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« On les perd à l’adolescence. » C’est le premier constat fait par les bibliothécaires et énoncé dans la présentation de l’enquête confiée à Cécile Rabot par Lecture Jeunesse en partenariat avec le ministère de la Culture et l’ABF37. C’est également le constat, unanime,

des bibliothécaires présents lors du séminaire « Visites de classes en bibliothèques » qui justifient par ailleurs leur intérêt à s’investir dans des partenariats avec les établissements scolaires afin de faire revenir ces jeunes à la bibliothèque.

Lors du passage à l’adolescence, a lieu le rejet progressif de tout ce qui rappelle l’enfance, et peu à peu un délaissement de ce qui se rapporte, (de près ou de loin) aux institutions leur rappelant leur enfance est laissé de côté. La bibliothèque, largement fréquentée dans le cadre des activités scolaires, en primaire, est donc assimilée à un ensemble de pratiques délaissées à l’adolescence, non seulement parce qu’elles constituent une résistance à leur émancipation mais également parce qu’elle est synonyme d’ennui, de rigueur et est jugée trop sérieuse, rappelant trop le cadre scolaire.

Les enquêtes qui se sont intéressées à la fréquentation des bibliothèques par les adolescents ont montré qu’à la fin de l’adolescence un retour en bibliothèque a bien lieu et que celui-ci coïncide avec les examens. En effet, c’est à partir du lycée, et des premiers examens à préparer, seul ou à plusieurs, que l’on voit les jeunes fréquenter de nouveau la bibliothèque. Il convient toutefois de nuancer ce constat, car si les jeunes réintègrent la bibliothèque, c’est avant tout pour profiter des lieux propices aux révisions et non pour l’accès aux collections.

L’abandon de la bibliothèque semble aussi lié aux contraintes apportées par le lieu en lui-même et les règles qui y sont imposées comme le silence. Des codes culturels distinctifs s’avèrent également dissuasifs et jouent contre la fréquentation des jeunes de même qu’ils découragent les publics les plus éloignés de la culture et du livre. Ces codes relèvent à la fois du savoir-faire et du savoir-être comme savoir se tenir ou savoir chercher et emprunter. Le rapport au livre, en tant qu’objet, et au soin qu’il convient d’y apporter peut aussi constituer un obstacle. Le bibliothécaire s’avère ainsi être le gardien d’un trésor de livre qu’il a pour mission de protéger, de préserver, de soustraire à quiconque pourrait lui causer le moindre

37 Rabot, Cécile. Ados & bibliothèques, T.2: Politiques d’accueil, Collection LJ+, 2018. Disponible en ligne : http://www.lecturejeunesse.org/livre/ados-bibliotheques-t-2-politiques-daccueil-2018/

dommage matériel ? Il redoute ce lecteur qui pourrait abîmer le livre. De son côté, le lecteur – et à plus forte raison, le jeune lecteur – cumule les difficultés face à l’emprunt. La recherche d’un document, qui exclut le lecteur (ou l’emprunteur) qui ignore le titre ou le nom de l’auteur de l’ouvrage qu’il recherche. Puis s’il parvient à le trouver, il peut également être déjà emprunté, ou indisponible pour réfection. Bref, il convient de reconnaître que pour le lecteur non aguerri aux pratiques d’emprunts, le choix peut vite devenir limité et la curiosité découragée.

Si les bibliothécaires présents en section se montrent disponibles pour aider les jeunes à orienter leur choix les élèves quant à eux semblent ne pas vouloir profiter de leurs conseils et préfèrent ne pas avoir à leur en demander. Alors que Christine, la bibliothécaire nous confie qu’elle aime travailler en jeunesse et que le public adolescent a sa préférence, elle reconnaît que lorsqu’elle fait le choix d’aller vers les jeunes pour tenter d’amorcer le dialogue et de les orienter vers des lectures, ces derniers se ferment, ne laissant pas de possibilité à l’échange ni de voie vers la découverte. De leur côté, les collégiens interrogés confessent qu’ils n’aiment pas demander conseil et que si un livre leur a plus ils préfèrent chercher seuls un autre livre, faisant leur propre jugement au contact des ouvrages comme le raconte Indira :

« Je n’ai jamais demandé conseil. Je prends un livre, je regarde la première page et si ça me plaît je l’emprunte. Mais je ne demande pas de conseil. Ni à mes amies ni aux bibliothécaires ou à Madame H. (la professeure documentaliste). »

