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7.3 Le feu en région méditerranéenne

En région méditerranéenne, les régimes î de feux sont peu connus et l’incidence sur la biodiversité des termes temporels de ces régimes (fréquenceî, intervalle depuis le dernier feu, etc.) ne fait l’objet que de rares travaux (Scarascia-Mugnozza et coll.2000; Capitanio et Carcaillet2008) alors même que les risques d’érosion de cette diversité sont exacerbés par les changements climatiques qui influencent les régimes de feu (Pausas et Fernández-Muñoz2012).

Moritz et coll. (2014) partagent le bassin méditerranéen en deux régions eu égard à la dynamique du régime de feu et de la végétation. Le nord de la région méditerranéenne est ainsi caractérisé par la déprise agricole et le dépeuplement des zones rurales. Ajouté aux programmes de reboisement dans cette région, le couvert forestier y croît (Moritz et coll.2014). De plus, les politiques relatives au feu privilégient la suppression directe des feux58(North et coll.2015), entraînant l’augmentation de combustibles et, par voie de conséquence, des « méga-feux » (San-Miguel-Ayanz et coll.2013). Au contraire, le sud et l’est de la région se distinguent par une diminution du couvert végétal attribuable à une surexploitation des terres. Le risque qui pèse sur ces écosystèmes est bien plus la désertification que le feu (Moritz et coll.2014).

Les premiers travaux sur les régimes récents de feux montrent que ces derniers sont fréquents en forêt de pins noirs tant en Corse (Leys et coll.2013), qu’en Espagne (Fulé et coll.2008) ou en Grèce (Christopoulou et coll.2013).

7.4 La place du pin laricio en Corse

Une essence montagnarde à forts enjeux de conservation

Le pin laricio (Pinus nigra Arnold subsp. laricio (Poiret) Maire var. Corsicana (Loudon) Hyl.) est une essence de montagne (Fig.I.18) caractérisée par un tronc gris clair et veiné de profondes fissures noires (Fig.I.19b). Les aiguilles vertes sombres sont géminées et mesurent entre 12 et 15 cm (Rameau et coll.2008). Les pommes de pins (Fig.I.19c) sont relativement petites (4-8 cm) et subsessiles (Tela Botanica). Le pin laricio était déjà présent il y a plus de 15 000 ans en Corse autour du lac de Créno (Leys et coll.2014).

Il peut vivre plusieurs centaines d’années (Rameau et coll.2008) et atteindre des circonférences importantes (Fig.I.19aetI.19b). Le pin laricio domine les paysages à l’étage montagnard et dans une moindre mesure à l’étage supraméditerranéen (900 m – 1 800 m ; Rameau et coll.2008; Fig.I.19eet Fig.I.18). Il y constitue des peuplements purs, et des peuplements mélangés, en particulier avec le pin maritime (Pinus pinaster) et le hêtre (Fagus sylvatica). Le pin laricio est une sous espèce endémique des forêts montagnardes de Corse. Les peuplements de cette essence emblématique sont considérés comme prioritaires au sens de la Directive Habitats (CEE 92/43, 1992, code Natura 2000 : 9530). La

58. La suppression directe décrit l’action d’éteindre les feux le plus rapidement possible. On oppose souvent cette méthode au brûlage dirigé et à l’éclaircissage. Ces deux dernières techniques ont pour objectif de limiter le combustible et ainsi d’éviter les feux de couronne de forte intensité, très compliqués à circonscrire. Lire North et coll. (2015) pour un appel à l’augmentation de la prévention des feux en lieu et place de la lutte soudaine et subie.

