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De nouvelles formes d’action ou de pratique de lecture-écriture, appelées également sociabilités, se démarquent des formes plus traditionnelles d’apprentissage et rencontrent un vif succès auprès des jeunes, comme les défis-lecture, concours d’écriture, jurys de lecteurs ou autres publications d’écrits qu’on a pu déjà évoquer auparavant. Il convient alors de sortir de l’opposition entre les apprentissages qui excluraient de fait le plaisir et les activités culturelles d’épanouissement personnel qui solliciteraient peu les mécanismes cognitifs, c’est- à-dire, selon les termes de Béatrice Pedot62 « des livres pour apprendre à l’école ou des livres

pour se divertir à la bibliothèque. »

La sociabilité, telle que la définit Claire Bidart est « l’ensemble des relations sociales effectives, vécues, qui relient l’individu à d’autres individus par des liens interpersonnels et/ou de groupe63 ». La sociabilité littéraire serait donc une des formes de la sociabilité, sous

des pratiques sociales comme les groupes ou club de lecture, les cafés littéraires, le prêt de livres, etc. Il convient de vérifier dans quelle mesure les ateliers de lecture ou d’écriture peuvent s’inscrire dans ce type de sociabilités.

Les activités qui n’engendrent pas de manière spontanée et facile les échanges entre jeunes sont peu susceptibles de susciter l’intérêt des collégiens. En effet, les pratiques des collégiens des années 2010 reposent largement sur les réseaux qui permettent une sociabilité

illimité. C’est ce que Dominique Pasquier64 nomme « réseaux de sociabilité » au sujet des

lycéens mais qui semble aujourd’hui parfaitement applicable aux collégiens. La culture devient un moyen pour adolescents de se mettre en scène au sein d’un groupe et de trouver une place au sein d’un réseau. Cela se vérifie dans la pratique de certains de leurs loisirs mais doit toutefois être nuancé. En effet, les élèves de Grigny sont issus de milieux modestes et dont la richesse culturelle n’est pas reconnue par les normes imposées par l’institution scolaire. Si les déclarations recueillies par ces jeunes n’ont pas permis d’établir des généralités quant à leurs pratiques culturelles, elles ont toutefois permis de faire ressortir des tendances et de confirmer l’importance des sociabilités.

Si Fatou, Sara ou Asma placent la lecture en tête de leurs pratiques de loisirs, elles font figure d’exception. À Grigny, les occupations favorites des élèves sont le sport et les jeux vidéo. Plus précisément, si seuls trois élèves de la classe disent ne jamais jouer aux jeux vidéo, le sport reste la première passion de la majorité des élèves, filles et garçons confondus (football, gymnastique, équitation, taekwondo, vélo) ; tous les déclarant avoir une passion citent le sport. Or, en faisant jouer la sociabilité au sein du groupe classe, les ateliers mis en place dans le cadre de « Lectures pour tous » et/ou Numook permettent de créer une sociabilité littéraire.

Les élèves sont amenés à débattre des lectures qui sont faites, préparer les rencontres avec les intervenants (auteures, éditeurs, plasticien…) et font ainsi l’expérience d’une sociabilité littéraire, tant au sein du groupe que des institutions, collège et médiathèque. Ces échanges, ces rencontres mais aussi les réflexions et leur propre engagement littéraire dans la création de leur livre numérique permettent à ces collégiens de se construire en tant que lecteurs au sein d’un groupe de lecteurs.

La socialisation des individus s’effectue avant tout dans le cercle familial, dès l’enfance et détermine bien souvent les inégalités culturelles à l’âge adulte. Les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français continuent de souligner les clivages sociaux dans le cadre de la culture et des loisirs. Pourtant, l’importance de l’école dans cette socialisation, puis dans le milieu professionnel ne peut être négligée. La socialisation scolaire implique pour les élèves d’intégrer des codes et surtout des exigences comme la lecture, l’écriture et l’obéissance à l’ensemble des règles de travail et de vie. L’apprentissage du « vivre ensemble »

est déterminant et la mise en scène de la littérature, des ateliers du livre organisés, participe de la socialisation des élèves.

Cette mise en scène n’est pas sans rappeler l’étude faite par Erving Goffman65, qui

utilise le monde du théâtre pour décrire les interactions humaines, en comparant le rôle des acteurs sur scène au comportement des individus en société, s’adaptant au milieu dans lequel il évolue, comme autant de changements de décors ou de situations de théâtre. Pour Erving Goffman, nous pouvons tous être ramenés à des acteurs, ou à un public, à la vie comme à la scène, on finit tous par se prendre au jeu. L’entrée dans l’écriture pour ces élèves permet de prendre conscience de règles propres à la littérature, à l’écriture, jusqu’alors inconnues d’eux.

3.2 Restitution du projet, l’acquisition d’une toute nouvelle légitimité par les élèves

La dimension sociale du projet de lecture et en particulier la restitution apparaît comme un moyen pour les adultes de (re)mobiliser les jeunes à la lecture mais surtout permet aux élèves de prendre conscience de leurs possibilités. Les restitutions de projets apparaissent comme l’enjeu réel et final pour les élèves, fin en soi du projet et leur permettant de se sentir (re)valorisés.

3.2.1 « Lectures pour tous » : restitution à la BNF, désacralisation de la lecture en « territoire sacré »

Il apparaît que dans la forme exigée au départ il y a peu d’exigences. Si cela permet de laisser le champ libre à l’action des participants, cela ne permet pas de restreindre le champ d’action et d’apporter un cadre pour aider les intervenants à mettre en place leur projet et à l’imaginer.

Les projets présentés dans les dossiers de candidature se sont d’ailleurs bien souvent avérés assez sommaires, voire peu soignés. De fait, il semble que la démarche étant la plus inclusive possible, les dossiers de candidatures n’aient été que de simples formalités, destinés uniquement à faire connaître les établissements participants.