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CHAPITRE 2 : ÉTUDE DU DISCOURS D'INVESTITURE DE NICOLAS SARKOZY

V. COMPARAISON DES DEUX DISCOURS DE NICOLAS SARKOZY

Nous nous interrogeons dans cette partie sur la présence d'une rupture thématique dans

77 Didier Arnaud, 17 mai 2007, « Sarkozy gravit les marches de l’Elysée », Libération 78 1966 : 60

67 le corpus. L'auteur varie-t-il ses expressions pour éviter les répétitions des mêmes mots à mesure qu'il aborde un thème ?

1. Ressemblances et différences des discours

Nous avons tenté d'étudier les fonctionnements argumentatifs et énonciatifs à l’œuvre qui font ressortir l'ethos d'un homme politique omniprésent, l'image de l'orateur donnant du poids à l'argumentation. Nous avons resitué ces discours dans leur contexte énonciatif en en analysant la visée persuasive. En meeting, le discours de Nicolas Sarkozy s’édifie souvent contre un opposant. Dans le cas présent, il prend le visage d'un bouc émissaire, l'assisté, l'élite, le délinquant multirécidiviste. En ne nommant pas explicitement des instances extérieures en l’occurrence ses adversaires, Nicolas Sarkozy construit un groupe pour mieux le faire adhérer à ses thèses. Dans le discours d'investiture, les reprises sont au service de la justification de la thèse de Nicolas Sarkozy. L'anaphore « Exigence » qui ponctue la partie centrale du texte manifeste le fonctionnement argumentatif du discours.

Nous avons vu que Nicolas Sarkozy use de procédés rhétoriques pour manipuler l'auditoire, notamment par l'emploi de l’implicite, du sous-entendu, des idées reçues avec la doxa dominante, pour traiter de la nation, de l’immigration, de la délinquance, de l'entrepreneuriat qui sont les thématiques privilégiées du discours sarkozyste. Les sujets récurrents demeurant le travail et la sécurité.

Ses figures de style et ses procédés rhétoriques servent-ils une stratégie de la manipulation et de la démagogie ? Son vocabulaire choquant fait-il de lui un populiste ? Que révèlent ses prises de position controversées ? Les réparties de Nicolas Sarkozy servent-elles ses ambitions ? Sont-elles censées détourner la réflexion des citoyens vers le fait divers, les thématiques démagogiques ou compassionnelles plutôt que vers les problématiques réelles de la société ? Il s'en défend en arguant que le « peuple » réfléchit et fait la différence. Peut-on parler de « discours populaire ou discours populiste » comme s'interroge Damon Mayaffre ? S'il est vrai qu'en 2002 Nicolas Sarkozy dit appartenir à une « droite républicaine modérée gaulliste, son discours ne cesse de se droitiser au cours de ses déclarations de campagne »79.

Nous l'avons évoqué, ses thèmes de prédilection que sont la sécurité, l'identité, l'immigration et le travail sont récurrents et font débat. Ce qui lui est reproché n'est pas tant l'hyper-présidentialité dont il fait preuve (la Constitution le permet et les présidents qui l'ont précédé l'ont pratiquée), mais bien son comportement en détruisant une certaine représentation de la République par son discours « populiste ».

68 L'emploi de mots forts et souvent même choquants provoque un impact considérable sur le public ce qui donne de lui une image d’homme courageux et déterminé, capable de se battre et d’affronter chaque situation d’une main de fer.

Nicolas Sarkozy a inventé le « sarkozysme », mélange d'impatience et de propos clivants dans l'histoire des présidents de la Cinquième République. Le « sarkozysme » se définit par un discours structuré et direct par une politique, un programme. Il se définit également par l'idée de restauration et de renouveau comme le souligne Damon Mayaffre et qui se traduit du point de vue linguistique par l'emploi d'un vocabulaire préfixé en re- : « refonder », « renouveau », « restaurer », « réhabilitation », « reprendre », « retourner », « ressentir », « recommencer », « revenir », « reconnaître », « repentir », «renoncer », « retirer », « renier », « remise », « représenter », « revaloriser », « redire », « repenser », « ressasser », « redevenir » (cf. discours de campagne)80.

