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Cette section évoque la diversité du spectre des activités logistiques au sein des établissements hospitaliers. Nous verrons que la littérature donne des pistes de pratiques d’excellence quant à l’organisation de certaines de ces activités. A travers ces pratiques nous rendons compte des différents éléments pouvant amener à la diversité des modalités d’organisation et l’absence de « one best way », les différentes modalités ayant leurs avantages et inconvénients propres qu’il est nécessaire de resituer dans le cadre spécifique de chaque établissement.

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Des pratiques d’excellence

Sampieri-Teissier (2002) divise la logistique hospitalière en deux parties. En premier lieu la logistique classique. Celle-ci couvre la gestion des matières premières : médicaments, autres matériels médicaux, biens de restauration, produits ménagers, linge, etc. Il s’agit de la perception traditionnelle de la logistique. Cela correspond au champ d’analyse étudié par les chercheurs du groupe CHAINE (groupe de recherche logistique basé à HEC Montréal) que nous aborderons plus loin. En second lieu nous retrouvons ce que Sampieri-Teissier nomme la logistique de service. Cela couvre la gestion des flux de patients, en agissant sur la demande et sur les capacités via l’arbitrage des temps d’attentes des patients et l’optimisation des capacités d’accueil et de traitement.

De manière générale, l’auteur remarque que la plupart du temps les flux sont poussés ou planifiés plutôt que tirés et que les communications d’informations sont peu informatisées. Par exemple, concernant le flux de patients, l’auteur remarque que peu d’établissements disposent d’un système liant les services de soins et le bureau des entrées afin de maintenir un échange d’informations sur les arrivées possibles. L’information ne remonte donc pas vers la gestion des admissions et la capacité d’accueil ne peut alors pas être gérée en fonction du nombre de patients attendus (autrement dit le flux ne peut pas être tiré), l’effectif d’admission ne change pas selon le planning. Bien sûr cette réflexion doit être adaptée en fonction de la nature de l’établissement, les urgences n’ayant pas les mêmes missions d’accueil qu’une clinique avec entrées programmées.

Landry et al. (2000) ont publié une vaste étude internationale des meilleurs pratiques de logistique hospitalière (tableau 1), afin de discerner ce qui constituait justement les gisements de performance potentielle au sein desquels les établissements pouvaient puiser. Bien que l’étude ne soit pas récente, la plupart de ces pratiques ne sont pas encore aujourd’hui couramment répandues au sein des hôpitaux français. En étudiant des hôpitaux européens et nord-américains, les auteurs se sont intéressés à ce qui semblait être les modalités d’organisation les plus performantes et ont fait ressortir les meilleures pratiques en termes techniques : usage de systèmes automatisés, normalisation des produits, etc., ainsi que les meilleurs pratiques en termes d’organisation : implantation de la logistique au sein de la direction et les services de soins, centralisation, externalisation. Si l’étude montre que ces pratiques améliorent l’activité logistique, leurs modalités de mise en place ne sont pas analysées, ni l’impact de leur mise en œuvre sur la performance, notamment l’impact

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financier, alors que l’importance des ressources nécessaires au bon déroulement de la fonction ne semble pas négligeable.

Tableau 1 – Meilleures pratiques de logistique hospitalière.

Conception du système de gestion :

– Le responsable logistique est membre de la haute direction ; – Centralisation des activités logistiques autour d’un pôle principal ; – Présence de personnel soignant au sein du service logistique ; – Présence d’intendance hôtelière dans les services ;

– La logistique gère le programme opératoire ; – Externalisation (impartition).

Achat :

– Recours à un groupe d’achats. Gestion des stocks :

– Recours à un fournisseur privilégié ;

– Plate-forme de distribution centralisant l’ensemble des fournitures pour un groupe d’établissements ;

– Livraison au quai emballée selon les besoins des unités de soins par le distributeur. Réapprovisionnement :

– Système de réapprovisionnement plein-vide ;

– Armoires modulaires de dispensation (Supply Station System)6 ; – Transpondeur7.

