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Physiopathologie de la maladie osseuse de Paget

2. Aspects cliniques de la maladie osseuse de Paget

2.1 Physiopathologie de la maladie osseuse de Paget

2.1.1 Tissu osseux normal

Les os qui forment le squelette possèdent plusieurs fonctions vitales pour l’être humain; ils fournissent un soutien et un site d’attachement pour les muscles afin de permettre le mouvement du corps, protègent les organes vitaux, fournissent un environnement adéquat pour l’hématopoïèse, servent de réservoir pour divers facteurs de croissance et cytokines, en plus de participer au maintien de l’homéostasie minérale (Clarke 2008). Morphologiquement, il existe deux types d’os, qui diffèrent tant au niveau structurel que métabolique. L’os compact constitue environ 80% de la masse totale osseuse chez l’humain. Il compose la partie externe de l’os, possède un faible taux de remodelage osseux, et est très dense et compact, ce qui lui confère une très grande résistance aux flexions et torsions. Il assume notamment des fonctions de force mécanique et de protection (Hadjidakis and Androulakis 2006). Il est formé de plusieurs lamelles constituées de fibres de collagène parallèles qui sont arrangées de façon concentrique autour d’un canal vasculaire. Ces unités structurales sont nommées ostéons, ou système de Harvers, et permettent aux os d’être un excellent support mécanique (Shea and Miller 2005). L’os trabéculaire participe à la résistance mécanique, mais se charge surtout des fonctions métaboliques. Par ailleurs, il constitue le site majeur du remodelage osseux, et est le site d’initiation de la plupart des maladies osseuses métaboliques (Feng and McDonald 2011). Il est composé d’un réseau de travées osseuses interconnectées avec des espaces occupés par la moelle osseuse, et possède une structure dite lamellaire (Shea and Miller 2005).

Le tissu osseux est un organe dynamique qui est constamment en renouvellement. Le remodelage osseux, un processus par lequel les sites osseux les plus anciens sont résorbés et remplacés par de nouveaux, est d’une importance capitale puisqu’il permet aux os de conserver leur intégrité mécanique, de réparer les fractures et les micro-fractures, en plus de maintenir l’homéostasie minérale dans l’organisme (Compston 2001). Le remodelage osseux s’effectue à l’aide de cellules osseuses spécifiques; les ostéoclastes, les ostéoblastes et les ostéocytes (Figure 3). Les ostéoclastes sont des cellules multinucléées d’origine hématopoïétique, et proviennent donc de la même lignée cellulaire que les monocytes/macrophages. Leur formation résulte de la fusion cellulaire de plusieurs précurseurs mononucléés (Vaananen and Laitala-Leinonen 2008). La principale fonction des ostéoclastes est d’effectuer la résorption osseuse. En effet, ceux-ci adhèrent à la matrice osseuse et forment un compartiment étanche dans lequel plusieurs ions et enzymes sont sécrétés afin de dégrader la matrice osseuse sous-jacente (Henriksen, Bollerslev et al. 2011). La différenciation et l’activité des ostéoclastes sont principalement régulées par la voie de signalisation du Nucleor Factor kappa B (NF-κB). C’est la liaison entre le Receptor Activator of NF-κB Ligand (RANKL), sécrété par les ostéoblastes et les

ostéocytes, et son récepteur, le Receptor Activator of NF-κB (RANK), situé à la surface des précurseurs ostéoclastiques, qui permettra l’activation de cette voie de signalisation. L’ostéoprotégérine (OPG), un récepteur leurre sécrété par les ostéoblastes, est également d’une importance capitale. En effet, celle-ci inhibe l’interaction entre RANKL et RANK, régulant ainsi négativement l’ostéoclastogénèse (Figure 4) (Athanasou 2011). Les ostéoblastes proviennent des cellules souches mésenchymateuses qui ont également la capacité de se différencier en adipocytes, chondrocytes, myoblastes ou en fibroblastes (Neve, Corrado et al. 2011). De plus, la différenciation des ostéoblastes se fait principalement via la voie de signalisation Wnt (Eriksen 2010). La fonction principale de ces cellules est la formation osseuse, via la synthèse de protéines de la matrice osseuse incluant le collagène de type I, et est également responsable de la minéralisation de cette matrice (Katagiri and Takahashi 2002). Les ostéocytes sont des cellules dérivées des ostéoblastes qui sont trappées dans la matrice osseuse minéralisée. Ce sont les cellules osseuses les plus abondantes, représentant environ 90% des cellules osseuses totales (Bellido 2014). Elles ont une morphologie en forme d’étoile et possèdent des prolongements dendritiques qui forment une architecture cellulaire particulière, leur permettant ainsi de communiquer entre elles et avec les cellules localisées à la surface de l’os (Sapir-Koren and Livshits 2014). Les ostéocytes sont actuellement les cellules osseuses les moins bien caractérisées. Néanmoins, plusieurs fonctions leur sont attribuées, telles que la régulation du remodelage osseux et le maintien de l’homéostasie minérale, en plus d’être considérés comme des cellules mécano-sensorielles ayant l’habilité de détecter les contraintes mécaniques apposées sur l’os (Bonewald 2011).

Lors du remodelage osseux, les précurseurs ostéoclastiques sont recrutés à la surface osseuse, puis une fois activés, fusionnent pour former des ostéoclastes matures. Ces derniers effectuent ensuite la résorption de l’os sous-jacent. Puis, les précurseurs des ostéoblastes sont recrutés et activés afin de se différencier en ostéoblastes matures. Ces derniers enclenchent alors le processus de formation et synthétisent une nouvelle matrice osseuse dans les lacunes de résorption. Cette matrice d'os ostéoïde sera ensuite minéralisée (Datta, Ng et al. 2008). Le couplage entre les processus de résorption et de formation osseuse est finement régulé afin de conserver l’intégrité de la masse osseuse. Néanmoins, un découplage entre la résorption et la formation osseuse peut survenir, causant ainsi un remodelage osseux anormal et le développement possible d’une pathologie osseuse (Feng and McDonald 2011).

