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Qu’est qu’un réseau d’interactions ?

Un réseau d’interactions est un objet constitué d’au moins deux classes d’éléments : des nœuds et des liens représentant une interaction entre les deux nœuds qu’ils relient. Ces éléments peuvent être caractérisés par de multiples attributs comme par exemple le sens et le force de l’interaction qu’un lien représente, ou encore le poids d’un nœud dans le réseau. Les réseaux d’interactions sont des objets d’étude importants dans de nombreuses disciplines, en physique statistique, informatique, sociologie, épidémiologie et biologie (dont l’écologie). Les méthodes et les caractéristiques des réseaux étudiés varient en fonction des disciplines, mais de nombreux transferts fructueux ont émaillé la récente émergence de la science des réseaux. De nombreux ouvrages sont disponibles sur la science 45. Ainsi, les variations intra-clonales (Lindner et Banik2011) et intra-spécifiques (Nilsson et coll.2008) sont très importantes, ce qui entraîne une inadéquation entre le concept d’OTUs et celui d’espèce.

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des réseaux (par ex. Boccaletti et coll. 2006; Newman2010; Barabási2016) et son implication en écologie (Bascompte et Jordano2007; Vazquez et coll.2009; Sueur2015).

Barabási (2012) résume le développement de la science des réseaux ainsi : « Reductionism, as a paradigm, is expired, and complexity, as a field, is tired. Data-based mathematical models of complex systems are offering a fresh perspective, rapidly developing into a new discipline: network science. » que l’on peut traduire ainsi : « Le réductionnisme, en tant que paradigme, expire, et la complexité, en tant que champs disciplinaire, est fatigué. Les modèles mathématiques de systèmes complexes basés sur les données offrent une perspective rafraîchissante, qui se développe rapidement en une nouvelle discipline : la science des réseaux. »

Utilisation des réseaux en écologie

La science des réseaux a d’abord été utilisée en écologie pour comprendre la structure des réseaux trophiques (Paine1980; Pimm et coll.1991; Dunne et coll.2002) et s’est ensuite étendue à d’autres types de réseaux écologiques d’interactions en particulier les réseaux mutualistes46

(Bascompte et coll.2003).

En s’appuyant sur les concepts et les outils de la science des réseaux, les écologues ont utilisé divers indices et mesures pour comparer les réseaux entre eux. L’objectif de ces comparaisons est autant de trouver des variations biologiquement intéressantes que de chercher des invariants (par ex. Jordano et coll.2003). Les indices utilisés sont alors des indices globaux, c-à-d. calculés à l’échelle du réseau. Parmi ces indices, on trouve la connectanceî47, l’imbricationî(nestedness en anglais ; Bascompte et coll.2003) et la modularitéî(Olesen et coll.2007). L’imbrication d’un réseau mesure à quel point le réseau est structuré sous forme de poupées russes, c-à-d. à quel point les partenaires des espèces spécialistes sont également des partenaires des espèces généralistes. La modularité mesure la structuration du réseau en sous-ensemble de nœuds qui interagissent plus entre eux qu’avec des nœuds d’autres groupes que l’on appelle modules.

D’autres indices sont utilisés en écologie, comme la distribution des différents motifs48 (Milo 2002), le diamètre du réseau49 ou encore la distribution des degrés50. Rien que dans le cas particulier des réseaux bipartisî51, Dormann et coll. (2009) ont étudiés plus de 20 indices globaux et les relations que ces indices entretiennent.

46. Un réseau mutualiste est un réseau d’interactions où un lien représente une association mutualiste (c-à-d. à bénéfices réciproques) entre les espèces/individus qu’il relie.

47. Proportion de liens possibles qui sont effectivement présents dans le réseau. Correspond dans la majorité des réseaux au nombre de liens divisé par le carré du nombre de noeuds.

48. Un motif est un groupe de nœuds dont les liens forment une structure particulière (par exemple trois nœuds reliés par un triangle de lien est un motif).

