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XXXV 1/ Notice biographique sur Francesco Robortello 135

2/ La place d’Horace dans l’œuvre et le travail de Robortello

Quelle place attribuer au poète de Vénouse dans la vie et l’œuvre de Robortello ? La paraphrase à l’Art poétique est l’unique ouvrage qu’il ait intégralement consacré à une œuvre d’Horace, et cette paraphrase ne compte qu’un peu plus d’une vingtaine de pages. Toutefois, l’excellente connaissance par Robortello des odes, des satires et des épîtres ne fait aucun doute, puisqu’il cite régulièrement des extraits de ces œuvres dans son commentaire à la Poétique. Horace est aussi l’auteur auquel Robortello consacre le plus grand nombre de notes dans ses Variorum locorum annotationes, le premier ouvrage qu’il ait jamais publié. Si l’on examine la liste des noms qui figurent dans les Annotationes, on constate que Cicéron se voit attribuer quatre notes, Aristote, Catulle et Tibulle, trois, César, Hérodien et Érasme, deux, Callimaque, Lucrèce, Properce, Suétone, Philostrate, Aldo Manuzio, Leonardo Aretino et Bernardino Donato, une. Horace est, de loin, l’auteur le plus mentionné avec huit notes (sur les Odes, les Épîtres et l’Art poétique). Par ailleurs, dans son dernier traité, le De artificio dicendi, publié en 1560, c’est à la lyrique horatienne155 que Rortello choisit d’emprunter la plupart de ses exemples pour illustrer son analyse du langage poétique. De surcroît, si l’on se penche sur le contenu qui nous est parvenu des leçons données par Robortello dans les universités

153 Francisci Robortelli Vtinensis De artificio dicendi, Ad illustrem et Reuerendissimum Ioannem Baptistam Campegium Episcopum Maioricensium Liber. Eiusdem Tabulae oratoriae. In or. Cic. Qua gratias agit senatui post reditum. In or. Pro Milone. In or. Pro Plancio.

154 Voir M. Sgarbi, Francesco Robortello (1516-1567) Architectural Genius of the Humanities, Routledge, New York/London, 2019, p. 37.

155 Au sujet de la présence des odes d’Horace et de leur analyse par Robortello dans le De artificio dicendi, voir N. Dauvois, « Robortello lecteur d’Horace dans le De artificio dicendi ou du rôle des modèles de référence dans l’invention d’une poétique » in Francesco Robortello. Réception des Anciens et Construction de la Modernité, sous la direction de M. Bouquet, S. Cappello, C. Lesage, M. Magnien, PUR, 2020, p. 397.

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où il a officié, on constate qu’il a fait cours sur les Épîtres lorsqu’il enseignait à Lucques156 et une lettre datée du 11 juin 1545157 nous apprend qu’il préparait une leçon sur la Poétique d’Aristote et l’Art poétique d’Horace158. Horace est donc sans conteste un auteur qui occupe une place non négligeable dans les travaux de Robortello, mais une place qui n’est pas primordiale, et qui est celle de la poésie latine.

Si l’on examine, en effet, le détail des ouvrages publiés par Robortello, on constate que les poètes latins y occupent une place relativement réduite. Ainsi trouve-t-on dans la publication de 1548 contenant le De historica facultate et le De rhetorica facultate une Explicatio in Catulli Epithalamium et des Explanationes sur le premier chant de l’Énéide de Virgile.

Horace, avec la paraphrase à l’Art poétique, est le seul autre poète latin dont un ouvrage intégral soit commenté par Robortello. Cette production apparaît bien maigre quand on la compare à la publication en deux volumes par Robortello des sept tragédies d’Eschyle dans leur texte grec émendé avec métrique restituée et scolies. La présence des auteurs latins au sein de l’œuvre robortellienne apparaît d’ailleurs d’autant plus réduite lorsque l’on considère les auteurs traités dans leur globalité et non plus seulement les poètes. Aristote est bien sûr celui qui se voit attribuer la part du lion avec les Explicationes à la Poétique de 1548 et la disputatio sur la Politique de 1552. Aux côtés du Stagirite, on trouve encore Platon, quoique indirectement, avec la paraphrase d’Averroès à la République (1552), ainsi qu’une édition en grec de la Théorie de la tactique d’Élien (1552), une édition en grec annotée en latin par Robortello du Traité du Sublime du Pseudo-Longin (1554) et une édition commentée des Hymnes de Calllimaque (1555). Les deux seuls prosateurs latins à apparaître dans la bibliographie robortellienne sont Tite-Live, dans le De convenientia Supputationis Livianae (1557), et Cicéron dans l’édition du De artificio dicendi, production bien maigre en regard des éditions intégrales d’auteurs grecs.