Tout au long de la campagne électorale et dans son discours d'investiture, Nicolas Sarkozy met en avant ce langage politique, idéologiquement en rupture avec le style conservateur et consensuel lié à la fonction de chef d’État81. Il s'oppose à la discrétion nécessaire

du président de la République en se mettant constamment en scène, en créant l'événement par une rhétorique du fait divers82.

En homme pressé, Nicolas Sarkozy marque son opposition avec la tradition chiraquienne propre à cette droite républicaine dans laquelle il ne se reconnaît pas. En 2007, Nicolas Sarkozy a été élu sur cette promesse de « rupture » ; il est désireux de « briser les codes » politiques anciens.

Le discours d'investiture a lieu treize jours après le meeting de Montpellier. Ce genre discursif qui convoque éloquence présidentielle et rites de la religion civile, célèbre les valeurs nationales où l'on appelle au consensus national. L'allocution se conforme au respect du protocole de la présidentielle ainsi qu'aux règles de la bienséance. Les phrases sont plus structurées en comparaison du discours militant qui recherche en priorité l'efficacité.

Or, il nous semble que l'allocution d'investiture de Nicolas Sarkozy s'assimile davantage à un discours de campagne. L'argumentation centrée sur l'idéologie sécuritaire ne sert pas

80 D. Mayaffre, Nicolas Sarkozy. Mesure et démesure du discours (2012a : 147)

81 Dans son article paru dans Libération, A. Duhamel met en relief les différences de styles observées entre F.

Mitterrand et J. Chirac : « Une interview de François Mitterrand, qu'elle fût écrite ou audiovisuelle, c'était un exercice forcément littéraire, raffiné, ambigu, ironique, subtil, souvent mordant, toujours complexe. Les formules ciselées faisaient mouche, on admirait les véroniques et les arabesques. Jacques Chirac, on le sait, n'est pas proustien. Le nouveau Président, lui, préfère un langage : direct, carré, naturel (c'est nouveau), accessible ».

69 durablement l'image présidentielle.

Pour illustrer notre propos sur ce que doit être un discours d'investiture, nous choisissons de livrer ici quelques extraits du discours de Pierre Mendès-France, président du conseil désigné, à la tribune de l'Assemblée nationale les 3 et 4 juin 195383. Nous notons la

solennité qui sied à ce genre discursif. A la suite de son allocution, il répond aux députés MM Fouchet et Mitterrand qui le saisissent sur la guerre d'Indochine :

Comment l'Assemblée me jugerait-elle si j'apportais à cette tribune, avec une franchise totale, des affirmations même sincères, le détail de mes projets même bien intentionnés, alors que je ne sais pas àl'heure actuelle si j'aurai ou non votre investiture […]. Je pèse tout le poids qui est sur mes épaules au moment où l'honneur m'est fait de parler, ne serait-ce que pour quelques heures, au nom de la France, alors que j'évoque ceux qui se battent là-bas et qui ne doivent pas se méprendre sur mes sentiments à leur endroit. […] ce que je veux de toutes mes forces et de tout mon patriotisme -la France tout entière le devra à l'héroïsme de tant de ses fils. […] Je souffre, croyez-moi, de ne pouvoir en dire plus en ce jour. J'en souffre parce que je comprends vos scrupules, votre émotion, vos hésitations. Mais vous avez devant vous un homme qui a droit à votre confiance de Français.

