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Chapitre 3 : Problématique scientifique globale : des délaissés aux sources secondaires

2.2 Phytoextraction pour l’élimination des pollutions métalliques

Phytotechnologies

La phytoremédiation consiste en l’utilisation de plantes (et des micro-organismes associés) pour « contenir, inactiver, dégrader, stabiliser, concentrer, volatiliser ou éliminer les contaminants du sol » [42]. Parmi les nombreuses techniques, seules deux s’appliquent véritablement aux polluants métalliques : la phytostabilisation et la phytoextraction [43]. La phytostabilisation consiste à installer un couvert végétal limitant, par les interactions métaux racines, les transferts horizontaux (envol de poussière) et verticaux (lessivage ou contamination des êtres vivants) des polluants. Un des projets de recherche emblématique en France sur le sujet est la stabilisation de l’arsenic par un couvert végétal sur le site de l’ancienne mine d’or de Salsigne (Aude) (Projet Phytoperf [44]). La

Plusieurs dispositifs expérimentaux ont été financés pour pouvoir acquérir des connaissances scientifiques dans le domaine du traitement des sites et sols pollués et des déchets, et compléter ainsi la gamme d’essais de lixiviation disponible (Figure 10). Des lysimètres intermédiaires (de laboratoire) ont été installés pour étudier le comportement de matrices solides selon les traitements opérés (particulièrement chimiques, introduits sous forme de pluie). Outre le contrôle des conditions opératoires, ils permettent de répéter les expériences. Ceci est plus difficile sur des lysimètres de grandes tailles. Tout comme eux, il est possible de suivre les paramètres physico-chimiques à différentes profondeurs, mais la petite taille peut entrainer des effets de bords importants. Le dispositif de lixiviation normalisé, quant à lui, est un outil indispensable pour évaluer la possibilité de valorisation de certains solides après traitement selon la réglementation en vigueur.

Figure 10 - Photographies de 4 des 12 lysimètres de laboratoires achetés (a) et du dispositif normalisé de lixiviation (b)

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phytoextraction, quant à elle, a pour objectif de favoriser la translocation des ETM dans les parties aériennes des plantes, après absorption par les racines. L’avantage de cette approche est l’extraction du polluant du sol. En revanche, après récolte de la biomasse, celle-ci doit être traitée. Selon les concentrations, elle peut être considérée comme un déchet dangereux.

Dans les deux cas, la biodisponiblité des ETM est une notion fondamentale. Celle-ci se caractérise comme la capacité d’un polluant à être transféré du compartiment sol vers un organisme vivant (ici une plante). Elle est influencée par de très nombreux paramètres liés à la spéciation du métal dans le sol, à la nature de ce dernier et à l’organisme vivant considéré. Généralement ce transfert se fait via la solution du sol, c’est-à-dire que le compartiment aqueux est impliqué. Elle est généralement ainsi évaluée par la mesure des concentrations des métaux dans les lixiviats du sol, en présence d’extractants comme des sels (e.g. CaCl2) ou des complexants (e.g. DTPA, acide diéthylènetriaminepentaacétique) [45]. La mise en place d’un couvert végétal peut modifier profondément la biodisponibilité des métaux : elle peut largement diminuer via les interactions (adsorption / absorption) avec la rhizosphère mais elle peut également augmenter. En effet, les exsudats racinaires (des protéines, des acides carboxyliques etc.) peuvent favoriser la mobilité des ETM en les solubilisant dans la solution du sol.

Utilisation de plantes hyperaccumulatrices

Plusieurs types de plantes peuvent être utilisés dans le cas d’une dépollution d’un sol par phytoextraction : des plantes accumulatrices d’ETM ou hyperaccumulatrices. La différence réside majoritairement dans le facteur de translocation (rapport des concentrations en métal dans les parties aériennes par rapport aux parties racinaires) qui est supérieur à un pour les plantes hyperaccumulatrices. Les plantes accumulatrices sont donc choisies par leur capacité à avoir une forte biomasse et un enracinement important [43]. Les hyperaccumulateurs contiennent des concentrations en métaux dans les parties aériennes généralement plus de dix fois plus importantes. Au fur et à mesure de leur découverte, des seuils d’hyperaccumulation ont été définis. Ceux-ci sont fixés relativement arbitrairement mais dépendent de la toxicité et de la disponibilité du métal considéré. Le Tableau 9 rassemble les seuils d’hyperaccumulation des principaux éléments hyperaccumulés.

