et rouges. Des représentants des « Jeunes Pop » (le mouvement de la jeunesse UMP) y prennent part sur une estrade positionnée derrière le candidat. Leur présence sur scène apporte une note dynamique et jeune.

Des personnalités de premier plan ont fait le déplacement parmi lesquelles Bernadette Chirac, les anciens ministres Jean-Louis Borloo et Philippe Douste-Blazy, et des compagnons de la première heure tel Brice Hortefeux. Pour faire patienter le public auquel les organisateurs de l'UMP ont demandé de venir à l'avance pour des questions évidentes d'organisation, des personnalités politiques nationales interviennent à la tribune pour louer les qualités de leur « champion ». L'arrivée de Nicolas Sarkozy dans l'arène s'accompagne d'incessants « Nicolas président » scandés par l'assistance. Une musique créée spécialement pour l'événement retentit pendant quinze minutes. Nicolas Sarkozy est de petite taille, la coupe courte en brosse, le front haut dégagé, les sourcils fortement arqués, les yeux sombres, un grand nez aquilin, les lèvres minces, les traits marqués. Ce visage est celui d'un homme volontaire. Séducteur, Nicolas Sarkozy touche ses interlocuteurs, s'immerge dans la foule, serre des mains, étreint les supporteurs et embrasse les femmes conquises par le personnage. A n'en pas douter, il donne de sa personne. Les applaudissements cessent et un projecteur vient se poser sur lui avec en fond d'écran, le slogan de campagne « Ensemble, tout devient possible ».

Si une majorité des Français a adhéré au projet politique de Nicolas Sarkozy plus volontiers qu'à son adversaire socialiste, il semble que le programme du candidat ne soit pas la seule donnée de l'élection. En effet, sa dimension personnelle, la façon d'incarner le programme rentrent en ligne de compte. Sa gestuelle est à son service et a eu un impact positif sur l'issue du scrutin.

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CHAPITRE 2 : ÉTUDE DU DISCOURS D'INVESTITURE DE NICOLAS