49. Le diamètre d’un réseau correspond à la distance minimale entre toutes les paires de nœuds du réseau.

50. Le degré d’un nœud est le nombre de lien qu’il établit avec d’autres nœuds.

51. Un réseau biparti est constitué de deux classes de partenaires qui n’interagissent qu’avec des partenaires de l’autre classe. C’est par exemple le cas des réseaux d’interactions plantes-pollinisateurs ou acteurs-films. C’est un cas particulier de réseau multiparti que l’on oppose aux réseaux unipartis.

6. L’é cologie fongique à l’heur e de la biologie molé culair e et de la science des réseaux

TableauI.4–Publication sur les réseaux écologiques mycorhiziens : Les publications qui traitent des réseaux mycéliens (CMN ; voir encadré4et Fig.I.12) ne sont pas incluses dans ce tableau. Pl. : nombre de taxons de plantes ; Ch. : nombre de taxons fongiques ; ∅ Valeur non spécifiée dans la publication ; Liens : nombre de liens ; Séq. : nombre de séquences pour les séquençages à haut débit (NGS) ; PDI : indice de spécialisation (Paired Difference Index ; Poisot et coll.2012) ; la colonne Réseau(x) donne des indications sur les réseaux étudiés et les méthodes d’échantillonnage de la diversité fongique ; enfin, la colonne Mesures indique les différentes facettes auxquelles la publication s’est intéressée. Les abréviations AM ; ECM et OM correspondent respectivement aux interactions endomycorhiziennes vésiculo-arbusculaires, ectomycorhiziennes et endomycorhiziennes des orchidées. Les valeurs accompagnées d’une astérisque (*) sont des valeurs moyennes sur les réseaux étudiés. Les deux astérisques (**) indiquent que la valeur reportée est calculée pour un regroupement des OTUs à 3%.

Publications Type Pl. Ch. Liens Séq. Réseau(x) Mesures

Jacquemyn et coll.2010 OM 5 12 26 - Qualitatif (Sanger sur les racines) Imbrication Jacquemyn et coll.2011 OM 16 23 69 - Réseau global (11 régions échantillonnées en

Europe ; Sanger sur les racines)

Imbrication, Phylogénie des plantes

Martos et coll.2012 OM 73 95 210 - Qualitatif (Sanger sur les racines) Imbrication, Modularité, Écologie et phylogénie des plantes

Jacquemyn et coll.2015 OM 20 96 178 137 183 Quantitatif (454 sur les racines) Imbrication, Modularité, Rôles des espèces Chagnon et coll.2012 AM 10 47 209 138 919 Qualitatif (454 sur les racines) Imbrication, Modularité

Montesinos-Navarro et coll.2012

AM 35 61∗∗ 194 - Qualitatif (Sanger sur les racines) Imbrication, Modularité, Connectance, Abondance des plantes

Chagnon et coll.2015 AM 8 25 89 ∅ Qualitatif (454 sur les racines) Modularité, Traits et phylogénie des plantes Encinas-Viso et coll.2016 AM 18 15 - - Réseau spatial de co-occurence (Identification

morphologique des spores)

Imbrication, Modularité, Connectance

Fodor2013 ECM 7 87 246 - Qualitatif (fructifications aériennes) Imbrication, Modularité, C-score, Asymétrie, Connectance, Rôles des espèces

Bahram et coll.2014 ECM 4.8 89.9 - - 10 réseaux locaux Imbrication, Modularité Taudiere et coll.2015 ECM 16 234 993 - Régional et qualitatif (mélange de données

naturalistes et moléculaires)

Modularité, Écologie des plantes

Roy-Bolduc et coll.2016 ECM 4 200 687 34 192 Quantitatif (454 sur sol et racines) Imbrication, Modularité, PDI