Consommation :

– Processus de normalisation des produits ; – Récupération.

Flux informationnel et monétaire :

– Progiciel intégré de gestion des ressources de l’entreprise (ERP). Flux physique :

– Architecture fluide (ascenseurs, corridors) ; – Système automatisé de transport ;

– Poste de travail infirmier intégré.

Source : adapté de Landry et al. (2000).

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Armoires constituées de différentes aménagements permettant la séparation des différents produits pharmaceutiques, jusqu’à un niveau de détail pouvant être le patient à qui ceux-ci sont destinés. 7

Utilisation de la technologie d’identification par radio fréquence RFID pour assurer le réapprovisionnement.

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L’ensemble de ces éléments montre que la logistique hospitalière relève de problématiques que l’on retrouve dans n’importe quelle entreprise et d’éléments supplémentaires qui sont plus spécifiques à l’environnement hospitalier. Les outils jugés de haute performance sont souvent des adaptations d’outils industriels plutôt que de véritables nouveautés.

Nous remarquerons également l’absence du traitement des flux de patients dans les préoccupations logistiques présentées dans ces études.

Les pratiques “performantes” énumérées plus haut se retrouvent pour certaines d’entre elles au sein des hôpitaux français d’aujourd’hui. Néanmoins, il est rare que les hôpitaux présentent des processus aussi évolués pour gérer leurs flux. La plupart de ces méthodes exige des investissements conséquents (chariots filoguidés, armoire automatisés, dématérialisation, système de rails, pneumatiques,...). Une explication à l’absence d’une généralisation de telles pratiques pourrait être la difficulté aujourd’hui des services logistiques à dégager des ressources pour investir dans le contexte budgétaire actuel.

De nombreuses solutions peuvent aussi être appliquées par différents établissements pour une même problématique.

Exemple de la diversité des modes d’organisation

En 2001, un article de Blouin et al. recense les différents modes d’organisation d’un flux d’approvisionnement interne au sein des établissements de santé. Cela nous donne un parfait exemple des différentes manières de réaliser la même activité avec des avantages différents et des ressources inégales au sein des différents établissements. Cela nous montre également l’enjeu et l’intérêt lié au développement de ces pratiques.

Pour fonctionner, un service de soins a besoin de consommer tout un panel de fournitures médicales. Il est nécessaire que le service soit régulièrement approvisionné afin de ne manquer d’aucun produit dont le personnel soignant a besoin pour réaliser son activité. En règle générale, cet approvisionnement est fait depuis un magasin central ou depuis la pharmacie par du personnel manutentionnaire vers les services de soins. Un stock est constitué au niveau du service qui sert de réserve, dans lequel le personnel soignant puise pour réaliser les actes de soins (Sampieri-Teissier, 2002).La diversité des services et les conditions architecturales pouvant varier énormément d’un hôpital à un autre, le nombre et l’emplacement de ce type de réserves peuvent être très variables (Landry et al., 2004).La

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distribution des fournitures au sein des unités de soins peut s’effectuer selon différentes modalités (tableau 2) afin de correspondre aux spécificités du service ou de l’établissement, chaque méthode ayant des avantages et des inconvénients.

Tableau 2 : Modes d’approvisionnement logistique à l’hôpital.

Mode Description

Réquisition

Le personnel soignant effectue, sur une base régulière, un décompte des stocks jumelé à une évaluation de la consommation. Les produits pour lesquels un besoin a été identifié font alors l’objet d’une réquisition qui sera acheminée, de façon manuelle ou électronique, au magasin central de l’hôpital. À partir de cette réquisition, le personnel du magasin prélève les marchandises nécessaires et les achemine à l’unité de soins. Dans ce mode, c’est souvent au personnel soignant qu’incombe la tâche de ranger les fournitures dans les réserves.