Ainsi, une plante est considérée hyperaccumulatrice lorsqu’elle contient au moins 0,1 % de nickel (par rapport à la matière sèche). Ce seuil est de 1 ppm (0,0001 %) pour l’or. Les hypernickelophores (hyperaccumulateurs de nickel) sont les plus courants avec 532 espèces identifiées lors du dernier recensement (des herbacées, comme Odontarrhena chalcidica et également des ligneux, comme Rinorea bengalensis) (Figure 11). Ils sont naturellement présents dans de nombreuses régions du monde (sur zones ultramafiques riches en nickel), aussi bien en zones tempérées que tropicales.

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Tableau 9 - Seuils d’hyperaccumulation et nombre de familles et d’espèces de plantes identifiées en fonction du métal considéré (adapté de [46])

Eléments Seuil (g kg-1) Familles Espèces

Aluminium (Al) 1 - - Arsenic (As) 1 1 5 Cadmium (Cd) 0,1 6 7 Cuivre (Cu) 0,3 20 53 Cobalt (Co) 0,3 18 42 Manganèse (Mn) 10 16 42 Nickel (Ni) 1 52 532 Or (Au) 0,001 - - Plomb (Pb) 1 6 8 Terres rares (TR) 1 2 2 Zinc (Zn) 3 9 20

Figure 11 - Photographies d’un champ d’Odontarrhena chalcidica en Albanie (a) et d’une branche de Rinorea bengalensis en Malaisie (b)

Les essais les plus emblématiques de dépollution de sols avec des plantes hyperaccumulatrices ont été réalisés en Chine, sur dix sites contaminés à l’arsenic, avec la fougère Pteris vittata. Une part de la pollution à l’arsenic (10 %) a été extraite sur le site de Haunjiang (province du Guangxi) la première année, pour atteindre les normes des sols agricoles après quatre ans [47].

Gestion de la biomasse contaminée

Après récolte, la biomasse riche en métal doit être gérée. Comme la phytoextraction est une technologie de remédiation émergente, les voies de traitement de ce déchet restent encore à explorer. Tout comme pour les déchets industriels, la solution de facilité est le stockage. Cependant les volumes générés peuvent être très rapidement importants et les coûts de traitement élevés. Même s’il ne s’agit que d’un déplacement de pollution, l’incinération apparait alors comme un bon moyen de diminuer le volume, et la masse

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(de près de 90 %), en concentrant le métal. Cependant, le contrôle des fumées est essentiel car certains métaux (particulièrement Zn, Cd et Pb) sont volatils aux températures de combustion. Ainsi pour l’arsenic contenu dans P. vittata, près de 25 % sont volatilisés à 800 °C [48].

Outre la limitation de la quantité de déchets, la combustion de la biomasse a pour avantage de produire de l’énergie qui peut être exploitée. D’autres voies thermiques sont aujourd’hui envisagées, comme la pyrolyse ou la gazéification, qui produit un biochar plus lourd que les cendres, et des biohuiles valorisables. Un des avantages de cette technologie est le contrôle des températures de combustion, permettant potentiellement de limiter la volatilisation des métaux. Cependant, les réactions impliquant les métaux sont complexes et il a été montré que la volatilisation du zinc et du cadmium des hyperaccumulateurs Noccaea caerulescens et Sedum alfredii, par exemple, a été favorisée lors de la pyrolyse [49], [50].

Tout comme pour les déchets de la vie courante, cette première approche tend à être supplantée par une vision circulaire. Ainsi, les plantes issues de la phytoextraction, tout comme les délaissés en général, sont des ressources secondaires qu’il est indispensable de valoriser pour contribuer à faire face à la pénurie de métaux.