2. Une image présidentielle dégradée

Nous avons démontré combien le lexique participait d'une politique de l’émotion (la peur est convoquée) et nous avons observé au cours de l'étude, que le premier discours du président élu opposait deux France, deux groupes, bien qu'il appelle au rassemblement. L'image de Nicolas Sarkozy s'est trouvée dégradée entre la fin de la campagne et le début de son mandat. En effet, il s'est accordé une pause dans son agenda pour, selon ses aveux, réfléchir, méditer, prendre du recul. Or, il a passé cette « retraite » avec épouse et enfants sur le yacht d'un ami milliardaire. Les images ont choqué les Français. L'affichage de son rapport décomplexé à l'argent lui a fait perdre en crédibilité. De même, la soirée au Fouquet's pour célébrer sa victoire du 6 mai 2007 en compagnie de personnes du « star system » a révélé aux yeux du monde ses réseaux avec les puissants et son goût du luxe.

En conséquence, l'allocution présidentielle a cherché à créer l'ethos d'un président proche du peuple afin de retrouver l'image consensuelle dont il pouvait jouir auprès de la population ; d'où la nécessité pour lui de « rassembler les Français [car] la France n'est forte que lorsqu'elle est unie » (l. 26). Le président, pour regagner la faveur des citoyens, doit se montrer fidèle à l’image de leader politique crédible qu’il avait su construire au moment des

83 P. Mendès-France (1953 : 123, 128) Malgré un discours ferme devant l’Assemblée nationale, il n’obtient que

301 voix au lieu des 314 requises, à cause de sa position sur l’Indochine, et c’est finalement Joseph Laniel qui est investi, après quarante jours de crise.

70 promesses électorales, tout en sauvegardant leur attente de dignité et de grandeur.

3. Au niveau des réactions suscitées

Nicolas Sarkozy marque une différence de traitement et d'appréciation parmi la population française. Il lui est reproché son style « bling-bling », la mise en scène de sa vie privée, ses familiarités avec les media (il tutoie facilement les journalistes et les appelle par leur prénom).

Que ce soit durant sa campagne ou au cours de son mandat, Nicolas Sarkozy n'a de cesse d'occuper l'espace médiatique pour faire converger l’attention sur sa personne et ses propositions ; ceci afin de donner une image de président maîtrisant la situation et les problèmes de la nation, capable d’assumer ses responsabilités.

Nous connaissons l'effet que l'ensemble des discours de campagne a produit sur l'auditoire avec un résultat positif puisque Nicolas Sarkozy a été élu président de la République. La réception de son discours d'investiture a été jugée plus ou moins efficace et appréciée selon l'influence et l'image de marque dont le locuteur a bénéficié auprès de son auditoire (sympathisants ou opposants). Comme l'explique Christian Le Bart, les arguments du locuteur qui tendent à « menacer la vision du monde », seront ressentis négativement par le destinataire et réciproquement s'ils la confortent, ce qui aura pour conséquence de renforcer le «phénomène de dissonance» psychologiquement douloureux84.

Nicolas Sarkozy a bénéficié, comme tout nouveau chef d’État en début de mandat, d'un état de grâce auprès de la population dont les attentes à son égard étaient proportionnelles aux promesses du candidat. Néanmoins, ses propos clivants doublés de ses choix politiques lui ont valu une chute de sa cote de popularité survenue avant la fin de l'année 2007. En effet, selon l'institut de sondage IFOP, Nicolas Sarkozy était crédité d'un taux de confiance de 65 % qui a décliné dès le mois de décembre 2007, soit 8 mois après son élection.

En guise de conclusion, si l'on en juge par l'analyse de Damon Mayaffre, « le fonctionnement du langage politique, en diachronie, montrent que le temps discursif est un continuum et que les locuteurs ne sauraient s'inventer de toutes pièces un propos ; l'identité lexicale d'un homme est évolutive mais quasi indélébile sur l'essentiel ; sa rhétorique se modifie au fil des années mais lentement »85.

En d'autres termes, Nicolas Sarkozy n'a pas changé son logiciel lexical d'un statut à l'autre.

84 1998 : 114

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