Échange de chariots

Les fournitures médicales sont placées sur un chariot mobile posté dans une réserve de l’unité de soins. Ce chariot, à partir duquel les produits sont consommés, est remplacé, selon un horaire prédéterminé, par un second chariot identique, mais complet. Durant l’intervalle de réapprovisionnement, le premier chariot est apporté au magasin central pour y être réapprovisionné. Au moment convenu, ce chariot complet pourra à nouveau remplacer celui posté à l’unité de soins.

Par niveau

Une tournée des unités de soins à réapprovisionner est réalisée selon un horaire prédéterminé. Durant cette tournée, un manutentionnaire effectue l’inventaire des fournitures médicales à l’unité. Les quantités comptées sont saisies électroniquement. L’information est ensuite téléchargée dans le système d’informations qui compare les quantités comptées avec les quotas établis et génère une liste de prélèvements. Les fournitures prélevées sont ensuite livrées et placées aux unités de soins par un manutentionnaire.

Plein-vide (double casiers)

Ce mode est, en fait, un système de doubles casiers : chaque fourniture médicale est entreposée dans un emplacement séparé en deux casiers. Dans chacun des casiers se trouvent la même quantité de produits. Lorsque l’un des deux casiers dédiés à un produit est vide, l’étiquette de code à barres identifiant le produit qu’il contient est retirée et fixée à un rail par le personnel soignant. Ces étiquettes de code à barres sont numérisées (scannées) selon un horaire prédéterminé. C’est suite à cette lecture des codes à barres que le réapprovisionnement est déclenché. L’information contenue dans le lecteur optique est par la suite transférée au système d’information qui génère la liste de prélèvements au magasin central de l’hôpital. Enfin, les fournitures médicales sont livrées et placées dans le casier vide, dans l’unité de soins, par un manutentionnaire.

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Traditionnellement, la gestion des stocks internes des services de soins est basée sur le système de réquisition. Cela exige de la part du service de soins un décompte régulier des stocks ainsi qu’une évaluation de la consommation à venir. Les deux défauts principaux de cette méthode sont qu’elle attribue la responsabilité de la gestion au personnel soignant, or ce personnel est souvent trop occupé par les soins à dispenser pour réaliser un suivi rigoureux des stocks. De plus, la gestion du stock ne fait pas partie des compétences principales de ce personnel, le travail de gestion du stock risque d’être inefficient. Un risque également important est que le personnel, afin de se prévenir contre une pénurie, constitue un stock « caché » de réserve, ce qui gonfle le niveau et dégrade la performance du système logistique. Enfin, cela prend du temps au personnel soignant qui n’est alors plus consacré à son cœur de métier.

La méthode d’échange de chariots de soins présente comparativement certains avantages non négligeables. Il permet de libérer le personnel de soins des tâches de gestion des niveaux de réserves de fournitures. Ensuite, une séparation est mise en place entre la zone où est géré le stock de fournitures et le remplissage des chariots, et celle où a lieu la consommation des fournitures au sein des services. Une réelle démarcation sépare ainsi le lieu de préparation et de mise en conditionnement et le lieu de consommation où les usagers sont présents. Enfin, cela permet, via une centralisation et une diminution des espaces de stockage, de limiter les risques de stocks cachés. Néanmoins, cette méthode a ses défauts. L’échange des chariots multiplie le nombre de déplacements nécessaires, le réapprovisionnement d’une unité de soins exigeant un aller-retour exclusif vers le magasin central afin de réaliser l’échange de chariot. L’existence de chariot en double exemplaire pour chaque service augmente également le niveau global des stocks. Enfin, l’espace limité au sein d’un chariot ne permet de réapprovisionner qu’une partie des produits à l’aide de cette méthode, sans quoi il serait nécessaire de multiplier les chariots et ainsi le nombre de déplacements et le niveau de stock.

La méthode par niveau présente des avantages similaires à ceux du système d’échange de chariots quant à la gestion des stocks. De plus, cette méthode n‘exige pas l’espace nécessaire à l’entreposage et au déplacement des chariots. Néanmoins, la demande de réapprovisionnement et donc l’estimation de la consommation ainsi que le rangement des fournitures restent à la charge du service de soins.