Figure 3. Cellules osseuses en action lors du remodelage osseux.

Le remodelage osseux requiert la présence des ostéoclastes, ostéoblastes et ostéocytes. Les ostéoclastes résorbent l’os, et font place aux ostéoblastes qui forment et minéralisent la nouvelle matrice osseuse. Figure tirée de (Kapinas and Delany 2011).

Figure 4. Système RANK/RANKL/OPG dans l’ostéoclastogénèse.

Le RANKL, sécrété par les ostéoblastes et les ostéocytes (non représentés ici), se lie à son récepteur RANK à la surface des précurseurs ostéoclastiques pour activer l’ostéoclastogénèse. L’OPG est un récepteur leurre du RANKL qui, en liant ce dernier, inhibe l’ostéoclastogénèse. Figure adaptée de (Ralston, Langston et al. 2008).

2.1.2 Tissu osseux pagétique

La MOP se caractérise par un excès de remodelage osseux affectant un ou plusieurs os. La phase initiale de la pathologie est caractérisée par une augmentation de la résorption osseuse, causée par des ostéoclastes plus nombreux et de plus grande taille, créant ainsi des lésions ostéolytiques. Par ailleurs, on peut facilement observer l’évolution de ces lésions sur les radiographies des os atteints (Figure 5) (Cundy and Bolland 2008). La seconde phase de la maladie est caractérisée par une augmentation subséquente de la formation osseuse causée par une activité compensatoire des ostéoblastes (en raison du couplage existant entre les ostéoclastes et les ostéoblastes), présents en grand nombre dans les lésions pagétiques. La matrice osseuse rapidement synthétisée est désorganisée et se présente sous la forme d’un os tissé qui est plus susceptible aux déformations et aux fractures qu’un os lamellaire. La moelle osseuse est par la suite infiltrée par des tissus fibreux et vasculaires, causant une hypertrophie de l’os atteint (Figure 6). Les lésions deviennent alors sclérotiques, sans apparence de remodelage osseux actif (Siris and Roodman 2013).

Histologiquement, les ostéoclastes sont les premières cellules affectées dans la MOP. Ceux-ci ont un phénotype cellulaire pagétique typique qui permet de les distinguer des ostéoclastes normaux. En effet, les ostéoclastes pagétiques sont plus nombreux, de grande taille, peuvent contenir jusqu’à 100 noyaux par cellule, et ont des inclusions nucléaires et cytoplasmiques provenant possiblement de virus de la famille des Paramyxovirus (Figure 7) (Roodman and Windle 2005). De plus, ils sécrètent des niveaux élevés d’interleukine-6 (IL-6), détectables dans la moelle osseuse et le sang périphérique des patients avec la MOP (Roodman, Kurihara et al. 1992). Ils sont également plus résistants à l’apoptose, ces derniers possédant une régulation à la baisse de certains gènes impliqués dans ce processus (Chamoux, Couture et al. 2009, Michou, Chamoux et al. 2010). De plus, leurs précurseurs sont hypersensibles à certains facteurs ostéoclastogéniques tels que le RANKL et la 1,25(OH)2 vitamine D3, formant des ostéoclastes à des concentrations beaucoup

moins élevées que celles normalement requises (Kukita, Chenu et al. 1990, Menaa, Reddy et al. 2000). L’hypersensibilité à la 1,25(OH)2 vitamine D3 est due à une augmentation de l’expression de TAFII-17,

maintenant nommé TAF12, une protéine liant les récepteurs de la vitamine D, dans les ostéoclastes pagétiques (Kurihara, Reddy et al. 2004). Les ostéoblastes pagétiques comportent également certaines anomalies. En effet, ceux-ci sur-expriment des gènes codant pour des cytokines ostéoclastogéniques, telles que l’IL-6, IL-1β, Dickkopf-1 (DKK1) et RANKL, ce qui pourrait contribuer au remodelage osseux excessif observé dans la MOP (Menaa, Reddy et al. 2000, Naot, Bava et al. 2007).

Figure 5. Lésions ostéolytiques caractéristiques de la MOP.

La progression des lésions ostéolytiques dans la MOP débutante est parfois observable sur des radiographies standards. On remarque en effet le « V de progression » caractéristique de la maladie. Figure adaptée de (Cundy and Bolland 2008).

Figure 6. Aspect histologique du tissu osseux pagétique.

Dans les lésions osseuses pagétiques, on note la présence d’ostéoclastes multinucléés et de plus grande taille qui résorbent la matrice osseuse, représentée ici en rose foncé. Les ostéoblastes sont également présents en grand nombre pour effectuer la formation osseuse, qui est désorganisée. La moelle osseuse est également infiltrée par du tissu fibreux, représenté ici par les filaments roses pâles. Figure tirée de (Bullough 2010).

Figure 7. Aspect histologique des ostéoclastes pagétiques.

Les ostéoclastes pagétiques sont de plus grande taille que les ostéoclastes normaux, et peuvent contenir jusqu’à 100 noyaux. De plus, des inclusions nucléaires et cytoplasmiques qui proviennent possiblement de virus de la famille des Paramyxovirus ont été observées dans ces cellules. Figure tirée de (Roodman and Windle 2005).