2.1.1 Les adolescents, public insaisissable des bibliothèques ?

On l’a vu, l’adolescence est une période difficile à catégoriser dans la mesure où il existe autant d’adolescences que d’adolescents. Comment, dans ces conditions, les bibliothèques pourraient-elles s’adresser uniformément à ces jeunes, si différents les uns des autres. Le premier constat établit dans cette enquête, selon l’aveu de la bibliothécaire Christine, repose sur le fait que la bibliothèque touche avant tout un lectorat déjà établi. Lors de notre première rencontre, au collège, à l’occasion du premier atelier d’écriture, Christine me présentait les élèves qu’elle connaissait, à savoir les « grosses lectrices » également évoquées par la professeure documentaliste.

Pourtant, pour Christophe Evans du service Études et recherche de la Bibliothèque publique d’information il faut relancer « les procédures d’inscription et d’accueil des adolescents, et ne pas multiplier les accueils des classes, car ceux-ci entraînent souvent chez les “élèves” un rejet de la bibliothèque ».

D’autre part, la question de l’espace semble primordiale dans l’approche de l’accueil des adolescents par les bibliothèques. En effet, les adolescents semblent utiliser de façons aléatoires les différents espaces de la bibliothèque, non tellement parce qu’ils se les approprient tant que parce qu’ils ne savent plus quel espace leur est adapté sinon réservé. Leur nouveau rapport au lieu, et au livre, les amène à la fois à côtoyer de nouvelles collections et à s’approprier de nouvelle façon d’occuper l’espace. De fait, leur venue n’est plus seulement liée à des documents qu’ils voudraient consulter ou emprunter mais à une occupation de l’espace notamment comme lieu de rencontre. L’analyse des questionnaires renseignés par les élèves dans le cadre de cette enquête révèle que si 50% des élèves des élèves se rendent à la bibliothèque pour lire sur place ou emprunter des livres, ils sont également nombreux à s’y rendre pour faire leurs devoirs et rencontrer des copains et copines.

Selon Claude Poissenot, « Les bibliothèques municipales, si elles n’ont pas à traiter tous les problèmes qui se posent au moment de l’adolescence, ont néanmoins à les prendre en compte. Les usagers n’ont pas une identité unidimensionnelle, réduite à leur rôle de lecteur, d’emprunteur d’ouvrages. Ne pas considérer les effets associés à l’âge, c’est prendre le risque de la défection. Prendre au sérieux cette période de transition et ses propriétés doit être bien davantage considéré comme une priorité. La possibilité d’affirmer son autonomie – relative – doit faire partie des paramètres de l’analyse des bibliothèques. 38 » C’est donc à

la bibliothèque de se remettre en cause en prenant en compte les nouveaux besoins de ses usagers, en particulier pour ce qui concerne les adolescents et de corriger et à adapter son offre pour leur correspondre au mieux. C’est d’ailleurs la volonté explicite de la directrice de la médiathèque Madame R.

2.1.2 Pratiques d’emprunt, droits, devoirs, interdictions

Dix élèves de la classe sont inscrits à la médiathèque (parmi lesquels on compte huit filles) et treize d’entre eux déclarent s’y rendre de façon occasionnelle ou régulière. Les pratiques de ces jeunes sont pourtant très variables et parmi ces collégiens qui déclarent se rendre en bibliothèque, certains déclarent par ailleurs ne pas lire. De fait, lorsqu’on les

interroge sur les raisons pour lesquelles ils fréquentent la bibliothèque les réponses sont, là encore, très variables. Si certains d’entre eux avouent emprunter des documents de façon régulière, d’autres sont en réalité motivés par d’autres buts, on vient de l’évoquer. Toutefois ces pratiques semblent uniformes qu’elles concernent la médiathèque ou le CDI.

De fait, le CDI ne désemplit pas. Les heures de permanence, liées aux absences des professeurs, sont systématiquement mises à profit par les élèves pour investir le CDI. Certes, le confort du CDI, sa disposition, son cadre chaleureux et accueillant, ne souffre aucune comparaison avec la salle de permanence. Il est par ailleurs équipé d’ordinateurs et d’un accès à l’Internet. Cet argument doit être nuancé puisque les élèves sont majoritairement équipés de téléphones (et plus précisément de Smartphones) dotés d’un accès à l’Internet. Il ne convient pas ici d’établir de généralités puisque l’enquête ne concerne qu’une seule classe et n’est donc pas exhaustive. Elle ne prévoit pas d’étendre les pratiques d’une classe à l’ensemble de l’établissement néanmoins dans la mesure où la totalité des élèves de la classe de cinquième suivie pour ce projet possède un téléphone portable, il est probable qu’un nombre important d’élèves du collège se trouve dans la même position.