7. Les feux en milieu méditerranéen et le cas du pin laricio en Corse

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7 Encadré 6 : Le feu et son régime

Un feu, ou un ensemble de feux, peut être caractérisé par une collection de paramètres qui constitue son régime. Le mot régime, d’abord utilisé par les scientifiques français, a été adopté dans la littérature internationale anglophone concomitamment à un changement de paradigmes au début des années 1960 (Krebs et coll.2010). Le contexte social, culturel et scientifique favorisait dans le monde occidental une vision plus complexe des systèmes naturels. Le feu passe du statut péjoratif de « dictateura» des écosystèmes à celui de perturbation majeure nécessaire au fonctionnement de certains écosystèmes (Krebs et coll.2010).

Le régime de feu stricto sensu est l’ensemble des paramètres qui décrivent où, quand et de quel type sont le(s) feu(x) (Krebs et coll.2010). Certains incluent également dans le régime (sensu lato) les conditions de feux (par ex. la quantité et l’inflammabilité du combustible ou encore les conditions météorologiques) et les effets immédiats (par ex. la sévéritéîpour les organismes ou pour les sociétés humaines). Voici une liste non exhaustive de paramètres couramment mesurés pour caractériser les feux.

Z Les paramètres spatiaux :

– La taille du feu (surface brûlée) ;

– Le type de feu : feu de surfaceîbou feu de couronneîb. Les feux de surface brûlent la litière et les plantes de sous bois (Fig.II.2c-d), infligeant parfois des dégâts importants aux troncs des arbres. Au contraire, les feux de couronne vont également brûler les branches et le feuillage des arbres. Le plus souvent, les feux qui entraînent un replacement complet de la végétation sont des feux de couronne (Fig.II.2e-f).

Z Les paramètres temporels :

– La vitesse de propagation du feu ; – La durée du feu ;

– Le temps écoulé depuis le dernier feub;

– La fréquence de feu, et sa prédictibilité (variance de la fréquence). Z Les paramètres d’effet :

– L’intensité î du feu est souvent mesurée par la température au sol. Un feu intense dégage plus d’énergie qu’un feu peu intense.

– La sévéritébdu feu mesure l’importance de son effet sur l’écosystème (souvent regardé par le prisme des plantes). La sévérité dépend de la vitesse de propagation, de l’intensité du feu, des paramètres climatiques locaux et des écosystèmes/espèces impactés. Les feux de surface sont moins intenses et moins sévères que des feux de couronne.

a. Le terme régime de feu était alors souvent associé à un registre de vocabulaire autour de la soumission et de l’échappement (Krebs et coll.2010).

b. Ces paramètres de régime sont considérés dans ce travail.

forte pluviométrie de son biotope, en interaction avec la géologie de la Corse, rend les sols acides et riches en matière organique.

Les peuplements de pin laricio supportent une diversité originale. Ainsi, le seul oiseau endémique de France métropolitaine, la citelle corse (Sitta whiteheadi) habite les troncs morts de ce pin (Thibault et coll.2016). Un autre exemple provient de la grande diversité de polypores qui se nourrissent de cette essence, dont de nombreux sont vulnérables (Norstedt et coll.2001).

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Une ressource, des services et un emblème

En plus de sa dimension écologique, le pin laricio a une position centrale dans la nature corse tant d’un point de vue économique que culturel.

Le pin laricio fournit des services d’approvisionnement. Cette essence est un bois d’œuvre important (25 100 ha de production ; Plan Pluriannuel Régional de Développement Forestier de Corse). C’est même l’essence principale dans les forêts relevant du régime forestier (Tome 1 de la « Contribution à la conduite des peuplements de pin laricio et habitats associés »). Le pin laricio est la troisième essence de reboisement utilisée en France continentale grâce à sa rusticité, sa plasticité et sa productivité. Aujourd’hui, il est principalement utilisé pour la production de structure, parquet, bardage, chevrons et coffrage. Le pin laricio fournit également des huiles essentielles commercialisées. Les arbres de Corse ont longtemps permis aux habitants de se chauffer et de construire des bâtiments, mais il faut attendre que la Corse soit rattachée à la France en 1768 pour voir apparaître une exploitation organisée au niveau de l’île, en particulier pour le pin laricio. En 1772, le premier acte forestier de l’île est édicté. « L’ordonnance du Roy sur la matière des bois et forêts pour l’isle de Corse » compte remédier au « mauvais état de ces bois » dû aux « abroutissements, incendies et guerres ».