On retrouve d’ailleurs cette prépondérance des auteurs grecs, et en particulier d’Aristote, dans les leçons données par Robortello : à Pise, il donne des cours sur la Poétique,

156 Son programme comprenait aussi le premier chant de l’Énéide de Virgile, des œuvres de Cicéron (De l’orateur, les Tusculanes, Des devoirs, Lettres à Atticus) et de Quintilen. (Voir G. G. Liruti, Notizie delle vite ed opere scritte da' letterati del Friuli, raccolte da Gian-Giuseppe Liruti, signore di Villafredda, ec, II, Venise, 1762, p. 416-417.)

157 Robortello enseigne alors au Studio Pisano.

158 Voir M. Sgarbi, Francesco Robortello (1516-1567) Architectural Genius of the Humanities, Routledge, New York/London, 2019, p. 20.

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bien sûr, mais aussi sur la Rhétorique159. Il poursuit son enseignement de la Rhétorique une fois installé à Venise160. Par ailleurs, souvenons-nous que c’est à Venise, chez lui, qu’il donne des cours sur l’Éthique à Nicomaque. En 1550, à la Scuola di San Marco, il fait cours sur la Politique d’Aristote161. À Padoue, en 1552, ses leçons sont consacrées à Aristote et Démosthène. En 1553, il enseigne l’Organon, ainsi que le De statibus d’Hermogène162. Le seul auteur latin à réussir à se hisser au premier rang dans l’enseignement de Robortello est Cicéron, dont les ouvrages de rhétorique figurent avec presque autant de constance que les traités d’Aristote dans ses programmes163.

Que Robortello ait systématiquement mis en avant les auteurs de langue grecque, que ce soit dans ses ouvrages ou dans son enseignement, n’a rien de très étonnant, lorsque l’ont sait qu’il a toujours considéré que seuls étaient dignes du nom de savants ceux qui maîtrisaient le grec ancien164. Cette position élitiste était déjà celle qu’il adoptait en 1537, lorsque tout jeune étudiant, il composait, pour la Defensio pro Romuli Amasaei auditoribus adversus Sebastiani Corradi calumnias, une épigramme grecque en distiques élégiaques intitulée Ἐπικήρυξις (« L’annonce »). De tous les étudiants ayant participé à l’ouvrage, il est le seul à ne pas écrire en latin165. On peut donc penser que si Horace occupe une place de

159 Voir G. G. Liruti, Notizie delle vite ed opere scritte da' letterati del Friuli, raccolte da Gian-Giuseppe Liruti, signore di Villafredda, ec, II, Venise, 1762, p. 421.

160 Ibidem, p. 423.

161 Ibidem, p. 424.

162 Voir M. Sgarbi, Francesco Robortello (1516-1567) Architectural Genius of the Humanities, Routledge, New York/London, 2019, p. 26.

163 Nous avons déjà vu que Robortello donnait des leçons sur Cicéron quand il enseignait à Lucques. À Pise, il délivre aussi des cours sur les traités de rhétorique de Cicéron (notamment sur le De inventione, en 1547), traités qu’il enseigne toujours à Venise. À Padoue, c’est encore Cicéron qu’il enseigne, aux côtés d’Aristote, Démosthène et Hermogène (Voir G. G. Liruti, Notizie delle vite ed opere scritte da' letterati del Friuli, raccolte da Gian-Giuseppe Liruti, signore di Villafredda, ec, II, Venise, 1762, p. 421, p. 423, p. 427).

164 Dans son introduction à son édition des Explicationes, Sylvaine Poujade-Baltazard souligne le mépris affiché par Robortello, dans les Annotationes, pour ceux qui, relativement nombreux à cette époque, ne maîtrisent pas le grec : « [Au] moment de commenter un passage de Lucrèce, il cite en grec plusieurs lignes de l’Onomasticon de Pollux, et conclut avec beaucoup de hauteur : « Si l’on considère attentivement ces derniers mots de Pollux, on voit qu’ils ont un rapport étroit avec le passage de Lucrèce. J’aurais pu les traduire en latin, mais comme je me suis proposé depuis le début de ne rien traduire, je me satisferai de penser qu’ils sont intelligibles à ceux qui connaissent le grec. Car j’oserais à peine, pour ma part, donner le nom de doctes à qui ne connaît que le latin. » (Francisci Robortelli Vtinensis in librum Aristotelis De arte poetica explicationes. Introduction, édition, traduction, vol. 1, 2018, p. XX.)

165 Au sujet de l’Ἐπικήρυξις, voir M. Venier, « L’Epikéruxis dans la Defensio pro Romuli Amasei auditoribus : un poème peu connu de Francesco Robortello (1537) » in Francesco Robortello. Réception des

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premier rang parmi le petit nombre d’auteurs latins auxquels Robortello a consacré un ouvrage, c’est que le commentateur devait considérer son œuvre comme particulièrement importante.