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Dans ce travail, nous ne nous intéressons pas à la comparaison entre réseaux, nous utilisons donc des indices locaux, c’est-à-dire les indices calculés au niveau d’un lien ou d’un nœud. Le nombre de partenaires dans le réseau – le degré – est un indice souvent utilisé. Certains indices locaux ne nécessitent pas de faire appel à la théorie des graphes et aux méthodes associées. Ainsi, le degré est un simple comptage du nombre de partenaires qui ne capture pas d’« effet réseau ». L’utilisation de la terminologie des réseaux pour calculer des indices locaux aussi simples participe du « machisme statistique52» à l’œuvre en Écologie aujourd’hui.

Dans le cadre de ce travail, nous avons également utilisé des indices de niveaux intermédiaires, c’est-à-dire des indices calculés sur les nœuds du réseau mais qui prennent en compte explicitement la structure du réseau. Par exemple, nous avons calculé deux indices locaux en lien avec la modularité (caractéristique global) du réseau. Ces indices décrivent l’importance des nœuds dans la structure du réseau (Guimerà et coll.2004; Guimerà et Amaral2005). Le premier indice est le coefficient de participationî qui mesure l’équitabilité de la distribution des liens du nœud considéré vers les différents modules. En d’autres termes, plus un nœud est lié équitablement aux différents modules, plus son coefficient de participation est important. Le deuxième indice est le degré relatif intra-moduleîqui mesure l’importance du nœud dans son module.

Utilisation de la notion de réseau pour mieux comprendre les interactions mycorhiziennes

Nous avons déjà vu dans la section3de l’introduction l’importance de la notion de réseau en écologie des champignons (en particulier dans l’encadré 4 et sur la figure I.12). À travers la comparaison entre réseaux communs mycéliens (CMN) et réseaux écologiques mycorhiziens (EMN ; encadré 4) nous avons déjà illustré deux utilisations diamétralement opposées de la notion de réseaux (réseau concret d’interactions physiquement réalisées [CMN] vs représentation abstraite d’interactions écologiques potentielles [EMN]).

Dans le cas des CMN, il s’agit d’un réseau concret formé par le mycélium fongique qui permet de relier physiquement au moins deux individus végétaux. Ainsi, les études sur les CMN s’intéressent principalement au partage de ramets53 entre les plantes. L’intégrité physique du ramet étant compliquée à vérifier, les études sur les CMN utilisent soit les génets54 comme indicateur de ramets (par ex. Beiler et coll.2015), soit des marqueurs isotopiques (par ex. Simard et coll.1997). Ces deux méthodes produisent peu d’interactions et de partenaires en sortie. La théorie des graphes55– développée pour des réseaux complexes de tailles conséquentes – ne semble pas d’un grand secours dans le cadre de l’étude des CMN.

52. B. Bolker propose la notion de « machisme statistique » sur le blogdynamic ecologypour dénoncer la tendance en Écologie à utiliser des méthodes statistiques (trop) complexes alors que des tests simples suffiraient. Voir la discussion sur le sujet page275.

53. Individu fongique physiquement indivisé ; voirglossaireet ceparagraphepage11.

54. Individu fongique génétique ; voirglossaireet ceparagraphepage11.

55. Théorie mathématique et informatique dont l’objet principal est le graphe, également appelé réseau. La théorie des graphes est fortement intégrée dans la science des réseaux.

6. L’écologie fongique à l’heure de la biologie moléculaire et de la science des réseaux

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6 En revanche, les EMN sont des représentations abstraites des interactions potentielles entre

plantes et champignons ECM. Les EMN nous renseignent sur les potentialités de formation de CMN (par ex.Ebenye et coll.[in press] en annexe), mais pas seulement (voir encadré4). Le nombre d’études qui travaille sur la topologie ou la position des partenaires dans les réseaux écologiques d’interactions mycorhiziennes est assez faible. Le tableauI.4liste la grande majorité des publications qui analysent des réseaux écologiques d’interactions ECM (principalement interspécifiques) en utilisant certains concepts de la science des réseaux. Trois types d’interactions mycorhiziennes sont équitablement étudiés : les mycorhizes des orchidées (OM), les endomycorhizes vésiculo-arbusculaires (AM) et les ectomycorhizes (ECM). Notez que dans plusieurs cas, le réseau est un réseau de coexistence56 et que les auteurs parient – sans toujours le dire clairement – qu’il s’agit d’un bon proxy d’un réseau d’interactions (Caruso et coll.2012).