Le système plein-vide permet une grande déresponsabilisation des services de soins quant à la gestion des stocks. Il autorise aussi une facilité d’évaluation du niveau des stocks. Enfin, il permet d’éviter qu’un produit ne se périme en réserve, les produits étant tous consommés

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avant le passage au casier suivant. Blouin et al., 2001, notent cependant qu’ « il existe peu d'écrits scientifiques disponibles concernant les avantages et les inconvénients de ce mode de réapprovisionnement ».

Si de nombreuses options d’organisation existent pour répondre à une même problématique, le choix de l’une d’entre elles, supposée plus adaptée ou plus performante, doit reposer sur des critères objectifs de performance que la littérature ne couvre pas. Nous nous interrogeons alors sur la possibilité de mobiliser le champ disciplinaire du contrôle de gestion afin de résoudre cette problématique et de donner aux logisticiens hospitaliers des outils leur permettant de comparer les différentes modalités d’organisation.

Le premier chapitre nous a permis de qualifier l’établissement hospitalier en tant qu’organisation et d’observer ses spécificités. Il s’agit d’une bureaucratie professionnelle telle que l’entend Mintzberg (1982), de caractère public, marquée par des objectifs peu structurés, une organisation changeante et un système hiérarchique complexe. L’évolution fréquente du mode de financement des établissements a abouti à un système lourd et compliqué à mettre en place pour les services de contrôle de gestion. Mais les objectifs sont-ils vraiment si peu structurés, les changements sont-sont-ils plus importants que dans les autres organisations, la fonction contrôle de gestion est-elle confrontée à des particularités aussi décourageantes ? Nos observations laissent penser que la performance logistique hospitalière est encore sous-exploitée. Le caractère de mission de service public des établissements de santé n’exclut pas la création de valeur. La logistique agit comme une interface au sein de la chaîne de valeur au sens de Porter ou entre les différentes chaînes de valeur. Sa gestion est source de valeur ajoutée, car elle conditionne l’organisation et le bon fonctionnement de l’établissement, et à travers cela l’activité de soins.

La logistique hospitalière concerne de multiples activités, elle regroupe ainsi de nombreux domaines sous la responsabilité d’une même fonction. Historiquement cantonnée à l’hôtellerie (restauration et blanchisserie), son périmètre s’est élargi et englobe aujourd’hui une variété de fonction (transport du patient, vaguemestre, stérilisation, etc.). L’accroissement de ce périmètre s’est accompagné d’une prise d’importance au sein du

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budget des établissements, au point qu’aujourd’hui les auteurs (Chow et Heaver, 1994 ; Bourgeon et al., 2001 ; Henning, 1980 ; Kowalski, 1993 ; Davis, 2004) estiment que la logistique a un impact financier sur 25 à 46 % du budget global.

Bien que des travaux récents montrent la prise de conscience de l’importance de la logistique dans la gestion des établissements (Beaulieu et Landry, 1999 ; Beaulieu, Duhamel et Martin, 2004 ; Davis, 2004), l’organisation des activités logistiques diffère fortement entre les établissements, sans qu’il ne semble y avoir de consensus sur les méthodes à appliquer. Les pratiques d’excellence (méthode plein-vide, système automatisés, EDI…) semblent manquer de référentiels mettant en valeur leur performance et leur intérêt. A travers son importance financière, des marges de manœuvre et gisements de performance semblent encore possible(diminution du temps de travail logistique des soignants, réduction des coûts de stockage…) au vu du développement inégal des pratiques(par exemple, gestion des approvisionnements par réquisition vis-à-vis de l’utilisation d’un système de bacs plein/vide).Comme le font remarquer Landry et Beaulieu (2005),nous pouvons nous interroger : un plus grand intérêt porté à la performance logistique hospitalière est-il une réponse aux défis économiques de notre système de santé. Mais vu l’importance de l’utilisation du concept de performance dans les préconisations des dirigeants politiques et dans les rapports officiels, il nous a semblé important de consacrer le chapitre suivant à sa définition.

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