Figure I.18 – Étages de végétation en Corse et répartition des principales espèces végétales structurant les écosystèmes (à partir de Gamisans1999).

7. Les feux en milieu méditerranéen et le cas du pin laricio en Corse

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7 En 1842, le pin laricio est l’arbre d’intérêt productif le plus abondant avec un nombre d’individus

de diamètre supérieur à 35cm estimé à 1 398 000 (Bourcet, 1996, Aperçu sur deux siècles d’histoire forestière en Corse Revue Forestière Française. 48(6) :563-580 cité dans Collectif2006a). Bourcet (1996) estime que ce nombre a augmenté de 37% entre 1842 et 1982. L’exploitation forestière à grande échelle ne prendra vraiment de l’importance qu’au XIXe siècle avec la construction de grandes routes forestières et les accords Blondel (1852), du nom du commissaire qui a clarifié le foncier forestier endistribuant les forêts publiques entre l’État et les communes.

Durant l’ancien régime le pin laricio servait à la construction de bateaux (par ex. des mâts, des barques de pêche), de meubles et de bâtiments (poutres, canaux d’irrigation, toitures en bardeau). La résine du pin servait d’emplâtre pour calmer les douleurs, soigner les coupures de couteau et ôter les épines de la peau. Enfin, des morceaux de tronc chargés en résine (bois gras) servaient à allumer les feux. En plus d’une valeur économique directe, les forêts de pins laricio procurent de nombreux services de régulations environnementales. Ces forêts protègent les zones montagnardes de l’érosion et des avalanches tout en régulant le cycle de l’eau.

Les services écosystémiques culturels incluent les valeurs esthétiques, éducatives, touristiques, religieuses ou encore philosophiques portées par la nature (Daniel et coll.2012). Les forêts de pins laricio sont porteuses de ces valeurs et produisent ainsi des services écosystémiques culturels. Ainsi, le pin laricio est souvent mis en avant par les guides touristiques en particulier à l’égard des randonneurs. Pour comprendre la valeur culturelle du pin laricio, il suffit de regarder les photos de forêt corse dans google™ image (recherche de « forêt corse ») : sur les 50 premières photos où l’on aperçoit des arbres, 35 photos (70%) contiennent un ou plusieurs pin(s) laricio. On retrouve d’ailleurs le pin laricio sous la plume de Maupassant (1882) :

∠ Le chemin montait doucement au milieu de la forêt d’Aïtône. Les sapins59démesurés élargissaient sur nos têtes une voûte gémissante, poussaient une sorte de plainte continue et triste, tandis qu’à droite comme à gauche leurs troncs minces et droits faisaient une sorte d’armée de tuyaux d’orgue d’où semblait sortir cette musique monotone du vent dans les cimes. ∠

Guy de Maupassant,Un bandit corse Texte publié dans Gil Blas le 25 mai 1882 sous la signature de Maufrigneuse.

59. On nommait couramment le pin laricio « sapin » à cette époque.

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7 a c b d e

FigureI.19–Photos de pins laricio : (a) Individu mort dans la vallée du tavignano. Merci à E. Le Fur pour l’échelle. (b) Individu vivant avec trace de cicatrice dans la vallée du Verghello. Merci à P. Fulé pour l’échelle. (c) Régénération de plantules au milieu des cônes de pin. (d) Vestige d’un individu victime du passage de feu de Rospa sorba en 2000. Photo prise en 2016. (e) Vue (en 2016) du col de Rospa sorba victime d’un feu en 2000.

7. Les feux en milieu méditerranéen et le cas du pin laricio en Corse

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