Le faible nombre de publications et de jeux de données, associé à la disparité de la taille des réseaux (nombre d’interactions possibles57), empêchent une comparaison des valeurs de modularité et d’imbrication des différentes publications. De plus, on peux s’interroger sur la validité de tels indices développés pour des graphes de grandes tailles au regard de la (très) faible taille de la majorité des réseaux étudiés. Le calcul de l’imbrication et de sa significativité sur des réseaux constitués de quatre plantes (par ex. dans Bahram et coll.2014et Roy-Bolduc et coll.2016) ne me semble ni correct statistiquement ni intéressant biologiquement. Dans un article récent, Chagnon (2016) met en garde contre les conclusions rapides et fallacieuses établies à partir de l’analyse des réseaux d’interactions mycorhiziennes. En particulier, il rappelle que les réseaux écologiques mycorhiziens sont des représentations graphiques d’observations, et qu’il reste une étape cruciale avant la compréhension des processus. Pour cet auteur, le passage des patrons au processus d’assemblage des communautés et de fonctionnement des écosystèmes reste compliqué dans l’état de nos connaissances et est trop souvent contourné.

56. On définit une interaction entre c et p lorsque l’on trouve de l’ADN du champignon c dans le sol près de la racine (par ex. Toju et coll.2015) ou dans la racine de la plante p. Caruso et coll. (2012) soulignent que la présence de mycélium de a proche des racines de b n’est pas toujours synonyme d’interaction mycorhizienne entre a et b.

57. Un réseau est d’autant plus grand que la matrice d’interactions est grande. Dans le cas d’un réseau uniparti, la taille correspond au nombre de nœuds au carré. Dans le cas des réseaux bipartis, la matrice d’interactions peux avoir des nombres différents de lignes et de collonnes, la taille correspond alors au nombre de partenaires d’une classe multiplié par le nombre de partenaires de la deuxième classe.

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(i) L’étude de la diversité fongique bénéficie depuis 25 ans de la biologie moléculaire. Notre connaissance de la diversité fongique a été facilitée dernièrement grâce à l’instauration de l’ITS (Internal Transcribed Spacer) comme marqueur universel fongique couplée à la mise en place de bases de données et à la mise au point de méthodes de séquençage à haut débit (NGS).

(ii) L’écologie des champignons fait appel à la notion de réseau à différentes échelles (par ex. réseau morphologique du mycélium, réseau écologique d’interactions interspécifiques). Des outils de la théorie des graphes (par ex. la modularité et l’imbrication) ont été récemment utilisés pour mieux comprendre la structure des réseaux d’interactions mycorhiziennes.

Résumé

(i) Study of fungal diversity benefits from molecular biology since 25 years. And this gain has been accelerated recently thanks to the institution of ITS (Internal Transcribed Spacer) as universal fungal barcode, the establishment of data base and the tuning of next-generation sequencing (NGS).

(ii) Fungal ecologists use the concept of network at different scales (e.g., morphological network of mycelium, ecological network of interspecific interactions). Graph theory brings some tools (e.g., modularity and nestedness) to fungal ecologists interesting in the structure of ecological mycorrhizal networks.

Summary

7. Les feux en milieu méditerranéen et le cas du pin laricio en Corse

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7 Les feux en milieu méditerranéen et le cas du pin laricio en

Corse

7.1 Le feu : un processus prépondérant dans la structure des communautés