Pourtant, si les élèves sont très présents au CDI, ils semblent, pour un nombre important d’entre eux, ne pas emprunter beaucoup de livres.

« Si on prend 90% des élèves, ils ne lisent pas, ils n’aiment pas lire. Quand on leur fait des projets de lecture, par exemple si moi je vais leur présenter des livres, tout ce qu’ils vont regarder, c’est prendre le livre le plus petit. J’aurais beau leur expliquer de quoi il parle, essayer de les motiver, non, “ je veux voir le nombre de pages ”, c’est que ça qui les intéresse, du coup c’est compliqué de les motiver. Du coup, moi, pour un projet comme ça j’essaye déjà de prendre des livres qui n’ont pas beaucoup de pages pour pas qu’ils se focalisent là-dessus et qu’on puisse faire un peu autre chose. Après dans cette classe-là, on a de la chance, il y a cinq, six filles qui sont des très grosses lectrices et qu’on n’a pas forcément dans les autres classes. C’est le hasard, c’est tombé sur cette classe par hasard et du coup, c’est des filles qui sont un peu moteur pour la classe et ça entraîne les autres. Pour l’instant on n’a pas eu trop d’avis négatifs, finalement, ils sont entrés

Madame H. ajoute que ce sont ces filles lectrices, qu’elles voient le plus au CDI, durant les récréations pour venir emprunter des livres mais aussi pour discuter avec elle. Elles bénéficient d’une synergie de groupe, une ou deux élèves, en particulier Fatou, viennent renouveler leur stock de lectures et ses copines l’accompagnent sans forcément emprunter elles-mêmes des livres. Elles apprécient pourtant le lieu, et semblent beaucoup apprécier Madame H. Il peut paraître étonnant que si peu d’élèves viennent emprunter des documents alors qu’en les questionnant de façon plus précise, on apprend qu’ils sont plutôt nombreux à lire. En cherchant à comprendre leur consommation et pratiques de lectures, il est apparu que les élèves n’ont pas toujours la liberté d’emprunter des livres, que ce soit au CDI ou à la médiathèque. Ainsi, Isaac confie :

« J’emprunte des BD à mes amis. J’emprunte pas au CDI. […] Je ne vais pas à la médiathèque. Je n’emprunte pas à la médiathèque. Parce que si je déchire, c’est moi qui devra payer. »

En réalité, l’entretien permet de découvrir qu’Isaac a une petite sœur de dix-huit mois et qu’elle pourrait abîmer les livres. En abordant ce point avec Madame H., il apparaît que le cas d’Isaac est un cas fréquent, bien connu de la professeure documentaliste qui confesse que de nombreux élèves sont interdits par leurs parents d’emprunter des livres. La peur de devoir remplacer, payer, un ouvrage abîmer suffit à imposer la proscription.

« Jamais je n’ai demandé à un élève de payer pour un livre abîmer. Mais il y a des familles où cette peur-là est déraisonnable. À la rentrée, quand nous avons distribué les manuels aux élèves, j’ai eu la visite d’un père d’élève, qui m’a pris à partie agressivement, en me disant qu’ils n’avaient rien demandé, qu’on donnait des livres à son fils mais qu’il ne faudrait pas venir demander de le repayer s’il était abîmé ou perdu. Un livre qui ne revient pas, oui, on demande de le payer, mais ça n’arrive jamais, et les livres qui reviennent déchirés on ne les fait pas payer aux familles. »

La directrice de la médiathèque confirme qu’elle rencontre également des cas similaires dans son établissement. Elle explique qu’il existe des solutions pour aider les familles à faire face quand un enfant a abîmé ou égaré un livre mais dans certaines familles, cela relève de l’honneur et il n’est pas rare de voir un père de famille arriver à la médiathèque demandant à payer le livre disparu ou abîmé en précisant qu’il profite de l’occasion pour désinscrire toute la famille. Le milieu socio-culturel de ces familles est sans doute en cause et

leur rapport au livre, objet sacré dont ils sont éloignés, justifie de poser des limites permettant de se protéger financièrement, ce qui peut paraître paradoxal puisque la médiathèque relève de la gratuité.

2.2 L’engagement en faveur des adolescents : comment leur permettre de